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Full text of "Œuvres de Guillaume de Machaut"

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I 







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')tl 



Le Puy, imp. Marohessou. — Peyriller, Rouchou et GAmoD, soccesseurs.i 



OEUVRES 



DE 



GUILLAUME DE MACHAUT 



PUBLIÉES PAR 



Ernest HŒPFFNER 



TOME PREMIER 




* 


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«. ( 


PARIS 




LIBRAIRIE 


DE FIRMIN-DIDOT 

RUE JACOB, 56 
M DCCCCVIII 


ET Cl» 



Publication proposée à la Société le 3o mai 1906. 

Approuvée par le Conseil dans sa séance du 14 décembre 1906, 

sur le rapport d'une Commission composée de MM. Meyer, Raynaud 

et Thomas. 

Commissaire responsable : 
M. G. Raynaud. 

120581 



INTRODUCTION 



TRAVAUX RELATIFS A GUILLAUME DE MACHAUT 



L'avènement des Valoîs, en i328, ouvre une nou- 
velle phase dans Thistoire de la littérature française, 
« longue période de transition qui va du vrai moyen 
âge à la Renaissance * ». Le premier nom marquant 
qui se présente ici est celui du poète Guillaume de 
Machaut.^Son œuvre exerce une influence puis- 
sante et durable sur le développement littéraire du 
xiv« sîèclei Poète lyrique, il fait triompher, s'il ne les 
crée pas lui-même, les genres à formes fixes, la ballade, 
le chant royal, le virelai, le rondeau et le lai, qui, avec 
quelques variations et certaines modifications, régne- 
ront jusqu'au xvi« siècle^ C'est donc lui qui inaugure 
véritablement ce nouvel art lyrique, tout dififérent de 
la production poétique des siècles précédentsi^Musi- 
cien et compositeur^ il introduit des changements non 

I. G. Paris, La littérature française au moyen âge (1890)4 
p. III. 

Tome I. ai, 



II INTRODUCTION 

moins considérables dans la musique dont il accom- 
pagne une partie de ses poésies. {Dans ses œuvres de 
longue haleine, dans les dits^ poèmes didactiques et 
narratifs, il subit, il est vrai, comme tous ses contem- 
porains, l'influence profonde du Roman de la Rose : il 
lui emprunte le cadre de ses fictions ; il se sert des 
éléments allégoriques dont avaient usé Guillaume de 
Lorris et Jean de Meun; comme ce dernier surtout, il 
aime à faire montre d'une érudition aussi vaste que 
superficielle ;1 et enfin, il reprend encore pour son 
compte les principaux sujets mis à la mode par 
ses illustres devanciers 7J^ Mais, s'il lui a été impos- 
sible de se soustraire complètement à la domination 
que le Roman de la Rose exerça sur toute cette époque, 
il a cependant réussi à se créer une certaine originalité 
qui lui appartient en propre et qu'il ne tient que de 
lui-même, en ce qu'il a mêlé à la fiction abstraite et 
générale des éléments tout personnels et individuels. 
Pas un seul parmi ses dits où il ne joue lui-même un 
rôle ; même dans le Confort d'ami, où il prodigue ses 
oonseils et ses consolations au roi Charles II de Na-* 
"iyarre, môme dans la Prise d" Alexandrie ^^ chronique 
rimée qui raconte la vie de Pierre I«^ de Lusignan, roi 
de Chypre, il trouve moyen de nous entretenir de sa 
propre personne et de donner quelques détails biogra- 
phiques sur lui-même. Dans ses premières œuvres, 
la tendance à se mettre en scène est encore peu 
marquée : le poète se montre déjà en personne, mais 
son rôle est modeste et effacé. A mesure que son 
renom s'établit plus solidement et qu'en raison de 
ses succès littéraires le sentiment de sa propre valeur 

I . Le poème est appelé dans tous les manuscrits Prise d^AIixandre* 



INTRODUCTION II! 

s'affirme en lui» il devient plus hardi et s'attribue 
le premier rôle dans les récits qu'il nous conte. Pres- 
que aussitôt, on voit Froissart le suivre dans cette 
voie' ; peu après lui, (Eustache Deschamps qui se 
proclame son disciple ^^roduit des poésies toutes per- 
sonnelles et subjectives, et les poètes et auteurs du 
xv« siècle, Christine de Pisan en tête \ écrivent dans ce 
qu^on peut appeler sa manière. Qls lui empruntent 
encore certain genre littéraire, dont Machaut est le véri- 
table créateur : ce sont les « débats »i ou a jugements 
d'amour », qui sont en quelque sorte le prolongement 
et le développement de Tancien « jeu parti », où le poète 
seul, dans des pièces d'une certaine étendue empruntant 
les formes des « dits », expose, tant au moyen de person- 
nages fictifs que par sa propre bouche, les deux aspects 
d'une question, tranchée finalement par le jugement 
d'un tiersDCe genre eut une vogue considérable, si bien 
que les auteurs contemporains autant que les poètes 
postérieurs du xv« siècle s'empressèrent de Timiter de 
leur mieux. 

On n*hésita pas, d'ailleurs, à reconnaître en Guil- 
laume de Machaut comme un chef d'école, un maître, 
et on lui donna, pendant plus d'un siècle, sa place 

1. Certains détails du Dit dou bleu chevalier ou du Traittii 
de la prison amoureuse, détails absolument extérieurs, sont 
déjà suffisants pour démontrer Tinfluence directe que Machaut 
a exercée sur Froissart, quoique celui-ci ne Tait avoué nulle 
part; ce fait ressortira mieux encore d*une étude plus appro- 
fondie que nous nous réservons * de faire paraître plus tard. 
Notons aussi que toute la production lyrique de Froissart adopte 
les formes consacrées par Guillaume. 

2. Œuvres complètes, III, 259 (N. 447» v. 5) : « Machaut. . . qui 
m*a nourry et fait maintes douçours. » 

3. Romania, XXIIl (1894}, S8i-586. 



' IV INTRODUCTION 

parmi les meilleurs poètes et musiciens de l'époque. 
Gillon le Muisit, dans ses Méditations^ nomme parmi 
ceux qui a or sont vivant biaus dis faisant», en pre- 
mière ligne « de Machau le boin Willaume », en ajou- 
tant que a si fait(= poésies) redolent si que bausme ' ». 
Eustache Deschamps, énumérant les grands hommes 
de sa province natale, la Champagne, cite « Vittry» 
Machault, de haulte emprise, poètes que Musique ot 
chier ' ». Il consacre deux ballades à a la mort Machaut, 
le noble rethorique » qui était la « fleur des fleurs de 
toute mélodie », le « très doulz maistre qui tant fu 
adrois », le « mondain dieu d'armonîe », et qui « com- 
plains sera de princes et de roys », car « sa chanterie a 
moult pleii aus grans seigneurs, a dames et bour- 
gois ' ». Ceci, il l'avait déjà proclamé du vivant même 
du maître. Il vient de remettre à Louis de Maie, comte 
de Flandre, au nom de l'auteur un exemplaire du Voir 
Dity et c*est sous l'impression immédiate de l'accueil 
fait à l'ouvrage, qu'il envoie à Guillaume ces lignes : 

.ri.... Tous voz faiz moult honourablement 

Chascuns reçoit en maint païs estrange, 

Et si n'y a nul, a mon jugement, 

Qui en die fors qu'a vostre louenge. 

Les grans seigneurs, Guillaume, vous ont chier, 

En voz choses prennent esbatement *. 

1. Édit. Kervyn de Lettenhove, I (1882), 88. La pièce est de 
i35o; Machaut avait alors produit quelques-unes de ses meil- 
leures œuvres et jouissait déjà sans doute d*une réputation con- 
sidérable. 

2. Œuvres complètes, Wlll^ 178 (Bail. 1474). 

3. Loc, cit», I, 243-46 (Bail. 1 33 et 124). 

4; Loc, cit., I, 249 (Bail. 127)^ Ces vers sont postérieurs à 
Tannée 1364 où Machaut termina son poème. Datent-ils réelle- 
ment, comme le veut M. Gaston Raynaud {Ibid.iXl, 22 et 224) de 



INTRODUCTION V 

L'éloge deO^eschampSy disciple et peut-être neveu 
de Machauiif pourra paraître suspect. Mais d'autres 
témoignages viennent s*y ajouter auxquels on peut, 
nous semble-t-il, hardiment se fier. Une courte pièce 
latine, écrite environ au milieu du xiv^ siècle, dont 
Fauteur est inconnu, cite parmi les musiciens de 
Tépoque de Machau Guillelmo \ L'auteur anonyme des 
Règles de seconde rhétorique^ faisant précéder son 
traité de versification de quelques brèves notices sur 
ceux qu'il considère comme les meilleurs auteurs 
depuis Guillaume de Lorris, mentionne après Phi- 
lippe de Vitry « maistre Guillaume de Machault, le ^ 
grant rethorique de nouvelle fourme, qui commencha \ * 
toutes tailles nouvelles, et les parfais lays d'amours * ». 
Martin Le Franc, dans le Livre du Champion des 
dames, cite « Machaut> grant rhethorique », dont 
« les facteurs amoureux lamentent » la mort, avec 
Froissart, Christine de Pisan, Alain Chartier et 
d'autres ^. Achille Caulier accorde à « Mdchaut, poethe 
renommé » une place dans son Ospital d'amour a côté 
d'Alain Chartier, de Boccace et de Pétrarque *. Le 

Tannée iSyS, ce qui les placerait deux ans avant la mort de 
Guillaume et onze ans après la rédaction du Voir Dit? Nous 
n'osons Taffirmcr trop catégoriquement. La question, d'ailleurs, 
dans ce cas particulier, est sans importance. 

1 . Voy. la notice de P. Meyer dans le Bulletin de la Société des 
anciens textes franc »^ XXXIV (1908), 46 ss. 

2. E. Langlois, Recueil des arts de seconde rhétorique (igoS), 
p. 12. L'ouvrage a été écrit entre 141 1 et 1432. 

3. Voy. G. Paris, Romania^Wl (1887), 415. La pièce fut ter- 
mince vers 1442. 

4. Édit. des Œuvres du Roi René par le comte de Quatrebarbe 
(1846), p. 128. Sur l'attribution de ce poème à Achille Caulier, 
voy. A. Piaget, dans la Romania, XXXiV (igoS), 563-564. 



VI INTRODUCTION 

poème étant daté de Tannée 1457, on trouve donc 
encore vivants le souvenir et le renom de Guillaume 
quatre-vingts ans après sa mort. Pour le moyen âge où 
les gloires littéraires sombrent si rapidement, c'est 
une longue survivance. 

Mais il ressort clairement des vers donnés dans ce 
dernier ouvrage comme épitaphe de la tombe de 
Mflfchaut \ que, si le nom du poète et le titre de 
Tun de ses plus célèbres poèmes sont encore connus, 
ses oeuvres ne sont plus lues et que la tradition seule 
a conservé son souvenir de grand poète et d'amant 
malheureux. Par contre, dans les œuvres des poètes 
antérieurs on trouve bien des traces d'une connais- 
sance sérieuse des pièces de notre auteur. Frois- 
sart, nous l'avons dit, l'a imité, sans toutefois le 
nommer. Eustache Deschamps lui doit beaucoup. La 
preuve la plus sûre en est que, dans VArt dedictier^ les 
rondeaux donnés comme modèles du genre, sont em- 
pruntés à l'œuvre de Machaut. Christine de Pisan 
reprend dans le Dit de Poissy le débat soulevé tout 
d'abord par Guillaume dans le Jugement dou Roy de 
Behaingney tandis que son Livre des vrais amans « pré- 
sente plus d'une ressemblance avec le Voir Dit de Guil- 
laume * » ; mais, non plus que Froissart, elle n'indique 

1. J'eus le renom 

D'estre fort embrasd de penser amoureux 

Pour l'amour d'une Voir, dont pas ne fus heureux 

Ma vie, seulement tant que la peusse voir ». {loc, cit.) 

L'auteur fait évidemment allusion au Voir Dit ; mais en commet- 
tant la singulière méprise de prendre Tadjectif Voir pour le nom 
de la dame du poète, il prouve bien qu'il ne connaissait du poèmç 
que le titre. 

2. Annie Reese Pugh, Romania, XXIII {1894], 586. 



INTRODUCTION VII 

la source de son inspiration. Oton de Granson, dans 
son Lai de désir en complainte, invoque directement 
l'autorité du vieux maître : 

Maistre Guillaume de Machault 

Dit bien que revengier n'y vault, etc. % 

et dans une Complainte de Fan nouvel il reproduit une 
situation imaginée par Machaut dans la Fontaine amou- 
reuse, dont Froissart s'était déjà inspiré dans le Dit don 
bleu chevalier, Martin le Franc déclare qu'il n'est pas 
d'accord avec Machaut sur la décision du débat qui 
fait l'objet du Jugement dou Roy de Behaingne : « Je 
ne m'accorde au jugement Machaut " »• On trouve 
encore une mention de notre poète dans le Débat du 
Reveille matin d'Alain Chartier qui lui emprunte éga* 
lement le cadre et le fond du Livre des quatre dames ^ 
Les œuvres de Guillaume étaient connues même au 
delà du domaine de la langue française. Chaucer, le 
grand poète anglais, s'est inspiré du Dit de la Fon^- 
taine amoureuse pour son Boke of the Duchesse et a 
fait des emprunts encore à d'autres poèmes de Ma- 
chaut \ Sa vogue dans les pays catalans est déjà attestée 
en ï367 par la mention d'un manuscrit «Méchant 6 

1. Édit. Schirer (igoS), p. 37. L'éditeur, de même que M. Pia- 
get (Romania, XIX, 424 et 436), trompé par le manuscrit, 
a vu deux lais là où il n'y en a qu*un seul. Ce n'est qu'en réu- 
nissant les deux pièces qu'on obtient le nombre réglementaire de 
douze strophes, dont la dernière est pareille à la première, sui- 
vant la théorie du lai. 

2. G. Paris, Romania, XVI, 409. 

3. Â. Piaget, Romania^ XXI, 616-617; G. Paris, Villon, p. 93. 

4. Sandras^ Étude sur Chaucer (iSSg), p. 76 ss.; 89-95; ten 
Brink, Chaucer-Studien, I (1870), 7-1 1. 



VIII INTRODUCTION 

Mcchaud », et par un billet de la reîne Yolande (du 
i8 juin iSSp) qui remercie son cousin^ le comte de 
Foix, de l'envoi d'un « libre molt bell é bo de Guillcm 
Maixant ' ». En 1449, le marquis de Santillane, dans 
sa fameuse lettre au « Condestable de Portugal »,cite le 
poète parmi les cinq grands auteurs français en compa- 
gnie de Guillaume de Lorris, Jean de Meun^ Oton de 
Granson et Alain Chartier '• En Italie, Ugolino 
d'Orvîeto, aux environs de 1400, fait son éloge en tant 
que musicien et chef d'école ', et ce témoignage est 
confirmé par des manuscrits italiens qui contiennent 
en effet des compositions musicales du maître français S 
Quant à ses poésies, elles ne pouvaient dans la Pénin* 
suie soutenir la comparaison avec celles des grands 
poètes contemporains comme Pétrarque et Boccace. 
j Dans la seconde moitié du xv« siècle, Machaut est 

oublié. Après le roi René qui ne paraît déjà plus con* 

1 . Morel-Fatio, Romania, XXII, 2j5'j6. 

2. Obras (pubL par Â. de los Rios, i85a), p. 9 : « ... Michaute 
escriviô asymesmo un grand libro de baladas, canciones, ron- 
deles, lays, virolays, é asonô muchos dellos ». Cela répond bien 
à Machauty malgré la forme « Michaute » qui semble s'appli- 
quer plutôt à Pierre Michaut. M. Piaget a fort bien établi que 
les manuscrits du xv* siècle ont plusieurs fois substitué «Michaut» 
à « Machaut » {Romania, XXI, 616-17). 

3. Le chapitre qu'il lui consacre est intitulé Ratio dicti Giiil- 
lelmi et suorum sequacium. L'auteur, auparavant, s'exprime ainsi : 
<c Iste Guilielmus in musicis disciplinis fuit singularis et multa 
in ea arte optime composuit, cujus cantibus temporibus nostris 
usi sumus bene politeque compositis ac dulcissimis harmoniarum 
mclodiis oniatis ». Ambros, Geschichte der Musik^ III (1891), 
26. 

4. Voy. F. Ludwig, DU mehrstimmige Musik des 14, Jaliv* 
hunderts, dans Sammelbdnde der internûtionalen MusikgeselU 
*c/w/f, IV (1902-03), 37-38. 



INTRODUCTION IX 

naître ses œuvres, on ne trouve aucune mention du 
poète. Ce n'est qu'au xviii» siècle que Tabbé Lebeuf 
découvre un manuscrit de Machaut, sur lequel il 
rédige une « notice sommaire '» . Le comte de Caylus ' 
et l'abbé Rive * , à leur tour, essaient de fixer la bio- 
graphie et la physionomie littéraire du vieil auteur, 
mais ils n'y réussissent qu'imparfaitement. Roquefort, 
dans son étude sur l'État de la Poésie franqoise dans les 
xii* et xiii* siècles (i8o5)* et Amaury Duval, dans 
V Histoire littéraire de la France^ le mentionnent. 
En 1849, Prosper Tarbé publie un choix des poé- 
sies de Machaut*; Tessai biographique dont il fait pré* 
céder cette édition constitue un sérieux progrès sur 
toutes les études précédentes ^ Dans un volume, con- 
sacré à Agnès de Navarre, il fait paraître encore d'autres 
œuvres du poète '. Les erreurs commises par l'éditeur 
dans la préface de cette dernière publication sont 
redressées par Paulin Paris dans l'édition qu'il donne 

I . Mémoires de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres j 
XX (1753), 377-98. 
3. Ibid.t p. 399-439. 

3. De la Borde, Essai sur la musique, IV (1780), Appendice. 

4. P. io5 ss. 

5. Tome XVÏ(i824), 272, 274, 275, note 2. 

6. Les Œuvres de Guillaume de Machaut, t.llî delà Collection 
des poètes de Champagne antérieurs auxvi* siècle^ (1849]. 

7. Ce travail semble avoir passé à peu près inaperçu. Les arti- 
cles consacrés à Machaut, dans la Nouvelle biographie générale 
(XXI, 71 2-1 3), dans le Grand Dictionnaire universel de La- 
rousse (VIII, 1625), dans la Biographie universelle des musi- 
ciens de Fétis et autres, se basent tous sur les essais du xviii* siècle 
et ignorent les résultats des recherches de Tarbé. Celui-ci n'est 
pas même cité dans le Dictionnaire universel des Littératures de 
Vapereau (1884). 

8. Les Poésies d'Agnès de Navarre (i836). 



X INTRODUCTION 

du Voir Dit de Macham \ Mas Latrie, en 1877, publie 
la Prise d'Alexandrie* ; sa préface, malheureusement, 
en tant qu'elle s'occupe de Tauteur du poème, contient 
de nombreuses et graves erreurs. Quelques nouvelles 
dates pour la biographie du poète ont été données par 
les heureuses découvertes dé M. A. Thomas au Vati- 
can ^ , Notre poète a désormais sa place dans les traités 
d'histoire littéraire de la France, de Lanson, Faguet, 
Petit de Julleville, Gaston Paris, Grôber, Suchier, etc.; 
Molinier, dans les Sources de V Histoire de France 
(IV, 1 10-12), en donne une courte notice biogra- 
phique. Au moment de publier les oeuvres de Machaut, 
il peut être utile de fixer, comme point de départ pour 
des recherches ultérieures, les renseignements biogra- 
phiques que nous possédons aujourd'hui sur lui. 

1 . Le Livre du Voir Dit^ publié pour la Société des bibliophiles 
François [par Paulin Paris], (iSyS). 

2. La Prise d'Alexandrie, publiée pour la Société de l'Orient 
Latin, par M. L. de Mas Latriç (1877). 

3. Romania, XC1881), 325-33; Mélanges d'archéologie et d'his- 
toire de V École Française de Rome, IV (1884), 36-46. 



INTRODUCTION XI 

II 

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR GUILLAUME DE MACHAUT 

^ Guillaume de Machaut, qu'Eustache Deschamps 
nomme parmi les grands hommes de la Champagne, 
tire son origine et son nom du village de Machault» 
actuellement chef-lieu de canton du département des 
Ardennes. Les documents latins l'appellent de Mascau- 
dio. de Machaudïo ou de Machaudo^ Par là, il se dis- 
tingue de plusieurs homonymes contemporains avec 
lesquels on l'a longtemps confondu. Ceux-ci se nom- 
ment de Machello ou de Macholio, du village de Ma- 
chault en Brie (dép. de Seine-et-Marne) ; ce serait en 
français Macheau.oix Machiau \ tandis que le nom du 
poète était bien de Machaut (orthographié Machault au 
XV* siècle), comme Tattestent des vers où il rime avec 
chaut (= calet, Jug. dou Roy de Nav., 573-74, 1499- 
1 5oo) et les anagrammes de ses poèmes '. Il faut 
écarter, par conséquent, certain Guillelmus de Ma- 

I . Cette forme Machiau existe en effet dans un document de 
Tannée i3io, relevé par M.Antoine Thomas, qui, après Gaston 
Paris {Revue crit, IV, 216), a nettement séparé le nom du poète 
de celui de ses homonymes {Romania, X, 327, note 4). Le raison- 
nement de G. Paris, en tant qu'il s'appuie sur la prononciation 
du t final dans Machaut, n*est pas absolument décisif, car Tun 
des meilleurs manuscrits, écrit encore du vivant de Guillaume et 
sans doute même revu par lui, donne toujours Machau^ sauf à la 
rime. Le t ne se faisait donc plus entendre que devant une voyelle 
ou à la pause. 

3. Voy. Zeit$chr./ar rowunn.PhiU, XXX (1906}, 404 ss. 



XII INTRODUCTION 

chello, valet de chambre de Philippe-le-Bel, un Guîl- 
lelmus de Macholio, valet de chambre de la reine Jeanne 
de Navarre en i3oi, et un Guillaume, fils de Pierre de 
Machau, encore mineur en i3i8'. Par cela môme, toutes 
les hypothèses qui s'appuyaient sur ces personnages 
pour déterminer la date de naissance du poète doivent 
être rejetées*. Cependant/il est permis de fixer sa nais- 
sance aux environs de i3ooi}nous en donnerons les 
raisons dans la suite. Nous ignorons tout de sa famille; 
et Ton ne saurait dire s'il appartenait vraiment à la 
noblesse, comme l'ont admis Tarbé, P. Paris et 
M. Suchier ', ou s'il était d'une origine plus modeste, 
comme le veulent l'abbé Rive et Mas Latrie. Le fait 
est que le poète, dans aucun document, n'est qua- 
lifié de (cfidelis, dominus, miles, armiger »*;ce qui 
dénote plutôt une extraction roturière. Par contre, 
il est qualifié de « clerc » et de « maître ». Il a donc fait 
ses études de théologie, puisqu'il devient plus tard cha- 
noine, et a obtenu le grade universitaire de « magis- 
ter »|S'il a vécu dans l'intimité des grands seigneurs, il 
le doit, sans doute, non à son origine, mais à l'habit 
ecclésiastique devant lequel s'effaçaient les différences 
de caste et de naissance. Lui-même, en s'adressant au 
roi de Navarre, qu'il traite d' « ami » — ce dont il 

1. Dans les études de l'abbé Lebeuf, de Tarbé, de Mas Latrie^ 
signalées plus haut, ces différents personnages sont plusieurs fois 
confondus avec notre poète. 

2. L'abbé Rive et, après lui, Mas Latrie fixent la naissance 
de Machaut en 1282 ou 1284; Tarbé, que suit P. Paris, se décide 
pour Tannée 1295, croyant le poète encore mineur en i3i8. 

3. Geschichte der/ran^ôsischen Litteratur (1900), p. 235. 

4. Ce raisonnement de Mas Latrie, quoiqu'appliqué à des docu- 
ments où il n*est pas question du poète, n'en subsiste pas moins 
pour les pièces qui se rapportent en effet à notre auteur. 



INTRODUCTION XIII 

s'excuse d'ailleurs — déclare n'être ni des meilleurs ni 
des pires '. En sa qualité de clerc lettré il occupait, en 
effet, un rang intermédiaire entre la haute noblesse et 
les simples serviteurs et valetsTl  la question posée 
dans les derniers vers du Dit de l'Alerion^ 

Se cils est clers ou damoisiaus 
Qui fist ce Dit des quatre Oisiaus, 

Guillaume lui-même donne la réponse dans le Livre 
de la Fontaine amoureuse : il s'y qualifie, avec cette 
fausse modestie qui était alors de rigueur, de clers 
rudes^ nices et malapers (v. 139-140). 

Machaut ne parle jamais de ses études. Nous ne 
savons ni où, ni comment il les fit. Il obtint le grade 
de maître-es-arts ', et prit sans doute ses inscriptions à 
la Faculté de théologie. Y poussa-t-il ses études très 
loin? On peut en douter. Nulle part, on ne trouve men- 
tionné quelque autre grade universitaire. D'ailleurs, le 
voilà bientôt loin de rUniversité.rC'ççt aux. .environs 
de i323 qu'il entra au service d<tlîean,de Luxgmhçu^^ 
roi de Bohême) A en croire le poète, il aurait été atta- 
ché à la personne du roi pendant plus de trente ans ^ 

1. Confort d'ami, Y, a 3-3 5 : 

Car bien sçay que tu yes mes sires. 
Et je des mieudres ne des pires 
Ne suis... 

2. Machaut, dans ses poésies, ne se donne jamais ce titre qui 
ne figure pas non plus dans les manuscrits de ses œuvres. Mais 

Çi\ est qualifié de maitre dans un document de l'année i36i] 
(voy. p. xxv), dans un autre document de Tannée 1 371 (voy. p. xjxtx) 
et par Tauteur anonyme des Règles de seconde rhétorique (voy. 
p. V). 

3. Prise d'Alexandrie^ t« 785 : « Je fis (1. fui) ses ders ans plus 
de trente ». 



XIV INTRODUCTION 

Jean étant mort à Crécy en 1346, c'est en 1 3 16 au plus 
tard qu'il aurait retenu Guillaume à ses gages. Mais 
Taffirmation de Machaut qui date des dernières années 
de sa vie et qui est postérieure à la mort de Jean de 
plus d'un quart de siècle, est formellement contredite 
par un document officiel, plus digne de confiance que 
le vers du poète '. En i335, Jean de Luxembourg de- 
mande au pape Benoît XII la confirmation d'une 
prébende pour son serviteur qu'il a à son service 
depuis une douzaine d'années % donc depuis environ 
i323. Il serait intéressant de savoir comment Guil- 
laume fut mis en relation avec le roi de Bohême ; mais, 
en vérité, nous l'ignorons. Tant qu'on avait pu le 
croire d'abord au service de Philippe-le-Bel ou de 
sa femme, on pouvait admettre que Jean l'eût rencontré 
à la cour de France ^ Mais cette hypothèse s'applique 
à un autre personnage; nous le savons aujourd'hui. 
Peut-être est-ce par l'entremise de l'Église que le roi 
entra en rapport avec le poète. Guillaume, en efifet, 
à cette date, appartenait sans doute déjà au vaste monde 
ecclésiastique où, seul alors, toutes les ambitions pou* 
valent encore être satisfaites, où la valeur personnelle 
pouvait, jusqu'à un certain point, corriger les dififé- 
rences d'origine et permettre d'arriver même aux 
hommes de la plus basse condition.Machaut faisait 
partie du clergé du diocèse dé^Reim^, où il était né. 

I . C'est probablement le souci de trouver un vers bien frappé 
et une rime facile qui est la cause de cette affirmation inexacte 
et exagérée du poète. 

3. A. Thomas, Romania, X, 332 : « ... clerico suo secretario 
et familiari domestico quem asserit duodecim annis vel circa 
suis obsequiis institisst »« 

3. C'est Topinion de Tarbé et de Mas Latrie. 



INTRODUCTION XV 

rïn cfifet, quand, en 1324, Guillaume de Trie devient ^. 

archevêque de Reims, Machaut compose un motet / / 
en rtionneur du nouveau dignitaire; celui-ci était 
probablement son chef dans Tordre hiérarchique'. 
Parmi les œuvres de Guillaume, c'est la plus ancienne 
poésie qu'on puisse dater avec certitude. On peut 
admettre que ses talents de poète et de musicien, révélés 
à cette occasion, le signalèrent à Tattention de ses 
supérieurs et lui valurent leur recommandation auprès 
du roi de Bohême qui, on le sait, était en rapports 
suivis avec le royaume de France *. 

Cachant remplissait auprès de Jean de Luxembourg 
les fonctions d'aumônier et de secrétaire ^. Comme 

1. Le motet^éone pastor Guillerm§> {inédit). Le personnage dont 
il s'agit y est clàrrement désigné dans les vers suivants : « O 
GuiUerme, te decenter Ornatum, rex qui potenter Cuncta régit. 
Sue domus ad decorem Remensium in pastorem Preelegit. » La 
dissertation sur la mitre et la crosse que le poète a mise à la suite 
ne laisse pas le moindre doute à cet égard. Or» à Tépoque de Ma- 
chaut, il n'y eut à Reims qu'un seul archevêque du nom de 
Guillaume, Guillaume de Trie, nommé le 28 mars 1324 et mort 
le a 6 septembre i334; il ne prit possession du siège épiscopal 
qu'en juin i32^ {Gallia christiana^ IX, 123-4). 

2. En i322y Jean de Luxembourg, occupé par les afifaires 
d'Allemagne, ne paratt pas avoir été en France. En i323, il y 
fut peut-être au commencement de Tannée (pèlerinage à Roca- 
madour, contesté par A. Leroux, Relations politiques de la France 
avec VAUemagne de J2g2 à j3y8 1882, p. 162, note) et sûre- 
ment en mai et en juin, à l'occasion du couronnement de la reine 
Marie, sa sœur (i5 mai i323); en 1324, en février, avec le roi 
Charles IV à Toulouse, et en mars à Paris, pour les obsèques de 
la reine (voy. J. Schôtter, Johann Graf von Luxemburg und 
Kônig von Bôhmen, î, 263 ss.; 283-84; l'h* ^^ Puymaigre, 
Jean VAveugle en France, dans la Revue des questions histo- 
riques^ LU, 400 ss.). 

3. Dans les documents publiés par M. A. Thomas, Machaut est 



XVI INTRODUCTION 

tel, il était étroitement attaché à la personne du souve- 
verain. Celui-ci le qualifie volontiers de domesticus et 
familiaris '; c'est dire qu'il Tavait admis dans son 
entourage immédiat. Or, le roi Jean était un person- 
nage extrêmement remuant et turbulent, toujours en 
route, qu'il s'agît d'entreprendre quelque expédition 
guerrière, d'assister à quelque tournoi ou simplement 
de visiter ses domaines disséminés dans toute l'Europe. 
Guillaume dut l'accompagner le plus souvent dans ces 
folles équipées et ces courses vagabondes qui le me- 
naient en France ou dans l'Empire allemand, en Italie, 
en Pologne ou en Prusse. Mais, contrairement à ce 
qu'on voit chez son disciple Eustache Deschamps, ses 
voyages à travers l'Europe n'ont laissé que très peu de 
traces dans la vaste production littéraire de MachautT? 
Cependant, certains passages de ses œuvres contiennent 
des témoignages directs ou indirects de la part qu'il 
prit aux déplacements et aux expéditions aventureuses 
de son maître. Dans le Jugement dou Roy de Behaingne 
il nous parle d'un séjour qu'il fit avec le roi au château 
de Durbuy dans le comté de Luxembourg, château 
dont il donne une description exacte et minutieuse ^ 

qualifié en i33o dtclericus elemosinarius^ea i33a de notorifi^, en 
1 333 de notarius secretarius, en 1 335 de secr/etarius. Dans la Prise 
d- Alexandrie il déclare lui-même avoir été le clerc{v, 785) ou le se- 
crétaire (v. 789) du roi. Plus de cinquante fois il a distribué de 
l'argent au nom de son maître {Confort d*ami^ v* 3945 ss.). 

1. Documents de i33o, i332, i333, i335 {Romania X). 

2. V. 1365^7 : 

Car vraiement, je mangay yer et bui 

Avec ses gens (se. da roi) en chastiau de Durbtti, 

Et il (le roi) y est. 

Durbuy^ aujourd'hui dans la province belge de Luxembourg^ 



INTRODUCTION XVII 

Dans le Confort d'amty il nous apprend qu'il a été au 
château de BrugueliSj où « n'a fleur de lis, car il y fait 
froit en esté ' », preuve de ses séjours en Bohême*. 
Il fait avec le roi la campagne de Silésie en 1327 et 
assiste à la prise de Breslau et à la soumission de qua- 
torze seigneurs du pays\ Pendant l'hiver de 1328-29, 
il l'accompagne contre les païens, en Lithuanie^ où Ton 
s'empare de Medonagle et où Ion fait « crestienner des 
mescrëans plus de sismilleS. a Je fui, dit le poète, pre* 

était la « résidence favorite de Jean de Luxembourg » (Puy- 
maigre, Revue des questions historiques XLII, 174]. 

I. Confort d'ami, v. 3oi4-i5 ; 3oi6 : « Bien le sçay, car j*y ay 
esté. » C'est le château de Bûrglitz, en Bohôme, où le roi Jean, 
comme dit Machaut (ibid»), avait tenu prisonnier son adversaire, 
le duc Henri d'Autriche. 

. 3. D'après P. Paris {Voir Dit, p. xv, n. i), une autre preuve des 
séjours de Guillaume en Bohême serait donnée dans ce môme 
Confort d'ami {v. 3969-70), où il est question de Burglost, « châ- 
teau des rois de Bohême, à six lieues de Prague », d'après le 
savant éditeur. Mais cette explication doit être écartée, car les 
manuscrits donnent Glurvost, Gluvost^ Gîuroust, et c'est, en efifet, 
Glurvoit seul qui peut fournir les éléments nécessaires à l'ana- 
gramme où Machaut se nomme avec le roi de Navarre. Ce Glur- 
vost que nous n'avons pas réussi à identifier est, au dire du 
poète, « une villette en l'Empire qui n'est gueres dou Bourget 
pires » (vv. 3971-72). C'est évidemment le nom estropié et devenu 
méconnaissable de quelque petite localité allemande ou autri- 
chienne que Machaut — et voilà ce qu'il faut retenir — a connue 
jadis. 

3. Confort d'ami, v. 3027 : « Je le vî; pour ce le tes- 
moing. n 

4. Ibid,, V. 3o33-34. La forteresse de Medewageln, forme recons- 
tituée d'après les documents contemporains par Voigt {Geschichté 
Preussens, IV [i83ol, 365, n. 4 et 429, n. 3) n'est, d'après les 
éditeurs des Script, rerum Prussicarum, I [1^61], 183, n. 4) c nicht 
nâher nachweisbar ». La chronique de Petrus von Dusburg dit 
en «iFet : « VI. milia bominutft dicti castri'sunt în nomînc domîni 

T^me 11 b 



XVUI INTRODUCTION 

sens a ccste feste ; Je le vi des yeus de ma teste \ » A 
Ten croire» il suivait son maître jusqu'au plus fort de 
la bataille, brave malgré lui, ajoute-t-il, car la fuite 
dans ce pays sauvage et étranger eût été plus dangereuse 
que le combat lui-même*. Prit-il part, en i33i, à la 
guerre d'Italie, à la rencontre avec les Hongrois devant 
Laa et à la seconde campagne de Prusse à la fin de 
la même année? Il parle de ces événements, sans affir- 
mer qu'il en ait été témoin ^ Dans l'énumération des 
hauts faits de son maître, il ne va d'ailleurs pas plus 
loin que cette année i33i, quoique le poème où il en 
est parlé ait été écrit en iSSj, une dizaine d'années 
après la mort du roi Jean. Mais on ne peut rien conclure 
de ce silence, car c'est précisément des années i33o 
à i335 que datent les documents qui le montrent au 
service du roi. Si le poète s'arrête là, c'est qu'il ne 
pourrait « dire ou compter en jour et demi » toutes les 
prouesses de ce modèle des rois. Enfin, la description 
minutieuse de l'entrée en Quaranteinne (Carinthie) 
« par deus destrois Qui sont rostes, longs et estrois ^ » 
pourrait bien avoir pour bases des souvenirs person- 
nels : c'est à Trente par exemple que Jean prépare en 

baptizati » {Script rerum Pruss,, l, 2x5), et c'est le roi de Bohême 
qui leur a sauvé la vie, tandis que le grand^tnaître de l'ordre 
teutonique voulait tous les massacrer. 

1. Confort d'ami, vv. 3o4g-5o. 

2. Fontaine amoureuse^ v. 141 ss. Au lieu de : « S'ay je esté 
par mes deus fois » (v. 141), Caylus a lu .' « S^ay j'este prisonés 
deus fois » et en a conclu à une double captivité du poète et de 
son maître. Or» Jean de Luxembourg n'a jamais été fait prison- 
nier. Déjà Tarbé avait reconnu en ce passage une mauvaise lec- 
ture de Caylus. 

3. Confort d'ami, vv. 3o5i ss. 

4. Prise d* Alexandrie^ vv. iSiS-ig. 



iNTRODÛCtlON tlX 

i33i son expédition en Italie, et Fon sait que la pos- 
session de la Carinthie et du Tirol était alors Tobjet de 
longues et laborieuses négociations, les maisons de 
Luxembourg et de Habsbourg ayant jeté toutes deux 
leur dévolu sur ces provinces. Enfin, plus tard Machaut 
se plaît à rappeler l'insécurité qui régnait autrefois 
dans l'Empire et dont il a été témoin \ 

Tout en étant au service du roi de Bohême, Machaut 
avait soin de rester en relation avec l'Église de France. 
Les bulles découvertes par M. A; Thomas fournissent 
là-dessus des renseignements précieux. On y apprend 
qu'avant i33o, Guillaume était déjà pourvu d'un béné- 
fice ecclésiastique et possédait la chapellenie perpé- 
tuelle de l'hôpital de Houdain (Pas de Calais) '. Le 
3o juillet 1 33o, il se fait donner une provision de cano- 
nicat, en expectative de prébende, dans la cathédrale de 
Yerdun '; le 17 avril i332 une autre dans la cathédrale 
d'Arras *; le 4 janvier i333, une troisième à Reims *. 
ITavènement du pape Benoît XII, en 1 335, renversa 
toutes ces espérances : désireux de réformer les abus 

I. Prise d'Alexandrie, vv. 1044 ss. : actuellement, en i364, « on 
y porte (dans l'Empire) ScQrement Tor en la main... Et je vi que 
nuls n'i savoit Âler, se grant conduit n'avoit. » 

3. Bulle du 3o juillet i33o: ... « libéra m perpetuam capella- 
niam hospitalis béate Marie de Husdinio, Âtrebatensis diocesis, 
nosceris obtinere. » Les bulles de i333, i333 et i333 répètent le 
même fait. Voy. A. Thomas, Mélanges d*archéoL et d'hist, (de 
r Ecole française de Rome)^ IV (1884), 43 ss. 

3. Bulle du 3o juillet i33o : ... « canonicatum ecclesie Vir^ 
dunensis... tibî conferimus » (/. c, p. 43). 

4«... « canonicatum ecclesie Atrebatensis... tibi conferimus « 
(/. c, p. 43-44)- 

5, .,, « canonicatum ecclesie Remensis.i. tibi eonfefimus » 
(/. c, p. 44)» 



XX INTRODUCTION 

introduits dans FÉglise sous ses prédécesseurs, le nou- 
veau pape tenta de supprimer entre autres le singulier 
abus des « expectatives ». Guillaume n'était encore 
entré en possession d'aucun de ses bénéfices. Le pape 
lui supprima ceux de Verdun et d'Arras, et ne main- 
tint que celui de Reims. Il lui laissa aussi la chapelle- 
nie de Houdain jusqu'au moment où il aurait effecti- 
vement pris possession du canonicat promis '.On voit 
à cette occasion que Guillaume était encore chanoine à 
Saint-Quentin en Vermandois ^ Ce bénéfice lui resta, 
n'étant pas dû à la faveur pontificale. Nous, ne savons, 
ni quand, ni comment Machaut l'obtint. Faut-il con- 
clure du silence qu'observent là-dessus les bulles des 
années précédentes, dont aucune cependant n'omet la 
chapellenie de Houdain, que le canonicat de Saint- 
Quentin ne lui échut qu'après le 4 janvier i333î' 
Peut-être dut-il cette place, comme cela est certain pour 
toutes celles que nous venons d'énumérer, à Tinfluence 
de son maître Jean de Luxembourg. Pour celui-ci 
c'était évidemment une façon de récompenser son clerc 
que de lui faire obtenir quelque canonicat lucratif. 
D'ailleurs, d'après ce que nous savons du roi de 
Bohême, le service auprès de lui ne pouvait être que 

I • ... <t canonicatum ejusdem ccclesie Remensié . . . tibi con- 
ferimus; .... volumus quod, quamprimum vigore presentis gra- 
tic hujusmodi prebendam pacifice fueris assecutus, predictam 
perpetuam capeUaniam, quem obtines, ut fertur, quamque ex- 
tune vacare decernimus, omnino dimittere tcnearis » (/. c, 
p. 45-46). 

2. ...«nonobstante ... in Sanciti Quintini in Viromandia eccle* 
sia canonicatum et prebendam nosçeris obtinere » (/. c, p. 45). 

3. Machaut a composé un motet en l'honneur de saint Quentin 
[Martyrum gemma latria). Malheureusement} on ne peut rien en 
tirer pour la biographie du compositeur. 



INTRODUCTION XXI 

largement rémunérateur. Les auteurs de Tépoque ne 
savent assez vanter sa « largesse», autrement dit sa 
folle prodigalité, qui Ta rendu presque légendaire. 
Machaut lui-même, avec quelque exagération sans 
doute, nous fait savoir qu'il lui est arrivé plus de cin- 
quante fois de distribuer, au nom de son maître, en un 
seul jour quelque 200,000 livres '. Il a tien dû béné- 
ficier, lui aussi, de cette pluie d'or. La preuve s'en 
pourrait peut-être trouver dans ce fait qu'en i333 Jean 
de Machaut, frère cadet de Guillaume, est également 
aumônier du roi; c'est probablement Guillaume qui 
Pavait engagé à venir auprès de lui *. . 

En 1337, Machaut obtient enfin son canonicat à \^ 
Reims; il prend possession de sa charge par procure* 
tion ; il était sans doute encore retenu au loin par son 
service auprès du roi de Bohême \ On a admis que le 

I. Confort d*ami^ vv. 3g3o ss. 

3. Le 4 janvier i333, le pape accorde, en même temps qu'à 
Guillaume, un bénéfice ecclésiastique « Johanni de Machaudio, 
clerico diocesis Remensis a, également sur la demande du roi 
Jean qui rappelle « dilectum familiarem et domesticum elemo- 
sinarium suum » (A. Thomas, Romania^ X, Bag). N*étant alors 
que simple clerc sans bénéfice, Jean devait être le cadet de Guil- 
laume, comme le suppose M. A. Thomas (/. c.)* 

3. Dans le Livre rouge du chapitre de Reims, qui donne la 
liste des prébendes et des chanoines, dressée depuis le commen- 
cement du XIV* siècle (Archives de Reims, cartulaire A)^ on 
trouve au f* 54 r"", d'une écriture du temps, la mention suivante : 
« Nunc Guillermus de Machaudio ; receptus fuit per procuratio- 
nem anno domini i337, feria quarta post Conversionem sancti 
Pauli. » Cette notice a été reproduite par le chanoine de Reims, 
Jean Herman Weyen (mort vers lySa), dans un recueil manus- 
crit de notices sur les archevêques et les dignitaires du chapitre 
de Reims, sur les chanoines et sur les diverses prébendes dont 
ils étaient titulaires (Bibl. de Reims, »• 1773). L'ouvrage fait 



XXII INTRODUCTION 

poète n'est rentré en France qu'après la mort de son 
maître, en 1346. Il n'en est rien, car on le trouve à 
Reims longtemps avant cette date. Dans les comptes de 
Téchevinage de la ville (1340-1341) on lit parmi les 
dépenses de. 1340 : <c Item, .xxiv. livres, pour un cheval 
acheté a Guillaume de Machaut, pour ce que on ne peust 
recouvrer de cheval a louier, pour porter la, malle Hue 
le Large, quant il fust en l'ost devant Escaudeuvre, pour 
parler au roy '. » La valeur du double d'or ayant 
augmenté dedeux sous, il fallut plus tard rembourser, 
« .xviii. sols pour frais de neuf doubles d'or a Hue le 
Large, qu'il presta pour un cheval acheté a Guillaume de 
Machaut ' ». Il est fort probable que ce Guillaume de 
Machaut est notre chanoine, bien qu'il n'ait ici aucune 
qualification permettant de l'identifier d'une façon cer- 
taine et de le distinguer sûrement de quelque homo* 
nyme. Le personnage devait être assez important pour- 
qu'on pût le reconnaître sans peine '. Il serait donc 

arec soin d'après les sources originales est digne de confiance, 
mais non exempt d'erreurs. Weyen donne, par exemple, feria 5 
au lieu de feria quarta. C'est ainsi que Tarbé a reproduit cette, 
notice (/. c, p. ix}. Weyen ajoute que Guillaume « legitur jam 
receptus i33i et i335 in praebendis. » Je suppose qu*il s'agit 
là des expectatives de prébendes accordées au. poète par les 
papes Jean XXII et Benoit Xll, dont Weyen a eu connaissance ; 
au lieu de i33i il faut lire i333. — Nous devons la plupart de 
ces renseignements ainsi que quelques-uns de ceux qui suivront 
à l'obligeance de M. L. Demaison; nous tenons à lui en exprimer 
ici tous nos remerciements. 

1. Archives . communales de Reims^ compte de Téchevinage 
1 340-1 341, fol. 25 v% reproduit par Varin, Archives administra- 
tives de Reimsy II, 833 . 

2. Varin, /. c, p. 834. 

3. Du manque même de. toute qualification, on peut déduire 
que Guillaume devait 6tre seul de son ndm à Reims ; autrement 



INTRODUCTION XXIII 

venu occuper personnellement sa place de chanoine à 
Reims et résider dans cette ville au plus tard trois ans 
après sa nomination, probablement même plus tôt '. Il 

on Taurait sans doute distingué de quelque homonyme par son 
titre de maître ou de chanoine. Les documents de Pépoque con- 
naissent plusieurs personnages du nom de Machaut à Reims; 
mais aucun d'eux n*a le prénom de Guillaume : il y a Jean de 
Machaut, le frère du poète, devenu chanoine le i3 septembre 
x'hh'byJohannesRaulini de Machaudio ^ chtmoint depuis le der- 
nier février 1 354 (manuscrit de Weyen, fol. 291 r*); le cordier 
Guiot de Machaut (Compte de Téchevinage de 1340-41, P gv*; 
Toy. Varin, Arch, administr, de Reims, II, 834). 

T. Un poème de Machaut, la Complainte a Henri^ semble tout 
d'abord confirmer ce fait. Guillaume s'adresse à un ami que 
nous ne connaissons pas, du nom de Henri. On peut écarter les 
différentes tentatives faites pour identifier ce personnage (Henri 
de Navarre, d'après Caylus; Henri de Brabant et Henri deTrans- 
tamare sont écartés par Tarbé, p. 179, s, v. Henry). L'auteur est 
à Reims ; il se plaint amèrement des nombreuses vexations qu'il 
a à subir : a II m'estuet mettre aus murs de la ville ; Et si vuet 
on que je veille a la porte Et qu'en mon dos la cote de fer porte. » 
Ensuite il y a « maletostc et subside et gabelle, flebe monnoie 
et imposition et dou pape la Visitation » ; puis il « faut paier pour 
huit ans les trentismes et sans delay pour le roi trois disismes ». 
L'Eglise est détruite et a perdu sa franchise; et pour comble 
«dit on que li rois d'Angleterre vient le seurplus de ma subs- 
tance querre. » Il est malade et sans argent; son frère de même; 
et de son « borgne oueil » il aperçoit « qu'a court de roy chas- 
cuns y est pour soy. » Aussi est- il décidé à quitter cette ville où 
il est « comme uns prcstres et lais et en main de commun » et, 
à s'en aller « demourer en l'Empire, en essil. » Ce poème, d'après 
P. Paris (Voir Dit, p. 383) fut écrit en 1340. Machaut, dans les 
premiers vers, se plaint de ne plus courir « ne mont ne plain », 
car o a piet sui sans cheval et sans selle 0. Ce serait une allu- 
sion à l'achat de son cheval par l'échevinage de Reims en 1340. 

Il faut avancer la date de cette complainte de près de vingt ans. 
Tarbé là place entré i356 et 1 358, après la bataille de Poitiers 
et avant le siège de Reims par les Anglais. On peut mâme aller 



XXIV INTRODUCTION 

n^y a pas lieu d'admettre qu'il ait pour cela abandonné 
ses fonctions auprèis du roi de Bohême ; car ces béné- 
fices n'obligeaient pas à la résidence, et Machaut n'avait 
même pas besoin d'une dispense particulière à ce sujet, 
le roi de Bohême, comme tous les souverains, ayant 

jusqu'en iSSg, car la menace d'une invasion anglaise ne put se 
produire qu'après le 35 mai iBSg, quand les Etats-Généraux 
repoussèrent le projet de traité passé à Londres entre les rois 
Jean et Edouard. Reims, plus menacée qu'aucune autre ville de 
France, déploya une activité infatigable pour se mettre en état 
de défense. Les travaux étaient dirigés par un conseil de six 
bourgeois à qui l'archevêque Jean de Craon avait dû abandon- 
ner, depuis i356, le soin de « prendre garde des ouvrages et 
autres nécessités, sûreté et tuition de la ville », et qui fut con- 
firmé par le régent^ le 9 septembre i358. Voilà sans doute ce que 
Machaut appelle être « en main de commun ». Ce conseil avait 
été autorisé à imposer l'obligation de contribuer à la défense de la 
ville atout le monde, « de quelque estât ou condicion qu'il soient» ; 
et il n'avait sans doute pas ménagé le clergé. Le la mars de la 
même année, les seigneurs hauts justiciers de Reims avaient con- 
senti à la levée d'une gabelle pour un an, cet impôt détesté entre 
tous et qui fut étendu aussi « aux gens d'église et aux clercs. » 
(Voy. Varin, Arch. administra de Reims, lll, pass,). Aux États 
Généraux de mai iSSg.à Paris, le clergé avait accepté les mâmes 
impôts que les deux autres états, et d'un autre côté, jamais la 
valeur de l'argent, par suite des mutations de monnaie, n'était 
tombée aussi bas. Quant à la menace du poète de quitter Reims 
et d'aller en exil dans l'Empire, ce n'est sans doute qu'une simple 
boutade qu'on ne prendra pas au sérieux. Enfin, Guillaume 
parle de son frère malade et pauvre comme lui. Nous ne lui con- 
naissons comme frère que Jean de Machaut. Or, celui-ci devient 
chanoine à Reims^ auprès de son frère, le i3 sept. i355 {Livre 
rouge du chapitre, fol. 29 r^). Tout concorde donc à assigner 
à cette pièce une date assez tardive, peut-être la seconde moitié 
de l'année i359, entre les mois de mai et de novembre. Par 
suite, elle ne peut témoigner de la présence de Machaut à Reims 
en 1340, présence qui cependant est assurée par l'acte de l'éche- 
vintge. 



jl 



INTRODUCTION XXV 

obtenu di; pape ce privilège pour les clercs de son en* 
tourageALe poète pouvait encore partager son temps 
entre le service du roi et le service de TÉglise, résider 
à Reims et ne^ s'absenter que pour un certain laps de 
temps qu'il passait auprès de son seigneur. Nous igno- 
rons, par conséquent, le moment où il quitta le roi. 
Lui resta-t-il attaché jusqu'à la funeste journée de 
Crécy qui vit la mort de Jean l'Aveugle sur le champ 
de bataille? On peut en douter. Cette année-là (1346), 
Guillermus de Machaudio figure parmi les chanoines 
de Reims et est taxé à 60 sous pour sa prébende. D'un 
autre côté, il est bien surprenant qu'on ne trouve dans | 
ses œuvres aucun écho de la fin glorieuse de son |/t/ 
maître/ tandis qu'il n'a pas manqué de déplorer la cap* 
tivité du roi Jean après la bataille de Poitiers et de 
consoler le roi de Navarre, quand il fut fait prisonnier 
par le duc de Normandie. Ce silence est assez signifi- 
catif; il permet, nous semble-t-il, de conclure que le 
poète avait définitivement quitté le roi avant l'année de 
sa mort^ 

A partir de 1840, on rencontre de temps en temps 
le nom de notre poète dans des actes relatifs à la 
ville ou au chapitre de Reims. Nous avons déjà cité 
celui de 1346. Il figure dans un acte capitulaire du 
18 août i352 accordant au chanoine Hugues de Chft- 
tillon la permission c de almutia et sindone portandis 
in choro et extra» '. Lorsqu'au mois de décembre i36i, 
Charles V, alors duc de Normandie, est à Reims, il 
mande « les eschevins dudict Reims l'aller veoir en 
son logis chez maistre Guillyaume de Machault » *. 

1. y&nuy Arch, administr, de Reîms^ III, 3i. 

2. Mémoires manuscrits de Jean Rogier^ BibK de Reims, 
ms. 1639, f* î55 V»; Varin, /. e., p. 206. 



XXVI INTRODUCTION 

Dans une sentence arbitrale du 23 mai 1872, énumé- 
rant les maisons canoniales extra-claustrales qui exis- 
taient alors, paraît la maison ce in qua inhabitat Guil- 
lermus de Machaudio sitam prope Pourcelettam » '. 
I C'est ^donc à Reims que Machaut avait sa résidence 
ordinaireT/ On est même arrivé à déterminer exacte- 
ment remplacement de la* maison qu'il habitait, |le 
n» 4 actuel de la rue d'Anjou 

Machaut, dans ses œuvres mêmes, ne fait jamais la 
moindre allusion, ni à son canonicat, ni à Reims ; cela 
n'était guère de mise dans des poèmes où il n'est ques- 
tion que d*amour et de galanterie. Par contre, il nous 
renseigne assez exactement et avec une certaine com- 
plaisance sur ses relations avec les princes et les 
grands seigneurs de son époque. Comme ses contem- 
porains, Froissart ou Deschamps, notre poète se plai- 
sait dans la société des grands, tant pour l'honneur que 
pour le profit matériel qui en résultait. Et les princes, 
de leur côté, amateurs de belles-lettres, favorisaient 
volontiers les travaux de l'esprit et aimaient déjà à jouer 
le: rôle de protecteurs des poètes. Guillaume leur 
accorde une place dans ses poèmes, dans le Jugement 
dou Roy de Behaingiiey dans le Jugement dou Roy de 
Navarre^ dans la Fontaine amoureuse^ profitant de 
cette occasion pour faire leur éloge; ou bien il associe 
leur nom au sien dans des anagrammes qui révèlent au 
public contemporain et conservent à la postérité les 
noms de l'auteur et de celui à qui l'ouvrage est destiné; 
ou encore il fait exécuter de superbes copies de ses 
œuvres pour les leur ofifrir. Lui-même, dans le Voir 

1. Archives de Reims, G. 3i8, n* 5; Varin, /. c, p. 369. 

2. Voyez la note de M. L. Demaison dans \di Revue de Cham- 
pagne et de Brie, XIX (i885), 98 ss. 



INTRODUCTION XXVII 

Dît, écrit à sa dame qu'il lui eût porté sonlîvre « ou 
toutes les choses sont que je fis onques; mais il est en 
plus de .XX. pièces ; car je Tay fait faire pour aucun de 
mes seigneurs »^ '• Eustache Deschamps nous^ fait 
savoir qu'il a remis de la part de l'auteur un exemplaire 
du Voir Dit à Louis de Maie, comte de Flandre, ajouf 
tant à ce propos cette précieuse remarque que les grands 
seigneurs chérissent notre poète et prennent <c esbate- 
ment » en ses « choses », c'estrà-dire en ses poèmes\ Amé- 
dée VI, comte de Savoie, fait remettre à. Machaut une 
somme de 3oo écus pour un poème (nous ne savons 
lequel) que celui-ci lui a dédié \ C'est donc à ses talents 
de musicien et de poète que Guillaume doit ses rela- 
tions avec les plus hauts personnages de son époque; 
De temps en temps, sans doute,, il quitte sa paisible 
retraite de Reims pour se rendre auprès de Fun ou de 
Tautre de ces seigneurs qui l'admettent dans leur inti-^ 
mité et font appel à ses bons services. Il nous dit encore 
dans son Voir Dit, que son départ de certaine ville 
qu'il ne nomme pas (ce n'est pas Reims; dans ce cas 
particulier) est motivé par le « commandement d'un 
seigneur qu'en France n'a point de greigneur fors 
un ^ »• Il ne peut s'agir que de Charles V, alors duc de 
Normandie, qui le mande auprès de lui et qui lui fit 
« grant honneur et grant feste^)». Et^ ajoute le poète; 
« moult de biaus dons me donna et le sien moult 

1. Livre du Voir Dit (éd. P. Paris), p. 69. 

2. Œuvres complètes d' Eustache Deschamps ^ I, 87-88 (voy. plus 
haut, p. iv). 

3. Oton de Granson und seine Dichtungen^ von L. Schirer 
(igoS), p. XIV, 

4. Livre du .Voir Dit, p. 71. 
b.ïbid,,p. i3i. 



XXVriI INTRODUCTION 

m'abandonna '. » Il est inutile de chercher à détermi- 
ner les charges que le poète aurait occupées auprès des 
princes dans l'entourage desquels on le rencontre ; il ne 
paraît en vérité avoir eu d*autre emploi que celui de 
divertir et de glorifier ses maîtres dans les poèmes qui 
faisaient sa gloire. On verra pourtant qu'il portait 
encore auprès d'un autre souverain ce titre de secré- 
taire qu'il avait eu chez le roi de Bohême, ce qui 
n*était probablement qu'une manière honorable de 
se faire rémunérer ses services. 

Sa renommée de poète remonte certainement encore 
à l'époque où il se trouvait au service du roi de 
Bohême. A vrai dire, parmi ses dits^ plus ancien 
qu'on puisse dater sûrement est le Dit dou Lion^ écrit 
en i34^A cette date, nous l'avons vu, il avait sans 
doute déjà quitté son premier maître. Mais ce poème 
n'occupe que la quatrième place dans la série des œuvres 
du poète \ Or, nous espérons démontrer ailleurs que ses 
longs dits au moins se succèdent dans l'ordre chrono- 
logique^e DiY dou Vergier, le Jugement dou Roy' de 
Behaingneet le Remède de Fortune sont, par conséquent, 
antérieurs à l'année 1342. Parmi ceux-ci, le Jugement 
dou Roy deBehaingne qui contient un éloge pompeux de 
ce souverain est évidemment écrit à l'époque où le poète 
était encore son secrétaire, puisque Guillaume y déclare 
expressément séjourner avec son maître au château de 
Durbuy]\Et c'est précisément ce poème qui a établi la 
renommée littéraire de son auteur. Le problème que 

I. Livre du Voir Dit, p. i32. 

a. Il se trouve, en réalité, à la cinquième place; mais \t Juge- 
ment dou Roy de Navarre, qui est plus récent, a été placé immé- 
diatement après le Jugement dou Roy de Behaingne qu'il com- 
plète et corrige et auqud il est intimement lié. 



INTRODUCTION XXIX 

Machaut y traite a soulevé des discussions et des cri- 
tiques qui eurent pour conséquence de faire revenir 
plus tard notre poète sur le même sujet et qui l'enga- 
gèrent à donner au débat une solution exactement 
opposée à sa première décision {Jugement dou Roy de 
Navarre)' C'est aussi de tous les dits de Machaut celui 
qui a été reproduit le plus souvent, et nous avons 
rappelé plus haut que Christine de Pisan et Martin Le 
Franc avaient repris le môme débat. Enfin, ici le poète, 
pour la première fois, cache son nom sous un ana- 
gramme, ce qui fait présumer qu'il jouissait déjà d'une 
certaine notoriété. A partir de ce moment sa réputation 
de poète est consacrée, et sa faveur auprès des grands 
seigneurs solidement établie. 

Machaut' ne paraît pas avoir conservé de relations 
avec Charles, fils de Jean de Luxembourg et empereur 
d'Allemagne. Il fait cependant de lui un éloge pom- 
peux dans la Prise d^ Alexandrie ' ; mais ces vers, dans 
leur froide banalité, ne révèlent aucune trace de rap- 
ports plus intimes ou de souvenirs personnels. Et si, 
dans la suite, le poète donne des détails minutieux et 
précis sur l'accueil fait au roi de Chypre par l'empe- 
reur et sur leurs délibérations, il peut les devoir, 
comme presque toute la « matière d de son poème, aux 
témoins oculaires qu'à d'autres occasions il invoque à 
plusieurs reprises *. Eût-il assisté en personne à ces 
événements, il est à peu près certain qu'il aurait pris 
soin de nous le faire savoir. Il faut donc supposer que 
Machaut, après avoir quitté le service du roi de 

I. Prise d* Alex,, V, 987 ss. 

3. L, c, V. 3427 : « le me dist uns chevaliers »; v. 3228-39 : 
c si corn dire Toy celi qui y estoit »; v. 5937 ss. : « Cils Jehans... 
m'aprent et m'enseingne et m'escole et m'ameaistre ma matière. » 



XXX INTRODUCTION 

Bohême, né sortit plus de France, où nous devons dès 
-lors rechercher les seigneurs qu'il servit et qui 
devinrent ses bienfaiteurs. 

Son attachement à la maison de Luxembourg, 
Machaut pouvait le manifester en France môme; car 
depuis .i332, Bonne, fille de Jean de Bohême, était 
l'épouse de Jean, duc de Normandie, le futur roi de 
France. Guillaume, en effet, fut au service de cette 
dame, a la milleur qu'on peiist trouver en ce monde ' »« 
« Moult la servi », nous fait-il savoir dans la Prise 
cTAlexandrie^ Bonne mourut en 1349. Le service du 
poète auprès d'elle se place donc, soit en même temps 
que ses fonctions auprès de Jean de Luxembourg, soit 
immédiatement après. 

tlËn 1349, un autre personnage apparaît dans la vie 
de Machaut, rCharlés le MauvaFsVfbl de T^ràvarrèr>On 
sait les terribles fléaux qui venaient de s'abattre sur la 
France : la persécution des Juifs, la folie religieuse des 
Flagellants, enfin la terrible peste qui ravagea toute 
TEurope chrétienne. Guillaume vit de près toutes ces 
misères. Dans l'introduction du Jugement dou Roy de 
Navarre^ il en donne des détails nombreux et très précis, 
très exacts aussi, comme le fait voir la comparaison 
avec les chroniques contemporaines^ Lui-même, nous 
raconte-t-il, a passé le terrible hiver de 1 348-1 349 
enfermé dans sa maison, sans en sortir, sans voir per- 
sonne, sans trop savoir ce qui se passait autour de luU 
II ne nous dit pas où il ^tait alors : probablement 
dans sa maison canoniale de Keims, où il se cloîtrait 
ainsi, loin de la cour et du service des princes. C'est 

I. jL. c.,v. 764-65. 
.2. L, c, y. 7694 



INTRODUCTION XXXI 

immédiatement à la suite de ces événements que le 
poète place sa fiction du Jugement dou Roy de 
Navarre. Le débat porte sur le même sujet que dans 
le Jugement dou Roy de Behaingne^ avec la différence 
qu^ici la décision première est renversée et que le juge- 
gement est placé dans la bouche du roi de Navarre- 
Or, c'est précisément en 1349 que ce prince qui n'avait 
pas encore vingt ans fut déclaré majeur par Jean le 
Bon et qu'il prit possession de son royaume. Le poème 
où Guillaume ne manque pas de chanter les louanges 
du « roi des Navarrois », est évidemment un homr 
mage du poète au nouveau souverain. Quoique Mâ- 
chant ne nous en dise rien, il y avait peut-être à ce 
moment déjà entre le jeune roi et notre Guillaume des 
rapports plus étroits de seigneur à serviteur. Ces rela- 
tions remontent-elles, comme le pense M. A. Thomas '^ 
à Tannée 1 346, après la mort du roi Jean? C'est ce qu'on 
ne saurait, ni affirmer, ni nier avec certitude.(Mais du 
moment que ce n'est pas nécessairement la mort du 
roi qui a rendu à Guillaume sa liberté, il n'y a pas lieu 
de dater de cet événement son entrée au service du roi 
de Navarre qui alors n'avait que 14 ans. Il nous parait 
plus probable, d'accord en cela avec M. Suchier *, d'ad- 
mettre que ces rapports ne s'établirent pas avant 1 349, 
jalors que Charles devint roi de Navarre ; peut-^ôtre même 
furent-ils la conséquence du poème composé en son 
honneur/ Machaut resta fidèle au roi pendant de longues 
années. Lorsqu'en i356 Charles devint prisonnier du 

1. Romania^ X, 329, n. i. 

2. Geschichte der fran^, Lit,^ p. 235. M. Suchier songe aussi 
à i353, année où Charles de Navarre devint le gendre de Jean 
le Bon ; mais la date du Jugement don Roy de Navarre noua 
reporte plus haut. 



XXXII INTRODUCTION 

roi de France et fut tenu en captivité pendant près de 
deux ans, Guillaume composa pour lui un long poème, 
destiné à donner au captif royal courage et patience, 
le Confort (famT\ Le poète y confirme en toutes lettres 
son attachement au roi : « sans riens retenir suis tiens » 
(v. 24), et cela malgré les accusations qui pèsent sur son 
maître, accusations que Guillaume taxe de calomnies. 
Le roi était en prison depuis dix-huit mois, quand 
le poème lui parvint. Celui-ci doit donc se dater 
du mois d'octobre iBSj. Entre les deux dates de 
1849 ^^ ^^ '^^7 ^^ place un document qui, sans se 
rapporter à Guillaume lui-môme, peut cependant 
fournir une preuve indirecte de son service auprès de 
Charles de Navarre : le 14 octobre i354, Jean de 
Machaut, le frère du poète^ obtient un canonicat à Toul 
sur la demande de Charles, roi de Navarre ' . Il avait 
donc passé, lui aussi, au service du roi. Ces deux 
frères qu'on trouve ensemble chez le roi de Bohême,qui 
plus tard sont l'un et Tautre chanoines à Reims % qui 
sont enterrés dans la même tombe et dont les noms 
sont réunis de nouveau dans Tépitaphe, qui, par consé- 
quent, dans leur vie et jusque dans leur mort, sont 
intimement liés l'un à l'autre, ont dû évidemment servir 
ensemble ce roi de Navarre qui, dans le document 
conservé, récompense au moins l'un d'eux. Tout nous 
permet de supposer que Guillaume, aussi bien que Jean, 
servaient alors le même souverain. 
Après 1357, il n'est plus fait aucune mention de 

1. A. Thomas, loc. cit.,, p. 329, n. i. 

2. Le i3 septembre i355, Johannes de Machaudio prend pos- 
session in propria de la prébende 44 du chapitre de Reims 
{Livre rouge du chapitre, £• 291 r). En férrier 1 358 il figure parmi 
les membres du chapitre (Varin^ A^xfu admin. de Reims^ II!, io3y. 



INTRODUCTION XXXIH 

Charles le Mauvais dans les œuvres de Machaut. Par 
contre, on y voit apparaître désormais des membres 
de la famille royale de France. Le silence du poète sur 
le roi de Navarre, — Guillaume ne lui accorde pas 
même un souvenir, lui qui jusque dans son dernier 
poème rappelle encore la mémoire de Jean de Bohême, 
de sa fille Bonne, du roi Charles V, — ce silence est-il 
l'œuvre d'un simple et pur hasard ? Et l'apparition de 
Charles et de Jean, fils de Jean le Bon, à la place de 
Charles le Mauvais, est-elle toute fortuite ? Charles de 
Navarre, bientôt après avoir repris sa liberté, s'était mis 
en guerre ouverte contre Charles, duc de Normandie, 
régent du royaume de France en l'absence de son père, 
et ce n'est qu'au mois de mars i365 qu'un traité défini- 
tif fut conclu entre eux à Avignon. Or, c'est précisé- 
ment durant la période de i358 à i365 que se placent 
les poèmes en question, où figurent les princes de la 
maison de France. Le fait est. assez significatif pour 
permettre de supposer que Guillaume, fidèle au Navar- 
rais tant qu'on ignorait encore ses menées hostiles 
et funestes et qu'on pouvait croire à sa bonne foi, 
se détacha de son protecteur, quand celui-ci décou- 
vrit son jeu et se rallia ouvertement aux adversaires de 
la royauté française. Guillaume alors s'attache à ses 
seigneurs légitimes de la maison royale de France. 
Ce n'est pas que le sentiment patriotique du poète 
ait été ardent et vivace. On ne rencontre pas, en 
effet, dans l'immense étendue des œuvres de Machaut 
d'accent ému au' spectacle des malheurs de la France 
que le poète pourtant a vus de bien près; on n'y trouve 
pas la moindre trace d'une joie causée par les exploits 
d'un du Guesclin ou par le relèvement du royaume, 
auxquels Deschamps à'est associé dans des vers vigou* 

Tome I. ç 



XXXIV INTRODUCTION 

reux et presque éloquents. »Dans le Confort d'ami, GuiU 
laume ne va-t-il pas jusqu'à féliciter le roi de Navarre 
de son emprisonnement lors de la bataille de Poitiers 
qui ne lui aurait valu que la mort, la captivité ou la 
honte de la fuite ?|Et lui-même, ne songe-t-il pas à quit- 
ter Reims devant la menace d'une invasion anglaise et 
ne se plaint-il pas des charges onéreuses que nécessite 
la défense de la ville? Les malheurs que Guillaume 
déplore, ce sont ceux dont il a à souffrir personnelle- 
ment : la peste de 1349 qui le menace de mort, ou les 
exactions des routiers qui désolent les campagnes fran- 
çaises et qui l'empêchent, lui, de voyager à sa guise^ 
Nous avons bien un lai où il maudit Fortune qui a 
livré le roi de France aux mains des Anglais ; mais il 
est peu probable que ce poème qui ne figure que dans 
un seul manuscrit, notre ms. £*, et qui manque dans 
les exemplaires les plus complets, A et F-G, soit 
l'œuvre de Machaut. Guillaume, rimeur aimable et 
galant, ne se soucie guère plus de la politique que ne 
le fait un siècle plus tard le plus fameux et le plus doué 
de ses disciples, Charles d'Orléans. Mais la rupture 
survenue entre les rois de Navarre et de France mit le 
poète dans la nécessité d'opter pour l'un des deux par- 
tis ; il se décida pour la maison de France à qui appar- 
tenaient Reims et la Champagne. 

Il est assez probable que Machaut ayant été au ser- 
vice de Bonne de Luxembourg a eu des rapports person- 
nels avec son mari, le roi Jean le Bon; cependant nous 
n'en avons pas de preuves certaines. L'abbé Lebeuf, et 
d'autres après lui, attribuent à Guillaume la charge de 
secrétaire de ce roi '. Mais dans les vers de la Prise 

I. Mém. deVAcad, d^s Inscr. et Belles-Lettres, XX^ SgS. 



INTRODUCTION XXXV 

(t Alexandrie * j sur lesquels se base cette affirmation, 
Machaut a certainement en vue le roi Jean de Bohême, 
et non Jean II de France. Dans un passage du Voir 
Dit où il est question du duc de Normandie ', il s'agit 
du futur roi Charles V, puisque le poème prend sa date 
aux environs de i364, et non de Jean, son père, comme 
le suppose Tarbé qui place la pièce en 1348. On a 
encore cité un autre témoignage d'où il ressortirait 
avec toute l'évidence désirable que Machaut avait en 
effet été nommé secrétaire du roi Jean le Bon. C'est 
une complainte de Guillaume. L'abbé Lebeuf, le pre- 
mier, s'en est servi dans ce sens; Tarbé a reproduit cette 
hypothèse et Mas Latrie Ta adoptée sans discussion '. 
Machaut, s'adressant à un roi dont il est le secrétaire, se 
plaint à lui du comte de Tancarville qui lui a envoyé 
un cheval aveugle et boiteux. Cette « clameur » ne peut 
avoir été écrite qu'après 1 352, car à cette date seulement 
Jean II de Melun, souverain maître de Thôtel du roi, 
devient comte de Tancarville. Mais il n'est pas néces- 
saire d'admettre qu'elle ait été composée avant i356, 
comme le veut Tarbé, par la raison que le comte fut 
fait prisonnier à Poitiers. Après son retour d'Angle- 
terre, Jean continua à jouer un rôle brillant à la cour 
jusqu'à sa mort survenue en i382. La pièce peut donc 
aussi avoir été écrite après la captivité du comte. Le poète 
s'y plaint de la goutte qui le tourmente et de Taffaiblis- 
sèment de sa vue. C'est exactement son portrait du Voir 

t* V. 83 1 ss. Machaut y parle, sans préciser, du bon roi qui 
le nourrit, « dont les os sont pieça pourris et dont Tame est en 
paradis ». 

2. Voir Dit, p. i36. 

3* Lebeuf, loe, cit,^ p. 38i; Tarbé, p. xxvi et 197; Mas Latrie, 
Prise d^ Alexandrie^ p. xvi, n. 2* 



XXXVI INTRODUCTION 

Ditf qui se place aux environs de 1364. Comme ici 
encore l'insécurité des routes due aux violences et aux 
exactions des ce pilleurs » est pour lui une des raisons 
de ne pas se risquer hors de chez lui, ce fait place la com- 
plainte vers la même époque. Sans aller aussi loin que 
P. Paris qui, dans une note manuscrite (ms. A\ adopte 
franchement la date de i365, on peut en tout cas consi- 
dérer la complainte comme écrite à peu près vers le 
même temps que le Voir Dit. Mais quel est le roi rési- 
dant à Paris à qui s'adresse le poète et qu'il veut aller 
rejoindre en France? On peut écarter Charles de 
Navarre, Tun des seigneurs de Guillaume : à cette 
époque, ses rapports avec la maison de France étaient 
trop tendus pour permettre de supposer que, dans ce 
cas, il ait pu faire obtenir un cheval à Macfaaut par 
l'entremise du roi de France, seul autorisé à donner des 
ordres au comte de Tancarville '. Mais en France 
même, on a le choix entre Jean le Bon, revenu d'An- 
gleterre, et son fils qui lui succède en 1364; la pièce 
peut être écrite aussi bien avant qu'après cette date, de 
sorte que la complainte, malgré les renseignements 
qu'elle fournit sur la personne du poète et sur ses rap- 
ports avec ses seigneurs, nous laisse dans Tincertitude 
sur le personnage royal dont il déclare ici avoir été le 
secrétaire. Il n'est pas permis, par conséquent, d'y trou- 
ver une preuve sûre des relations de Machaut avec Jean 

I . L'autre supposition de P. Paris, à savoir que la complainte 
a été adressée au roi de Navarre en i358, est insoutenable parla 
raison que le comte de Tancarville était à cette époque avec le roi 
Jean enlAngleterre d'où il ne revint une première fois que pour peu 
de temps, au mois de mai iSSg, et définitivement avec son maître 
à la fin de l'année i36o> pour retourner de nouveau avec lui à 
Londres en janvier 1 364* 



INTRODUCTION XXXVII 

le Bon. Ces relations ont sans doute existé; mais la 
seule preuve qu'on en puisse vraiment invoquer, le lai 
où le poète déplore la défaite de Poitiers et la captivité 
du roi, est un témoignage de médiocre valeur, comme 
nous l'avons fait voir plus haut. 

Par contre, Machaut a fourni des preuves certaines 
de ses rapports avec au moins deux des fils du roi 
Jean, Charles, le futur roi de France, et Jean, duc 
de Berry. A différentes reprises, Guillaume, dans le 
VoirDity nous parle du duc de Normandie qui le mande 
auprès de lui, chez lequel il séjourne pendant quelque 
temps, qui lui fait fête et honneur et le comble de beaux 
dons, a Fais suis », déclare-t-il, « de sa nourreture 
Et suis sa droite créature » ; il qualifie le duc de « mon 
droit seigneur. » Aussi, lorsque le régent, en 1 36 1, se 
rend à Reims pour trancher le différend survenu entre 
les bourgeois de la ville et l'archevêque, il prend logis 
dans la maison canoniale de Machaut et c'est là qu'il 
convoque <c les eschevins dudict Reims ' ». Ce sont ces 
rapports intimes du futur héritier de la couronne de 
France avec le poète qui font supposer que la plainte 
dirigée contre le comte de Tancarville a, en effet, été 
adressée à Charles après son avènement au trône. 
Machaut, naturellement, a dû assister au sacre de son 
maître à Reims « le jour de la Trinité, l'an mil trois 
cens soissante et quatre * ». C'est à cette occasion qu'on 
aurait chanté la messe conservée parmi les œu- 
vres de Guillaume. L'abbé Rive, le premier, a 
fait cette supposition \ sans malheureusement nous 

1. Voyez plus haut, p. xxv. 

2. Prise d'Alexandrie, y. 806-07. 

3. « Une messe en musique... que l'on croit avoir été chantée 
au sacre de Charles V »» {loc, cit. p. 11). 



XXXVIII IKTRODUCTION 

faire connaître les données sur lesquelles il s'appuie. 
Celles-ci existent-elles seulement? Et n'est-ce pas là 
tout simplement une hypothèse hasardée sans aucun 
fondement? D'autres auteurs, Fétis, Mas Latrie, l'ont 
répété d'après lui, sans fournir la moindre preuve. 
Il s'agit donc ici d'un fait dont rien ne prouve l'exacti- 
tude et qu'on ne peut accueillir que sous toutes réserves. 
Ce sont encore des suppositions gratuites que celles de 
Tarbé prétendant que ses ennemis firent bannir le poète 
de la cour', ou que celle de Mas Latrie, prétendant qu'à 
l'époque où Charles devint roi de France, Machaut 
a prit le parti de fixer sa résidence loin de Paris et de 
vivre le plus qu'il pourrait dans ses propriétés de 
Champagne ou du Gâtinais * ». En vérité, rien ne nous 
autorise à avancer des hypothèses de ce genre, qu'il 
faut définitivement écarter de la biographie du poète. 
Machaut, on l'a vu, jouissait de la faveur de Charles, 
duc de Normandie. Pourquoi n'aurait-il pas continué 
à en jouir après l'avènement de Charles au trône, même 
s'il ne nous en parle pas expressément? 

Ce que nous savons des relations de Guillaume avec 
4eàn de Berry, le frère du roi, peut confirmer ce que 
nous" avançons ici. Ce prince ne paraît qu'une seule fois 
dans l'œuvre de Machaut : avec le poète, il est le per- 
sonnage principal du Livre de la Fontaine amoureuse. 
Ce poème ne peut avoir été commencé avant la fin de 
l'année i36o ^ Nous y assistons au départ d'un grand 
seigneur qui se rend comme otage en Angleterre, et ce 

1. Loc. cit,i p. XXVIII, à cause des vers : a a mon borgne oueil 
perçoi Qu'a court de roi chascuns y est pour soi «, dans la Com- 
plainte à Henri, 

2. Loc, cit,, p. XVI. 

3. Voy. P. Paris, dans le Voir Dit, p. 53, n. 3 et p. 69, n. i. 



INTRODUCTION XXÎIX 

seigneur, rànagramme à la fin de Tœuvre nous le révèle, 
est Jean, duc de Berry et d'Auvergne, qui alla à Londres, 
au mois de novembre de Tannée i36p. Jean vient de 
recevoir son titre de duc ; ce fut évidemment pour 
Macbàut la raison d'écrire son poème à cette occasion. 
D'un autre côté, rien ne fait encore prévoir le retour 
du duc qui eut lieu vers la fin de Tannée i362. C'est 
donc entre la fin de i36o et la fin de i362 que fut écrite 
la Fontaine amoureuse en Thonneur de Jean de Berry. 
Celui-ci ne paraît plus désormais dans les œuvres de 
Guillaume. Et pourtant leurs relations n'ont pas dû 
s'en tenir là; car dix ans plus tard, dans un document 
du i5 octobre 1371, « mestre» Guillaume de Macbaut 
figure parmi les nombreux créanciers du duc \ Il s'agit 
très probablement de la gratification que Jean avait 
nécessairement dû allouer au poète pour son œuvre et 
qui n'aurait jamais été payée. Le plus beau des manus- 
crits des œuvres de Machaut, le manuscrit E (B. N. 
fr. 9221), a été exécuté pour ce même duc de Berry, 
grand amateur de livres et d'objets d'art. L'exemplaire, 
il est vrai, est trop fautif pour qu'on puisse supposer 
que Guillaume lui-même le lui ait offert; mais il 
remonte à une source plus ancienne, et c'est ce premier 
manuscrit que Guillaume peut avoir fait faire pour ce 
prince. 

D'autres seigneurs encore paraissent dans l'œuvre de 
Machaut, sans qu'il soit possible d'établir si et quand 
le poète a eu avec eux des relations personnelles. 
Il devait forcément au moins les rencontrer dans l'en- 
tourage de ses protecteurs royaux, tel le comte de 
Tancarville dont il a déjà été question (voy. p. xxxv), 

I. Prise d'Alexandrie, p. xvii, n. 2. 



XL INTRODUCTION 

tel monseigneur le duc de Bar qui, avec plusieurs autres 
seigneurs, logea à Reims dans la maison de Machaut 
lors d'un passage du roi Jean dans cette ville, sans doute 
en i363', tel aussi monseigneur de Loupy,au bon sou- 
venir duquel le poète se fait rappeler par l'entremise de 
dames qu'il prétend n'avoir jamais vues et qu'il a cepen- 
dant longtemps servies, honorées et chéries*. Il s'agit ici 
sans doute de Raoul de Vienne, sire de Loupy, qui fut 
gouverneur du Dauphiné d'octobre i36i à septem- 
bre 1369. Le Voir Dit^ si riche en renseignements sur 
les rapports de Machaut avec la haute aristocratie, 
nous fait encore connaître un autre genre de relations 
qui, de la part d'un chanoine, peuvent paraître surpre- 
nantes. Le poète y raconte l'hîstoire de ses amours avec 
une jeune fille de haute et noble extraction. Un ana- 
gramme nous donne son prénom : Peronne ou Peroti'^ 
nelle^ ce qui est confirmé par Deschamps ^ Il faut donc 
écarter le nom d'Agnès de Navarre^ proposé par de 
Caylus et Tarbé. D'un second anagramme P. Paris * 
a cru pouvoir dégager le nom d'origine ou de famille : 
d'Armentières. Malgré les contestations de M. Su- 
chier S dont la solution est peu satisfaisante ®, et de 

1. Voir Dit^ p. 262 : Machaut à sa dame : « Monseigneur le 
duc de Bar et pluseurs autres seigneurs ont esté en ma maison. » 
Ibid,y p. 259 : a Monseigneur le duc de Bar qui a geû en ma 
maison. » 

2. BaL 191 ; « Mes dames qu'onques ne vi, Je vous pri Qu*a 
mon signeur de Loupy Faciez depri Qu'il li souveingne de mi... 
Car lonc temps vous ai servi Et oubeï Et honnouré et chieri 
De cuer d'ami. » 

3. Œuvres complètes^ III 259-60. 

4. Voir Dit y p. xx ss. 

5. Zeitschrift fur rom. Philologie, XXI, 541-45. 

6. Cf. Romaniâi, XXVil, 162-3. 



INTRODUCTION XLI 

M. Hahf qui ne voit dans le poème qu'une pure fiction 
sans fond réel, l'identification proposée par P.Paris est 
sans contredit jusqu'ici la meilleure et la plus accep- 
table. D'après ce poème, l'habit ecclésiastique n'em- 
pêche pas Machaut d'avoir aussi des relations avec des 
dames, et même, à en croire l'auteur, des relations 
très intimes. D'autres encore ont dû se partager le 
cœur du poète : il nous parle à diverses reprises de 
ses anciennes amours, et un anagramme dans une 
ballade nous donne le nom de Jehanne*, Enfin, le 
dernier grand poème de Guillaume est entièrement 
consacré à la mémoire de Pierre I" de Lusignan, roi 
de Chypre et de Jérusalem. La Prise d'Alexandrie 
n'est autre chose que le récit minutieux et détaillé 
de la vie de ce seigneur depuis sa naissance jusqu'à 
sa mort et particulièrement de ses hauts faits d'armes 
en Orient dans ses guerres contre les Musulmans. 
A plusieurs reprises, Pierre était venu en France; 
il avait assisté au sacre de Charles V à Reims en i364, 
fait que Machaut relève spécialement, et à cette occa- 
sion le poète l'avait peut-être approché. Mais il serait 
bien surprenant que Guillaume, dans ce long poème, ne 
nous eût pas clairement parlé de ses relations person- 
nelles avec Pierre, si elles avaient réellement existé. La 
carrière aventureuse et quelque peu romanesque de ce 
roi oriental et surtout sa mort tragique, un régicide, 
l'un des crimes les plus odieux et les plus atroces pour 
les consciences du moyen âge et qui causa dans l'Eu- 
rope chrétienne une émotion profonde, c'étaient là 
pour le poète des raisons sufiisantes pour écrire un 

1. Zeitschrift fur rom. Philologie, XXII, 145-96. 

2. Zeitschrift fur rom. Philologie, XXX, 40g. 



XLII INTRODUCTION 

poème à la justification et à la gloire du roi. Si d'ail- 
leurs Machaut notait pas directement en rapport avec 
Pierre lui-même, il connaissait au moins l'un ou l'autre 
de ses officiers et de ses serviteurs : il dit de Bermond 
de la Voulte, chevalier du Vivarais, chambellan du roi 
de Chypre, que chacun Taimait et que lui, Machaut, 
Taimait aussi ' ; Perceval de Cologne, autre chambellan 
du roi, était, d'après notre auteur, bien connu à Paris % 
ce qui implique évidemment que Machaut le connais- 
sait également. Tarbé et P. Paris ont émis l'hypothèse 
que le Dit de la Marguerite a été composé par Machaut 
pour le roi de Chypre, le premier rappelant que Pierre 
de Lusignan fit bâtir dans Tile de Chypre une maison 
de plaisance qu'il nomma La Marguerite % l'autre 
inscrivant cette note sur un manuscrit de Machaut, 
sans dire ses raisons. Mais aucun des poètes de 
l'époque n'a manqué de chanter la marguerite, 
Froissart aussi bien que Deschamps, unissant dans 
ce même nom l'éloge et de la fieur et de leur dame 
qui s'appelait ainsi; Machaut lui-même, dans le Dit de 
la Fleur de Lis et de la Marguerite, traite une seconde 
fois ce sujet. Il n'y a donc là rien qui vise tout particu- 
lièrement le roi de Chypre. Mais dans le corps même 
du poème, il est dit qu'alors même que le poète est en 
Chypre ou en Egypte, son cœur continue à habiter en 
sa marguerite. Pierre de Lusignan pourrait, en effet, 
s'exprimer ainsi; mais il nous semble que ce n'est là 
qu'un lieu commun de la poésie amoureuse, et l'on 
aurait tort d'attribuer à ces mots un sens plus précis et 

1. Prise d'Alexandrie, v. 3668. 

2. Ibid,, V. 7612. 

3. Loc, cit, p. XXIX, n. 1. 



INTRODUCTION XLIII 

une signification littérale, et de voir, par conséquent, 
dans ce poème la preuve de relations personnelles entre 
le roi de Chypre et le chanoine de Reims. 

Le 17 janvier 1369, eut lieu l'assassinat de Pierre de 
Lusignan qui inspira à Machaut sa Prise d'Alexandrie. 
C'est son dernier poème de longue haleine£En 1372, 
le poète habitait encore sa maison canoniale à Reims. 
Il mourut au mois d'avril de l'année 1 377', et fut enterré 
dans son église, la cathédrale de Reims ; son frère Jean 
partagea sa tombe sans qu'on sache s'il mourut le 
premier^ C'est ce que nous fait savoir leur épitaphe, 
gravée sur une plaque de cuivre, fixée à un pilier 
de la cathédrale et disparue sans doute à Tépoque de 
la Révolution. Elle débute par ces vers : 

Guillermus de Machaudio 
Suusque Johannes frater 
Sunt in loco concordio 
Juncti, sicut ad os crater etc. *. 



1. Manuscrit de J. Weyen, f. 384 r* : « Obiit canonîcus remensis 
april. 1377 » (Tarbé, p. xxxiv). 

2. Le texte en est donné par J. Weyen dans son manuscrit. Il a 
été publié par Tarbé, p. 184-85, et depuis par le D' H. Vincent, 
Les inscriptions anciennes de V arrondissement de Vou^iers 
^Retms, 1892), p. 266-68 (avec un commentaire) et par H. Jadart, 
Les inscriptions de Notre-Dame de Reims (Reims, 1907), p. 255- 
56 (Communication de M. Demaison). 



XLIV INTRODUCTION 



III 



LES MANUSCRITS 

La présente édition des œuvres de Guillaume de 
Machaut est faite d'après les manuscrits suivants : 

Paris, Bibl. Nat. f. fr. 1584 = ^ (xm siècle). 

_ — _ i585=B (xiv's.). 

— — — i586 = C (xv« s.). 

— — — 1587 = 2) (xv* s.). 

— •— — 9221= JE* (xiv« s.). 

— — — 22545= F (xiv*s.). 

— — — 22546 = G (xiv« s.) \ 

— , — — 843 = M (xv«s.). 

Berne, 218 =K (xiv* s.). 

Paris, Bibl. de l'Arsenal 52o3 . . = J (xiv* s.). 

Tous ces manuscrits dont nous nous réservons de 
donner une description détaillée plus tard, contiennent 
exclusivement des œuvres de Machaut. Nous n'avons 
pas consulté un autre manuscrit qui appartient à la 
famille de Vogtié et dont Mas Latrie a donné une 
courte description dans son édition de la Prise 
d'Alexandrie (p. xviii-xix). Nous le désignons par la 
lettre F. 

Des œuvres isolées de notre poète, mêlées à des pro- 

I. Les deux manuscrits F et G ne forment en réalité qu'un seul 
et môme manuscrit, divisé en deux volumes. L'abbé Rive (dans 
Laborde, Essai sur la musique, IV) en a donné une description 
nssez exacte et suffisamment complète. 



INTRODUCTION XLV 

ductions étrangères, se trouvent encore dans les manus- 
crits suivants : 

Paris, Bibi. Nat. f. fr. &8i = H (xv« s.) : une partie 
du recueil des ballades sans musique. 

Paris, Bibl. Nat. f. fr. 2166 = P (xv« s.) : Le Juge^ 
ment dou Roy de Behaingne. 

Paris, ;Bibl. Nat. f. fr. 223o = -R (xv® s.) : Le Juge* 
ment dou Roy de Behaingne, 

Berne, A gS = 5 : fragment du Confort d'ami. 

Clermont-Ferrand, 249 = T : Dit de la Harpe \ 

L'examen complet des rapports qu'ont ces manuscrits 
entre eux ne pourra être fait en détail qu'après la publi- 
cation de l'œuvre entière de Machaut. Pour le moment, 
nous nous bornerons à exposer brièvement la filia- 
tion de ces manuscrits telle qu'elle résulte des textes 
publiés dans ce premier volume, nous réservant de 
faire connaître plus tard, dans l'étude d'ensemble, les 
faits sur lesquels se base notre classification. 

Le Prologue ne se trouve en entier que dans les 
manuscrits il et F ; la première partie, c'est-à-dire les 
quatre ballades, existe seule dans E et H. 

Le Dit dou Vêrgier paraît dans les manuscrits ABC 
DEFMKJV. 

Le Jugement dou Roy de Behaingne figure dans les 
mêmes manuscrits que le Dit dou Vergier^ et, en plus, 
dans P et R. 

I . Signalé par M. P. Meyer dans le Bulletin de ta Société des 
anciens textes^ XV (1899), 1 14. Des refrains, publiés par le même 
savant (ibid,^ I, 1874, 25 ss.)» font supposer qu'il y a encore 
quelques poésies lyriques de Machaut dans un manuscrit français 
de Westminster Abbey sur lequel nous n'avons pu obtenir de 
renseignements plus précis. 



XLVI ÏNTRODUCTION 

Le Jugement dou Roy de Navarre ne se trouve que 
dans les manuscrits ABDEFMV. 

Un premier groupe (a) est formé par les trois manus- 
crits A, F'G et M. Les manuscrits A et F-G sont les 
plus riches et les plus complets de tous; leurs leçons 
sont d'ordinaire les meilleures; ils semblent avoir été 
écrits l'un et l'autre du vivant du poète, peut-être même 
sous sa surveillance. Ils forment, par conséquent, la 
base de toute édition des œuvres de Machaut. Indépen- 
dants l'un de Tautre, ils remontent nécessairement à 
une source commune (a) qui pourrait bien être le 
manuscrit personnel de Machaut dont le poète nous 
parle dans le Voir Dit^ c'est à-dire O, le manuscrit ori- 
ginal. M oscille entre les deux, sans dépendre plus 
directement de l'un que de l'autre ; dans quelques rares 
cas il s'écarte même complètement du groupe a et offre 
les leçons du second grand groupe (^j, formant ainsi en 
quelque sorte un intermédiaire entre a et p. Il ne sau- 
rait, dans ces conditions, dériver directement de l'ori- 
ginal ; il ne pourrait en provenir que par l'intermédiaire 
d'un manuscrit perdu, m. 

Les autres manuscrits BDEKJ forment ensemble le 
groupe p. Parmi eux, les deux manuscrits B txD sont 
plus étroitement apparentés, sans cependant dériver l'un 
de l'autre. Ils ont une source commune [b) qui, quoique 
généralement d'accord avec EKJ, s'accorde aussi quel- 
quefois avec le groupe a contre les autres manuscrits du 
groupe p. Comme m, b joue donc un rôle d'intermé- 
diaire entre a et p, mais, différent en cela de m, il est 
plus près de p. Le manuscrit B a subi plus tard, au 
xv« siècle, des corrections de seconde main ; nous les 
désignons par B*. On les reconnaît à l'encre plus foncée. 
Ces corrections ne tendent généralement qu'àunrajeu- 



INTRODUCTION XLVIl 

nîssement de l'orthographe et de la flexion; rarement, 
la leçon primitive a été changée, sauf dans le cas de 
fautes évidentes '. 

K et y, de leur côté, sont étroitement apparentés l'un 
à l'autre. J dérive directement de K, Pour l'établisse- 
ment du texte, ils peuvent compter pour un seul manus- 
crit, puisque / n'est que la reproduction pure et 
simple de K. 

E est le plus complet des manuscrits du groupe ^ et, 
comme exécution, le plus beau de tous nos manus- 
crits; malheureusement, il est loin d'être le meilleur; 
ses leçons sont souvent mauvaises, sa valeur pour 
la constitution du texte est médiocre. Dans Tordre des 
pièces, il s'écarte parfois et de ^ et de a; dans ses leçons, 
il se rapproche beaucoup de K et de •/. Il offre une 
parenté plus étroite encore avec le manuscrit iif, dont il 
ne nous est resté qu'un fragment. E et H ne dérivent 
pas l'un de l'autre; ils exigent l'admission d'une source 
commune (e). C'est cet e qui devait déjà offrir des leçons 
communes avec ^et J; aussi e etK{J) font-ils supposer 
une source commune {k). Ce sont donc les groupes b 
et k avec leurs dérivés qui forment ensemble le 
groupe p. 

Enfin le manuscrit C ne rentre dans aucun des deux 
groupes. Dans certaines parties il s'accorde avec «, dans 
d'autres avec p. Dans Tordre des pièces, il diffère abso- 
lument de tous les autres manuscrits ; il ne remonte en 
tout cas pas directement à Toriginal. Il ne semble pas 
avoir été copié d'après un seul manuscrit, mais plutôt 
avoir été composé de pièces isolées qui ont dû exister à 

I. Le manuscrit F doit rentrer dans le groupe 6, à en juger par 
le contenu et Tordre des pièces donnés par Mas Latrie. Il est en 
cela en tous points d'accord avec B. 



XL VIII INTRODUCTION 

côté des œuvres complètes de Machaut (les manuscrits 
P et Ren fournissent la preuve) et qui ont été réunies 
par quelque amateur de poésie dans un recueil c, d'où C 
est dérivé ; car Tuniformité d'exécution de C ne permet 
guère d'admettre que ce soit ce manuscrit lui-même qui 
ait été le premier recueil de ce genre. 

Parmi les manuscrits qui ne contiennent que des 
oeuvres isolées de Machaut, H est tout près de jE?, comme 
nous Pavons établi plus haut déjà. R est apparenté à 
EKJ^ sans toutefois dériver de Tun de ces manuscrits. 
Nous devons, par conséquent, le rattacher à leur source 
commune A:, peut-être, vu sa date assez récente, par un 
intermédiaire r. P se montre assez étroitement lié à C; 
mais des divergences assez sérieuses l'en éloignent suffi- 
samment, pour nous obliger à admettre pour eux une 
source commune c, ce qui confirme le résultat de nos 
recherches sur C. Voici donc le tableau généalogique 
des manuscrits de Machaut : 




o 



j^ B (B') D F(?) ^e^ (r?) K C (P) 

Les signes a et p ne désignent pas nécessairement 
quelque manuscrit perdu qui serait la source commune 
des manuscrits conservés que nous plaçons sous ces 
lettres; ils servent plutôt à faire voir d'une façon plus 
nette les deux grands groupes de manuscrits que nous 
avons cru pouvoir reconnaître* De même a, comme 
nous Pavons déjà dit, source d'où dérivent A et F-G, 



INTRODUCTION XLIX 

n'est peut-être tout simplement rien autre que l'ori- 
ginal lui-même dans la dernière phase de son déve- 
loppement. Par conséquent, comme manuscrits pro- 
cédant immédiatement du manuscrit original» nous 
comptons ceux que nous avons désignés par les 
lettres m, b et k (manuscrits perdus), A et F-G (manus- 
crits conservés); quant à c, la question reste pendante. 
Mais si ces manuscrits si différents l'un de Tautre 
remontent tous au même original, comment expliquer 
leurs divergences? En voici Texplication dont nous 
aurons à donner les raisons plus tard : O, l'original, 
était sans doute le manuscrit qui appartenait à Machaut 
lui-même et où il mettait « toute siss choses », comme 
il nous le fait savoir dans le Voir Dit. Or, ce manuscrit, 
naturellement, ne fut constitué que peu à peu, au fur et 
à mesure que le poète achevait ses poèmes et les insérait 
dans la collection de ses œuvres. C'est *^d'après son 
propre manuscrit que Machaut lui-même, à diverses 
reprises, fit exécuter des copies destinées à ses protec- 
teurs et seigneurs ; telle la copie dont il nous parle au 
début du Voir Dit et qui, par conséquent, ne pouvait 
contenir que des œuvres antérieures à 1364. Il existait 
donc du vivant même du poète des manuscrits qui ne 
contenaient qu'une partie de ses œuvres, partie plus ou 
moins considérable selon l'époque où ils furent écrits, 
d'après l'état plus ou moins avancé de l'original de 
Guillaume. Ces copies présentaient les œuvres de 
Machaut dans les différentes phases de leur déve- 
loppement, et les manuscrits que nous possédons 
encore aujourd'hui reproduisent en quelque sorte 
quelques-unes au moins de ces étapes dans le progrès 
de Tœuvre du poète. La première de ces étapes est 
représentée par le manuscrit C, une seconde par le 

Tome I. d 



L INTRODUCTION 

groupe p ', une troisième par itf, enfin la dernière par 
A et F-G. Nous avons là comme plusieurs éditions 
d'un même recueil, des éditions considérablement aug- 
mentées Tune par rapport à l'autre, et aussi revues et 
corrigées par le poète lui-même dans le texte qu'elles 
ofifrent. 

Pour la constitution du texte, il faut, par conséquent, 
s'attacher aux manuscrits les plus complets, qui con- 
tiennent en quelque sorte la dernière rédaction des 
œuvres de Machaut, la forme définitive que l'auteur 
voulait leur donner : ce sont A et F- G. Aux leçons com- 
munes à ces deux manuscrits on donnera la préférence 
sur toutes les autres; non pas que celles-ci soient néces- 
sairement fautives ou moins bonnes (comme celles de 
A et de F-G, elles peuvent être dues à Machaut lui- 
même) ; mais le poète, dans les éditions plus récentes, 
les a rejetées et remplacées par d'autres qui lui parais- 
saient préférables. Y a-t-il par contre désaccord entre 
A et F'G, c'est la leçon commune à l'un de ces deux ma- 
nuscrits et aux manuscrits du groupe ^ qui prévaudra 
généralement, les copistes de A et de F-G n'étant pas 
infaillibles. Quelquefois même la leçon que donne l'en- 
semble des manuscrits demande à être corrigée. Dans 
le groupe ^, ce sont B et D qui donnent les leçons les 
plus sûres; dans E [H) et K (J) les copistes ont très 
souvent introduit des leçons qui leur sont personnelles 
et qu'on a le droit de rejeter sans examen. L'accord 

I. Dans le groupe p, les manuscrits E et H paraissent s'opposer 
à ce que nous avançons ici, car ils contiennent plus de matière 
qu'il ne pouvait s'en trouver dans b ou fc (par exemple, une partie 
du Prologue), Mais ce sont là des manuscrits plus récents, écrits 
après la mort de Guillaume ; les parties plus nouvelles ont été 
ajoutées plus tard d'après d'autres manuscrits plus complets. 



INTRODUCTION LI 

entre A F-G ei B D nous offre la garantie de la bonne 
leçon ; en cas de désaccord, A + BD prévaudront géné- 
ralement contre F-G, F-G + BD contre A, A +F-G 
contre BD. Ce n'est là qu'une règle générale qui, 
comme toute règle, a ses exceptions. 

Pour l'orthographe, nous avons, comme pour le 
texte, suivi les manuscrits A et F-G datant de la 
seconde moite du xiv*" siècle et ayant été écrits du 
vivant du poète qui en a sans doute surveillé Texécu- 
tion. Nous n'avons pas tenté l'essai inutile et in- 
fructueux d'unifier la graphie de notre texte; mais 
nous avons donné dans les variantes les graphies d'il 
ou de F'G, quand pour quelque raison nous avons cru 
devoir nous en écarter. Quant aux autres manuscrits, 
nous n'en donnons que les variantes de sens; les parti- 
cularités de leur orthographe seront relevées en détail 
dans la description que nous donnerons plus tard de 
ces manuscrits. C'est ailleurs aussi que nous présente- 
rons le résultat de notre étude sur la langue du poète. 



LU INTRODUCTION 

IV 
LES ŒUVRES 

Ce n'est ici ni le lieu ni le moment de juger dans 
son ensemble l'œuvre de Machaut et de déterminer 
la place qui lui revient dans Thistoire littéraire. 
Les œuvres de Guillaume de Machaut que nous nous 
proposons de publier, à l'exception du Voir Dit et de la 
Prise d'Alexandrie qui ont fait l'objet de publications 
séparées facilement abordables, occupent dans la littéra- 
ture française du moyen âge une place considérable; elles 
se partagent nettement en deux catégories différentes : 
les poésies lyriques, comprenant les ballades, rondeaux, 
virelais^ lais, complaintes et motets, et les poésies nar- 
ratives et didactiques, c'est-à-dire les dits. C'est par 
ceux-ci- que doit commencer l'édition des œuvres de 
Machaut d'après « Tordenance que Guillaume de Ma- 
chaut vuet qu'il ait en son livre » '. Nous nous bor- 
nons en tête de ce premier tome à faire figurer les 
notices des poèmes qui y sont publiés. On retrouvera 
de même dans chacun des volumes suivants les obser- 
vations nécessaires relatives aux pièces qu'ils contien- 
dront. 

/. — Le Prologue. 

Dans les meilleurs manuscrits, qui sont en même 
temps les plus complets, les manuscrits A etF-G% le 

1 . Termes de la rubrique qui précède la Table de notre ma- 
nuscrit A, 

2 . Les manuscrits £ et // ne contiennent du Prologue que les 
l^allades, et non la partie en rimes plates* 



INTRODUCTION UII 

recueil des poésies de Macbaut est précédé de plusieurs 
pièces en vers, dont l'ensemble forme comme la pré- 
face, le Prologue^ des œuvres complètes du poète ' . 
Ce Prologue comprend quatre ballades et une courte 
pièce de 184 vers octosyllabiques 6n rimes plates. Les^ 
ballades forment deux groupes : dans le premier; 
Nature offre à Guillaume ses enfants Scens^ Retorique 
txMusique^ afin de lui faciliter son œuvre de poète, et 
Machaut répond en la remerciant; dans l'autre, il mo«r^ / ^^f 
lui présente Dous Penser^ Plaisance et Espérance qui 
lui fourniront la matière de ses chants, et Guillaume 
remercie encore de cet autre don. Dans la partie en rimes ^. 
plates, le poète, s'étendant sur la valeur des dons de 
Nature et ô! Amours ^ en profite pour exposer ses théo- 
ries littéraires : il énumère les différents genres poé- 
tiques qu'il cultive (v. 11- 18); il prouve que la 
pratique de la poésie rend l'homme bon et joyeux 
(v. 26-84); î' vante les mérites de Musique^ citant à 
Tappui des exemples bibliques et mythologiques 
(v. 85-146); il dénombre les variétés de rimes que lui 
ttistigtit Rhétorique [^ . 147-158); et finalement, pour 
obéir à Nature txk Amours^ et pour plaire aux dames, 
il annonce qu'il va commencer le Dit dou Vergier. Ces 
derniers vers paraissent rattacher le Prologue au Dit 
dou Vergier qui est, comme nous le ferons voir ail- 
leurs, le premier et le plus ancien des dits de Machaut. 
Dans ce cas, cette introduction aurait été écrite, avant 

I. Tarbé avait déjà donné ce titre de Prologue à rensemble de 
ces premières poésies qui ouvrent Tœuvre de Machaut. Le mot 
ne se trouve que dans la Table du manuscrit E : Çy fine le pro- 
Togue, C*est là que nous nous sommes permis de prendre 
cette désignation aussi exacte que commode qui n'a qu'un défaut 
celui de ne pas provenir de Machaut lui-même. ' 



LIV INTRODUCTION 

môme que le poète n'ait commencé son véritable travail 
littéraire. Or, cela ne peut être; au contraire, Fauteur, 
lorsqu'il écrivait ces vers, avait sous les yeux son 
oeuvre poétique tout entière, ou au moins à peu près 
terminée, et c'est sur l'ensemble de ses productions ly- 
riques, sur ses dits, sur ses compositions musicales, 
que porte le jugement qu'il émet dans le Prologue. La 
preuve matérielle de ce fait est donnée dans notre 
manuscrit A. D'après l'ancienne pagination, ce ma- 
nuscrit commençait par le Dit dou Vergier ; lorsqu'il 
fut complètement terminé, on en dressa la table, 
qui fut placée en tête du volume. Mais le même cahier, 
qui par suite n'a pu être écrit qu'après la constitution 
définitive du manuscrit, contient aussi le Prologue. 
Celui-ci; par conséquent, a été composé, comme la table, 
au moment où l'activité littéraire et poétique de Mâ- 
chant touchait à sa fin. Cela est confirmé par l'absence 
du Prologue dans les manuscrits BDVKJ: les sources 
d'où dérivent ces manuscrits remontent à une époque 
où Machaut n'avait pas encore écrit son Prologue^ 
comme le prouve aussi Tétat incomplet de ces manus- 
crits, où manquent les dernières œuvres du poète. Une 
autre raison qui empêche encore d'admettre entre le 
Prologue et le Dit dou Vergier une relation plus étroite 
est que dans le Dit dou Vergier il n'existe ni poésie 
lyrique, ni musique, tandis que le Prologue s'étend 
longuement sur ces deux points. En écrivant son Pro- 
logue, Machaut n'a donc pas eu en vue ce Dit dou 
Vergier, mais bien l'ensemble de ses œuvres. 

Ce Prologue est comme un raccourci de toute 
l'œuvre du poète, tant dans la forme que dans le fond : 
les ballades représentent sa poésie lyrique, la partie 
en rimes plates sa poésie narrative et didactique ; on 



INTRODUCTION LV 

y trouve des allégories empruntées au Roman de la Rose 
et des « exemples » tirés de la Bible ou des auteurs an- 
ciens, qui servent à instruire le lecteur et à prouver les 
assertions de Fauteur; et c'est le poète lui-même, nommé 
en toutes lettres, qui occupe le premier plan de l'action 
et qui nous entretient de ses idées et de ses sentiments 
personnels. Or,Yce sont bien là les trois éléments prin- 
cipaux de la poésie de Machaut : Tallégorie, le récit 
biblique ou mythologique, et l'attribution du rôle 
principal à la propre personne du poète en un bizarre 
mélange de fiction et de réalité. Ainsi, le Prologue 
suffit déjà à nous faire connaître dans ses grandes 
lignes le poète et son œuvre?/ 

//. — Le Dit dou Vergier. 

^e Prologue datant des dernières années de Machaut, 
c'est le Dit dou Vergier qui ouvre la série de ses ditsj 
Le poète lui-même, d'après les derniers vers du PrO'- 
logue^ veut que ce dit soit placé en tête de ses oeuvres, 
et c'est bien, en efifet, une œuvre de jeunesse, sans doute 
le premier essai littéraire de longue haleine du jeune 
poète '.iLa place qu'il occupe *, Tabsènce de l'ana- 
gramme habituel où le poète se nomme ', rinfériorîté 

1. Cen*était pas l'avis de Tarbé qui dit expressément (/. c, 
p. zi) : a Le Dit du Vergier ne nous parait pas une œuvre de 
jeunesse ; c'est un second prologue »« 

2. /Nous espérons démontrer ailleurs que les dits — et sans 
doute aussi les poésies lyriques de Machaut — se succèdent dans 
Tordre chronologique. Le Dit dou Vergier occupant la première 
place serait donc le plus ancien des dits du poètel 

3. L'anagramme ne pouvait avoir une raison d 6tre qu*à partir 
du moment où le poète avait acquis un certain renom. Il est 



LVI INTRODUCTION 

technique de ce poème par comparaison avec les autres 
dits ', enfin son contenu auquel manque presque com- 
plètement la note personnelle et originale qu'on trouve 
par tout ailleurs^ tout cela contribue à nous confirmer 
dans cette pensée que le Dit dou Vergier marque le 
début littéraire de MachautT} 

Comme tous les poètes de son époque, Guillaume de 
Machaut a subi Tinfluence profonde du Roman de la 
RoseVSon Dit dou Vergier n'est qu'une imitation ser- 
ville du chef-d'œuvre de Guillaume de Lorris et de Jean 
de Meun ; il lui emprunte et ses principaux élénients et 
sa donnée fondamentale") C'est, de même que dans son 
grand modèle, une vision que le poète raconte. Cette 
vision, il l'a eue dans ce merveilleux verger d'Amours 
où se passait aussi l'action du Roman de la Rose. Guil- 
laume y rencontre le Dieu d'Amours accompagné de 
les servantes et servants que lui avait déjà attribués 
Guillaume de Lorris : Franchise^ Pitié^ etc. Le dieu 
lui énumère toutes ses qualités et dépeint sa puis- 
sance, en expliquant les attributs symboliques dont 



assez probable que dans son premier poème cette façon de se 
déclarer Pauteur de la pièce n'a pas dû venir à Guillaume , alors 
inconnu^ 

I. C*est notamment par la pauvreté des rimes que le Dit dou 
Vergier se distingue des autres poèmes de Machaut. La propor- 
tion des rimes léonines dans le Dit dou Vergier est de 19 0/0, 
dans le Roy de Navarre de 35 0/0, dans le Remède de Fortune 
de 3i 0/0, dans le Dit dou Lion de 34 0/0. Âjoute-t-on les 
rimes féminines, considérées comme léonines par les poètes du 
nioyen âge, leur nombre n^atteint que 5o 0/0 dans le Dit don 
Vergier contre une moyenne de 71 à 840/0 partout ailleurs, 
Les rimes suffisantes dans le Dit dou Vergier sont de 14 0/0 
dans le Remède de Fortiine de 3 0/0, dans le Roy de Navarre et le 
Dit dou Lion de 0,4 et 0,6 0/0. 



INTRODUCTION LVÎI 

il était déjà revêtu longtemps avant notre poète. Le 
sujet principal du récit est la description de la lutte de 
ses partisans contre ses ennemis bien connus : Danger^ 
Peur, Honte, et la victoire finale du dieu. Tous ces 
éléments — et c'est là à peu près tout le poème —, 
Machaut les a empruntés au Roman de la Rose '. Mais, 
en les combinant, il est resté inférieur au modèle dont 
il s'inspirait. L'heureuse idée de Guillaume de Lorris, 
de remplacer un exposé froid et morne par une action 
vivante et mouvementée, Machaut Ta abandonnée : tout 
son poème n'est, sauf l'introduction et le dénouement, 
qu'un seul et interminable discours du Dieu d'Amours, 
une simple énumération de règles et de préceptes, véri- 
table œuvre d'école sans originalité, sans note intime, 
ni personnelle. Nulle part ailleurs, Machaut ne se mon- 
trera, comme ici, simple et médiocre imitateur d'un 
remarquable modèle^ 

Cependant, quelques rares changements introduits 
dans les emprunts faits au Roman de la Rose, déno- 
tent déjà les traits caractéristiques de Machaut.yi\ la 
place du personnage abstrait de l'Amant, créé par Guil- 
laume de Lorris, le poète du xiv« siècle met sa propre 

I. Certains vers du Dit dou Vergier sont presque des emprunts 
directs au Roman de la Rose y p. ex. les vers 65-66 : « Je ne say 
que ce pôoit estre Fors que le paradis terrestre», qui répètent ces 
vers de Guillaume de Lorris : « Et sachiez que je cuiday estre 
Pour voir en paradis terrestre », ou bien les vers 38-39 * " ••tous 
seus, sans conduit M'en alay parmi levergier »^dansle Romande 
la Rose: « Si m*en alay seus esbatant Par le vergier de ça en la ». 
Ailleurs, dans son Dit de la Rose^ Machaut résume en io6 vers 
la donnée fondamentale du roman de Guillaume de Lorris, dont 
il conserve alors rallégorie, abandonnée dans le Dit dou Ver- 
gier, Il nous montre par là, ce qu*on devait supposer a /?riori, 
qu*il avait étudié à fond ce roman. 



LVIII INTRODUCTION 

personne : c*est avec Guillaume lui-môme que s'en- 
tretient le Dieu d'Amours, et ce sont les questions du 0^^ 
poète qui provoquent les explications du dieu^Ce n'est 
pas là précisément une innovation de Machaut; déjà 
d'autres poètes avant lui s'étaient ainsi mis eux-mêmes 
en avant en des œuvres qui gravitaient également dans 
l'orbite du Roman delà Rose .J^Siis le fait mérite d'être 
signalé, parce qu'il répond à cette tendance si parti- 
culière de notre poète de s'attribuer à lui-même un rôle, 
et le plus souvent le rôle principal, dans ses poèmesT^ \ 
Le but que Machaut poursuivait ainsi était de donner à 
ses fictions poétiques une plus grande apparence de 
réalité. C'est le même souci qui l'incite à émailler ses 
poèmes de traits empruntés à la vie réelle, de petits dé- 
tails propres à donner à ses inventions le caractère de 
quelque chose de vrai, de vécu. Le Dit dou Ver- 
gier nous en offre un exemple dans la façon dont 
Machaut raconte son réveil après sa conversation avec 
le Dieu d'Amours. Celui-ci, qui, pendant la conversa- 
tion avec le poète, était perché sur un arbrisseau, dispa- 
raît finalement, en s'élançant dans les airs. Le mouve- 
ment est assez violent pour ébranler tout l'arbre, si 
bien que la rosée en tombe sur le visage du dormeur et 
le tire de son rêve, du « transissement » où il avait été si 
longtemps. Il est tout étonné de ne plus rien trouver de 
ce qu'il avait vu et entendu; heureusement, il lui reste 
les leçons et les exhortations du dieu\ Qu'on compare ce 
réveil de Machaut au brusque dénouement que Jean de 
Meun donne au Roman de la Rose^ et l'on verra saQs 
peine qu'ici notre auteur est supérieur à son modèle J 
L'étude des œuvres suivantes prouvera que\ce mélange A 
de fantaisie et de réalisme, comme on le rencontre ici 
déjà, est l'un des traits caractéristiques du génie poé- 



INTRODUCTION LIX 

tique de Machaut. et qu'il lui doit parfois des effets 
heureux et charmants":] 

///• — Le Jugement dou Roy de Behaingne.^ 

D*après la place qu*il occupe dans tous nos bons 
manuscrits, le Jugement dou Roy deBehaingne est le 
deuxième en date des grands poèmes de Machaut. Hl 
fut composé du vivant de Jean de Luxembourg» roi de 
Bohême, c'est-à-dire avant 1346 H Le quatrième dit de 
Guillaume, le Dit dou Lion^ étant écrit en 1342, il faut 
placer notre Jugement a^ant cette date '. Cette date se 
trouve confirmée, assez vaguement du reste, par ce fait 
que le poète nomme Jeunesse parmi les personnages 
allégoriques qui entourent le roi et qui personnifient 
ses qualités. Or, le roi Jean est né en 1296; par consé- 
quent, le poème peut parfaitement remonter encore à 
quelques années avant 1342, peut-être même avant 
1340, année où Machaut est en possession de son cano- 
nicat et réside à Reims, loin du roi] 

L'étude des rimes, d'un secours si utile pour le Dit 
dou Vergier, ne peut rien nous apprendre ici ; cai\le 
poème n'est pas écrit dans la forme ordinaire des dits 
de Machaut, en vers octosyllabiques à rimes plates, 
mais dans une forme demi-strophique ' qui ne reparaît 

1. Seul notre manuscrit M semble s'opposer à cette hypothèse; 
car le titre porte dans ce manuscrit : Jugement dou Roi de Be- 
haingne dontDieus ait Vame, Mais le manuscrit date du xv« siè- 
cle, et le titre doit être mis au compte du copiste. Tarbé, 
cependant, s*est laissé induire en erreur et place le poème entre 
1347 et 1349. 

2. Voyez plus haut, p. xxviii. 

3. Cest la forme que M. Grôber {Grundriss, II, 1,706) appelle 
Privilegstrophe, et M. Suchier, Richeutform (Geschichte derfran3[, 
LiteratuTy p. 21 5). 



LX ^ INTRODUCTION 

plus ailleurs sous la plume du poète, sauf, avec quelques 
modifications, dans certaines pièces lyriques, les Com- 
plaintes QLa strophe se compose de quatre vers : les 
trois premiers, de dix syllabes, sont reliés entre eux par 
la môme rime; le quatrième n'a que quatre syllabes et 
introduit une nouvelle rime qui est reprise par les trois 
grands vers de la strophe suivante ; et puis le quatrième 
vers, plus court, amène de nouveau une autre rime 
répétée dans les vers décasyllabiques qui lui succèdent» 
etc.,(aioaioaiob4 — biobiobioC4— CioCioCiod4,etc.)4Les 
strophes, de cette façon, sont indissolublement enchaî- 
nées Tune à l'autre en une suite ininterrompue d'après 
le principe qui préside au système plus ingénieux 
encore de la ter:[a rima de la Divine Comédie 'JLa 
même rime paraît quatre fois de suite ; il était donc 
bien plus malaisé pour le poète de construire des vers à 
rime riche, et on ne saurait raisonnablement comparer 
les rimes de ce poème à celles des autres dits. 

ILe Jugement dou Roy de Behaingne rentre dans la 
catégorie des débats amoureux, « sortes de développe- 
ment tout nouveau des anciens jeux-partis » Une 
dame dont Tamant vient d'être enlevé par la mort, et 
un seigneur, trahi et délaissé par son amie, prétendent 
chacun avoir plus à souffrir que l'autre. La querelle, 
sur le conseil de Guillaume, est portée devant le roi de 
Bohême et tranchée en faveur du chevaliei\{Dans les 

1 . Le Dit dou Cerf blanc écrit dans la môme forme ne peut 
être l'œuvre de Machaut. 11 ne se trouve que dans notre manus- 
crit J et manque dans nos bons manuscrits. 

2. Si l'on ne retrouve plus cette forme chez Machaut, on la 
rencontre chez Froîssart^ chez Christine de Pisan et ailleurs ; 
elle a donc évidemment joui d'une certaine faveur auprès des 
poètes de cette époque. 

3. G. Paris, François Fi7/o« (igoi), p. 92. 



INTRODUCTION LXI 

cercles courtois du moyen âge, on rafifolaît de ces pro- 
blèmes de casuistique amoureuse ; on ne les traitait pas 
seulement en jeux-partis, on leur consacrait aussi des 
poèmes de plus d'étendue et de caractère narratif. Le 
cas le plus fameux et le plus souvent débattu était celui 
de savoir si, pour une dame, il était préférable de don- 
ner son amour à un clerc ou à un chevalier. Cette 
question était discutée en langue latine dès le commen- 
cement du XII* siècle (notamment dans VAltercaiio 
Phillidis et Florae et dans l'ouvrage d'André le Chape- 
lain) ; elle se retrouve dans plusieurs poèmes français 
[Florence et Blancheflor^ Hueline et Aiglantine, Me- 
lior et Idoine)^ J Dsius VAltercatio et dans les œuvres 
françaises, le sujet est toujours traité de la même 
manière : la discussion naît entre deux dames, dont 
Tune aime un clerc, l'autre un chevalier; la décision est 
donnée à la cour du Dieu d'Amours, soit immédiate- 
ment par le dieu lui-môme, soit à la suite d'un duel ju- ^ 
diciaire entre deux oiseaux de la cour; le poète, le 
plus souvent, assiste ou rêve d'assister en cachette aux 
événements. Machaut a fidèlement suivi ces données / 
fondamentales dans son poème. Il n'a donc pas inau- 
guré ce genre, comme l'a dit G. Paris'; mais il y a 
introduit certaines innovations, et c'est certainement lui 
qui l'a en quelque sorte rajeuni./ 

Ces modifications sont un nouveau trait bien carac- 
téristique de l'œuvre de Guillaume. Il ne reste pas 
témoin impassible de l'aventure ; Çl prend lui-même 
part à l'action : c'est lui qui propose l'arbitrage du roi "| 
de Bohême, après avoir entendu dans sa cachette toute 

1. Woy, Romania, XXXVII, 221 sfi; 

2. Loc.jcit,, p. 92. 



LXII INTRODUCTION 

la discussion, et qui introduit auprès de son maître les 
deux parties adversesjAu lieu du Dieu d'Amours, c'est 
le roi Jean de Luxembourg, personnage historique, 
réel et vivant, qui prononce le jugement.7 L'élément 
( allégorique passe au second plan ; on ne le retrouve 
plus que dans les personnages dont se compose la cour 
du roi, dans lesquels le poète a personnifié les qualités 
et les vertus qu'il attribue à son seigneur {Amours^ Jeu- 
nesse, Hardiesse, etc.). Les deux principaux interlocu- 
teurs, la dame et le chevalier, ne sont, eux aussi, que 
de pures abstractions, comme l'Amant de Guillaume de 
Lorris^Mais les personnages du roi de Bohême et de 
son secrétaire placent le poème en pleine réalité/ De 
'même, le théâtre de Faction est transporté du royaume 
imaginaire du Dieu d'Amours dans le site bien réel de 
Durbuy, domaine appartenant au roi Jean, dont le poète 
donne une description très exacte.fbans de nombreux 
détails de mise en scène, on retrouve toujours le même 
souci de donner au récit une apparence de vérité et de 
réalité. IC'est par exemple le cas pour la façon dont 
Machaut fait s'engager la discussion entre la dame et le 
chevalier : les deux personnages se rencontrent par 
hasard ; le chevalier, plein de courtoisie, salue la dame, 
mais celle-ci ne lui rend pas son salut. « Mise à rai- 
son » par le seigneur, elle s'excuse en alléguant le noir 
chagrin dans lequel elle est plongée au point de ne pas 
avoir remarqué l'acte poli de son interlocuteur. « Quelle 
que soit votre peine, madame, elle ne saurait égaler la 
mienne », lui répond l'autre^ et la discussion s'engage 
tout naturellement. Plus loin, c'est la manière dont le 
poète entre lui-même en scène. Caché dans le « breuil », 
il a entendu toute la conversation ; voyant que les deux 
parties n'arrivent pas à se mettre d'accord, il aimerait 



INTRODUCTION LXIII 

bien leur proposer l'arbitrage de son maître, mais il ne 
sait comment les aborder, un peu honteux de son indis- 
crétion. Or, voilà qu'un petit chien qui accompagnait 
la dame Taperçoit et se précipite vers lui en aboyant. 
Aussitôt, le poète s'en empare et va le rendre à sa maî- 
tresse ; c'est l'occasion cherchée pour se mêler à l'entre- 
tien. Le chevalier, alors, à voix basse, exprime à la 
dame sa crainte que ce clerc n'ait tout entendu, et Guil- 
laume confirme en effet ses soupçons. Il peut donc tout 
de suite leur conseiller de soumettre leur différend au 
roi de BohémeTiLe nombre de traits analogues est con- 
sidérable ; et tous, ils contribuent à donner au poème 
le caractère d'une aventure vraie et vécue. 

Une autre qualité qui distingue encore à son avan- 
tage Machautde la plupart de ses confrères du moyen 
âge, c'est l'unité de composition dans la plupart de ses 
poèmes. Les longues digressions intercalées par Jean ^ 
de Meun dans le Roman de la Rose avaient précisé- 
ment été l'une des causes du succès prodigieux de cette 
œuvre, et cet exemple a nécessairement dû exercer une 
influence considérable sur les auteurs des générations 
suivantes. D'autant plus grand est le mérite de Machau | 
d'avoir su résister, quelquefois du moins, à cette habi-| 
tude si commune aux poètes de son temps et d'avoir! 
observé dans quelques-uns de ses dits une parfaite unité 
d'action et de pensée, qui n'apparaît que rarement dans 
les productions littéraires du moyen âge. Le Juge^ 
ment dou Roy deBehaingne est du nombre. La thèse 
une fois énoncée, la discussion se poursuit continue, 
serrée, sans jamais perdre de vue son objet et sans 
s'égarer en d'inutiles détours ; tout est naturellement 
motivé et un enchaînement logique réunît entre elles 
les différentes parties du débat. Seules, quelques des- 



y 



LXIV INTRODUCTION 

Jcrîptîons entraînent l'auteur parfois trop loin et en- 
f travent le développement régulier de Faction et de la 
' discussion. Celle-ci même, un moment, semble vouloir 
dévier de son but :l[on abandonne la question fonda- 
mentale pour discuter cet autre problème, à savoir si 
Tamant trahi doit malgré cela rester fidèle à la dame 
volage. Mais Guillaume fait presque aussitôt constater 
cette digression par le juge, et il ramène l'entretien à 
son véritable sujet^ 

Ce sont sans doute moins les qualités que nous ve- 
nons d'énumérer que Theureux chois du problème 
discuté, qui firent le grand succès de ce débat. Ce succès 
est attesté de différentes manières : c'est le seul dit de 
Machaut qui soit reproduit encore au xve siècle dans des 
manuscrits contenant un choix d'oeuvres de différents 
auteurs; Guillaume lui-même, dans le Jugement dou 
Roy de Navarre^ reprend le débat sur la même ques- 
tion ; au xve siècle, Christine de Pisan, dans le Dit de 
Poissy, discute à peu près le même problème, et vers la 
même époque Martin le Franc déclare ne pas s'accorder 
au jugement de Machaut. Quant aux qualités de forme 
qu'on y rencontre, l'unité de l'action et la recherche de 
la vraisemblance qui y réunies, contribuent à donner au 
poème une allure presque dramatique, je ne crois pas 
que les contemporains et les imitateurs s'en soient 
beaucoup souciés. 

IV. — Le Jugement dou Roy de Navarre. 

Dans tous les manuscrits, le Jugement dou Roy de 
Navarre suit immédiatement le Jugement dou Roy de 
Behaingne. Chronologiquement, cependant, ils sont 
Séparés l'un de l'autre par un intervalle de temps assez 



INTRODUCTION LXV 

considérable, car le Jugement dou Roy de Navarre ne^ 
peut avoir été écrit avant 1349; nous y voyons que la ^ 
peste noire qui désolait FEurope en 1348 et 1349 vient 
de prendre fin et que Charles le Mauvais occupe le trône 
de NavarreTlOr, Charles devient roi en 1349 après la 
mort de sa mère, et il semble bien que c'est à l'occasion 
même de cet événement que Guillaume composa ce 
poème où il rend hommage au jeune souverainT/D'un 
autre côté, nous savons qu'entre les deux Jugements 
Machauta écrit au moins deux autres dits, \q Remède de 
Fortune, dont nous ne connaissons pas la date d'origine, 
etleDfV dou Lion, composé en 1342. Ces deux poèmes, 
dans nos manuscrits, suivent les deux Jugements. L'or- 
dre chronologique dans lequel doivent se succéder les 
dits est donc ici interverti, et c'est le Jugement dou Roy 
de Navarre qui a abandonné la place qui lui revenait 
après le Dit dou Lion, peut-être même après le Dit de 
VAlerion \ Car, si les deux pièces qui se placent entre 
nos Jugements avaient été antérieures au Jugement dou 
Roy de Behaingne^ il n'y avait aucune raison pour ne 
pas leur donner dans les manuscrits la place qui leur 

I. Dans les manuscrits, le Dit de VAlerion se place entre le Dit 
dou Lion (de 134a) et le Confort d'ami (de 1 357), sans qu'aucun 
indice positif nous fasse savoir s'il fut écrit avant ou après Tannée 
1349. Nous avons cependant une raisoii pour considérer ce dit 
comme antérieur au Jugement dou Roy de Navarre : le manus- 
crit C offre cette particularité de ne contenir que les premières 
pièces de chaque genre poétique cultivé par Machaut. Or, ce ma^ 
nuscrit donne les dits depuis le Dit dou Vergier jusqu'au Dit de 
VAlerion ; mais il ne donne ni le Jugement dou Roy de Navarre, 
ni les dits postérieurs. L'original du manuscrit remonte donc à 
une époque où ce Jugement n*existait pas encore. Le Dit de 
VAlerion, alors^ était déjà écrit ; il est donc antérieur au Juge- 
ment dou Roy de Navan-e, 

Tome I. e 



LXVI INTRODUCTION 

convenait. Par contre, il y avait une raison puis- 
sante pour mettre le Jugement dou Roy de Navarre 
immédiatement à la suite du Jugement dou Roy de 
Behaingne : c^est que le second de ces deux poèmes est 
exactement la contre-partie, la palinodie, du premier. 
Machaut lui-même, dans le corps du dit, résume à di- 
verses reprises le premier débat auquel il renvoie plu- 
sieurs fois; dans quelques manuscrits, le titre du 
Jugement dou Roy de Navarre, est complété par cette 
indication : contre le Jugement dou Roy de Behaingne^ 
et le manuscrit D fait même se suivre les deux pièces 
sans aucun intervalle, comme si elles n'en faisaient 
qu'une. C'est évidemment cette relation étroite entre les 
deux débats qui, en cette occasion, a fait renoncer le 

^_ poète à l'ordre chronologique de ses dits. 
/ fLe poème commence par une longue introduction de 
1 43o vers, où Guillaume, faisant œuvre de chroniqueur, 
' raconte en détail les terribles événements des années 
1348 et 1349: la persécution des Juifs, le mouvement 
religieux des « Flagellants » et les effets désastreux de 
la peste noire. En retraçant ce tableau aux sombres cou- 
leurs, Machaut se montre historien sobre, fidèle et 

i exactliUne comparaison minutieuse de son récit avec 
les chroniques contemporaines nous a permis de cons- 
tater que chaque détail, donné par le poète, est en effet 
confirmé par les renseignements de nos sources histori- 
ques. Ce sont en partie . ses souvenirs personnels que 
le poète a consignés ici : il a dû voir de près les ravages 
de l'épidémie à laquelle il échappa, en se tenant soi* 
gneusement enfermé chez lui, sans doute dans sa maison 
canoniale de Reims; en partie, il tient ses rensei- 
gnements de récits oraux de témoins oculaires : « Ce 
dient pluseurs qui ce virent »(v. 173). Ces vers fu- 



INTRODUCTION LÎVII 

rcnt écrits sous Timpression immédiate de ces événe- 
ments même qui avaient frappé de stupeur et d'effroi 
le monde chrétien tout entier '. I Mettre ce tableau en 
tête de son poème, c'était placer sa fiction dans un cadre 
bien vivant et bien réel; sur ce fond sombre et tragique, 
la gracieuse aventure allait se détacher en couleurs 
d'autant plus vives.lGuillaume, en cela, s'est rencontré ^^' 
avec l'un des plus grands poètes de son temps, avec 
Boccace, dont le Décaméron^ comme on sait, débute 
également par la peinture de la peste à Florence.*} Si la 
description de notre Champenois n'est pas comparable 
pour réioquente énergie au célèbre préambule des cent 
nouvelles italiennes^ comme l'a prétendu un autre 
Champenois, P. Paris *, l'idée au njoins, conçue par 
chacun des deux contemporains, indépendamment l'un 
de l'autre, est assurément d'un vrai poète. 

Cette introduction historique reste sans[aucune rela- \ 
tion avec ce qui fait le véritable sujet du poème, ley 
débat amoureux7)lI existe môme entre ces deux parties 
du poème une certaine contradiction. C'est au com- 
mencement de l'hiver de l'année 1 349, plus exactement 
le 9 novembre, que notre poète, retenu dans sa chambre 
par le froid et les brouillards de l'automne, se laisse 
aller à ses lugubres méditations sur les misères dont 
Dieu semble poursuivre l'humanité. Nous avons là sans 

I. Les traces si nombreuses que ces événements ont laissées 
dans la littérature de Tépoque en font foi. En France seule, on 
peut citer un poème latin du médecin Simon de Couvin, des vers 
latins et français de Gillon le Muisit, une chanson française des 
« Flagellants », une allusion à la peste noire au début du poème 
anonyme. Le Songe Vert^ sans parler des traités scientifiques et 
des récits des chroniqueurs. 

3. Notice sur le poème du Voii' Dit^ p. xxviii* 



LXVUI INTRODUCTION 

doute la date où fut commencé le poème. La fiction elle- 
mime, par contre, se place au printemps, quand Tépi- 
dimie a enfin disparu et que Tair doux et chaud engage 
notre auteur^ enfermé chez lui pendant toute la froide 
saison 1 à se risquer de nouveau au dehors et à s'adonner 
à sa passion pour la chasse aux lièvres7)Il n'est guère 
admissible que Machaut, id, notxs renseigne exacte- 
ment et reste dans la stricte vérité. Lui qui était capable 
d'écrire une centaine de vers par jour — son Voir Dit 
nous le fait savoir ' — ne peut avoir mis des mois à com- 
poser cette introduction de 430 vers. Restent deux 
hypothèses : ou bien cette chronique rimée et le débat 
amoureux étaient d'abord indépendants l'un de Tautre 
et n*ont été soudés ensemble qu'ultérieurement, ou 
bien, ce qui est beaucoup plus probable, le poème entier, 
introduction historique et débat proprement dit, exis- 
tait tel quel dès Porigine; mais avec les motifis du 
renouveau de la nature ex de sa sortie dans la campagne 
le poète a déjà quitté le sol de la réalité et se trouve en 
pleine fiction poétique; à ce moment, il a perdu de vue 
la donnée première de son poème et a oublié le point 
de dépan qu'il lui avait fixé et qui sans doute s'était 
trouvé répondre à la réalité. 

j' Les deux personnages entre lesquels s'engage la nou- 
velle discussion sont encore des représentants des 
deux sexes. L'un d'eux au moins est un personnage réel 
et vivant, le poète lui-même, Guillaume de Machaut. 
Après le rôle effacé qu'il s'était donné dans le premier 
Jugement^ \e voici qui passe au tout premier plan et 
qui occupe la place principale dans ce second débatT\ll 

I . Lettre xxvii de Mâchant à sa dame (p. 202) : « Vostres livres 
se fait et est bien avanciës; car j*en fais tous les joors .c. vers ». 



INTRODUCTION LXIX 

n'essaie pas de nous faire prendre le cliange: à diverses 
reprises, il se nomme en toutes lettres dans le corps 
même de la pièce, contre son habitude qui est de ne 
donner son nom que par anagrammêj Pourquoi ici cette 
exception? Il faut encore l'expliquer par le rapport qui 
relie ce poème au Jugement dou Roy de Behaingne. Le 
jugement attribué au roi Jean, mais qui en réalité était 
de Machaut lui-même, a dû se heurter à des critiques 
violentes et nombreuses, surtout de la part des dames ; le 
poète, dans sa pièce même, nous l'a bien fait entrevoir '^ 
C'est pour leur plaire et se concilier de nouveau leurs 
bonnes grâces qu'il a composé ce nouveau poème, où, 
tout en ayant l'air de défendre son premier jugement, 
il finit par se prononcer dans le sens exactement con- 
traire •. Or, afin de faire savoir nettement à tout le 
monde que c'est lui, Guillaume, qui se soumet ainsi au 
bon plaisir des dames, il importait d'éviter toute équi* 
voque : un anagramme aurait pu laisser subsister des 
doutes; force lui était donc de se nommer clairement, 
comme il Ta fait. 

C'est un portrait bien vivant et finement nuancé que 
Guillaume donne ici de lui-même, se montrant d'abord 
soucieux des maux dont est frappée l'humanité autour 
de lui et inquiet pour sa propre vie au milieu des ravages 

i5Cela ressort clairement du versSii : « Vers les dames estes 
forfais ». On a vu que plus tard Martin Le Franc proteste égale- 
ment contre la décision de Machaut. Un siècle après Guillaume, 
ja Belle dame sans merci d'Alain Chartier eut absolument le 
môme sort?] 

3. Ce n^est pas là un fait isolé à cette époque : avant Machaut, 
Nicole Bozon écrit De la bonté des femmes, pour atténuer son 
Char d'orgueil ; et plus tard, Jean Le Fevre, après avoir traduit en 
vers français les Lamentations de Matheolus, réfute point pour 
point cet ouvrage dans un nouveau poème, le Livre de Leesce. 



LXX INTRODUCTION 

de la peste, puis^ le danger passé, oublieux de ses soucis 
et de ses angoisses et passionné de la chasse au point de 
négliger le plus élémentaire de ses devoirs d'homme 
galant et courtois qui était de présenter ses hommages 
à la haute dame qui passe tout près de lui. Dans la dis-* 
cussion même, il défend avec acharnement et opiniâ- 
treté ses positions; il avoue cependant qu'à la vue de 
la noble société qui entoure son adversaire, il a un 
instant Tidée d'abandonner sa cause, mais Raison 
l'exhorte à persister, et désormais il ne fléchira plus. Au 
début; il s'efforce de ne pas se départir de cette cour- 
toisie qu'on doit toujours observer vis-à-vis des dames ; 
fmais peu à peu il se laisse emporter par Timpatience et 
lia colère; il devient i ronique , moqueur, et finalement 
j franchement injuste et méchant, en osant accuser Fran-^ 
[chisede mensonge et de déloyauté, et en lançant des pa- 
roles sacrilèges contre le sexe féminin, lui, connu jus- 
qu'ici comme l'humble serviteur d'Amours et des dames!j 
Enfin, quand la condamnation du poète est prononcée, ' 
il fait bonne mine à mauvais jeu et se tire avec autant 
de bonne grâce que possible de la position délicate où 
il s'était mis. Ce portrait, esquissé ici dans ses grandes 

f lignes, est complété par de nombreux traits de détail 
qui donnent au personnage une individualité nettement 
marquée et en font un personnage réel et vivant. 
Nous n'avons pas lieu de douter que ce ne soit là en 
effet un portrait assez ressemblant du poète lui-môme. 
^ r Ses adversaires, par contre, Machaut les emprunte 
de nouveau à ce monde de Tallégorie évoqué par le 
Roman de la Rose; mais il a su leur prêter des traits 
qui leur donnent l'air d'être vivants?] Cela est vrai 
i_ surtout de la dame qui provoque le nouveau débat} 
Machaut nous l'a peinte de telle façon que nous 



INTRODUCTION LXX! 

croyons voîr devant nous quelque personnage histo- 
rique de l'époque. De bons juges, comme P. Paris, ont 
pu s'y laisser tromper '.iCe n'est que tout à k fin que 
Ton apprend qu'il s'agit ici de dame BeneUrté, c'est-à- 
dire d'une simple allégorieriLes demoiselles qui cons- 
tituent son entourage et qui remplacent leur maîtresse 
à tour de rôle, sont caractérisées par leur nom comme 
personnifications de pures abstractions : Connoissance^ 
AviSy Raison, etc. Même ici, l'auteur s'est visiblement 
efforcé de leur attribuer à chacune un rôle individuel 
selon le caractère qu'elles devaient avoir : Foy^ par 
exemple, est chargée d'examiner Texactiiude des faits 
avancés par Guillaume; c'est k Charité qu'incombe la 
tâche difficile d'excuser la femme qui a manqué de 
parole à son fiancé, et c'est le devoir d^Honnesté 
de blâmer la vie honteuse du clerc d'Orléansi Leurs 
façons d'agir sont celles de personnes vivantes : elles 
grondent, elles menacent, elles s'emportent, et quand 
finalement le poète lance sa fameuse accusation contre 
les femmes et, en se moquant d'elles, les engage à parler 
toutes à la fois, pour en avoir fini d'autant plus vite, 
elles se mettent en effet toutes à pérorer en môme temps, 
de sorte que le juge, en souriant, doit leur imposer 
silence.*] 

Ënfin^ le poème tout entier est émaillé de nombreux 
traits de ce genre, empruntés à la vie quotidienne et 

I. Dans la Notice sur le poème du Voir Dit (p. xv, note i), 
P. Paris déclare que cette dame était Béatrix de Bourbon, veuve 
du roi de Bohême. Mais ic savant éditeur a commis ici une sin- 
gulière erreur : Tanagramme sur lequel il se base est celui du 
Confort d'ami qui n'a avec le Jugement dou Roy de Navarre 
d'autre rapport que celui d'ôtre dédié au même personnage, le 
roi Charles de Navarre. On ne saurait donc en tirer aucune indi- 
cation relative à la dame du débat amoureux. 



LXXII INTRODUCTION 

aux coutumes de Tépoque, qui servent à donner au 
récit un caractère vraisemblable et pitt«resque\ C'est, par 
exemple, Técuyer qui doit appeler Guillaume auprès de 
la dame et qui, pour TefFrayer, s'amuse à lui annoncer 
qu'il aura à faire un voyage de trois jours, alors que sa 
maîtresse se trouve à quelques pas de là; ce sont les 
assauts de politesse entre Guillaume et la dame, et plus 
tard entre la dame et le roi de Navarre; c'est encore la 
gradation savante avec laquelle la dame fait entendre à 
Guillaume les reproches qu'il a encourus, le remplis- 
sant d'une vague inquiétude; c'est l'attitude des inter- 
locuteurs qui se parlent à Toreille ou se coupent brus- 
quement la parole, etc. Tout cela donne à cette fiction 
le caractère d'une aventure réelle!] 

La question litigieuse, dans le Jugement dou Roy de 
Navarre^ est débattue avec plus d'ampleur que dans 
le Jugement dou Roy de Behaingne qui est plus 
court de moitié. Malgré son étendue, le dit offre, 
comme le précédent, une unité d'idée et d'action pres- 
que complète. Les digressions inutiles et n'ayant pas 
de rapport avec ce qui est l'objet même du débat sont 
/rares, sans toutefois faire complètement défaut. Ce sont 
encore à notre avis les descriptions qui ont entraîné 
le poète au delà des limites permises. Mais il faut 
se rappeler que le public de l'époque en jugeait autre- 
ment et goûtait fort des digressions de ce genre. D'un 
autre côté, Machaut semble avoir mis un soin tout par- 
ticulier à préparer et à motiver les événements dont il 
nous entretient, ayant surtout à cœur de justifier sa 
défaite finale. C'est ainsi que, presque dès le début, il 
fait prévoir Tissue du procès qui tournera à son désa- 
vantage, en déclarant : a Je ne sui mie si fors... que je 
ne puisse estre veincus;... se je ne puis (vaincre), je 



INTRODUCTION LXXIH 

soufferray»; ou bien il a soin de nous faire savoir 
que le clerc d'Orléans n'a pas lu à haute voix la lettre 
qui causa sa folie, lettre qui contenait plusieurs secrets 
sur lesquels il ne nous renseigne pas; or, ce sera là un 
des principaux arguments de ses adversaires et la cause 
de Tune de ses condamnations. ^omme les auteurs ~> 
dramatiques, Machaut se montre maître consommé 
dans l'art des préparation^^ L'unité de composition du j 
poème n'en est que plus solide. 

'Dans la discussion même, Machaut fait entrer uq \ ' 
nouvel élément, inconnu au dit précédent : ce sont les 1 
a exemples », c'est-à-dire des récits, empruntés de pré*/ 
férence à la Bible ou à la littérature gréco-romaine, 
destinés à servir de preuves aux assertions du poète? _) 
C'est dans le Dit de l'Alerion que Guillaume en use 
pour la première fois ; depuis lors, il n'écrira, plus de 
poème où ces exemples n'occupent une place considé- 
rable ; on a vu qu'on les retrouve jusque dans le Pro^ 
logue. Des poètes contemporains de Machaut nous ren- 
seignent sur l'importance qu'on accordait alors à ces 
récits aussi amusants qu'instructifs, qui, dans les dis- 
cussions et disputes, étaient des arguments de haute 
valeur *. Machaut tire ses exemples de sources diverses : ^ 
La plupart en sont empruntées à la mythologie et à 
l'histoire de l'antiquité. Ce sont les récits suivants : 

I. Voy. par exemple Watriquet de Couvin, dans le Dit de la 
Noix (y, 3-4) : 

On doit toaz jours son sens moustrer 
Par biaux examples demoastrer, 

et Jehan Lé Fevre, dans les Lamentations de Matheolus (fl, 
V. 2675-76) : 

Poar ce, qui veult a droit plaidier, 
D'exemples se convient aidier. 



LXXIV INTRODUCTION 

\ i^^ L'abandon et la mort de Didon (v. 2095-2 i3o). 
Grâce au Roman d'Énéas^ Thistoire des amours d'Énée 
et de Didon était assez connue dans la société élégante 
du temps) pour que notre poète pût se dispenser de la 
raconter dans tous ses détails. Il se contente donc de la 
résumer en quelques vers et ne s^étend longuement 
que sur le suicide de la reine. Il reproduit la scène avec 
les détails tels qu'il a pu les trouver dans le Ro^ 
man d*Énéas ' et, plus près de lui, dans le Roman de la 
Rose *, Didon se frappant avec Tépée de son amant et 
expirant dans les flammes d'un bûcher.* Mais Machaut 
ajoute au récit traditionnel un trait que ne lui fournis- 
sait, ni Tépopée latine ni, autant que je sache, aucun 
auteur de langue française avant lui, c'est que Didon 

.. ne morutpas seule, 

Einsois a deus copa la gueule. 

Car d'Eneas estpit enceinte (v. 2 11 9-2 1) \ 

Cependant ce détail d*un goût plutôt douteux n'est pas 
de l'invention de notre poète. II paraît déjà dans les 
Héroïdes d'Ovide, Didon, écrivant avant sa mort à 
Énée, qu'elle est peut-être enceinte de lui** Or, les 
Héroïdes n'étaient pas inconnues aux poètes fran- 

1. ÉnéaSf (éd. Salverda De Grave, 1890), v. 2025 ss. 

2. Roman de la Rose (éd. F. Michel, 1864), II, v. 141 35 ss. 

3. Virgile {En., IV, 327-30) et son traducteur français {Énéas, 
V. 1739-46) admettent plutôt le contraire; les autres poètes fran- 
çais avant Machaut n'en disent rien. Par contre, peu après lui, 
Jehan Le Fevre, dans son Livre de Leesce (éd. Van Hamel, 1905, v. 
2435-60) reproduit ce détail qu'il a sans doute directement em- 
prunté à Machaut. 

4. Ovide, Héroïdes, VII, 1 33-38. 



INTRODUCTION LXXV 

çais du moyen âge ' ; Machaut peut avoir puisé directe- 
ment à cette source, en transformant en fait réel cç 
qui n'était qu'une supposition chez le poète latin! 

2^(uhistoire de Thésée et cT Ariane (v. 2707-69 et i^ 
2805-08) • Les aventures de Thésée, son combat avec le 
Minotaure, le rapt et l'abandon d'Ariane, ne paraissent 
pas avoir été traitées en langue française avant Maçhaut'T^ 
Aussi le poète se voit-il dans la nécessité d'en donner 
un récit complet et détaillé. Il reproduit fidèlement les 
données essentielles de la tradition gréco*romaine .: . 
AndrogeUs, fils du roi de Crète, Minos, est tué par les 
Athéniens. Son père impose à la ville vaincue un tribut 
de victimes humaines qui sont dévorées « par un mons- 
tre trop - mervilleus 1» (le Minotaure que Machaut ne 
désigne pas par son nom)« The$eUs^ fils du roi d'Athènes, 
va combattre le monstre et remporte la victoire, grâce 
au secours (MAdriane^ la fille de Minos, à qui il pro- 
met le mariage. Il l'enlève, mais l'abandonne en route, 

I. G. Paris, Histoire littéraire de la France, XXÏX (i885), 
488-89. 

3 . R. Dernedde, dans son étude, malheureusement fort incom- 
plète, Ueber die den altfran^, Dichtern bekannten episehenStoffe 
aus dem Altertum (1887, p. 96), relève une allusion à ce r^cit 
pour la première fois dans les Œuvres du roi René (éd. Quatre- 
barbe, III, 108), un siècle après Machaut. Jean de Meun 
{Roman de la Rose^ v. 8898-8904) avait parlé de la descente de 
Thésée aux enfers, empruntant probablement ses renseignements 
aux mythographes latins (voy. Langlois, Origines et sources du 
Roman de la Rose, 1890, p. 134). Rappelons aussi que certains 
traits de la légende de Tristan otfrent une analogie si frappante 
avec la légende de Thésée qu'il est difficile d'écarter l'hypothèse 
d'emprunts directs faits par quelque poète médiéval à la légende • 
grecque (voy. Bédier, Le Roman de Tristan, par Thomas, II, 
i35-'Z4o). Nous ignorons si le récit ne figure pas déjà dans 
VOvide moralisé {y oy. plus bas, p. lxxix ss.}. 



LXXVI INTRODUCTION 

pendant qu'elle dort « seulette en estrange contrée », 
et épouse la sœur cadette, Phedra, Ariane devient 
l'épouse de Bacus et roïne couronnée. Machaut, on le 
voit, a supprimé quelques détails. Il n'explique pas 
comment Ariane secourt Thésée, en lui donnant le 
moyen de sortir du Labyrinthe; peut-être, le poète 
français n'avait-il pas compris ce trait de la légende et 
n'avait-il su qu'en faire. Il ne dit rien non plus de l'his- 
toire de la voile blanche et noire; ce détail pouvait 
paraître inutile, quoiqu'il ne fût guère dans les habi- 
tudes de notre poète de s'arrêter à des scrupules de ce 
genrel Sur d'autres points il s'écarte nettement des don- 
nées traditionnelles, communes aux auteurs anciens : 
au lieu du tribut annuel de sept jeunes gens et d'autant 
de jeunes filles, les Athéniens, d'après Guillaume, n'en- 
voyaient qu'un homme tous les ans. Ce qui est plus 
significatif, c'est que Thésée, dans Machaut, est désigné 
par le sort pour se rendre en Crète, ce qui provoque 
l'étonnement de ses concitoyens, fait sur lequel le poète 
insiste tout particulièrement, quand au contraire les au- 
teurs gréco-romains sont d'accord pour présenter le sa- 
crifice de Thésée comme volontaire, à la suite du mécon- 
tentement du peuple athénien. Enfin, dans les textes 
latins, le dieu qui épouse Ariane est unanimement dési- 
gné parle surnom de Liber. On admettra difficilement 
que Guillaume ait été assez versé dans la mythologie ro- 
maine,pour substituer jBock^ à Liber; il a déjà dû trouver 
ce nom dans la source où il a puisé. Cette source, nous 
ne la connaissons pas : parmi les anciens, aucun auteur 
ne présente les faits tels que les donne Machaut'. 



I . Il est évident que seuls les auteurs latins peuvent être pris 
en considération. Les brèves allusions des œuvres d'Ovide {Me- 



INTRODUCTION LXXVII 

C'est donc dans la littérature latine du moyen âge 
qu'il aura trouvé son récit des aventures de Thésée. 
Cependant, Ovide, dans lax« lettre des Hérotdes, traite 
de l'abandon d'Ariane par Thésée, Il est possible, par 
conséquent, que pour cet exemple encore, Machaut ait 
puisé à la source qui lui avait déjà fourni l'histoire de 
Didon et d'Énée. 

i'^fjason et Médée (v. 2770-2804). Benoît jde Sainte- 
More, dans rintroduction de son Roman dp Troie ', 
avait le premier en France fait connaître les aventures 
merveilleuses de Jason à la quête de la Toison d'or ; 
mais, pressé d'arriver à son véritable sujetj il avait 
interrompu le récit avant le dénouement tragique 
des amours de Jason et de Médée^ se contentant 
d'en faire vaguement entrevoir la lameâtable issue. 
Plus tard, Jean de Meun à son tour avait raconté 
les exploits de Jason qui « conquit par Tart de Médée 

tamorph,, VIIl, iSa ss.; Fastes, III, 459 ss.) ne pouvaient suffire à 
nos poètes du moyen âge. On trouve des récits plus d4taiUé8 chez 
les mythographes [Mythographi Vaticani, éd. Bode, 1834, I, 43; 
II, 134), dans le commentaire de Servius sur VÉnéide{J\\i 74; 
VI, 14; 28 ss.)> dans les Fables d'Hygin (N. 41 et 43). Cest de la 
version de ce dernier que le récit de Guillaume se rapproche le 
plus, quoiqu'il y. ait entre les deux quelques notables différences. 
Il faut remarquer que les Fables d'Hygin n'étaient pas tout à fait 
inconnues aux poètes français du moyen âge : Tauteur du Roman 
de Thèbes pourrait avoir exploité les fables 66 ss. et Benoit de 
Sainte-More paraît avoir puisé à la fable 93 des détails que ne 
lui fournissait pas sa source principale (voy. Grôber, Grundriss 
der roman, Phil.y II, 1, 583 et 84); Risop, dans Florimont, 
constate des emprunts faits à la fable 192 (Abhandlungen fur 
Tobler, p. 441, n. 3). Cependant, il n'est pas certain qu'il s'agisse 
là d'emprunts directs aux œuvres d'Hygin ; ils pourraient bien 
avoir passé par quelque intermédiaire médiéval. 
I. V. 715-3060 (éd. L. ConstanSf I, 1904). 



^ 



-- \ 



LXXVm INTRODUCTION 

en Colcos la toison dorée ' ». Machaut a donc pu 
se contenter pour ce fait d'un court résumé de quel- 
ques vers. Pat- contre, il s'étend plus longuement, 
comme l'exigeait son sujet, sur la trahison de Jason et 
Fatroce vengeance de Médée que Benoît avait passées 
sous silence et que Jean de Meun n'avait traitées que 
très sommairement. C'est encore Ovide qui a fourni à 
Machaut tous les éléments de son récitl la xii« épître 
des Héroïdes (Médée à Jason) rappelle le meurtre du 
frère de la magicienne (v. ii3-ii6) et de Pélie 
(v. 129-130); elle cite le nom de Creusa (v. 53) ; elle 
fait connaître Pexistence des deux enfants de Jason 
(v. 192) et signale leur grande ressemblance avec leur 
père (v. 189). Le vu* livre des Métamorphoses complète 
l'histoire : le meurtre des enfants (v. 396), l'incendie du 
palais (v.. 395)/la fuite de la magicienne à l'aide de ses 
dragons ailés (v. 398), ses secondes noces avec Egée, 
roi d'Athènes, qui est « déçu » par elle, allusion évi- 
dente au meurtre que le roi, à l'instigation de Médée, 
allait commettre sur la personne de Thésée, son fils 
inconnu (v. 402 ss.j. C'est de la combinaison de ces 
deux œuvres du poète latin qu'est entièrement sorti 
r « exemple » de Guillaume. 

^^^yrame et Thisbéj {y. 3171-79). L'histoire des 
deux amants de Babylone, telle que la raconte Ovide 
dans les Métamorphoses (IV, v. 5 5- 166), avait été tra- 
duite en vers français longtemps avant Machaut 7 Elle 

1. Roman de la Rose^ v. 14170-203. 

2. Voyez Barbazan-Méon, Fabliaux et Contes, IV (1808), 326^54; 
Histoire littéraire de la France, XIX, 765-67. G. Paris, dans La 
littérature française au moyen âge (3» éd., 1906, p. 273), assigne au 
poème le troisième tiers du xii» siècle ; M. GrOber, dans ItGrun- 
driss der roman. Philologie, (II, i, 5o3), ne le place guère avant 
^a première moitié du xin« siècle* 



INTRODUCTION LXXIX 

formait un gracieux petit poème, bien connu encore à 
l'époque de Guillaume, car c'est précisément un peu 
avant ce temps-là qu'un certain Chrétien (Legbuais?) 
l'inséra dans la vaste compilation de VOvide moralisé '. 
Notre poète, en effet, rappelle en quelques lignes seule- 
ment la triste aventure qu'il peut supposer connue de 
de laplupart de ses auditeurs et lecteurs* 

5^ Héro et Léandre (y, 3221-98). Le roman dé Fia- i^ 
menca nous fait savoir qu'on chantait « d'Ero e de 
Leandri » déjà au xiii^» siècle, au moins dans le Midi de 
la France *. Dans la littérature du Nord, le sujet ne 
paraît pas avant l'époque de Machaut UPeu avant notre 
poète, Chrétien Legouais avait raconté l'histoire des 
deux amants, bien qu'elle ne figurât pas dans les Méta- 
morphoses d'Ovide, dans le quatrième livre de VOvide 
moralisé *. Mais cette oeuvre n'était sans doute pas en- 

1. G.Paris, Histoire littéraire de la Frrtwce, XXIX (i 885), 
497-498; Grôber, /. c, p. 592. 

2. Le Roman de Flamenca, p. p. P. Meyer(2« éd., 1901, l, 25) : 
« L'autre (comtet) d'Ero e de Leandri ». 

3. Dernedde (/. c, p. 11 3), ne connaît aucune allusion à l'his- 
toire de Héro et de Léandre avant Froissart qui est postérieur à 
Machaut et qui doit à celui-ci sans doute sa connaissance de la 
légende. La Cantilena de Leandrico, citée dans le Verbum abbre- 
viatum de Pierre le Chantre de Paris, ne se rapporte pas néces- 
sairement à la légende grecque (voy. G. Paris, Hist, litt., XXIX, 
765). L'auteur du Roman de Thèbes a supprimé dans son adap- 
tation française le passage de la Thébaîde (VI, 535 ss.), où . 
Stace rappelait brièvement cette aventure. Mais le roman <VIder 
cite Ero parmi les grandes amoureuses de l'antiquité, et le 
couple d'amants qu'il appelle Eco (lisez Ero) et Leander quel- 
ques vers après désigne évidemment les am*ants d'Abydos {Hist, 
litt. de là France, XXX, 212). 

4. G. Paris, Hist. litt. de la France, XXIX, 516-17. Le passage 
CI) question, faussement attribué à Philippe de Vitry, a été 



LXXX INTRODUCTION 

core très répandue au moment où Machaut écrivit son 
Jugement dou Roy de Navarre^ car Guillaume se voit 
dans la nécessité de narrer l'aventure dans tous ses dé- 
tails. Elle était donc inconnue au public auquel il 
s'adressait, et lui-même peut-être alors ne connaissait- 
il pas non plus la vaste compilation de Chrétien '. 
C'est, par conséquent, un récit original que donne 
Machaut, et c'est de nouveau dans Ovide qu'il en 
trouve les données principales. Les épitres xviii et 
XIX des Héroïdes^ apocryphes en réalité, mais attri- 
buées à Ovide par les auteurs médiévaux, contenaient 
presque tous les éléments de son « exemple » : les noms 
de Hero, de Leandre devenu LeanduSy et d*AbidoiSf la 
nourrice qui seule est initiée au secret de leur amour 
(xviii, 97; ii5; XIX, 19), Leandre traversant, « tous 
nus », le bras de mer à la nage (xxiii, Sj-SS) et Hero 
l'attendant sur sa tour et le guidant par la lueur 
d' « un sierge ardant )» (xviii, 3i; io5-io6;xix, 
33 ss.), puis la mer en colère (xviii, 7-8; 26), la lutte 
de l'amant entre son amour et la crainte du danger 
(xviii pass.), les angoisses, le désespoir et les prières 
de l'amante (xix pass.) '. Cependant le dénouement 

publié par P. Tarbé dans la Collection des poètes de Champagne 
antérieurs au XVI' siècle, VIII (i85o), p. 46-62. 

I . Il existe entre le long récit de Chrétien et le passage plus 
court de Guillaume certaines différences qui témoignent de Tin- 
dépendance de ce dernier vis»à-vis de VOvide moralisé. Le fait 
est d^autant plus significatif qu'ils ont puisé Tun et l'autre à 
la môme source, aux Héroîdes d*Ovide. 

2. Certains vers de Machaut rappellent d'assez près les termes 
môme du poète latin : p. ex. la mer démontée (v. 3249-52) les 
« fréta ventis turbida » d*Ovide (xviii, 7-8), les vers 8263-4 
le vers 187 de TEpître xviii : « Fluctibus immodicis Athaman* 
tidos aequora canunt ». 



INTRODUCTION LXXXI 

inéme n'y est que vaguement indiqué (xviii, 196 ss. ; xix, 
193 88.), et c'est ailleurs que notre poète a dû se rensei- 
gner. On peut songer avec G. Paris à quelque commen- 
taire explicatif, accompagnant' le texte des Héroïdes^ 
ignoré ou perdu aujourd'hui'; mais cette supposition est 
inutile : le commentaire bien connu des auteurs du 
moyen âge que Servius a joint aux œuvres de Virgile * 
donne en quelques mots le dénouement tel que le 
raconte Machaut'. Il est pour le moins très possible que 
Guillaume ait trouvé là toute la fin de son récit. 
ÏIl est aisé de reconnaître le procédé dont use Machaut ( 
dans remploi de ces a exemples», tirés de la littérature 
gréco-romaine. Le poète poursuit un double but: d'un 
côté, il y cherche des preuves et des arguments capables 
de démontrer la justesse de ses opinions ou de celles de 
ses adversaires; de l'autre, il s'agit pour lui d'inté- 
resser et d'instruire ses lecteurs, en leur offrant des récits I 
amusants et inédits Trelle de ces narrations (Pyrame et 
Thisbi) était-elle connue de son public par des versions 
françaises antérieures : Guillaume se contente d'un 
simple renvoi. 'D'a\xtrQs{ÉnéeetDidon, Jason et Méd'ée) 
avaient au moins partiellement été traitée^ en langue 
française avant lui : il résume ces parties en quelques 
lignes tt ne s'étend longuement que sur la partie 
moins connue, celle qui en même temps importait le 

1. G. Paris, /. c, p. 489. 

1. Voy.,8tir SenriUs au moyen âge, Bédler, Le Ronian de TriS' 
tan par Thomas, II, idg. 

3. Commentaires sur les Géorgiques, III, 258 «.... cum ...juve- 
nis oppressi tempestate cadaver ad puellam delatum fuisset, illa 
te praecipitavit e turri ». Machaut (v. 3292-3) fait également 
Héro se jeter du haut de sa tour sur le cadavre de son amant, tan- 
dis que Chrétien se sépare précisément ici dô Guillaume et donne 
unerersion légèrement modifiée. 

Tome I / 



LXXXII INTRODUCTION 

plus à son sujet, le dénouement. D'autres fois enfin, il 
les présente ou croit les présenter pour la première fois 
à des auditeurs français [Thésée et Ariane, Héro et 
Léandre) ; il en donne un récit complet et détaillé. De 
cette façon, il nous renseigne assez exactement sur Tétat 
des connaissances du public français contemporain en 
matière de légendes antiques. Il a rigoureusement appli- 
qué le même procédé aux autres récits tirés de l'an- 
tiquité qui sont intercalés dans les poèmes sui- 
vants ; . là encore nous puiserons de précieux ren- 
seignements sur la vogue que pouvait avoir certaines 
productions littéraires d'auteurs anciens dans les cercles 
courtois de la France du xiv« siècle. 

Pour ses histoires inédites, ainsi que pour les nou- 
veaux détails qu'il ajoute aux récits antérieurs, Machaut 
a puisé directement aux sources latines. Chacun de ces 
« exemples » nous ramène à Ovide. Ce ne peut être 
un pur hasard que les quatre récits qui contiennent des 
données nouvelles aient tous pour base les Héro'ides de 
ce poète et que Machaut ait rappelé tous les prin- 
cipaux éléments de ses « exemples ». Il ressort de là 
avec beaucoup d'évidence que Guillaume, à la quête 
d'exemples d'amour malheureux, s'est inspiré de cette 
œuvre du poète latin, connue pour fournir le nom- 
bre le plus considérable de couples d'amants infor- 
tunés, avec leurs noms et leurs aventures, nouvelle 
preuve ajoutée aux autres que les Héroïdes d'Ovide, 
augmentées peut-être de quelque commentaire médié- 
val ayant puisé encore à d'autres ouvrages latins 
(Hygîn, Servius), étaient connues des poètes savants du 
XIV' siècle aussi bien que les Métamorphoses et le traité 
sur V Art d'aimer. 
\ Fidèle à son principe de ne s'étendre longuement que 



INTRODUCTION LXXXIII 

sur les sujets qui étaient vraiment neufs et inédits pour 
ses lecteurs, . Machaut ne s'arrête guère aux poèmes 
français du moyen âge qu'il a l'occasion de citer dans 
son œuvre. Il lui suffit de nommer simplement Lancelot 
et Tristan (v. 2841) qui étaient pour tout le monde alors 
les types du parfait amant et dont nul n'ignorait les 
exploits héroïques et galants. S'il insiste sur le gracieux 
roman de la Chastelaine de Vergy^ dont d'ailleurs 
« chascuns scet bien ce qu'il avint » (v. 2836), c'est pour 
critiquer certaines conclusions qu'on pouvait en. tirer, 
non pour en raconter l'aventure. On a là, s'il en était 
besoin, une preuve de plus de la vogue dont jouissaient 
ces œuvres vers le milieu du xiv® siècle dans les cercles 
aristocratiques de la société française. 
NO'autres « exemples » encore sont tirés de la vie des 
animaux, telle que la présentaient aux lecteurs du 
moyen âge les Bestiaires^ qui mêlaient d'une façon si 
bizarre à des données exactes les inventions les plus 
extravagantes, et établissaient des rapports étroits entre 
les mœurs des bêtes et les habitudes humaines. Notre 
poète trouve également dans des traits qu'il croit pro- 
pres à certaines espèces animales des analogies frap- 
pantes avec la vie physique et morale des hommes, et y 
puise des arguments sérieux à l'appui des thèses qu'il 
soutient. La douleur que cause à la femme la mort de 
l'époux ou de l'amant ne saurait être démontrée d'une 
façon plus décisive que par les souffrances de la tour- 
terelle qui a perdu son mâle (v. 1 63 5-5 2). La fidélité 
de la tourterelle était proverbiale, les bestiaires en 
parlent tous, et on rencontre ce trait jusque dans 
une chanson populaire du xv« siècle'; il avait donc 

I. Chansons françaises du XV* siècUfp.p» G. Ptris(Soc. dos 
anc. textes), N. iSg, p. 142. 



LXXl^IV INTRODUCTION 

passé dans le domaine 4es croyances populaires, et on ne 
saurait indiquer exactement où Machaut a pu le trouver!! 

L' « exemple j» suivant, la cigogne trompée assou- 
vissant sa colère en condamnant et en mettant à mort 
la femelle coupable (v. 1671-88), se rencontre bien 
moins souvent. Nous ne Tavons pas trouvé dans les 
bestiaires français ; seuls Alexandre Neckam ' et Bru- 
netto Latini ' relatent le fait, mais non comme une 
chose généralement admise; au contraire, ils sont d'ac- 
cord pour ne le présenter que comme un phénomène 
singulier, observé une fois seulement par quelque indi- 
vidu particulier. Cependant, plus près de Machaut, le 
poète Watriquet dç Couvin, dans son Dit de la Cigo- 
gne^ écrit en 1 827 ', avait rapporté cette particularité de 
la vie de la cigogne. Rien ne nous permet d'admettre 
qu'il y ait eu entre les deux poètes quelque relation, et 
nous ne croyons pas que Watriquet ait été la source de 
Guillaume. Le fait permet du moins de supposer que 
c'est encore là une croyance qui, nous ignorons com- 
ment, s'était assez répandue au début du xiv» siècle et 
était admise dans le monde des savants de l'époque. 

C'est également sur une opinion accréditée auprès 
des érudits du moyen âge que repose V « exemple » 
donné par Guillaume en réponse aux arguments de 
dame Honnesté (v. 2657-85), Les douleurs d'un homme 

1. De naturis rerum^ éd. Wright (i863), p. ii3. 

2. Li Livres dou Trésor^ éd. Chabaille (i863), p. 212. 

3. Voy. les Œuvres de Watriquet de Couvin, éd. Scheler (1868), 
p. 283 ss. Ces poèmes étaient assez répandus dans les cours 
princières du commencement du xiv« siècle (vpy. Grôber, Gnind- 
riss der roman, PhiL, II i, 85 1), et Machaut pouvait les con- 
naître. Mais on ne saurait relever dans Toeuvre de Guillaume 
aucun rapport direct avec celle de Watriquet dont les tendances 
littéraires suivaient une tout autre directioa. 



INTÏ^ODUCTION WXXV 

qui es^ frappé de folie ne se sentent-^eUes vraiment que 
pendant le court instant qui marque la trai^sition de 
l'état de santé à i'éiat de la maladie? Non, réplique 
le poète, la cause première, celle qui occasionne la 
maladie, est bien plus terrible et plus douloureuse. Et, 
comme preuve, il cite le cas du chien enragé dont la 
maladie est causée par un ver qui « la langue li perse », 
Les bestiaires, ici encore, font défaut, et ce n'est que 
dans un passage interpolé d'un manuscrit de Brunetto 
Latini qu'on lit : « Par dessous la langue dou chien gist 
aucuns vermissiaus qui le fait enragier, et qui le puet 
oster, il le garist de la rage » ' . (t'était bien là une opi- 
nion Jipépandue autrefois notamment dans les cercles 
de chasseurs que certaine partie cartilagineuse de la, 
langue du chien, de la forme d'un ver, était la cause de la 
rage, et on croyait en effet préserver les chiens de Va-t 
trocç maladie, en leur enlevant cette partie que le. 
langage populaire appelle le ver sublingalJQx Ma-ç 
chaut, précisément dans notre poème^ se présente 
commoversé dans Tart de la vénerie/ de même quc^ 
dans le Dit de VAlerion^ il se montreiconnaisseur de la 
chasse au vol.' Habitué des cours, il fréquentait le 
monde des chasseurs et était au courant de leurs usages. 
C'est donc ainsi qu'il a eu connaissance de la croyance 
qui lui sert d'argument contre ses adversaires. Quant 
à rhistoire même qu'il raconte à ce propos, du chien 
instantanément gu^ri par l'opération et léchant les 
mains de l'opérateur en signe de reconnaissance^ il Ta 
peut-être trouvée dans quelque ouvrage de médecine ou 
de vénerie; mais il se pourrait aussi qu'il s'agît là de 
quelque anecdote qui circulait oralement dans les 
milieux où se mouvait le poète. 

I. Li Livres dou Trésor^ p. «37. 



LXXXVI INTRODUCTION 

^LV exemple » de la jeune pousse, V ente , qui,raj>rès 
quelques années, devient arbre et porte fleurs et fruits à 
la surprise et satisfaction du maître du jardin (v. 2434- 
70), n'est en réalité pas autre chose qu'une comparai- 
son, une image un peu développée et mise dans un 
cadre particulier. ' C'est évidemment dans sa propre 
imagination que GuiHaume a trouvé cette parabole pré- 
sentée par lui sous forme de récit détaché. 

C'est également le cas pour l'histoire du clerc d'Or- 
léans que sa fiancée trahit et qui de douleur perd la 
raison (v. 2215-2307). Ce récit est si intimement lié au 
développement ultérieur du poème, il joue dans la con- 
damnation finale de Guillaume un rôle si ihiportant, 
qu'il ne peut être qu'une invention du poète, ayant dou- 
ble but : fournir la preuve de ce qu'il a avancé et ame- 
ner et motiver Tune de ses condamnations. On cher- 
cherait sans doute en vain la source de cette anecdote 
ailleurs que dans l'esprit de l'auteur^ 

Faut-il en dire autant de l'épisode de la jeune iille 
dont l'amant est enlevé par la mort et qui en meurt 
malgré l'art des médecins et la tendresse d'une mère 
angoissée (v.i863-2oi2)? Le poète en commençant son 
récit par les mots : « Il n'a pas lonc temps qu'il avint », 
veut nous donner ce fait comme une chose réelle, arri- 
vée de son tempsjet en effet il pourrait bien s'agir de 
quelque fait divers dont il aurait entendu parler. Le 
contenu, en tout cas, en est trop mince pour avoir 
jamais pu constituer quelque conte indépendant. Mais 
l'histoire s'adapte si bien à la thèse qui forme le sujet 
du débat qu'elle semble plutôt avoir été forgée par 
Guillaume lui-même pour les besoins de sa cause. La 
façon détaillée et minutieusement exacte dont elle est 
présentée prouve suffisamment que ce conte était in- 



INTRODUCTION LXXXVII 

connu et inédit pour le public du poète, ce qui ne peut 
que confirmer la supposition qu'il a été inventé par 
Guillaume. On a vu déjà et on verra dans la suite 
combien Machaut cherchait précisément à donner aux 
récits qu'il inventait un air de vérité et de réalité. 

Enfin, fun dernier récit est relatif à l'action folle et 
chevaleresque du seigneur qui, prié par sa dame de lui 
rendre une bague qu'elle lui avait donnée, lui envoie 
avec Tanneau le doigt qui le portait, afin de ne pas man- 
quer à la promesse faite que jamais la bague ne quitte- 
rait son doigt (v.285i-98)rpette fois-ci encore, Machaut 
s'étend longuement et complaisamment sur tous les 
détails du conte. C'est donc de nouveau un récit neuf 
et inédit qu'il offre à ses lecteurs. S'il se fût agi de quel- 
que aventure connue et répandue, Guillaume l'aurait 
traitée tout aussi brièvement et succinctement que celle 
par exemple de la Chastelaine de Vergy, Si par consé- 
quent, ce n'est pas là une nouvelle que quelque poème 
antérieur avait fait déjà connaître, il est probable que 
nous avons de nouveau devant nous une histoire 
inventée de toutes pièces par Guillaume lui-même. 

Le Jugement dou Roy de Navarre mérite donc d'atti- 
rer l'attention à un plus haut degré que les pièces pré- 
cédentes, non seulement pour ses qualités littéraires, 
mais encore pour l'intérêt tout particulier qu'il offre en 
nous permettant d'entrevoir en quoi consistait le bagage 
littéraire d'un poète savant vers le milieu du xiv* siècle 
et quelles pouvaient être lesconnaissances littéraires des 
cercles courtois et cultivés de cette même époque. Les 
dits suivants permettront de compléter le tableau. 

V. — Le Lai de Plour. 
Par jugement du roi de Navarre, Guillaume de Ma- 



tiXXVin ÎMTftODtCTÏÔM 

chiaut a été cdndAmAé àutie triple amende ;'elle coiidiëte 
èh un lait tine chanson et une ballade qu'il doit compo^ 
sen Pour payer ton amende, le poète va commencer sans 
délai « un amoureus lay » ; c'est le poème qu'il intitule 
Le Lai dêPlour. Cette poésie, en effet, se rattache étroi- 
tement au dit qui la précède: elle contient léS plain- 
tes d'une dame à qui la mort vient d'arracher son ami. 
Le sujet répond exactement à l'une des données du dé- 
bat précédent. Nous pouvons donc ajouter foi au dire 
du poète^ quand, dans les derniers vers du Jugement 
dou Roy de Navarre^ il nous fait savoir que le lai a été 
composé immédiatement à la suite de ce dit. Il a 
été fait en 1349 ou i35o, si vraiment, d'après les ren- 
seignements de Froîssart, la confection d'un poème de 
ce genre était lin travail de quelques mois. Nous 
aurons à examiner les lais de Machaut, quand nous 
publierons ses poésies lyriques. Ici nous voulons 
nous borner à faire remarquer que cette pièce répond 
tout-à-fait aux règles du genre, telles que Deschamps 
les énoncera plus tard dans VArt de dictier. Elle se 
compose de douze strophes dont chacune diffère des 
autres daris le choix et la succession des rimes et dans la 
forme des vers, sauf la dernière strophe qui doit être 
exactement pareille à la première. Chaque strophe par 
contre est formée de deux parties identiques. 

Le rapport intime qui relie le Lai de Plour au Juge* 
ment dou Roy de Navarre justifie suffisamment la place 
que nous lui donnons dans cette publication. C'est à ce 
môme endroit, à la Suite du Jugement dou Roy de Na^ 
varre, que le lai est placé dans les manuscrits B, E et 
M; et dans KetJ^ qui ne possèdent pas le débat en ques- 
tion, il suit le dit précédent, le Jugement dou Roy de 
Behaingne. Sauf M, ce sont là, les manuscrits de 



INTRODUCTION LXXXIX 

■ ••■■'•..-t/'-Y-,. *r7' ifl 

F'G ex m. 1 or^re dçs pièces est différent : dans F-G. le 
lai manque copiplètement ; dans ^, il se trouve au 
milieu du recueil des lais; dans Af, il existe deux 
fois, une fois mêlé au;c autres lais comme dans 
A. une seconde fois a 1^ suite du Jugernent dou Ror 
a^ Navarre^ comme dans les manuscrits du groupe 
p. Cela s'explique par ce faît que le lai qui en quel- 
que sorte faisait encore partie du Jugement^ venait 
primitivement immédiatement à la suite de ce poème ; 
l'état de choses ancien s'est conservé dans les ma- 
nuscrits du groupe p. Plus tard, Machaut eut l'idée 
de réunir ce lai aux autres productions de ce genre 
qui formaient toutes ensemble le recueil de ses lais. 
Le manuscrit M dont la source est plus ancienne 
que celle de A et F-G, marque une étape intermédiaire : 
le lai y occupe encore 1^ pi§^? primitive, mais il repa- 
raît une seconde fois à If popy^e place que Guillaume 
lui avait fixée. A donne je foil( iaccompli : le lai ne se 
trouve plus que dans le i^^^çueil des lais. F-G devaient lui 
donner la même place que A : ils le suppriment à la 
suite du débat, seulement ils oublient de l'ajouter au 
groupe des lais, de sorte que la pièce manquejcomplè- 
tement dans ces manuscrits. Quoique nous suivions en 
règle générale les manuscrits A et F-G, nous avons dans 
ce cas particulier donné la préférence au groupe p et 
réuni ce lai au dit auquel il se rattache si étroitement et 
que les derniers vers de la pièce annoncent en toutes 
lettres. 

Nous ne voulons pas terminer cette introduction 
partielle que compléteront successivement des notices 
placées en tête de chacun de nos volumes suivants, sans 



XC INTRODUCTION 

remercier M . Gaston Raynaud, notre commissaire res- 
ponsable, du précieux secours quUl a bien voulu nous 
accorder au cours de ce travail, nous aidant gracieuse- 
ment de ses conseils et de sa longue expérience, et se 
prêtant avec une patience inlassable et souriante aux 
nombreuses vérifications des leçons de nos manuscrits 
qu'exigeait l'établissement du texte. 




PROLOGUE 



I 



Comment Nature, volant orendroit plus que onques 
mais révéler et ' faire essaucier les biens et honneurs 
qui sont en Amours^vient a Guillaume de Màchaut et 
H ordonne * et encharge a faire seur ce nouviaus dis 
amoureus, et H baille pour lui conseillier et aidier ' 
a ce faire trois de ses en/ans, c^est assavoir Scens, 
Retorique et Musique. Et li dit * par ceste manière : 

Je, Nature, par qui tout est fourme 
Quanqu'a ça jus et seur terre et en mer, 
Vien ci a toy, Guillaume, qui fourme 
4 Tay a part, pour faire par toy fourmer 

Nouviaus dis amoureus plaisans. 
Pour ce te bail ci trois de mes enfans 

Qui t'en donront la pratique, 
Et, se tu n'ies d'euls trois bien congnoissans, 
9 Nommé sont Scens, Retorique et Musique. 

I.— I. i4 a — 2. AF ordene — 3. EH aduiser — 4. E dist. 
2 AF ca vis — 3 ci manque dans FEH ^ 8 A nés; H diaus» 
Tome I. I 



2 PROLOGUE 

Par Scens aras ton engin enfourmé 
De tout ce que tu vorras confourmer ; 
Retorique n'ara riens enfermé 
i3 Que ne t'en voit en mètre et en rimer; 

Et Musique te donra chans, 
Tant que vorras, divers et deduisans. 

Einsi ti fait seront frique, 
N'a ce faire ne pues estre faillans, 
i8 Car tu as Scens, Retorique et Musique. 

Ti fait seront plus qu'autre renommé, 
Qu'il n'i ara riens qui face a blasmer, 
Et si seront de toutes gens amé, 
22 Soutis, loyaus, jolis et sans amer. 

Pour ce vueil que soies engrans 
D'en faire assez, petis, moiens et grans. 

Or fay tost, si t'i aplique ! 
Tu ne m'en dois pas estre refusans, 
27 Qui te bail Scens, Retorique et Musique. 



II 

Comment Guillaume de Machaut respont ' a Nature : 

Riens ne me doit excuser ne deffendre 
Que ne face le bon commandement 
De vous, dame, se je vous say entendre, 
4 Par qui j'ay corps, vie et entendement. 

II. — i, H respont doucement a N. 

10 F P. cculs — II EH enfourmer — i3 EH Qui; E tenoit 
— 14 F M. qui te d. des ch. — i5 EH T. quen; A deduians — 
16 F seront foy que — 17 -4 A — 19 A autres — 21 H toute 
gent nomme — 22 A Soutiens leaulz — 23 F vueil je que tu 
s. e. 



PROLOGUE 3 

Dont drois est, quant vous m'ordenez 
A faire dis amoureus ordenez, 

Qu'a ce faire je me soutive. 
Et je vueil bien estre a ce fait donnez, 
Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive. 

Mais si grant fait n'oseroie entreprendre, 
Se je n'avoie avec moy prestement 
Vos trois enfans pour moy duire et aprendre, 
1 3 Com dit m'avez ici présentement. 

Et de ce qu'einsi m'onnourez, 
Grâces de moy que de vos biens n'arez, 

Qu'avis n'autre chose soutive 
N'ay ne n'aray, se ne m'en pourveez, 
1 8 Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive. 

Si me vueil dont dou tout mettre et entendre 
A ces dittez faire amoureusement 
Et de pluseurs l'un grant et l'autre mendre, 
22 Et les aucuns chanter bien plaisanment. 

Et certes, se ne me cassez 
Vos trois enfans, des dis feray assez, 

Car mes voloirs a ce s'avive, 
Ne dou faire ne seray ja lassez, 
27 Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive. 



III 



Comment Amours qui a oy Nature vient a Guillaume 
de Machaut et H ameinne trois de ses enfans^ c'est 
assavoir Dous Penser^ Plaisance et Espérance, pour 

8 F Mais; H f. mené — 9 FH monde — 10-18 La strophe man- 
que dans H — 10 E fais — 16 F Quamours — 20 F ce dilie 
— 21 F pluseur; E pluiseurs — 22 A chantez; H très pi. — 24 
F Les — 27 /f monde. 



4 PROLOGUE 

lui * donner matere ' a faire ce que Nature li a e«- 
chargié. Et li dit par ceste manière ^ : 

Je sui Amours qui maint cuer esbaudi 

Et fai mener douce et joieuse vie. 

Si ay oy, Guillaume, je te di, 
4 Que Nature, qui tout fait par maistrie, 
T'a dit qu'a part t'a volu faire 

Pour faire dis nouviaus de mon affaire. 

Pour ce t'ameinne ici en pourvëance, 

Pour toy donner matere a ce parfaire, 

Mes trois enfans en douce contenance : 
10 C'est Dous Penser, Plaisance et Espérance. 

Seur Dous Penser tout premiers t'estudi : 

C'est li premiers qui mes biens signefie. 

A Plaisance t'estude n'escondi, 
14 Car c'est celle qui plus les multeplie; 
Et Espérance fait atraire 

Joie en mes gens et mon service plaire. 

Or pues tu ci prendre grande sustance 

Dont tu porras figurer et retraire 

Moult de biaus dis, et par mainte ordenance, 
20 Seur Dous Penser, Plaisance et Espérance. 

Mais garde bien, sur tout ne t'enhardi 
A faire chose ou il ait villenie, 
N'aucunement des dames ne mesdi ; 
24 Mais en tous cas les loe et magnefie. 
Saches, se tu fais le contraire, 
Je te feray très cruelment detraire. 
Mais en honneur fay tout et si t'avance : 

III.-- 1.-411—2. F voie— 3. Et li dit p. c. m. 'ma tiquent dans E, 
I cuer esb. manque dans E— 10 F pensers — 1 1 F Leur; A 

premier — 14 FH le; F monteplie — 17 F//grant —26-4 cruele- 

ment. 



PROLOGUE 5 

Aide as assez, matere et exemplaire. 

Il ne te faut qu'avoir persévérance 

3o En Dous Penser, Plaisance et Espérance. 

IV 

Comment Guillaume ' de Machaut respont ' a Amours : 

Grâces ne say, loange ne merci 
N'autre chose qu*on sceûst proposer 
Dont vous, Amours, assez gracier ci 

4 Vous peûsse, n'a mon voloir loer, 
Car vos trois enfans vis a vis 
Ci m'amenez pour moy donner avis 
Et matere dont ç'ordener porray 
Dont Nature de vous m'a fait devis. 
Et par son gré je m'y emploieray 

10 A mon pooir, tant comme je vîvray. 

Et nientmeins humblement vous merci 
Par plus de fois qu'on ne porroit nombrer, 
Car vous et vos enfans moult esclarci 

14 M'avez ces fais que j'ay a ordener, 
Pour lesquels arrière tous mis 
Seront autres, puis qu'a ce sui commis, 
N'a autres fais jamais jour n'entendray, 
N'onques amans, tant fust bien vos amis. 
Ne vous servi mieus que vous serviray 

20 A mon pooir, tant comme je vivray. 

IV. — I. F guillaumes — 2. f/ r. doucement a a. — /^ ajoute la 
rubrique Autre balade. 

.1 F mérite — 2 // quen; F peust — 5 ^ Qui; H deux enf. 
vis aduis— 6 F Que ; moy manque dans H— 10 Fcom je viueray 
(de même aux v. 20 et 3o) — 11 EH neantmoins — i3 F enf. 
mont esclarci — 14 F Mains de ces f. — 17 H autres fins; FE 
ne tendray — 18 EH amant. 



6 PROLOGUE 

Ne plus n'aray riens triste n'oscurcî, 
Mais lié et gay me vorray démener 
Et faire que maint dur cuer adouci 

24 Soit par mos dous et plaisans aiiner 

Des biens qui en vous sont compris. 
Qui me seront par vos enfans apris. 
Et des dames blasmer me garderay, 
Ne, se Dieu plaist, ja n'en seray repris, 
Mais honnourer et loer les vorray 

3o A mon pooir, tant comme je vivray. 



Puisque Nature Retorique 

Me présente, Scens et Musique, 

Et li dieus d'Amours, qui mes sires 

4 Est et des maus amoureus mires, 

Vuet que j'aie bonne Espérance, 
Dous Penser et douce Plaisance 
En faisant son très dous service 

8 Bonnement, sans penser a vice, 

Et leur commande travillier 
Pour moy aidier et consillier 
A faire dis et chansonnettes 

1 2 Pleinnes d'onneur et d'amourettes. 

Doubles hoquès et plaisans lais, 
Motès, rondiaus et virelais 
Qu'on claimme chansons baladées, 

16 Complaintes, balades entées, 

A l'onneur et a la loange 
De toutes dames sans losange, 

V. — 2 F Ay — 10 F a c. — i3 F pluseurs lais. 

21 FEHDe — 22 F liez et gais — 23 EH Et faire tant que 
maint cuer a. — 24 F pi. amer; EH pi. rimer — 25 F sont en 
vous — 28 F dieus; F ;e nen s. 



PROLOGUE 

Et ne doy mie desvoloir 

20 Leur plaisant gracieus voloir, 

Einsois y doy mon sentement 
Mettre et tout mon entendement, 
Cuer, corps, pooir et quanque j'ay. 

24 Ne je ne pris un bec de jay 

Ceuls qui s 'en vorroient ruser, 
Car je ne puis mon temps user 
En milleur n'en plus bel usage 

28 Pour avoir noble et lié corage 

Et pourestre gais et jolis, 
Gens, joins, apers, cointes, polis. 
Car tout homme qui ad ce pense, 

32 II ne riote né ne tense 

N'il ne porroit penser a chose 
Ou villenie fust enclose, 
Haine, baras ou mesdis. 

36 Je le say trop bien par mes dis. 

Car quant je sui en ce penser, 
Je ne porroie a riens penser 
Pors que seulement au propos 

40 Dont faire dit ou chant propos; 

Et s'a autre chose pensoie, 
Toute mon ouevre defferoie. 

Et s'on fait de triste matière, 
44 Si est joieuse la manière 

Dou fait, car ja bien "ne fera 

Ne gaiement ne chantera 

Li cuers qui est pleins de tristesse, 
48 Pour ce qu'il het et fuit leesse. 

Mais quant li cuers est pleins de joie. 

Il se délite et se resjoie. 

En faisant son chant et son dit 

35 AF barat; F ne m. — 43 A Certes. 



8 PROLOGUE 

52 En douce Plaisance; et s'on dît 

Que li tristes cuers doit mieus faire 
Que li joieus, c'est fort a faire, 
Ne je ne m'y puis acorder. 

56 Car quant Souvenirs recorder 

Fait Pâmant par douce pensée 
La très belle et la bien amée 
A qui il est mis et donnez 

6o Et ligement abandonnez, 

Plaisant ymagination 
Met en son cuer l'impression 
De sa douce plaisant figure 

64 Et dous Pensers qui la figure, 

Dont son fait cent fois embelist : 
Sages est qui tel vie eslist. 

Mais quant li tristes ymagine 

68 La grant biauté, la douceur fine 

De celle qui n'a de li cure, 
Dont li venroit envoisetire, 
Que elle aimme un autre que 11? 

72 Je ne me tien pas a celi, 

Qu*il a tant de dueil et de rage 
Que c'est merveille qu'il n'enrage, 
Ou qu'il ne se tue ou se pent," 

76 Ou que d'amer ne se repent ; 

Si qu'il ne porroit nullement 
Riens faire si joliMnent 
De sa matière dolereuse " 

80 Com li joieus de sa joieuse, 

Pour ce qu'il n'a riens qui l'esgaie 
Ne matière lie ne gaie, 
Et s'a désir et povre espoir 



66 eslist omis dans i4 — yi^lOu— 74^ merucilles r- 79 F 
De la m. — 82 i4 matere <-« 83 F et pour cçspoir. 



PROLOGUE 9 

84 Qui sa doleur empire, espoir. 

Et Musique est une science 

Qui vuet qu'on rie et chante et dance. 

Cure n'a de merencolie 
88 Ne d'homme qui merencolie 

A chose qui ne puet valoir, 

Eins met tels gens en nonchaloir. 

Partout ou elle est, joie y porte ; 
92 Les desconfortez reconforte, 

Et nés seulement de Toîr 

Fait elle les gens resjolr. 

N'instrument n'a en tout le monde 
96 Qui seur musique ne se fonde, 

Ne qui ait souffle ou touche ou corde 

Qui par musique ne s'acorde. 

Tous ses fais plus a point mesure 
100 Que ne fait nulle autre mesure. 

Elle fait toutes les karoles 

Par bours, par citez, par escoles, 

Ou on fait l'office divin 
104 Qui est fais de pain et de vin. 

Puet on penser chose plus digne 

Ne faire plus gracieus signe 

Com d'essaucier Dieu et sa gloire, 
108 Loer, servir, amer et croire, 

Et sa douce mère, en chantant, 

Qui de grâce et de bien a tant 

Que le ciel et toute la terre 
112 Et quanque li mondes enserre, 

Grant, petit, moien et menu 

En sont gardé et soustenu? 

J'ay oy dire que li angles, 
116 Li saint, les saintes^ les archangles, 

98 F seur musique — io3 ^ Ou en fait — 116 F archanges. 



10 PROLOGUE 

De vois délie, seinne et clere, 

Loent en chantant Dieu le père, 

Pour ce qu'en gloire les a mis 
1 20 Com justes et parfais amis. 

Et pour ç'aussi que de sa grâce 

Le voient adès face a face. 

Or ne puelent H saint chanter, 
1 24 Qu'il n'ait musique en leur chanter ; 

Donc est Musique en paradis. 

David li prophètes jadis, 

Quant il voloit apaisier l'ire 
128 De Dieuy il acordoit sa lire, 

Doqt il harpoit si proprement 

Et chantoit si dévotement ^ 

Hympnes, psautiers et orisons, 
i32 Einsi comme nous le lisons, 

Que sa harpe a Dieu tant plaisoit 

Et son chant qu'il se rapaisoit. 

Orpheûs mist hors Erudice 
1 36 D'enfer, la cointe, la faitice, 

Par sa harpe et par son dous chant. 

Cils poètes dont je vous chant 

Harpoit si très joliement 
140 Et si chantoit si doucement 

Que les grans arbres s'abaissoient 

Et les rivières retournoient 

Pour lî olr et escouter, 
144 Si qu'on doit croire sans doubter 

Que ce sont miracles apertes 

Que Musique fait. C'est voir, certes. 

Retorique versefier 
148 Fait l'amant et metrefier, 

145 F soit — 147 AF Théorique ; dans A corrigé en Reto- 
rique. 



PROLOGUE I I 



Et si fait faire jolis vers 
Nouviaus et de mètres divers : 
L'un est de rime serpentine, 

i52 L'autre équivoque ou léonine, 

L'autre croisie ou rétrograde, 
Lay, chanson^ rondel ou balade; ; 
Aucune fois rime sonant i 

1 56 Et, quant il li plaist, consonant ; 

Et li aourne son langage 
Par manière plaisant et sage. 
Car Scens y est qui tout gouverne 

160 En. chambre, en salle et en taverne; 

Dous Penser et bonne Espérance 
Li font avoir douce Plaisance 
Et li amenistrent matière, 

164 Dont il fait a plus lie chiere 

Et de plus joli sentement 
Que cils qui vit dolentement; 
Car joie et doleur, ce me samble, 

168 Puelent petitement ensamble. 

Et quant Nature me commande 
Et li dieus d'Amours, que j'entende 
Aus choses dessus proposées, 

172 Seur l'onneur des dames fondées. 

Bien est raison que je m'aplique 
A faire leur bon plaisir, si que 
Je n'i mesprengne ne mefface. 

1 76 Or pri a Dieu qu'il me doint grâce 

De faire chose qui bien plaise 



HQFEtlif. — i5oFmetre — i52 i4F leolime — 173-175 
Dans F le commencement de ces vers est enlevé; un bout de par- 
chemin^ ajouté plus tard, donne les leçons suivantes: 173 Me 
donne r. — 174 A sa amor bon pi. — 175 Je ne meprengne — 
176 AF dieu qui me d. 



1 2 PROLOGUE 

Aus dames ; car, par saint Nichaise 
A mon pooir, quanque diray, 

1 80 A Tonneur d'elles le feray. 

Car vraîement trop mefferoie 

En cas qu'einsi ne le feroîe. 

Et pour ce vueîl, sans plus targier, 

1 84 Commencîer le Dit dou Vergier. 




LE DIT DOU VERGIER 



Quant la douce saison repaire 
D'esté qui maint amant esclaire, 
Que prez et bois sont en verdour 

4 Et cil oisillon par baudour 

Chantent et par envoiseiire 
Chascuns le chant de sa nature, 
Pour la douçour dou temps serî, 

8 Ou dous mois d'avril le joli, 

Me levay par un matinet 
Et entray en un jardinet 
Ou il avoit arbres pluseurs, 

1 2 Flouris de diverses coleurs. 

Si trouvay une sentelette 
Pleinne de rousée et d'erbette, 
Par ou j'alay sans atargier, 

i6 Tant qu'a l'entrée d'un vergier 

Me fist aventure aporter. 



4 M Et si — b et 6 intervertis dans C — 6 le manque dans E - 
7 E Pour lamour — i6 il' du v. 



14 LE DIT DOU VERGIER 

S'entray ens pour moy déporter, 

Pleins d'amoureuse maladie, 
20 Et pour oïr la mélodie 

Des oisillons qui ens estoient 

Qui si très doucement chantoient 

Que bouche ne le porroit dire, 
24 N'onques homs vivans n'ot tant d'ire 

Que, s'il peust leur chant oïr. 

Qu'il ne s'en deùst resjoïr 

En son cuer et que sans séjour 
28 N'entroubliast toute dolour, 

Tant avoit en euls de delis. 

Et dessus une flour de lis 

Li dous rossignolès estoit 
32 Qui renvoisiement chantoit 

Et s'efiForçoit si de chanter 

Que par dessus tout le chanter 

Des autres oisillons l'oî, 
36 Dont mes cuers moult se resjoî. 

Et quant j'eus 01 le déduit 

Des oisiaus^ tous seus, sans conduit, 

M'en alay parmi le vergier, 
40 Pour ce qu'onques, a droit jugier. 

Nul si très bel veti n'avoie ; 

Car il n'i avoit lieu ne voie 

Qui ne fust semez de flourettes 
44 Blanches, jaunes et vermillettes 

Ou d'aucune estrange colour. 

Si m'abeli tant le demour 

Ou vergier par la grant planté 

23 E Que bonté — 26 ABDEKJ Qui — 29 iC aroit — 3i D 
Estoit li doulz roussignolot ; C roussignoulz — 32 K Qui par 
r.; J Qui par renuoisement -- 34 D tous — 36 E sen ; J me r. 
— 43 KJ sumez — 46 Jlf li d. — 47 B' Du. 



LE DIT DOU VERGIER l5. 

48 Des arbres qu'on y ot planté 

Qui estoient vert et flouri, 

Qu'en un praîelet m'embatî. 

S'ot en mi lieu un arbrissel 
52 De fleurs et de fueilles si bel, 

Si bel, si gent, si aggreable, 

Si très plaisant, si delitable 

Et plein de si très bonne odour 
56 Que nuls n'en aroit la savour. 

Tant fust ses cuers desconfortez, 

Qu'il ne fust tous reconfortez ; 

Et tant estoit de joie pleins 
60 Li lieus dont il estoit enseins 

Et a vëoir si gracieus, 

Si nobles et si amoureus, 

Car, quant je l'os par bon loisir 
64 Resgardé tout a mon désir, 

Je ne say que ce pooit estre 

Fors que le paradis terrestre. 

Et comment que li lieus fust gens, 
68 Assis en sus de toutes gens, 

Delitables et pleins de joie, 

Certes, nul solas n'i avoie ; 

Car a ma gracieuse dame, 
72 Qui a mon cuer, mon corps et m'ame. 

Me fist Amours adès penser 

Loyaument, sans vilein penser. 

Et ce fu drois, qu'onques Nature 
76 En créer nulle créature 

Ne mist si trestoute s'entente. 

Comme a sa douce façon gente. 

48 DKJ quen ; C que — 49 et manque dans E—Si B'DEJKC 
ou milieu; KJ arbretel — 53 F Si dous {correction de seconde 
main) — 54 J si agréable — 58 AEKJD Qui — 60 £ ou il e. en- 
tains — 68 3/ toute — 70 -A/ nulz; K aroie — 76 C En corps de 
n. — 78 £ fachon. 



l6 LE DIT DOU VERGIER 

Car souvereinne est de biauté, 
80 Enrichie de loiauté, 

De haute noblesse parée, 

De scens, d'onneur enluminée ; 

Fine douçour, grâce, pité, 
84 Franchise et debonnaireté 

Rengnent en li ; bonté Taffine 

Et loyal amour la doctrine 

Avec raison et courtoisie. 
88 Ces trois vertus l'ont si norrie 

Qu'elle est de trestoute valour 

Entre les mieudres la millour ; 

De tous est seur toutes prisie, 
92 Et c'est droîs, que je ne cuit mie 

Que Nature qui tout conçoit 

Soutieument si soutive soit 

Qu'onques figurer la sceûst, 
96 Se Dieus proprement n'i eiist 

Mis là main a la figurer ; 

Car Dieus la volt faire sans per 

Seur toute créature humeinne. 
100 De toutes bonnes meurs est pleinne, 

De dous regart, de simple chiere 

Et de gracieuse manière. 

Dieus et Nature l'ont si faite, 
1 04 Car elle est en tous biens parfaite, 

Seur toutes plaisant, nette et pure 

Fors tant qu'elle est vers moy trop dure. 



80 D Encherie — 83 BDEKJ pitié — 85 iC la fine — 86 D 
En — 88 3/ Des; si omis dans Z) — 89 KJ très douce — 90-4 
mieudre; KJ mendres — 91 KJ De t. fais — ,92 C car je; D 
omet que — 93 -E Que créature — 94 FM Soustieument; CE 
Soutiuement ; KJ Soutilment ; D Subtilment {de même dans la 
suite) — 95 J5 Nonques — 97 Z) sa main — 98 BDE veult; C 
voust; KJ vost {de même dans la suite) — io5 Jl/Èplaisans — 106 
BD si dure. 



LE DIT DOU VERGIER IJ 

Vraiement, c'est tout le deffaut 
io8 Qui en son gentil corps deffaut. 

Einsi longuement, sans doubtance, 
Pensay, qu'onques je n'os plaisance 
A chose qu'où vergîer veïsse, 

1 1 2 Par quoy mon penser y tenisse ; 
Car par pensée remiroie 

La grant biauté qui me maistroie, 

Le scens, la valeur et le pris 
1 16 Par qui je sui d'amer espris, 

Et le plaisant viaire dous 

De ma dan^e a qui je sui tous. 

S'estoit mes cuers certeinnement 
1 20 Seurpris si amoureusement 

De joie, quant penser pooie 

Et quant appertement vëoie 

Qu'Amours, pour moy plus amender, 
124 Me fait servir et honnourer 

Loyaument, sans penser folour, 

De toutes les dames la âour, 

Que nuls cuers penser ne porroit 
128 La joie que li miens avoit. 

Mais quant je pensay ensement 

Comment je Taim très loyaument, 

Et elle n'a cure de moy, 
1 32 Einsois me fait peinne et anoy 

Et me fait en dolour languir, 

Pour ce que je Taim et désir, 

Et qu'elle me deust par droit 
1 36 Des biens amoureus orendroit 

107 M sest; D le mefFait — 108 D deffait —m KJ qui ou — 

113 DE Pourquoi — ii3 D Par p. je r. — 119 MBDE Cestoit; 
D mon cuer — 12b manque dans J — 127 KJ Nuls — 128 KJ 
reçoit— 129 C jai pensai; KJ jo pense — i32 Zi asnoy — i33 
BDEKJ a d. — i36 FM ci endroit. 

Tome 1. 3 



l8 LE DIT DOU VERGIER 

Faire aucune joie espérer, 

Et elle me fait desperer, 

Et s'est a tous de dous acueil 
140 Fors a moy qui pour li me dueil, 

J'eus tel doleur, a dire voir, 

Que nuls n'en porroit concevoir 

La moitié toute ne demie, 
144 Non pas la centisme partie ; 

Car tant fui en mon mal pensis 

Que je fui en doleur transis, 

Si que je ne sos ou j'estoie, 
148 Ne bien ne mal je ne sentoie. 

Einsi fui transis longuement 

Sans avoir joie ne tourment, 

Fors tant qu'une joie me vint 
1 5 2 D'une vision qui m'avint 

Si très plaisant, a grant merveille, 

Qu'onques mais ne vi sa pareille. 

Car il m'iert vis que je vëoie 
i56 Ou joli praiel ou j'estoie 

La plus très belle compaingnie 

Qu'onques fust vetie n'oîe. 

La avoit il sis damoisiaus 
160 Juenes, jolis, gentils et biaus; 

Et si avoit sis damoiselles 

Qu'a merveilles estoient belles ; 

Et dessus le bel arbrissel 
1 64 Qui estoit en mi le praiel 

i38 CDE désespérer— 189 Mctsx. a t. le d. a.; D de tous déduis 
a.; KJ Et fait [K a corrigé sest en fest) a tous si d. a. — 142 D 
nui — 144 C centiesme — 145 KJ sui ; D fu — 146 KJ jen sui ; 
E sui ; Z) fu — 147 BDEKJ sceus ; M soy ; C sai — 149 D Âinsois; 
CDJ fu; E sui — i5^ K Que o.; mais manque dans KJ\ DE la 
par. — 1 56 -4 En ; FM prael — 160 D genlis jolis; KJ }, gentilz 
plaisans et b. — 162 Z) Qui m. — i63 3/ aubrissel ; C arbruissel; 
KJ arbrecel. 



LE DIT DOU VERGIER ig 

Se sëoit une créature 

De trop mervilleuse figure ; 

Car nulle goûte ne vëoit ; 
1 68 Et en sa destre main tenoit 

Un dart qui bien estoit ferré 

De fer tranchant et acéré ; 

Et en l'autre avoit un brandon 
1 72 De feu qui getoit grant randon ; 

Et s'avoit pour voler deus eles 

Si belles qu'onques ne vi teles. 

La face avoit clere et moult belle 
176 Et la coulour fresche et nouvelle, 

Et tout le remenant de li 

Estoit de maintien si joli, 

Car on ne porroit souhaidier 
180 Un aussi bel, a mon cuidier. 

S*ot un chappellet de rosettes, 

De muguet et de violettes, 

Par cointise mis en son chief. 
184 Mais encor vi je derechief 

Que tuit li gentil damoisel, 

Qui estoient plein de revel, 

Et les damoiselles aussi, 
188 Tous ensamble et chascun par h, 

Li faisoient feste et honnour 

Comme a leur souverein signour , 

Grâce et loange li rendoient 
192 Et comme leur Dieu l'aouroient. 

Et quant j'eus tout cela veii, 

i65 KCc— 166 BD très (B' rétablit trop) — 171 BD Et en lau- 
tre main un b. ; F comble une lacune au commencement du vers 
par Et de feu en 1. — lyS E voloir — 175 -E a. belle et moult 
clerc — 176 MKJ et vermeille — 178 KJ E. douurage — i83 D 
mise — 184 -4 vis ; D encore vi d. — 186 Ce vers dans B a été ajouté 
au bas de la colonne — 188 3/Jchascuns — 191 et 19a intervertis 
dans AM; AMJ Grâces ; C et loyauté — 192 KSi\M com. 



20 LE DIT DOU VERGIER 

Ymaginé et conceii, 

J'en os en moy moult grant frëour 

196 Pour le feu, doubtance et paour, 

Qu'adès vraiement me sambloit 
Que vers moy lancier le voloit. 
Pour ce ne savoîe que faire, 

200 D'aler avant ou d'arrier traire. 

Mais je m'avîsay toute voie 
Que vers la compaingnîe iroie. 
Pour ce que savoir de leur estre 

204 Voloie, et que ce pooit estre 

Dou damoisel qui se sëoit 
Seur l'arbre et goûte ne vëoit. 

Adont ne demouray je pas, 

208 Einsois vers euls le petit pas 

Tout couvertement m'en alay. 
Et quant je vin près, je parlay 
Et les saluay sans demeure. 

212 Mais cils qui sëoit au deseure 

Seur l'arbre entreprist le parler 
Et encommença a parler, 
Et me rendi si doucement 

216 Mon salu, que le hardement 

Qui estoit en moy tous perdus 
Me fu par son parler rendus. 
Lors li priay je sans attendre 

220 Qu'il me vosist dire et apprendre 

Comment appeller le saroie, 
Car durement le desiroie. 
Et pourquoy il ne vëoit goûte, 



5 K Jeus en moy — 200 K ou arrier — 210 KJ si parlay — 
212 D qui se seoit d. — 214 £ Et commença ; D Et commençai; 
KJ Et com. lors a p. — 2i5 FM moult d. — 216 E hardiement 
— 217 i> tout — 218 Jfnt, 



LE DIT DOU VERGIER 21 

224 Et la signefiance toute 

Dou brandon de feu qui ardoit 

Et dou dart qui ferrez estoit, 

Et de quoy ses eles servoîent, 
228 Et pourquoy cil qui la estoîent, 

Qui estoient bel a devis 

De corps, de façon et de vis, 

Li darrein et li premerein, 
232 Comme a leur signour souverein, 

Feste, honneur et grant révérence 

Li faisoient de leur puissance. 

Et quant je li eus ma prière 
236 Toute ditte en tele manière, / 

Moult doucement me respondi 

Tantost, que plus n'i attendi, 

Que moult volentiers me diroit 
240 Tout ce, ne ja n'en mentiroit. 

Si me commanda que j'olsse 

Ce qu'il diroit et retenisse ; 

Car se retenir le voloie, 
244 A honneur venir en porroie. 

Lors parla gracieusement 

Et dist einsi premièrement : 

« Je sui cils qui a le pooir 
248 De faire le riche doloir 

Et de lui faire dolouser, 

Plaindre, plourer et souspirer 

Et de lui tenir en dangier, 
252 Si que riens ne li puet aidier, 

Ors, ne argens, ne grant richesse, 

Donner, promettre, ne noblesse, 

225 E du feu — 226 D ferre — 227-8 manquent dans J — 227 A 
ces — 228 B' cilz — 23 1 -4 Le d. et le p. — 235 C proiere — 247 
D Je suis cil — 253 BDEKJ Or ne argent. 



22 LE DIT DOU VERGIER 

Grant force ne pooir d'amis. 
256 Ja pour cela ne sera mis 

Hors de mes las, quoy qu'il aveingne ; 

Einsois couvient que de moy veingne 

Sa joie et son aligement. 
260 Et quant il est miens ligement^ 

Sachiez que je puis de legier 

Toutes ses dolours aligier; 

Et si puis le povre acomplir 
264 Son désir et lui enrichir 

De ce dont li riches mendie. 

Et s'ay si noble signourie 

Qu'au monde n'a prince ne roy, 
268 Tant soit ses cuers de grant desroy, 

Durs ou hauteins ou pleins d'orgueil, 

Que ne le face, se je vueil, 

De fin cuer loial sans amer 
272 Cent fois mendre de lui amer, 

Sans ce qu'il en ait ja solas ; 

Eins sera loiez en ses las. 

Ne ja pour scens ne pour avoir 
276 Ne porra de li joie avoir, 

Se de moy ne vient proprement. 

Et si sachiez certeinnement 

Qu'il n'est royne ne contesse 
280 Ne dame de si grant noblesse^ 

Que je ne la fasse doloir 

Et resjoïr a mon voloir. 

Et que, s'il me vient a plaisir, 
284 Que son penser et son désir, 

259 C En joie — 260 DJ mien — 261 BDJ Saches — 263 C li 
poure — 264 M en lui — 265 M Et de ce — 266 J compaignie — 
267 K Queu ; J Quen; J roys — 268 D son cuer ; C en gr. d.; 7 
desroys — 269 KJ Deurs — 272 KJ mendres ; FM de li — 273 -B 
Sans quil; JB' ja ses solas — 274 C liée ; M mes las — 278 D Et 
se sache ; B* J saches ; E Et se face. 



LE DIT DOU VERGIER 23 

Son corps, s'amour et tout son cuer 
A un homme de petit fuer 
Ne li face dou tout donner 
288 Et ligement abandonner. 

« J'ay seur tous cuers humeîns puissance; 

Il sont tuit en m'obeîssance ; 

Je les donne, vueil haut, vuéil bas, 
292 Sans garder raison ne compas. 

Il ne pueent riens contredire 

Que je vueille faire ne dire. 

De deus cuers puis et de deus corps- 
296 Qui seront plein de tous descors 

Et en tous cas seront contraire : 

Feray tant l'un a l'autre plaire 

Que c'iert toute une volenté, 
3oo Une doleur, une santé, 

Uns cuers, uns corps et une vie, 

Une mort, une maladie, 

Uns désirs et une pensée, 
304 Par moy conjointe et atinée. 

« Je puis faire d'un fol un sage, 

Se je le met en mon servage ; 

Car nuls n'iert ja si desapris, 
3o8 Se jel pren, qu'il ne soit apris 

De scens, d'onneur, de courtoisie. 

Et que ne mette s'estudie 

En bien et en toute valeur, 
3 1 2 Et qu'il ne tende a haute honneur. 

Et que deshonneur enhaïr 

290 C tous; BD mobedience — 293 D II ne le pueuent c; C rien 
— 295 cuers manque dans M; et manque dans C— 299 MBDEKJ 
tout— 3oi ABDEKJ Un cuer — 3o3 ABDEKJ Un désir — 304 D 
coniointer a vnee; C et muée — 3o6 K Se il ce met — 3o8 DE 
Se le; -K Se la ; E qui. 



24 LK DIT DOU VERGIER 

Ne vueille et tous vices fuîr. 

Einsî d'un fol desmesuré 
3 1 6 Fais un sage homme amesuré. 

Et si fais le sage mesure 

Trespasser, raison et droiture ; 

Car si tost com je le vueîl prendre, 
320 II ne se puet vers moy deffendre 

Qu'il ne face ma volenté, 

Tant soit pleins de soutiveté; 

Et de tant qu'il iert plus soutis, 
324 Haus, nobles, puissans ou gentils^ 

De tant sera il plus batus, 

S'il est en mes las embatus, 

Et plus estroitement laciez, 
328 Ne sans moy n'en iert deslaciez. 

« Je suis comparez a la mort, 

Car je pren le foible et le fort, 

Que nuls ne m'en puet eschaper, 
332 Qu'il ne le couveingne passer 

Par mes las ou par mi mes mains. 

Mais de cela soiez certeins 

Que j'y ay un bel avantage, 
336 Que j'ay par droit et par usage ; 

Car adès pren je li premiers, 

Et de ce suis je coustumiers, 

Et puis la mort si prent après 
340 Sans riens espargnier loin ne près. 

Mais je ne pren pas a tel guise 

3 14 -4 tout vice — 3i5 BD du fol — 3 16 homme manque dans 
D — 3i7 ef 3i8 intervertis dans D — 317 /> s. meisme — 3i8 /> 
et dottrine — 322 A soustiuete — 323 D tant comme est ; C quil 
pert — 324 E Hault ; J et gentilz — 325 i) sera plus tost batus — 
33o J prenge; D tieble — 33i i) me — 332 D ne mec; Jli — 
335 C Que jay; K Que je ay — 336 manque dans D — 340 C 
Sans e. boys ne prez -- 341 jB en tel g. ; M a la g. 



LE DIT DOU VERGIER 25 

Com fait la mort qui riens ne prise; 

Car puis que j'ay pris mon prison, 
344 Je le met dedens ma prison 

Qui est appellée joieuse ; 

Delitable est et gracieuse. 

La aprent il sans mespresure 
348 De tous biens la bonne apresure, 

Et la parfaite congnoissance 

D'onneur et de toute vaillance. 

Car je le met en la maistrie 
352 De Science qui le maistrie ; 

Cremour et Honte de meffaire 

Et Congnoissance, a lui parfaire, 

Sont ordené et establi. 
356 Ces quatre vertus en oubli 

Ne sont pas pour lui detrier. 

Et encor, pour lui affermer, 

Met j'en son cuer un desirier 
36o Qui d'onneur le met en sentier, 

Et une volenté jolie 

Qui tousjours le semont et prie 

Qu'il soit jolis et pleins de joie. 
364 Biaus dous amis, que te diroie? 

Einsi les prisons que je preng 

En joie et en solas maintieng 

Et les fais a honneur venir; 
368 Mais la mort prent sans revenir. 

Or t'ay je dit, se Dieus me gart. 

De ma puissance une grant part. 

Mais encor te diray je plus, 

342 mort manque dans E — 346 est manque dans E — 348 K 
esprisure; Jespresture; D présure — 35 1 BDE en ma maistrise 
— 352 BDE maistrise — 353 D bonté; KJ mal faire — 357 ^^^ 
doctriner — 359 EJ Mais; E désir; AFBDKJ désirer — 36i 
D En — 364 C diroie je — 365 M Einsis — 368 F mors -r- 369 
C Or te dirai. 



26 LE DIT DOU VERGIER 

372 Se tu vues oïr le seurplus. 

Et si te dîray de mon nom, 
Se tu le vues savoir ou non, 
Je ne te le quier ja celer : 

376 Dieus d'Amours me fais appeller. » 

Quant je vi que c'estoit mes sires, 
Qui des maus amoureus est mires, 
Onques de lui ne m'esloingnay, 

38o Mais devant lui m'ageloingnay, 

Et li requis en souspirant, 
A mains jointes et en plourant, 
Qu'il me vosist reconforter 

384 Dou mal que j'avoie a porter, 

Et que donner meilleur espoir, 
Me vosist, ou de desespoir 
Estoie près ou de morir, 

388 Et qu'il me feïst remerir, 

Se j'avoie riens desservi, 
Ad ce que j'avoie servi 
Ma douce dame simple et coie. 

392 Mais einsi comme a lui parloie, 

Moult doucement me respondi 
Li dieus, que plus n'i attendi, 
Que de ce me responderoit, 

396 Quant li lieus et li temps seroit. 

Lors ne me volt plus escouter, 
Pour ce qu'il me voloît compter 
De tous les autres Tordenance 

400 Et de lui la signefiance. 

Après me dist : « Scez tu pour quoy 



374 KJ tu veulz lé s. ; FD nom — Z^5 D Ne je ne le te quier 
c. ; C le te — 38o KJ Mais humblement li suppliay — 383 M 
resconforter ; E conforter — 384 -^ Ou — 386 KJ car de d. ; de 
manque dans E — 3g5 KJ Qua ce ; D respondroit* 



LE DIT DOU VERGIER 27 

Sans yeus sui et goûte ne voy? 

C'est pour ce que, quant il avîent 
404 Qu'un cuer assener me convient, 

Nulle goûte ne doy vëoir 

Au donner ne a l'asseoir; 

Nulle raison n'i doy garder 
408 Ne nulle chose regarder, 

Biauté, richesse, ne lignage, 

Scens, manière, ne cuer volage. 

Car s'a tels choses regardoie, 
4 1 2 Certes trop grant pechié feroie ; 

Car li meins bel et li meins riche, 

Li povre d'amis et li nice. 

Cil qui ont volenté legiere 
416 Et cil qui ont po de manière, 

Dou tout en tout honni seroient, 

Se de moy oublié estoient ; 

Et s'en seroit trop meins prisie 
420 Ma signourie et amenrie, 

Dont j'aroîe damage grant : 

Car vraiement, d'ore en avant, 

Jamais povres homs n'ameroit 
424 Hautement, car il n'oseroit, 

Dont ce seroit trop grans dommages ; 

Car de tous, c^uanque j'ay d'ommages. 

Tant soient haut, a mon devis, 
428 Je ne suis gueres mieus servis 

Com dou povre qui aimme haut ; 

Car de riens qui soit ne li chaut. 



402 C S. y. fai ; C ni — 404 D asseir — 40 5 FDKJ ni ; D garder — 
406-7 manquent dans D — 408 manque dans KJ — 410 D de cuer 
— 41 1 JP Que ; M chose ; KJ entendoie — 414 BDEKJ damours; 
D li riche — 419 D trop mieus — 42 1 AFC jauroie ; BDEKdom- 
mage — 422 FM or; DE doresenauant — 424 D et il — 426 CE 
tout — 428 K guieres — 429 M Com dun — 480 E quil» 



28 LE DIT DOU VERGIER 

Fors que d'adès considérer 
432 Comment il me puist honnourer. 

Et c'est droîs, quant il recongnoit 

Que de li nulle riens n'estoit, 

Quant premièrement je le pris, 
486 Pour le tenir en mon pôurpris ; 

Et d'autre part, il scet moult bien 

Que toute l'onneur et le bien 

Qu'il a li vient toute de moy. 
440 Pour ce te di en bonne foy, 

Car il me sert, croit, aimme et crient 

Et fait tout ce qu'a gré me vient 

A son pooir de cuer loial, 
444 Honneur quiert et si fuit tout mal. 

« Je nel di pas pour faire pires 

Les biaus, les sages, ne les riches, 

Car on ne les puet esprisier, 
448 Puis que les vueille tant prisier 

Qu'en mon service les maintieng. 

Ne nuls n'est de si fol maintieng 

Que bon nel face devenir, 
452 S'avec moy le vueil retenir. 

Mais je l'ay dit, pour mon propos 

Ravoir, car trop seroie sos, 

Se li sages^ riches et biaus 
456 Sus les povres, nices, loiaus 

Avoient pooir, ne maistrie, 

N'avantage de don d'amie. 

Mais je te fais bien assavoir, 
460 Que tu saches de ce le voir, 

43 1 DEK que ades — 432 D Comme — 433 E Car ; M sest — 
434 D nulles riens — 436 KJ a mon p. — 439 DJ toute li vient 
— 441 /> Que ; et manque dans KJ — 446 M ne dis — 446 D b. et 
sages — 447 B le — 45i DE ne — 454 E fos — 455 E les — 457 
D maistrise — 460 K sachies. 



LE DIT DOU VERGIER 2g 

Que, puis que ce vient a amer, 
Je vueil chascun mon serf clamer, 
Quel qu'il soit, soit contes ou rois; 

464 Et se sachiez tant de mes drois 

Que tout tel droit a li petis 
Comme li haus et li gentils. 
Mais cils qui sert plus loiaument, 

468 Cils a le milleur paiement. 

Et pour cela point ne regarde, 
Quant je preng un cuer en ma garde, 
S'il est parfais ou non parfais. 

472 Mais je te diray que je fais : 

Je regarde la grant franchise 
Qui en li est mise et assise, 
Et comment il vuet sans fausser 

476 En moy servir sa vie user; 

Et puis, selonc ce qu'amer vuet. 
Soit bas, soit haut mettre Testuet, 
Car raison n'y iert ja gardée, 

480 Puis que mise y iert sa pensée. 

Lors le m'estuet énamourer 
Et puis baillier sans demourer 
A ceaus que la voy qui le prennent, 

484 Qui dou tout en tout li aprennent 

Comment il se doit maintenir, 
Puis qu'il vuet a honneur venir. 
Et s'il est povres de biauté, 

488 Je l'enrichi de loiauté. 

De douceur, et li donne grâce 
Qui pluseurs biautez veint et passe. 
Grâce et douceur, ces deus ensamble, 



461 KJ p. reuient a — 462 D pour serf— 463 F Quelz; D quil 
soient ; J soit ou c. ou r. — 464 BDEJ saches — 465 KJ t. tant d. 
— 477 KJ amours — 478 M mestre — 483 B^DKJ vois — 491 -D 
Grâce doucour. 



3o LE DIT DOU yERGIER 

492 Valent bien biauté, ce me samble. 

Et s'il est po riches d'avoir 

Ou d'amis ou de grant savoir, 

Je l'enrichi de loiauté 
496 Et de grant debonnaîreté. 

Volenté li doing d'entreprendre 

Quanque cuers oseroit atendre ; 

Force, hardement d'achever 
5oo Lî doing pour s'onneur eslever. 

Par ces cinc vertus puet conquerre 

Grant avoir et amis acquerre, 

Et par ce science conquiert 

504 De retenir ce qu'il acquiert ; 
Dont li cuers li est revestus 
De ces cinc très nobles vertus. 
Par moy n'est pas trop empirez, 

5 08 Car bien puet estre comparez 

A celui qui tant est puissans 

D'avoir, de lignage et de scens. 

Et s'il a en lui cuer muable 
5 1 2 Ou manière descouvenable, 

Fine amour le dottrinera, 

Et tout son cuer li muera 

Honte et grant désirer de plaire 
5 1 6 A s'amie, pour grâce attraire. 

Cil troi le feront par nature 

Ferme, de manière meure. 

Or as tu oï grant partie 
520 Pour quoy c'est que je ne voy mie. 

Mais encor vueil que tu escoutes : 

Dire te vueil mes vertus toutes. 

493 BDEKJ est trop poures da. — 495 E en surcharge dumilitc 
— 499 M escheuer — 5oi C .vi. vertus — 5o2 C Grant amis — 

505 CDEK cuers (D cuer) qui est — 5o6 C Par ; Mss. ces .vi. t. 
n. y. — 509 KJ luissans — 5ii 3/ si — 5i2 BD En — 5i3 E la 
-^ 5i5 KJ Bonté ; DK désir — 5i8 Af F. et de; C et meure. 



XE DIT DOU VERGIER 3l 

Or met t'entente au retenir, 
524 Car je ne t'en quier ja mentir. 

« Je te di que celle saiette, 

Que je tien, en pluseurs cuers gette. 

Mais nuls cuers ateins ne férus 
528 N'en sont qui ne soient tenus 

Et mis en ma prison joieuse, 

Delitable est et gracieuse^ 

Et qu'amer tous ne les couveingne, 
532 Soit tors, soit drois, comment qu'il prengne. 

Et comment que li fers tranchans 

En soit devers les fins amans. 

Si n'est mie le cop mortel, 
536 Einsois le tesmoingne pour tel 

Que nuls n'en voit la blessetire ; 

On y sent sans plaie pointure 

Douce, plaisant a soustenir 
540 Et delitable a maintenir ; 

Com plus fort point, et plus agrée. 

C'est fins déduis, joie esmerée, 

Qui vient d'une douceur parfaite 
544 Qui tous en déduit les affaite, 

Jusques a tant qu'une chaleur, 

Qui naist d'une amoureuse ardeur, 

De ceste pointure s'engendre 
548 Es cuers qui aimment sans mesprendre ; 

Car chascun d'euls d'amer esprent 

Par Désir qui ce leur aprent. 

Et quant Désirs si les a pris 

523 E mes ; BD a — 524 D Car nen qùier ja a toy m. — 535 M 
li cops mortelz — 537 C voie — 538 CE Ou il ; X On en; J Ou 
en — 539 BDE D. et p. — 540 KJ Pesant tout amant resioir — 
542 A fins désirs; KJ Cest aus amans j. {K avait fins, corr, en 
aus) — 546 K odour — 549 C Car saucuns — 55 1 D qu. dessus; 
Kci. 



32 LE DIT DOU VERGIER 

552 Qu'il sont de la chaleur espris, 

Souvent leur fait coleur muer, 
Taindre, palir et souspirer. 
Et lorsqu'il sont mis en tel point, 

556 Sachiés que je n'y aten point, 

Einsois laisse aler le brandon, 
Que tu ci vois, par abandon, 
Que tout leur esprent doublement 

56o Cuer et corps amoureusement. 

Cils brandons les tient et destreint, 
Le cuer leur art, le corps leur teint, 
Si que raison est oubliée 

564 Et mesure s'en est alée. 

Adont sont il en tel ardure 

Et en pensée si obscure, 

Car uns chascuns d'euls tous vorroit 

568 Sa joie eschever, s'il pooit. 

Mais cils feus ne s'en puet partir, 
Tant que je l'en fais départir ; 
Et quant je voy que li temps vient 

572 Qu'a euls revenir appartient, 

Pour joie d'amours recouvrer. 
Je lais Grâce et Franchise ouvrer 
Et Pitié la très débonnaire. 

576 Ces trois leur donnent tel salaire 

Qu'il reçoivent de jour en jour 
Cent joies pour une dolour. 
Or t'ay je moustré la raison 

58o De la saiette et dou brandon. 



552 D de grant chaleur — 555 BDEKJ est mis — 556 DKJ 
Saches ; Af entens — 558 ci manque dans M — 559 C tout ce leur 
— 56i -P le; D deffraint — 562 E le corps estaiiit — 567 A un 
chascun ; C Car chascuns deulz deulz vous v. ; tous manque dans 
E; D verroit — 568 AD acheuer — 569 D foulz ; £ pot — 571 
D Et que je; J vois — 577 M recouuient. 



LE DIT DOU VERGIER 33 

« Et de mes eles que tu vois 

Dîre t'en vueil a ceste fois 

Par quoy tu en soies certeins. 
584 Saches qu'il n'est nuls si lonteins 

Païs, règne ne région 

Que tuit en ma subjection 

Ne soient souvereinnement 
588 Pour faire mon commandement. 

Si que, quant j'ay les amans pris 

Et dou mal amoureus espris, 

Je les doy souvent viseter 
592 Et de leurs maus réconforter, 

Sans plus faire de guerre don, 

Mais de joie et de guerredon, 

Quant bien et loiaument me servent : 
596 Faire le doy, s'il le desservent. 

Et quant devers euls vueil aler, 

Telement y vois par voler 

Qu'en une heure et en un moment 
600 Vois tout par tout le firmament, 

Pour reconforter mes amis 

Qui en moy tous leurs cuers ont mis. 

Or t'ay de mes eles compté 
604 Le pooir et la vérité. 

Mais de ces nobles damoisiaus 

Qui jouent parmi ces praiaus, 

Et de ces damoiselles gentes 
608 Qui mettent toutes leur ententes 

A moy honnourer et servir 

Te vueil je les noms descouvrir, 

583 DK te V. — 583 D Pour — 584 A: qui — 592 CKJ leur — 593 
et 594 manquent dans C — 594 KJ de j. les guerredon — 595 et 
596 manquent dans F — 596 AÎK le don ; M si le; iC sil me d. 
— 598 C pour — 600 C tout entour — 602 KJ tout leur cuer — 
606 K joient; A preaus — 608 BDE leurs — 610 ^ Je te vueil 
les n. ; D les mains. 

Tome I. 3 



34 LB DIT DOU VERGIER 

Car ja ne te seront celé. 
612 Je te di qu'il sont appelle 

Voloir, Penser et Dous Plaisir, 

Loiauté, Celer et Désir. 

Or t'ay dit les noms sans demour 
616 Des damoisiaus de noble atour. 

Mais je te vueil aussi nommer 

Les noms qui tant font a amer 

Des damoiselles honnourées. 
620 Saches qu'elles sont appellées 

Grâce, Pitié et Espérance, 

Souvenir, Franchise, A ttemprance. 

Par ces douze nobles vertus 
624 Sui j'honnourez et soustenus. 

C'est mes avoirs, c'est mes trésors, 

C'est mes chastiaus, c'est mes ressors. 

Par euls sui sires de mon règne, 
628 Si que par tout le monde règne. 

Or te vueil dire brief et court 

De quoy il servent a ma court. 

« Je te di tout premièrement 
632 Que, quant li homs nouvellement 

Entreprent Tamoureuse vie, 
Il couvient, quoy que nuls en die, 
Que Franche Volenté contreingne 
636 Son cuer, par quoy Tamer empreingne. 

Et quant Frans Voloirs Ta contreint, 
Très Dous Pensers en li empreint 
Par sa force et par sa contrainte 
640 De ce qu'il vuet amer Temprainte 

611 D ten — 6i3 FMC Voloirs pensers — 614 FMC Celers 
— 618 £ sont — 620 FMC Sachiez — 625 KJ Cest mes chas- 
tiaux — 626 KJ Cest mes auoirs ; D et m. r. — 627 A resne — 
634 quoy manque dans M — 635 C Que franchise v. — 636 man- 
que dans D — 638 E empaint — 640 F qui. 



Lk DÎT DÔÛ VERÔIEk 35 

Qui le justice main et tart. 

Adont un amoureus regart 

Et un très dous ris li présent, 
644 Qu'il tient a moult noble présent. 

Lors le tien pris com mon prison 

Dedens ma joieuse prison. 

La ne fait il fors que penser 
648 A sa dame au viaire cler, 

Et la ramembrance a toudis 

Dou regart et dou très dous ris 

Par quoy il a l'amoureus fais 
652 Empris, sans ja estre retrais. 

Et cils Dous Regars en li double 

S'amour et son voloir adouble. 

Einsi Penser et Franc Voloir 
656 Font Pâmant d'amer esmouoir. 

Et Dous Regars en fait la prise, 

Dont je Taim durement et prise. 

Mais Plaisance qui maint cuer maire 
6t)o Fait que riens ne li puet desplaire 

Qu'en mon service puist sentir; 

N'il ne se porroit assentir 

Que nuls amis en amer sente 
664 Amer ne riens qui le tourmente ; 

Einsois tient a fine douceur 

Ce qu'uns autres tient a doleur. 

Einsi Plaisance le soustient 
668 Et en mon service le tient 

Et fait en lui monteplier 

Voloir, Penser et Desirier ; 

641 D qui le contraint et m. — 644 E Qui — 647 il manque 
dans D — 649 a manque dans D — 65o D A dou r. et du doulz ris 
— 65i D Pour — 652 £ E. et a estre r. — 653 J/ Et si ; jKJ la — 
654 C au double — 655 F Pensers et frans voloir — 657 D Et fait 
le doulz regart lemprise — 658 D doucement — 660 D puist — 
663 J amans — > 667 D Aincois — 670 J pensée; AFDK désirer. 



36 LE DIT DOU VERGIER 

Car si plaisanment assaveure 
672 Mes biens que Désirs li court seure. 

« Lors Désirs petit a petit 
Voloir li donne et appétit 
De plus grant joie recouvrer, 

676 S'en dame le pooit trouver. 

Mais einsois la faut desservir 
Et lui laissier moult asservir. 
Car vraiement, ja desservie, 

680 Tant peust dame estre servie, 

Ne seroit de tous les servans 
Qui en ce monde sont vivans. 
Et si est de moult près gardée 

684 Et en moult fort lieu enserrée 

Ceste joie, sans nul séjour, 
Car adès, de nuit et de jour, 
Gardée est de sis adversaires 

688 Qui tuit au donner sont contraires : 

Ce sont Dangier, Paour et Honte, 
Durté et Cruauté, qui donte 
Mains cuers et fait mainte laidure, 

692 Et Doubtance de mespresure. 

Ce sont li sis grief annemi 
Qui sont contraire a l'ami. 

« Or te diray je de Désir, 
696 Quant il vient l'amant assaillir. 



673 biens manque dans C ; D que dessus li — ôyS D Lors desus 
—• 674 et manque dans E — 677 C le ; KJ fait d. — 678 D Et soi 
lessier — 680 Mss, puet; BDEKJ estre dame ; E desseruie — 683 
C de moult riches gardes — 684 C enserres — 688 KJ Qui trop 
sont a donner c; C Qui tout ; BDE sont au donner — 689 C Cest 

— 690 BD Loyauté ; EKJ Loyautez; D qui doubte — 691 CE 
Maint ; D Maint cuer et mainte fait 1. — 698 C Cest; D ennemis 

— 694 M sont au contr. ; D sont contraires aux vrais amis. 



LE DIT DOU VERGIER îj 

Comme il le demeinne et debrise, 

Et comment il l'art et atîse. 

Désirs Tesprent, Désirs Tassaut, 
700 Désirs li fait maint divers saut ; 

Sans froidure le fait trembler 

Et sans chaleur le fait suer; 

Souspirer li fait maint souspir ; 
704 Dementer le fait et gémir ; 

Il Part, il Talume, il Tesprem, 

Et puis d'autre part le reprent, 

Car il le fait pâlir et teindre ; 
708 En ardeur le tient, sans esteindre, 

Qui de plus en plus monteplie; 

Comme mort le tient a la fie, 

Ne ja il ne l'ara si chier 
7 1 2 Qu'il ne le face tout sechier 

Et qu'il ne li toille vigour 

Par sa force et par sa rigour. 

Dont il avient auques souvent 
716 Qu'il le presse si durement 

Que tous désespérez morroit, 

S'Espoirs ou Souvenirs n'estoit. 

Mais Souvenirs li va aidier 
720 Et moult très humblement prier 

Et ramentevoir qu'il repreîngne 

Dous Penser, et qu'il li souveingne 

De la très noble biauté fine 
724 Qui toutes autres veint et fine, 



697 A Com ; KJ Comment ; KJ et brise — 698 C comme ; l 
manque dans M — 699 D Dessus (deux fois) — 700 C m. dur 
assaut; E assaut — 701 D fraidure — 703 D le — job CJ 1 man^ 
que les trois fois — 708 D estraindre — 709 KEt;D de plus 
monteplie en plus — 710 E la.; D tient ou partus — 711 D il 
naura si ch. — 712 D se face ; £ la — yiS E qui ; D que — 7^6 
D Qui — 718 À souuenir — 720 J treshonorablement — 722 K 
qui. 



38 LE DIT DOU VERGIER 

Et dou très gracieus viaire 

Qui dou dous regart le vint traire, 

Et de la manière jolie 
728 Qui en loial amour le lie, 

Si qu'il met dou tout en oubli 

Le désir qui l'a assailli. 

Car Souvenirs l'en met en voie 
732 Par Dous Penser, qui le ravoie 

De penser a la ramembrance 

De la gracieuse samblance 

De celle a cui il est donnez 
736 Ligement et abandonnez. 

Lors y pense si doucement 

Et de si parfait sentement, 

Quant einsi puet bien remirer 
740 Sa dame et H en lui mirer, 

Qu'une gracieuse espérance 

Pour son bien et pour s'aligence 

S'engendre de ceste pensée 
744 Que Souvenirs li a moustrée. 

Et quant il est d'espoir garnis, 

Sachiez qu'il est sains et garis 

Et tous de joie repetis 
748 Pour les maus qu'il a receiis. 

Car Espérance, la seùre, 

Li promet et bien l'asseiire 

Qu'onques biauté si affinée 
752 Ne pot estre sans Pitié née ; 

Et puis que douceur est en li, 

Franchise y doit bien estre aussi ; 

726 KJ Qui dun d. ; le manque dans E — 780 D quil la — 
73 1 C le; E les met — 732 JB la; Z> reuoie — 734 CBDEKJ 
De la tresdouce saoulance — 740 M Sa dame en lui et li m. ; 
AFMKJE et lui en li ; BD et lui en lui — 743 M celle — 746 
BDE garis — 746 BD Saches — 747 D tout; E Et de toute joie 
r. — 749 DE lasseure — 750 K la seure. 



LE DIT DOU VERGIER 3g 

Pour ce ne croiroit a nul fuer 
756 Que Pitié ne fust en son cuer. 

Einsi Espoir le reconforte, 

Qui moult doucement li enorte 

Qu'il soit pleins de bon reconfort, 
760 Car il ara joie et confort, 

Mais qu'il soit loiaus et secrez, 

Dous, humbles, courtois et discrez, 

Et qu'il endure en pacience 
764 Tout ce qui iert a la plaisance 

De sa dame pour qui il vuet 

Auques valoir, se valoir puet. 

Einsi Dous Espoir le garit, 
768 Si qu'en joie et en solas vit. 

« Mais quant einsi énamourez 
Est et d'espoir asseûrez. 
Et il a servi longuement 
772 Et obeï desiranment, 

Ja soit ce qu'en bon espoir vive, • 

Adès Désirs en lui s'avive 
Et Volenté de recouvrer 
776 La joie qu'il ne scet rouver. 

Si que, quant je le voy couart, 
S'il a desservi nulle part 
Des amoureus biens que je doin 
780 Aus fins amans et abandoin, 

Voloirs de joie savourer 
Et très grans désirs d'achever, 
Et ce qu'il ne puet plus attendre 
784 Li font la requeste entreprendre 

Et li donnent le hardement 

jSS BDEKJM croiroie — 756 D soit — 764 BD est; D Tout 
quil est a la p. -* 770 E Et desespoir ass. — 778 bon manque 
dans E — 776 D toit trouuer; J qui ne soit r. — 777 £ la — 779 
BDEKJ Des biens amoureus — 781 ^ Doloir — 783 D De ce. 



40 LE DIT DOU VERGIKR 

De requérir couardement. 
Mais quant il a le don requis 

788 A celle a qui il est acquis, 

Certes, désespérez seroit, 
Si que jamais joie n'aroit» 
Se ces damoiseiles n'estoient 

792 Qui par leur force le resjoient. 

Car cil qui la joie ont en garde 
De ce se prennent si près garde 
Que nuls ne te saroit despondre 

796 Le débat qui est au respondre : 

Car Dangiers orguilleusement 
Respont et despiteusement 
Tout premiers que celle requeste 

800 N'est bonne, belle, ne honneste, 

Eins est outrages et folie; 
Et dit que moult bien emploiie 
Seroit une très grant vergoingne 

804 A celui qui point ne ressoingne 

Si haute joie a demander 
Com celle qu'il devroit garder ; 
Et moult est ore outrecuidiez, 

808 Quant il est de lui tant cuidiez 

Que tels cuide estre et tant valoir 
Com pour la joie recevoir; . 
Et dit qu'assez mieus ameroit, 

812 Qui de ce a chois le mettroit. 

Qu'on le pendist ou traînast. 
Qu'on l'ardist vif ou escorchast, 
Que ce qu'il fust en la saisine 

816 De la joie qui tant est fine. 



787 E acquis — 791 JVf ses — 795 D respondre — 796 D Le 
délit — 800 D bonne ne belle — 802 KJ dist — 807 DE ores; E 
entrecuidies — 809 K Car— 811 M dist — 812 BM mct- 
teroit — 81 3 JE Que ion (sur rature). 



LE DIT DOU VERGIER 4I 

« Après ce Cruautez respont, 

Qui son parler point ne. repont, 

Einsois se débat et raisonne 
820 Si que tous les autres estonne. 

Et dit qu'onques ne fu veiie 

Tel merveille n'aperceUe 

Com dou chetif maleureus 
824 Qui par son cuidier est si preus 

Qu'il cuide la joie emporter 

Que nuls ne porroit raporter; 

Il a ou corps la rage esprise 
828 Que tous les gardiens si po prise 

Qu'il cuide que, par son parler, 

On li laisse la joie aler ; 

Et jure que, se li gardien, 
832 A ce tuit s'assentoient bien 

Qu'il eûst le don et Pottroy 

De la grant joie, ja par soy 

Ne li iert li dons ottroiez, 
836 Mieus ameroit estre noiez. 

Après ce Durtez durement 

Respont et moult crueusement 

Le honteus amant despita, 
840 Car en li dueil et despit a 

De la joie quMl a rouvée. 

Et dit que, s'elle avoit trouvée 

Tel mille joies a denier, 
844 Que, se ja Dieus li puist aidier 

Ne s'il ne puist estre enroez, 

N'iert il ja saisis ne doez 

818 BDC respont — 822 E Telle — 828 DKJ Qui les gardiens 
— 829/) Quic. — 83oyEn — 83i AT jurt — 832 A: A ce tint; 3/ 
asscntoient— 835 BDEJ est — 836 ACE ameroie— 841 D joie 
qua demandée — 843 D Telles mil \,;BEKJM millier — 844 
Z) ja se d. — 845 MDKJ Et; £ Se il; ne manque dans KJ; Ai 
en puist; KJ honnourez — 846 K et doez. 



42 LE DIT DOU VERGIER 

De la plus mendre qu'il aroit, 

848 Se tout le monde H donnoii; 

Et au plus chetif de ce monde 
La joie qu*en douceur abonde 
Ameroit mieus cent fois donner, 

.852 Ce dit, qu'a celui la moustrer. 

« Après, Doubtance de meffaire 

Dit qu'a nul fuer de tel affaire 

Entremettre ne se vorroit, 
856 Et que mieus mourir ameroit 

Que ce qu'elle fust consentans 

Que nuls en la joie partans 

Fust, qui seur toutes est loée 
860 Douce, plaisant et affinée. 

Et vraiement, trop mefiferoit 

Qui au donner s'assentiroit, 

Dont empirie estre y deûst, 
864 Puisque rescousse estre peiist ; 

Car la joie qui n'a grigneur 

Est de si très haute valeur 

Qu'on n'en porroit si po oster 
868 Qu'on ne la feïst empirer 

Et que la flour n'en fust perie. 

Pour ce Doubtance ne vuet mie 

Que nuls homs y doie partir, 
872 Car la flour en feroit partir. 

« Après dient isnellement 
Honte et Paour couardement 
Que deshonnourées seroient, 

852 ACBD que celui — 854 D de celle aff. — 860 FKJC plai- 
sans — 861 KJ mefFeront — 862 KJsl donner sassentiront — s- 
863 BD Donc an pitîe; y manque dans KJ — 865 na manque 
dans J — 866 KJ Et — 867 D ne pourroit — 868 C len — 869 
Jlf ne — 893 C die — 875 M deshonnourez. 



LE DIT DOU VERGIER 48 

876 S'a ce faire se consentoient; 

Car vraiement on le saroit; 

Si qu'einsi la joie seroit 

De tous a tousjours meins prisie, 
880 Et s'en serôit la flour perie; 

N'il n'a ou monde si grant honte, 

Qui bien saroit a quoy ce monte, 

Com de la joie abandonner. 
884 Pour ce ne vuelent accorder 

Que la joie soit ottroiie 

Au fin amant qui en mendie. 

Einsi Paour de révéler 
888 Et Honte de joie donner, 

DurteZy Cruautez et Dangier 

Et Doubtance font eslongier 

L'ami de joie qu'il atent, 
892 Pour qui peinne et doleur a tant. 

Mais quant il ont tuit debatu 

Le don de toute leur vertu 

Et il ont l'amant villené 
896 Villeinnement et ramposné 

Et despité par leur envie 

Com villeins pleins de villenie, 

Sachiez que ces sis damoiselles, 
900 Qui sont juenes, gentis et belles, 

Sont champions et advocas 

Pour l'amant qui est si très mas 

Qu'il est de toute doleur pleins 
904 Pour la doubtance des villeins. 

Car Grâce, ma très chiere amie, 

Va a Dangier, et se li prie 

Qu'il ne soit pas si dongereus 



880 D Si en s. — 883 K la ja ab. — 886 Z) Â — 891 D de la 
joie; M qui — 893 C tout; E tant — 899 BKJ Saches — 901 
ilC champion — 903 D Qui; M toutes doleurs. 



44 LE DIT DOU VERGIER 

908 Au fin amant qui est honteus, 

Et qu'atant se vueille souffrir 

De lui ramposner et laîdîr, 

Et que plus ne ii soit contraires, 
912 Car il est dous et débonnaires, 

Et s'a servi moult humblement 

Et enduré pacienment; 

Et pour le bien qui est en li, 
916 Dit elle, qu'il a desservi 

De la joie moult grant partie, 

Et que mieus seroit emploiie 

En lui qui vuet vivre toudis 
920 Amoureus en fais et en dis 

Qu'en celui qui d'amours porroit 

Son cuer oster, quant il vorroit. 

Einsi de Dangier desloial 
924 Deffent Grâce l'ami loial. 

« Après Grâce, Pitié revient 

Qui moult doucement se maintient, 

Et dit que Cruautez a tort 
928 Qui l'amant vuet mettre a la mort, 

Pour ce qu'il a rouvé le don 

De la joie, car en pardon 

Ne doit mie tousjours servir, 
932 Et qu'il fait mal de retenir 

Son guerredon et son salaire; 

Et encor dit la débonnaire 

Que ce seroit trop grans péchiez, 
936 S'uns amis si bien entechiez 

Com cils est morroit par deffaut 

De la joie qui si tost faut; 

908 C amant qui en mendie — 909 MBDEKJ sen vueiUe — 
919 C vueil — 926 C sagement — 928 E a mort — 929 D quil 
refuse le don — 982 D qui. 



LE DIT DOU VERGIER 4^ 

Car la joie n'est ordenée 
940 Sans plus que pour estre donnée 

Aus amans qui de cuer entier 

Aimment pour leurs corps avancier ; 

Et s'il aimme sans décevoir, 
944 Si doit la joie recevoir. 

Einsi encontre Cruauté 

Deffent Tamant douce Pité. 

« Mais Franchise, la très courtoise, 
948 Dit a Durté sans faire noise 

Qu'il ne se doit point entremettre 

De retolir ne de promettre 

Les dous biens plaisans, savoureus, 
952 Qui sont fait pour les amoureus ; 

Car par Franchise sont acquis 

Et par Franchise départis. 

Et quant départir on les vuet, 
956 Ja Durté venir n'i estuet. 

Cruauté, Dangier ne Paour, 

Honte ne Doubtance d'errour, 

N'on n'i doit nelui appeller 
960 Qui la joie puist destourner. 

Ne par quoy li très dous delis 

De la joie soit amenris. 

Einsi Durté fait foie emprise 
964 De ce faire, ce dit Franchise. 

« Après ce retient Attemprance 
Et Hardemens devers Doubtance 
Qui li dient, sans arrester» 
968 Que nulle riens ne doit doubter 

943 M cil — 95 1 D amoureus — 953 D Quer — gSS D Honte 
doubtance ne reour ; KJ H. et d. — 959 E Nen — 961 C Et; £ 
pourquoy; D le tr. d. — 962 BDEKJC soient; E anientis --> 
964 D Pour — 965 ce manque dans E ; J reuint. 



46 LE DIT DOU VERGIER 

A faire le don de la joîc ; 

Car puis que li amis ottroie 

Cuer et corps tout entièrement 
972 Pour faire le commandement 

De celle en qui la joie maint, 

Et Amours a ce le destraint, 

On li puet donner sans mesprendre 
976 Et doit la Joie, sans attendre. 

Mais on la doit celéement 

Donner et attempréement, 

Quant li lieus et li temps eschiet; 
980 Car cils de s'onneur trop dechiet 

Qui par trop folement parler, 

Ou par mauvaisement celer, 

Ou par sa hastiveté peri 
984 La joie et le bien qu'il dessert. 

u Après, Loyauté sans demour 

Et Cclers vers Honte et Paour 

Viennent moult debonnairement 
988 Et leur dient courtoisement 

Qu'il ne font mie bien a point 

De tenir l'amant en tel point ; 

Car puis qu'il est d'amer espris, 
992 Si qu'il n'en vuet estre desprîs, 

Et il a tousjours loiaument 

Servi et celé sagement, 

On ne doit point paour avoir 
996 De faire vers lui son devoir. 

Ne ce n'est mie honte aussi, 

S'on li donne joie et merci ; 

Eins est honneur et grans vertus, 

969 M le bon — 975 AEt; BDlt — 976 AFB doint — 979 KJ 
li temps et li lieus y chiet — 980 FD cil ; D de souuenir — 98a 
KJ Trop souuent venir ou aler — 983 sa manque dans F — 992 
M Et; MBDKJ ne — 999 FDEKJ grant. 



LE DIT DOU VERGIER 47 

1000 Quant on est au faire tenus. 

Et cestui toudis a esté 

Secrez et pleins de loyauté : 

Si ne li devez faire anui 
1004 Ne de riens estre contre lui, 

Eins li devez la joie tendre 

Que vous volez vers lui defifendre ; 

Car nous le tesmoingnons pour digne 
1008 En tous cas, sans nul mauvais signe. 

Einsi te di je vraiement 

Que Grâce a Dangier se deffent 

Et Pitié contre Cruauté, 
10 12 Si que sachiez en vérité 

Que Cruautez n'a tant pooir 

Qu'il ne le couveingne chëoir. 

Et Franchise ra grant débat 
10 16 Qui contre Durté se combat. 

Et si appertement le tient • 

Que Durtez point ne se soustient. 

Et Attemprance et Hardement 
1020 Tiennent Doubtance fermement, 

Loyauté, Celers a Paour 

Et a Honte font tel estour 

Qu'il ne se pueent plus tenir, 
1024 Qu'il ne les couveingne obeîr 

Au voloir de ces damoiselles 

Que tu vois gentes et îsnelles. 

Lors ces damoiselles leur font 
1028 Jurer que jamais ne seront 

A nul loial ami contraire, 

Ne ne feront riens qui desplaire 

1007 D le tenons— 1008 nul manque dans M — 1012 D ques; 
D/TJ saches— 10 1 5 KJ Fr. y met grant d. — 1016 E Encontre 
— 10 18 ne manque dans D; BDEKJ le soustient — 1021 Jlf et 
paour— 1023 A puelent — 1026 C veiz; C et belles — 1029 
E K my loial. 



48 LE DIT DOU VERGIER 

Leurdoie, ne doleur ne peinne 
io32 Ne que la joie souvereinne 

Jamais ne leur deffenderont. 

Et quant li viilein einsi sont 

Vaincu par leur maie aventure 
io36 Et tourné a desconfiture, 

Ces damoiselles devant mi 

Viennent et m'ameinnent l'ami, 

Et aussi tuit cil damoisel 
1040 Qui sont juene, gent et isnel. 

Si me viennent trestuit prier 

Que la joie vueille ottrier 

A Tami ; et si le tesmoingnent 
1044 Pour tel qu'en lui riens ne ressoingnent 

Qu'il ne soit secrez et loyaus. 

Pleins de tous biens, vuis de tous maus. 

Et quant je puis apercevoir 
1048 Qu'il est dignes de recevoir 

La joie qui est nomparpille, 

Sachiez que, qui vueille ou ne vueille. 

Moult très liement li ottroy 
io52 De la joie don et ottroy. 

Mais c'est toudis sauve l'onneur 

Des dames et sans deshonneur ; 

Car a nul fuer n'ottrieroie 
io56 Joie a nul amant ne donroie 

Dont dame fust deshonnourée; 

Eins vueil que l'onneur soit sauvée 

Des dames, quel part que ce soit. 
1060 Et s'aucuns autrement faisoit, 

io3i D doloir — io33 KJ deffendront, D deffront — io35 E 
leur noble au. — 1037 M Ses — io38 E maintiennent — 1040 
J gentil ynel — 1042 joie manque dans F — 1043 E Que laim 
— 1044 ^ Pour lui que riens — io5i D Mon; E Mon cuer 
tresliement — io53 -B saine Ion. — io56 E deuroie — io58 A 
gardée. 



LE DIT DOU VERGIER 49 

Ja ne seroit tant mes privez 
Qu'il ne fust de ma court privez. 

'( Or t'ay je dont tout descouvert, 
1064 Que je ne t'y ay riens couvert, 

De ceuls que vois en ma présence, 

Qui tuit me font obéissance, 

Les noms, la force, le servise, 
1068 Et si t'ay dit toute la guise 

De moy, et comment li amis 

Est de joie par moy saisis.» 

Quant li dieus m'ot tout cela dit 
1072 Et moustré sans nul contredit, 

Rien me souvint de la prière 

Que faite avoie darreniere, 

Si qu'encor li renouvelay, 
1076 Et humblement prié li ay 

Pour Dieu qu'il me vosist aidier 

Et de mes doleurs aligier, 

Et qu'il vosist le cuer muer 
1 080 De ma dame au viaire cler, 

Par quoy j'eusse aucune aïe 

De li qui me toldra la vie, 

S'endurer me fait longuement 
1084 Ma doleur sans aligement. 

Et qu'il li vosist anoncier 

Comment je l'aim de cuer entier 

Et comment je n'ay nul pooir 
1088 Ne que je ne puis riens valoir, 

io63 BDEKJ du tout — 1064 ^«^ Ne je nen ay riens c; Z) 
ni ti — io65 M voy — 1067 ^ lafaire; EKJ et le — 1071 K 
mot ce dit, corrigé en ot cela dit — 1073 KJ souuient ; K de 
la première — 1074 M fait — 1081 D Pour; D aide — 1082 E 
tandra — 1086 D du — 1087-8 intervertis dans BDEKJ — 
1087 K nul espoir — 1088 A rien. 

Tome I. 4 



5o LE DIT DOU VERGIER 

Se de li proprement ne vient 
Qui a son voloir me maintient. 
Et pour ce que dous le trouvay, 

1092 Encor humblement li priay 

Qu'il me vosist dire le voir 
Que c'est, ne que je puis avoir, 
Quant je vueil faire ma clamour 

1096 A ma dame de ma dolour, 

Je ne la puis araisonner 
Ne je ne puis un mot sonner, 
Einsois pers toute contenance, 

1 100 Scens, vigour, manière et puissance, 

Tant sui dou vëoir esperdus, 
Et tout aussi comme homs perdus 
Sui, ne je ne li puis gehir 

1 1 04 Les maus qu'elle me fait sentir. 

Âdont li dieus me respondi, 
Tantost que plus n'i attendi, 
Que il m'aideroit et diroit 

1 1 08 Tout ce, que ja n'en mentiroit. 

Lors me dist que, se je voloie 
Des haus biens amoureus la joie, 
Qu'il me couvenoit loyauté 

1 1 1 2 Maintenir par neccessité. 

Ne ja li homs qui se mainteingne 
Loyaument, comment qu'il aveingne, 
Ne puet faillir qu'il n'ait secours 

1 1 1 6 De dame, d'amie et d'Amours ; 

Mais il convient que secrez soit, 
Pour celer les biens qu'il reçoit. 
Et qu'il soit secrez esprouvez, 

1 100 E vig. maidc et p.; et manque dans KJ — 1 102 FM tout 
ainssi — woZ E Suis je ne le puis g. ; je manque dans KJ — 1 109 
FD dit — II II K conuenroit — iii3 C ce — 1114 Z> L. quoi 
quil en a. — II i5 AT quil nest s. 



LE Dit DOti VERÛIBR &I 

1 120 Eins qu'il ait les biens savourez; 

Et cils qui en son cuer norrit 

Loyauté, Celer, le délit 

Puet avoir moult legierement 
1 1 24 Qu'il a désiré longuement. 

Lors me commanda que je fusse 

Loyaus, secrez, et que j'etisse 

Mémoire des autres vertus 
1 128 Qu'il m'avoit moustré par dessus, 

Se je voloie ja joïr 

De ce que j'aim tant et désir ; 

Et dist que, s'einsi le faisoie, 
1 1 32 Que de riens ne me mefferoie, 

Et que, se loyal esprouver 

Me pooit et secret trouver, 

Que de ma dame convertir 
n36 Feroît le cuer et adoucir, 

Si que ma doleur cesseroit 

Et ma grant joie doubleroit, 

Et que je seroie aligiez 
1 140 Des maus dont mes cuers est chargiez. 

Mais encor dist il, sans attendre, 

Qu'il me voloit dire et aprendre 

Comment einsi perdus estoie, 
1 144 Quant ma douce dame vëoie. 

Lors me dist qu'il n'est nuls vivans 

Qui soit amis, s'il n'est doubtans ; 

Car on doit sa dame doubter, 
1 148 Et li de courrons eschever, 

N'on ne li doit dire ne faire 

Chose qui li puisse desplaire. 

1120 D ait secret sau. — 11 23 £ moult auoir — 1124 E Ce 
quil ad. — iisS K que fausse — 1139 j& ja oir — ii3o Z> jaim 
ja tant — ii3i que manque dans KJ — 11Z6 E Feroie — ii38 
A grant dolour — 1 141 il Mais einsois — 1146/) Quil. 



52 LE DIT ÛOU VERGIER 

« Et pour c'iés tu einsi péris 
1 152 De scens et de force amenris 

Et perdus.de manière toute, 

Quant tu la vois, car tu as doubte 

Que tu ne doies faire ou dire 
1 1 56 Chose qui ta besoingne empire. 

Et d'autre part ton grant désir, 

Quant tu pues sa douceur veïr, 

Te navre, t'assaut et destreint, 
I i6o Et le pooir de toy si vaint 

Qu'il te convient ou cuer couvrir 

Ce que tu cuides descouvrir. 

Et Biautez dont elle est garnie 
1 164 Et Amours qui t'a en baillie 

Te font la chose entroublier 

Que tu li voloies compter. 

Et quant tu la pues vis a vis 
1 168 Regarder tout a ton devis. 

Tu ne scez qu'il t'est avenu 

Pour la biauté qui t'a féru, 

Ne tu ne scez quel part tu iés 
1 172 Pour l'amour dont tu iés loiés. 

Et avec ce tant iés honteus 

Devant li et si paoureus 

Qu'aucune personne ne sache 
1 176 L'amour qui en ton cuer s'atache, 

Et que ne soies perceiis, 

Dont estre puisses deceUs, 

Que cela dou tout bestourner 
1 180 Fait ton voloir et destourner 

Le hardement que tu avoies 

I i3i ^ ainsi pris — iiSg A tassaut te destraint — 1 160 CDE 
KJ Qui... scn vaint — 1162 AMCEKJ Et — ii63 BD De — 
1 163 KJ tel chose — 1 169 t manque dans K — 1 170 C sa biaute 
— 1 175 -E Chascune — 1 176 F en son cuer — iiyjKJ Que ne s.; 
CBDEKJ apperceus — 1,180 FBK Fait tout voloir; C bestourner. 



LE DIT DOU VHRGIER 53 

Ou cuer, quant dire li voloies; 

Car Bontez, Biautez et Amour, 
1 184 Honte, Paoui* et Grant Douçour 

Te font par leur noble victoire 

Perdre scens, manière et mémoire. 

Or t'ay je dit et devisé 
1 1 88 Tout ce que tu m'as demandé. 

Maintenant plus ne t'en diray. 

Tu demourras; je m'en iray; 

Mais je t'apenray au partir, 
1 192 Se tu vues aus dous biens partir 

Et estre garis de tes maus, 

Que secrez soies et loiaus». 

Einsi li dieus se départi, 
1 196 Qui de joie me reparti, 

Pour ce qu'il me moustra la voie 

Comment maintenir me dévoie. 

Et einsi comme il s'en vola, 
1200 Tous li biaus arbrissiaus crosla, • 

Si qu'adont la froide rousée 

Est seur mon visage avalée, ' 

Que li dieus y fîst' dechëoir 
1204 Par la force de soil mouvoir. 

Et quant je senti la froidure 

Qui chut de dessus la verdure, ' 

Elle me fîst tout tressaillir, 
1208 Si qu'a moy me fist revenir 

Et mist hors dou transissement 

Ou j'avoie esté longuement. 

1182 BDEKJ En; Z) le — ii83 E Car biaute bontés et a. — 
1 188 F corrige en mas deuise — 1 193 AM de telz m.; D de tous 
m. — 1 194 F soiez — 1 197 me manque dans D — 1201 I> Quer 
adonc; E Si que dont — 1202 DE Et — i2o3 y vnanque dans 
D; KJ dieus il fit — 1206 JK cheoit dessus; C chuit ^ raoQ 
KJ hors de t. 



54 LH DIT DOU VERGIER 

Et quant a moy fui revenus, 
1212 Certes, je fui tous esperdus 

Et si fui en moult grant effroy, 

Car je regarday entour moy 

Et de tout cela riens ne vi 
1216 Que veû avoie et oy. 

Mais adès bien me ramembroie 

Que li dieus dist, se je voloie 

Venir a mon entendement, 
1220 Que toudis souvereinnement 

Loiaus, secrez en tous cas fusse 

Et que bonté en moy eusse. 

Et pour ce toudis maintenir 
1224 Vueil bonté et moy maintenir 

Loyaument, tant com je vivray, 

Car mis en Amours mon vivre ay 

D'une volenté si très vraie 
1228 Que ja, pour nul mal que j'en traie 

Ne pour nul bien, n'en partiray : 

Plus chier mon cuer a partir ay- 

Et quant mes cuers en partiroit, 
1232 Helas! li las, quel part iroit? 

Certes, il le faudroit partir, 

Se de li se vëoit partir, 

Car autre nulle en li ne part 
1236 Fors celle qui en tous biens part. 

Pour ce n'en quîer faire partie, 

Car trop seroit grief départie 

De ma très douce dame chiere 
1240 Qui par sa gracieuse chiere 

Me fait amer très chierement^ 

1214 C regardoy — I2i5 AC rien; E vey — 1216 C Quanoie 
vcu et oy — 1218 Z> dit que se v. — 1221 KJ en tous temps — 
1222 C loyauté — 1224 AFM et ma main t.; C et mon cuer t. 
— 1226 D mise; E amour — 1287 A et ne q. — i238 manque 
dans D. 



LE DIT DOU VERGIER 55 

De loial cuer si chîerement 
Qu'elle est vers moy seul enchierîe, 
1244 Et s'est seur tous de moy chierîe, 

Qui tant raim, pris, serf et tien chier 
Que ja ne m'en -quier destachier. 
Et vraîement, se bien savoie 
1 248 Qu'en son dous service morroie, 

Et que bien peUsse garir 
D'un autre, s'aim je mieus morir 
Dessous son gracieus voloir 
1252 Que de nulle autre joie avoir. 

Or est a ce faire ordenée 
Ma volenté et atournée, 
Et j'aussi sui a ce tournez, 
1256 Q'envers Amours sui si tournez 

Que nulle riens ne me destourne 
Que tousjours, quel part que je tourne, 
Mes cuers ne preingne son retour 
1260 Vers ma dame au plaisant atour 

Qui fait mon cuer mettre et tourner 
A li servir, sans retourner. 
Pour ce Tameray loyaument 
1264 Et serviray celéement 

Com vrais amis loyaus, parfais, 
Qui vueil et par dis et par fais 
Dou tout en tout son voloir faire 
1 268 Et li honnourer sans meffaire 

Jusques a mon definement 
De bon cuer si très finement 



1245 C Que — 1246 K dastachier — i25o K Dune — i25i 
BDEKJ grac. dangier; B' corrige en voloir— i252 KJ Que 
dune (-^dame) autre joie espérer; D nul; E autre acointier — 
1253 C Ore — i255 j manque dans KJ;D Et aussi je sui — i256 
manque dans D — iib-j E m\ — i25S KJ que je soie — 1262 Mss. 
lui — 1264 D secrètement — 1266 BD veult — 1268 J cnnou- 
rer — 1270 E De mon cuer. 



56 LE DIT DOU VERGIER 

Qu'einsoîs sera mes corps fînez 
1 272 Et mes cuers li très affinez 

Partis en deus pars, que je fine 

D'amer de loyal amour fine 

Lî et s'onneur, de cuer si fin 
1276 Qu'elle me mettra a ma fin, 

S'elle n'est de tele fin née 

Et par Pitié si affinée 

Que le mal face definer, 
1 280 Qui Paour me fait definer. 

Einsi jamais ne fineray; 

Car plus chîer a definer ay. 

Et toudis je vueîl endurer, 
1 284 Tant comme je porray durer, 

Son très dous voloir, sans mesprendre, 

Humblement, et de cuer attendre 

Le don qui m'a esté promis 
1288 Dou dieu, se je sui vrais amis, 

Qui dessus tous est pleins d'onnour. 

Pour c'en doubtance et en cremour 

Vueil ma douce dame obeîr, 
1 292 Servir, celer, et sans partir 

Vivre en son amoureus dangier. 

Cifenist le Dit dou Vergier. 

1272 MB'E si tresaff. — 1275 KJ et honnour— ï2jS AFMDEK 
Que — 1280 manque dans J; B defuier — 1282 D a finer — 1286 
E H. de cuer et at. — 1289 D et plain. 



LE JUGEMENT DOU ROY 
DE BEHAINGNE* 



12 



Au temps pascour que toute riens s'esgaie, 
Que la terre de mainte colour gaie 
Se cointoie, dont pointure sans plaie 

Sous la mamelle 
Fait Bonne Amour a mainte dame belle, 
A maint amant et a mainte pucelle, 
Dont il ont puis mainte lie nouvelle 

Et maint esnaay, 
A ce dous temps,' contre le mois de may, 
Par un matin cointement m'acesmay, 
Com cils qui très parfaitement amay 

D'amour seûre. 



r, F.... du bon roy de b.; M..,, dou bon roy de beghaigne 
dont dieus ait lame; B Le temps pascour. Le titre manque dans 
Rf mais on lit à VExplicit Jugement damours. 

I Z> En; £ Ou; /^ toute gent ; les vers 1-Z25 manquent dans 
K — 2 j& Et que — ^ R Sus — y R ont prins; D ont pis; J 
mainte joie n. — 9 B*EJR En; FME de moy — 10 C mache- 
minti; R massenay ^ 11 R Comme celui qui parf. amay. 



5^ LE JUGEMENT DOU ROY DE BBHAINGNE 

Et lî jours fu attemprez par mesure, 

Biaus, clers, luisans, nés et purs, sans froidure. 

La rousée par dessus la verdure 
|6 Resplendissoit 

Si clerement que tout m'esbioîssoit, 

Quant mes regars celle part guenchissoît, 

Pour le soleil qui dessus reluisoit. 
20 Et cil oisel, 

Pour la douceur dou joli temps nouvel. 

Si liement et de si grant revel 

Chantoient tuit que j'alay a l'appel 
34 De leur dQus chant. 

Si en choisi en Tair un voletant 

Qui dessus tous s'en aloit glatissant : 

« Oci! oci! » Et je le sieui tant 
28 Qu'en un destour, 

Sus un ruissel, près d'une belle tour, 

Ou il avoit maint arbre et mainte flour 

Souëf flairant, de diverse colour, 
32 S'ala seoir. 

Lors me laissay tout bellement chëoîr 

Et me coiti si bien, a mon pooir, 

Sous les arbres, qu'il ne me pot vëoir, 
36 Pour escouter 

Le très dous son de son joli chanter. 
Si me plut tant en oir déliter 



i3 E attremprc — 14 C Biaus clers ncs luisans sans fr.; E 
sans ordure; P purs et nez — i5 J? Et la — 17 J me bleuissoit — 
18 J regardoit — 20 FMC Et si ; DJR Et li — 21 J joli chant 
n. — 22 P Si doucement — 2 3-25 effacés dans F — 25 E ch. 
un en my lair volant — 26 tous manque dans D; J ajoute (d'une 
autre main) : Â haulte vois en son doulz chant disant — 27 */ et 
le sut tant — 3i ii diuerses — 32 Z> Salay veir — 33 D cheir — 
34 E Et moy couuri ; B'J quati ; R boute — 35 E Dessoubz ; FM 
aubres; D quon — 37 EJ tresdous chant — 38 i? Si me pris 
lors si fort a d. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNB Sq 

Son dous chanter, que jamais raconter 
40 Ne le porroie. 

Mais tout einsi, com je me delitoie 

En son très dous chanter que j'escoutoîe, 

Je vi venir par une estroite voie, 

44 Pleinne d'erbette, 

Une dame pensant, toute seulette 
Fors d'un chiennet et d'une puceiette ; 
Mais bien sambioit sa manière simplette 

48 Pleinne d'anoy. 

Et d'autre part, un petit loing de moy, 
Uns chevaliers de moult très noble arroy 
Tout le chemin venoit encontre soy 

52 Sans.compaingnie ; 

Si me pensay qu'amis yert et amie. 
Lors me boutay par dedenç la fueillie 
Si embrunchiez qu'il ne me virent mie. 

56 Mais quant amis, 

En qui Nature assez de biens a mis, 
Fu aprochiez de la dame de pris, 
Com gracieus, sages et bien apris 

60 La salua. 

Et la dame que pensée argua. 

Sans riens respondre a li, le trespassa. 

Et cils tantost arrière rappassa, 

64 Et se la prist 

Par le giron, et doucement li dist : 

a Très douce dame, avez vous en despit 

39 E En son doulz ch... recorder — 41 FD aussi — 42 i4 jes- 
coute — 47 J5 s. a sa chiere simpl. ; C m. seulete — So A Un 
cheualiers; E tresbel — 53 R Lors mauisay ; P mapensai — 54 
R Si; J par dessouz — 55 AF embunchiez ; BR embuschez ; 
CDP embuschiez; E embuschie — 57 Jn. but assez de b. mis; 
E des b. ot mis ; BDP bien — 58 J dame gentilz — 5g E Comme 
courtois — 60 P Le — 61 AFBE qui — 62 E riens rendre a lui 
— 63 R cellui ; J arr. tantost si r. — 64 P le — 66 J Douce. 



60 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAÏNGNE 

Le mien salut ? » Et quant elle le vît, 

68 Se respondî 

En souspirant, que plus n'i attend! : 
« Certes, sire, pas ne vous entendi 
Pour mon penser qui le me deffendî ; 

72 Mais se j'ay fait 

Riens ou il ait villenîe ou meffait, 
Vueilliez le moy pardonner, s'il vous plait. » 
Li chevaliers, sans faire plus de plait, 

76 Dist doucement : 

« Dame, il n*affiert ci nul pardonnement, 
Car il n'y a meffait ne mautalent; 
Mais je vous pri que vostre pensement 

80 Me vueilliez dire. » 

Et la dame parfondement souspire 

Et dist : « Pour Dieu, laissiez m'en pais, biau sire; 

Car mestier n'ay que me faciez plus d'ire 

84 Ne de contraire 

Que j'en reçoy ». Et cils se prist a traire 
Plus près de li, pour sa pensée attraire, 
Et li a dit : « Très douce débonnaire, 

88 Triste vous voy. 

Mais je vous jur et promet par ma foy, 
S'a moy volez descouvrir vostre anoy, 
Que je feray tout le pooir de moy 

92 De Tadrecier ». 

Et la dame l'en prist a mercier, 

Et dist : « Sire, nuls ne m'en puet aidier, 



67 J elle loyt — 71 £ P. le penser — 73 J Chose ; A villonnie 
— 78 P a courrous ne — 79 £ quen — 83 B' C moy en paix ; J 
1. mestre; biau effacé dans 5' — 83 J Que nay mestier; E que 
plus me f.; dire manque dans D — 84 Cdu — 85 CEP je rec; 
C prent — 86 R Près délie pour; FM de soy ; E pour son pense; 
F pense — SyREt si lui dist — 90 Z) Se vous veuUes ; /? Se me 
voulez — gA- E me ; C puist. 



LE JUGEMENT ÛOU ROY DE BEHAINGNE 6l 

Ne nuls fors Dieus ne porroit alegier 
96 La grief dolour 

Qui fait paiir et teindre ma colour, 

Qui tient mon cuer en tristesse et en piour, 

Et qui me met en si dure langour 
100 Qu'a dire voir 

Nuis cuers qui soit n'en porroit plus avoir ». 

— « Dame, et quels maus vous fait si fort doloir ? 
Dites le moy; que je cuit recevoir 

104 Si très grief peinne, 

Si dolereuse, si dure, si greveinne. 
Si amere, que soiez bien certeinne. 
Il n'est dame, ne créature humeinne, 

108 Ne n'iert jamais, 

Qui tele peinne endurast onques mais ». 

— (( Certes, sire, je croy bien que tel fais 
Ne portez pas a vo cuer que je fais. 

1 1 2 Pour ce sarez 

Ma pensée qu'a savoir desirez. 

Mais tout avant, vous me prometterez 

Que sans mentir la vostre me direz ». 

116 — « Tenez, ma dame : 

Je vous promet par ma foy et par m'ame 
Que le penser qui m'esprent et enflame 
Et qui souvent mon cuer mort et entame 

1 20 Vous gehiray 

De chicf en chief, ne ja n'en mentiray ». 



95 EJ ne me {J men) puet; FC aligier — 96 DJ grant — 99 
me manque dans D — loi R Nuls corps; AE ne — loa Z> que 
maulz; C font — io3 BPR car — 104 I> tresgrant — io5 MDEJ 
et si gr. •— 106 P Et si; £ Si tresamere ; EJ que bien soyes — 
107 CPR Quil; J ame — iio J je say bien — m •/ en cuer 
comme je f.; EPR com — 1 13 JPR que — 1 14 J auant ce vous 
me prometres; me manque dans D — 11 5-6 manquent dans F 
(parchemin déchiré) — ii5 -E moy — 119 C mon cuer souuent; 
J mort mon cuer — 121 P De mot en mot» 



62 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEMAINGNS 

— « Certes, sire, et je le vous diray ». 

— « Or dites donc ; je vous escouteray 
124 Moult volentîers ». 

— « Sire, il a bien set ans ou huit entiers, 
Que mes cuers a esté sers et rentiers 

A Bonne Amour, si qu'apris ses sentiers 

1 28 Ay très m'enfance. 

Car dès premiers que j'eus sa congnoissance, 
Cuer, corps, pooir, vie, avoir et puissance 
Et quanqu^il fu de moy, mis par plaisance 

i32 En son servage. 

Et elle me retint en son hommage 
Et me donna de très loial corage 
A bel et bon, dous, gracieus et sage, 

1 36 Qui de valour, 

De courtoisie et de parfaite honnour 
Et de plaisant maintien avoit la flour, 
Et des très bons estoit tout le millour. 

Î40 Et s'ot en li 

Gent corps faitis, cointe, apert et joli, 
Juene, gentil, de manière garni. 
Plein de tout ce qu'il faut a vray ami ; 

144 Et d'estre amez 



123 Af et je vous e.; P et je lesc. — laS Z) .vu. ou .viii. ans — 
127 F que après; BDEJC si qua ses s.; B' corrige en si qua- 
prans ses s. •— 129 Z) de premier; E depuis ce; J je oy — i3o 
C Cuers; P Mon cuer mon cors vie...; pooir manque dans J ; 
auoir manque dans C; EJ auoir vie {J et) puissance — i3i •/ 
quanque fu; C mais par pi. — 1 33 J me reçut ; J seruage, corr, 
en hommage— i35 E A bon et bel; D a bon a gr. — i38 eMSg 
intervertis dans C — i38 F auoir la fl. — i39 manque dans J (ta 
lacune est indiquée avant le vers i38); R Entre les bons estoit 
tous dis meliour; E de tresbon; tout manque dans D — 140 R 
Et sont en lui — 140-143 manquent dans J — 142 E Jeusne 
joieux — 143 P Et de tout; E que ; MCDP qui. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEMÂINGNE 63 

Par dessus tous estoit dignes clamez, 

Car il estoit vrais^ ioiaus et secrez, 

Et en trestous fais amoureus discrez, 
148 Et je Pamoie 

Si ioîaument que tout mon cuer mettoie 

En li amer, n'autre entente n'avoie ; 

Qu'en li estoit m'esperance, ma joie 
i52 Et mon plaisir, 

Mon cuer, m'amour, mon penser, mon désir. 

De tous les biens pooit mes cuers joïr 

Par li vëoir seulement et oîr. 
i56 Tous mes confors 

Estoit en li ; c'estoit tous mes depors, 

Tous mes solas, mes déduis, mes trésors ; 

C'estoit mes murs, mes chastiaus, mes ressors. 
160 Et il m*amoit, 

Par dessus tout me servoit et cremoît ; 

Son cuer, s'amour, sa dame me clamoît ; 

Tous estoit miens ; mes cuers bien le savoit; 
164 Ne riens desplaire 

Ne li peûst qui a moy detist plaire. 

De nos deus cuers estoit si juste paire 

Qu'onques ne fu Tun a l'autre contraire; 
168 Einsois estoient 

Tuit d'un acort ; une pensée avoient ; 

De volenté, de désir se sambloient ; 

Un bien, un mal, une joie sentoient 
1 72 Conjointement, 

145 B tout ; tous manque dans M — 146 C vrais et loyaus •— 
147 D En; CEJ en tous fais; P en tous cas; FMB et discret 
[B' a effacé et) — i5o Af amer autre — i5i J En lui; CBDJP 
et ma joie — i53 J mi désir — 154 J? De trestous biens — 157 
J E. trestous cest. — ibS J Touz mes déduis cestoit tous mes 
trésors; D Tout ; D mon déport — i5g C mes murs ma tour et 
mon resors — 161 CEKJ tous; P toutes — i63 JKP siens — 166 
E est. tout une p. — 169 Tuit manque dans M ; DP Tout — 170 
KJ de dit ce restambl.; P sassembloient. 



64 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNB 

N'onques ne fu entre eaus deps autrement, 

Mais c'a toudis esté si loiaument 

Qu'il n'ot onques un villein pensement 
176 En nos amours. 

Lasse, dolente I Or est bien a rebours ; 

Car mes douceurs sont dolereus labours, 

Et mes joies sont ameres dolours, 
180 Et mi penser. 

En qui mes cuers se soloit déliter 

Et doucement de tous maus conforter, 

Sont et seront dolent, triste et amer; 
184 En obscurté 

Seront mi jour, plein de maletirté, 

Et mi espoir sans nulle seurté. 

Et ma douceur sera dure durté ; 
188 Car sans faillir 

Teindre, trambler, muer et tressaillir, 

Pleindre, plourer, souspirer et gémir, 

Et en paour de desespoir frémir 
192 Me couvendra; 

N'a mon las cuer jamais bien ne vendra, 

N'a nul confort n'a joie n'ateindra, 

Jusques atant que la mort me prendra, 
196 Qui a grant tort 

Par devers moy, quant elle ne s'amort 

ijS Ene furçnt eux deux — 174 KJ Âins a este; P Âinz a tou- 
diz este ; AKJ este toudis ; D tousiours; E M. a l,— iy5 manque 
dans KJ, ajouté plus tard dans J {par une seconde main) — 177 
EJ au reb. — 179 «/ joie ; E mes grans joies; KJ agues dolours 
— 180 D mon — 182 KJ de ses maus — i83 C Souuent se- 
ront; ME seront dolour — i85 C Seront un jour — 186 ^ 
securte — 187 KJ ma dolour; KJ dure adurte — 189 JE Crain- 
dre tr. muet — 191 £ paour de sespoir — 1^2 E Moy — igS E 
Ne jamaiz bien en mon cuer ne v. ; D Namais du cuer ja mes 
bien ne v.; KPR nauendra — 194 KJ Ne nul confort de joie nat- 
tendra; P Ne., ne; E Ne. . ma joie nattendra ; DP nattendra — 
195 la manque dans J» 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 65 

A moy mordre de son dolereus mort, 
Quant elle m'a dou tout toUu et mort 

200 Mon dous ami 

Que j'amoie de fin cuer et il mi. 
Mais après li, lasse ! dolente ! eimy ! 
Ne quier jamais vivre jour ne demi 

204 En si grief dueil, 

Eins vueil mourir dou mal dont je me dueil. » 
Et je qui fui boutez dedens le brueil 
Vi qu'a ce mot la dame au dous acueil 

208 Chel com morte. 

Mais cils qui fu de noble et gentil sorte 
Souventes fois li deprie et enorte 
Moult doucement qu'elle se reconforte ; 

2 1 2 Mais riens ne vaut, 

Car la dame que grief doleur assaut 
Pour son ami sent un si dur assaut 
Qu'en li vigour et aieinne deffaut. 

216 Et quant il voit 

Que la dame pas ne l'entent ne oit, 

Tant fu dolens qu'estre plus ne pooit ; 

Mais nonpourquant tant fait que bien perçoit 

220 Qu'elle est pasmée. 

Lors en sa main cueilli de la rousée 
Sus l'erbe vert ; si l'en a arrousée 
En tous les lieus de sa face esplourée 

224 Si doucement 

199 manque dans R •— 201 KJ que ja. loiaument — 202 li man 
que dans D — ao3 E vivre jamais — 304 si manque dans F; EKJ 
grant — 2o5 manque dans KJ — 206 P fui répons; J dessouz le 
br. — 207 C cesl mot; D de bel acueil ; KJ ajoutent : De descon- 
fort de doleur et de dueil — 209 et manque dans BC, rétabli par 
B'; KJ et gente force — 212 EK ni — 2i3 CDE qui — 214 
manque dans C; E font — 2i5 C Qui la vigour; E si faut— 217 
E ooit — 218 KJ porroit — 219 K Et; D non obstant; KJ fait 
{J et) appercoit — 220 D paumée -^ 222 a manque dans Z) — 223 
je:PÇar; KJ ycus. 

Tome I. 5 



66 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Que la dame qui avoit longuement 
Perdu vîgour, scens et entendement 
Ouvri les yeus et prîst parfondement 

228 A souspirer, 

En regretant celui qui désirer 

Li fait la mort par loiaument amer. 

Mais cils qui ot le cuer franc sans amer 

232 Dist : « Dame chiere, 

Pour Dieu merci, reprenez vo manière, 

Vous vous tuez de faire tele chiere, 

Car je voy bien que moult comparez chiere 

236 L'amour de li. 

Si n'aiez pas le cuer einsi failli, 

Car ce n'est pas preus, ne honneur aussi. » 

— « Vous dites voir, sire ; mais trop mar vi 

240 L'eure et le jour 

Qu'onques amay de si parfaite amour, 
Car je n'en puis eschaper par nul tour; 
Eins y congnois ma mort sans nul retour. » 

244 — « Dame, or oiez 

Ce que diray et a mal ne Paiez : 
N'est merveille se vous vous esmaiez. 
Car bien est drois que dolente soiez. 

248 Mais vraiement 

On trouveroit plus tost aligement 
En vostre mal qu'en mien ». — « Sire, et com- 

[ment? 
Dites le moy, et de vo sairement 

252 Vous aquitez. » 



229 KJ qui souspirer — 23o KJ par lardanment amer — 
233 C dieu a mercy; P rchtntz — 235 KJ que trop comp.; 
D que vous comp. — 23y M ainssi le cuer — 238 KJ nest preux 
bien ni honneur — 239 DEKJ mal vi — 243 nul manque dans 
E -— 245 KJ ne soiez — 246 CBDEKJR Nest pas meru. — 247 
KE Âins est bien drois — 249 KJ En ; D Ou •— 25o £ quou 
mien; KJ sire comment — 2bi E vostre; R vostre serment. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 67 

— « Moult voulentiers, mais que vous m'escoutez, 
Et que vo cuer de tristesse gettez, 
Par quoy toute vostre entente mettez 
256 A moy oïr. » 

— a Certes, sire, po me puis resjoïr. 
Mais j'en feray mon pouoir, sans mentir.» 

— « Dont vous diray quels maus j*ay a sentir, 
260 Sans plus attendre : 

Dame, très dont que je me sos entendre, 
Et que mes cuers pot sentir et comprendre 
Que c'est amer, je ne finay de tendre 
264 A estre amez ; 

Si que lonc temps, pour estre amis clamez, 
Eins que mes cuers fust assis ne donnez 
N'a dame nulle ottroiez n'assenez, 

268 A Bonne Amour 

Par maintes fois fis dévote clamour 

Qu'elle mon cuer asseïst a l'onnoùr 

De celle en qui il feroit son séjour, 
272 Et que ce fust 

Si que loange et gloire en receQst 

Et que, se ja mes cuers faire peiist 

Chose de quoy souvenir li detist 
276 Ou desservir 

253 D mes se vous — 264 KJ Dame et vo cuer de tr. 
estez — 255 D Pour; KJ Aflfin que toute; E trestoute — 256 
CP En — 257 C men; M esjoir — 258 C je feray — aSg E 
diray je; C quel mal; D quel; E que — 261 E D. depuis; P 
treslors — 262 C sot; P savoir et c; FMBDK ne compr. — 
263 P Questoit amer ; KJ ciert; DEKJ damer; KJ datendre ; R 
Quest vraye amour mes mon cuer sans reprendre — 267 C Na 
nulle dame; KJ A; D ne donnes; KJ nagraiez — 268 C Na — 

269 E Fis m. f. devottement cl. — 271 D mon séjour; son man- 
que dans C — 273 E et grâce — 274 que manque dans R; BD 
se jamais cuers (D cuer; B' corrige en que jamais mes cuers); 
KJ que mon cuer se ja f. sceust; R si pcust — 275 jfiC«/ Chose a 
son Yueil qui plaire li deust — 276 £r En ; KJ Ne. 



68 LE JUGEMENT DOU *ROY DE BEHAINGNE 

Nul guerredon de dame par servir, 
Qu'en aucun temps li deingnast souvenir 
De moy qui vueil estre siens, sans partir, 

280 Toute ma vie. 

Tant qu'il avint qu'en une compaingnie 
Ou il avoit mainte dame jolie, 
Juene, gentil, joieuse et envoisie, 

284 Vins par Fortune, 

Qui de mentir a tous est trop commune. 
Si en choisi entre les autres Tune 
Qui, tout aussi com li solaus la lune 

288 Veint de clarté, 

Avoit elle les autres seurmonté 

De pris, d'onneur, de grâce et de biauté, 

Et tant estoit humble et simple, a mon gré, 

292 Car, a voir dire, 

On ne porroit en tout le monde eslire 
Sa pareille, ne tous li mons souffire 
Ne porroit pas, pour sa biauté descrire 

296 Parfaitement. 

Car je la vi dancier si cointement 
Et puis chanter si très joliement. 
Rire et jouer si gracieusement, 

3oo Qu'onques encor 

Ne fu veii plus gracieus trésor. 
Car si cheveus ressambloient fil d'or 
Et n'estoient ne trop blont ne trop sor ; 

278 P En; KJ li deust s. — 281 qu manque dans E — 283 
KJ J. g. de manière garnie — 285 EP est a tous— 286 M autre; 
CDEKP une — 287 EKJ ainsi — 288 ABD V. la cl. ; R Veu que 
de cl. — 289 E Par auoit ; K celle ; D toutes les autres — 290 
E do. de senz; et manque dans KJ — 291 £ Tant fu h. — 292 
EKJP Quau voir dire — 298 KJ En — 294 C La; iB par. tres- 
tôut le m. ; D eslire — 295 KJ a sa b. — 298 très manque dans 
E — 3o2 Car manque dans KJ; F cil ch. ; B' cilz ch.; KJ filz ; 
£ a fin or ^ 3o3 E Et si ne. ; D blanc. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 69 

304 Son front estoît 

Blanc et poli, ne fronce n'i avoit, 
Sans vice nul,compassé si a droit 
Que trop large n'estoît, ne trop estroît ; 

3o8 Et si sorcil 

Qui estoient de taille très gentil 
Dessus le blanc sambloient un noir fil, 
Dont il fussent prisié entre cent mil. 

3i2 Mais si dui oueil 

Qui de mon cuer vorrent passer le sueil 
Par leur rigour et par leur bel accueil, 
Pour moy donner le mal dont je me dueil, 

3 16 Furent riant, 

Nom pas moult vair, pour estre plus poingnant 
Et plus agu, dous, humble et attraiant, 
Tous pleins de las pour loier un amant 

320 En amour pure; 

Et s'estoient clungnetant par mesure, 
Fendus a point, sans trop grant ouverture, 
Tout acquérant par leur douce pointure ; 

324 N'a l'entrouvrir 

Ne se peiist nuls homs qui soit couvrir 
Qu'en mi le cuer ne l'alassent ferir, 
S'il leur pleûst, et pour euls retenir. 

328 Mais leurs regars, 

Merci donnant par samblant, aus musars 
N'estoit mie folettement espars ; 



307 manque dans J; E Que point trop 1. ; FMB larges — Sog 
E Aussi est.; C taille si gentil — 3io Z> sembloit; C sembloient 
bien voir fil — 3ii D furent — 3i2 J Et — 3i3 D vouloient — 
314D Pour 1. acueil et pour leur rigour; KJ Par leur regart — 
3 17 JKP trop veir; D pou vair; E pour plus cstre — 319 P 
pour lacier — 32i D ciinans tant; K clinent et p. m.; J clinet 
et p. m. — 323 KJ Tous — 325 ^JNe sapcrceust— 326 D Que 
mi; le manque dans E — 327 B' remplace la leçon de B eux par 
lui — 329 KJ au — 33o CB'DEKJPR Nestoient; KJ pas. 



70 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car quant lancier voloit un de ses dars, 
332 Si sagement 

Le savoit faire et si soutivement 

Que nuls savoir nel peûst bonnement, 

Fors cils seur qui il chëoit proprement. 
336 Net, odorant, 

Lonc et traitif, de taille bien sëant 

Avoit le nés au viaîre aflferant ; 

Car il n'estoît trop petit, ne trop grant. 
340 Mais sa bouchette. 

Petite a droit, vermillette, grossette, 

Toudis riant, savoreuse, doucette, 

Me fait languir, quant mes cuers la regrette. 

344 Car qui Toïst 
Parler a point, et rire la veîst, 

Et les douceurs par saveur recueillist, 
Il la prisast seur toutes et deïst; 

348 Que deus fossettes 

En sousriant faisoient ses joettes 
Qui estoient blanches et vermillettes 
Pour embelir, et un petit grassettes. 

352 Et encor plus : ' 

Les dens avoit blans, sarrez et menus. 
Et ses mentons estoit un po fendus, 
Votis dessous et rondez par dessus. 

356 Mais a merveille 

33 1 D vouloit lancer — 333 KJ Le voloit; EKJ si tressubtil- 
ment — 335 KJ il venoit — 336 KJ Et; DE Nés; WP Nez; M 
Nef eudourant — 33; CEKJP traitiz; KJ bien faisant — 338 C 
aufferrant — 339 B ne trop petit — 341 CDEP et gross. — 342 
E samoreuse ; CDP et doue. — 342 et 3^3 intervertis dans E — 

345 a point manque dans D; D ou rire; C et si ne la veist — 

346 P la douceur; KJ par sauoir — 349 E En son riant; K En 
soulz riant -— 35o i? Qui moult est. ; M blanche — 35 1 et man- 
que dans EP\ P petitet : CJP grossetez ; E crassetes — 352 KJ 
Encore — 353 C ot blans; D blanches; E et serrez; C serrez et 
menues — 3b/^E Son mentonnet; C un petit f. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 7I 

Fu sa couleur, des autres nompareille, 

Car elle fu vive, fresche et vermeille, 

Plus que la rose en may, eins qu'on la cueille, 

36o Et, a briés mos. 

Blanche com noif, polie, de bîau gros 

Fu sa gorge, n'i ot fronce ne os ; 

Et s'ot biau col dont je la pris et los. 

364 Aussi est drois 

Que je parle de ses bras Ions et drois 
Qui cstoient bien fais en tous endrois ; 
Car elle avoit blanches mains et Ions dois. 

368 A mon devis 

Avoit le sein blanc, dur et haut assis, 
Poingnant, rondet, et si estoit petis, 
Selonc le corps, gracieus et faitis. 

372 Sans nul mestret 

Avoit le corps par mesure pourtret, 
Gent,XQi.nt^ joli, juene, gentil, grasset, 
Lonc, droit, faitis, cointe, apert et graillet. 

376 Très bien tailliez 

Hanches, cuisses, jambes ot, et les piez 
Votis, grossez, bien et bel enjointiez. 
Par maistrise mignotement chauciez. 

38o Dou remenant 

Que pas ne vi, dame, vous di je tant 
Qu'a nature tout estoit respondant, 

357 C autre separeille ; P despareille — SSg KJ en moy quant 
on la c. — 362 ^JOt la gorgete ; E gueorgete — 363 C biau corps; 
C le — 364 M Aussis — 365 E parole — 366 KJ Quelle auoit ; 
E estoient faiz en trestous endrois; J en t. droiz — 367 MCEKJ 
Et si — 369 blanc effacé dans D; dur manque dans C — 372 CDKJ 
mal trait — 373 KJ joli rondelet et crasset — 374 apert manque 
dans E; et manque dans D — 377 CBDR Blanches; R cuissettes; 
C et jambes; E Auoit les jambes et autressi les pies — 378 E gras- 
ses ; KJP bel et bien entailliez; C entailliez — 379 E Et par 
maistrie; KJ Par mesure — 38 1 EKJ vous diray t. (KJ dire) — 
383 B* Que par nature; C toute; KJ estoit tant r.; P estoit fait r. 



72 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Bien fassonné et de taille excellent. 

384 Et ce seurplus 

Dont je ne vueil maintenant dire plus 

Devoit estre sans comparer tenus 

A plus très dous et a plus biaus que nuls. 

388 Délié cuirien 

Blanc et souëf avoit, sus toute rien 
Resplendissant, si qu'on si mirast bien ; 
Vice, tache n'i avoit fors que bien. 

392 Douce et serrée 

Avoit la char, tendrette de rousée. 
Mais de manière humble et asseurée 
Et de très biau maintien estoit parée. 

396 Et vraiement, 

Tant fu belle, que je croy fermement, 
Se Nature qui tout fait soutilment 
• En voloit faire une aussi proprement, 

400 Qu'elle y faurroit 

Et que jamais assener n'i saroit, 
Se l'exemple de ceste ci n'avoit 
Qui de biauté toutes autres passoit. 

404 Et se vous di 

Qu'onques encor en ma vie ne vi 
Corps de dame si très bien assevi . 
Mais elle avoit quatorze ans et demi 

408 Ou environ. 

Si que, dame, quant je vi sa façon 



383 KJ De la [K sa) façon et de t. plaisant — 384 Z) E de s.; 
EKJ Et du s. — 385 ne manque dans F — 387 DE An; D au; 
KJ doulz que veoir peust nus. — Sgi E Vilte chaste ny; P ne 
tache — 392 E sucrée — 393 D plus tendre que r. ; EKJ tendre 
comme {KJ com); P com — 394 C simple et acesmee — 397 E 
Tant par fu — 398 K Que; J Que se \ D tant — 399 C une faire — 
400 fî' Elle — 401 KJ Ne; E pourroit — 402 E lexemplaire — 
4o3 E encores —406 E Si gentilz corps ne si bien asseruy— 409 
E ma dame. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 78 

Qui tant estait belle sans meffaçon^ 
Dedens mon cuer la douce impression 

412 De sa figure 

Fu telement empreinte qu'elle y dure, 
Ne onques puis n'en parti, dont j'endure 
Meinte doleur et meinte durté dure. 

416 Et sans doutance, 

Eins que partis fusse de sa présence, 
Dedens mon cuer se ficha si Plaisance, 
En remirant sa douce contenance, 

420 Que sachiez bien, 

Se j'eusse l'avoir Otheviën, 
Et scetisse le scens de Galiën, 
Et avec ce tuit li bien fussent mien, 

424 Je tout etisse 

Guerpi par si, que vëoir la petisse 
A mon voloir ou que faire scetisse 
Chose a son vueil, dont plaire li detisse. 

428 Mais Fine Amour 

Qui vit que pris estoie par le tour 
De Plaisance qui m'ot mis en sa tour, 
En remirant son gracieus atour, 

432 Sans menacier 

Un dous regart riant me fist lancier 

Par mi le cuer, et moy si enlacier, 

Qu'il me sousmist en son très dous dangier, 

436 Sans repentir. 

Si me plut tant cils dangiers a sentir, 

410 manque dans «7 ~ 413 KJ De sa douce t. — 41 3 C que el 
dure; y manque dans £ — 416 KJ peine dure — 421 Z) Que se; 
KJ otinien ; M dothonien — 422 P Et si ; ^ Et se eusse ; CK 
tout le sens galien ; J Et avec ce sceusse tout le sens galien -^ 
423 E tous les biens; CP tout; J Et tuit li bien du monde f. — 
427 et 428 effacés dans F^ 427 D De chose faire donc, peusse ; 
C mon vueil ; KJ que plaire ; M li pleusse — 480 i? Et ; £ si 
mot — 43 1 CKP En regardant; K precieus — 437 E ce dan- 
gier; C li dangier; DKJ son dangier. 



74 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE" 

Quant cils regars se deingnoît assentîr 
A descendre seur moy, que, sans mentir, 

440 Je ne savoîe 

Qu'il m'avenoit ne quele part j'estoîe ; 
Car scens, vigour et manière perdoie, 
Si durement par ses yeus me sentoie 

444 Enamourez. 

Adont désirs d'estre de lî amez 

En mon cuer fu si très fort enflamez 

Que puis m'en suis cent fois cbetis clamez 

448 En souspîrant ; 

Car tel doleur sentoie en désirant 
Que ma vigour en aloit empirant 
Et meint penser avoie, en remirant 

452 Son dous viaire ; 

Car volentiers li alasse retraire 
Comment de cuer Tamoîe, sans retraire. 
Mais la paour d'escondire ce faire 

456 Me deflfendoit; 

Et d'autre part Bel Acueil m'appelloit, 
Son Dous Regart riant m'asseûroit, 
Et Dous Espoirs doucement me disoit 

460 En loiauté 

Et m'afifermoit qu'onques si grant bîauté 
Ne pot estre, qu'il n'i eUst pité. 
Si m'ont ciltroi tant dit et enorté 

464 Que toutevoie 



438 D Que; E son regart; KJP ses regars; M mt à,\ D dai 
gnast — 439 E car s. m. — 441 C Qui me menoit; E quelque 
part; M quel part ou jest. — 442 D manière et vigour — 443 K 
Tant; D ces —-445 C Adonc cuiday estre de li amez — 446 C Et; 
E fui — 447 P Que men sui puiz — 449 E doucour — 450 E 
ûloie; D aloit en empirant — 45 1 £ en désirant — 454 KJP du 
cuer — 455 Z) desconfire — 457 E maccueilloit — 458 KJ masa- 
uouroit — 459 E moy — 463 E Si ne pourroit estre qui ny — 
463 C Si moult ; K si troy ; E les trois. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 7 b 

Je m'acorday que m'amour lî diroîe. 
' Helas ! einsi tous seuls me debatoie. 
Mais quant mes maus retraire li cuidoîe, 

468 Si paoureus, 

Si veins, si mas, si las, si engoisseus, 
Si desconfis, si tramblans, si honteus 
Estoit mes cuers et dou mal amoureus 

472 Si fort espris, 

Qu'en li n'avoit scens, manière, n'avis, 
Einsois estoit com transis et ravis, 
Quant bien vëoir pooie vis a vis 

476 Sa biauté pure. 

Lors estoit mors d'amoureuse morsure 
Mes cuers et poins de joieuse pointure 
Et repeiis de douce nourreture 

480 Par Dous Penser 

Qui ma doleur faisoit toute cesser 
Et garison me faisoit espérer. 
Einsi souvent avoie pour amer 

484 Joie et tourment. 

Si demouray en ce point longuement. 
Une heure liez et l'autre heure dolent, 
Qu'onques n'osay requerre aligement 

488 De ma dolour. 

Mais nompourquant grant destresse d'amour, 
Ardant désir, la crueuse langour, 
Ou j'avoie demouré par maint jour, 



465 EP donroie — 466 PJ tous seulz ainsi — 467 E vouloie 

— 469 P Si vils; E si mas si mors; P dolereus — 478 DKJ 
Quen moy ; CP sens mesure na. — 474 K estoie — 476 K Que 

— 477 C Lors yere — 478 E damoureuse — 479 et 480 effa- 
cés dans F — 481 J Que — 483 E Ains; D auoir — 485 K 
La ; C demourra — 486 CP et autre ; E et une autre dolent ; KJ 
et une autre en tourment; D lautre h. tresdolent — 487 D 
Onques; CKJ ne soy ; D acquerre — 489 KJ la destr. — 490 E 
Dardant ; KP désir et crueuse 1 . — 49 1 j manque dans C. 



76 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

492 Son bel acueil, 

Espérance de terminer mon dueil, 

Sa grant biauté, si dous riant vair oueil, 

Et ce qu'en li n'avoit goûte d'orgueil, 

496 Le hardement 

De requerre merci couardement 
Me donnèrent ; si li dis humblement, 
Moult tresmuez et paoureusement : 

5oo a Ma chiere dame, 

Vostre biauté mon cuer art et enflame, 

Si que seur tout vous aim, sans penser blâme, 

De cuer, de corps, de vray désir et d'ame. 

504 Si vous depri. 

Douce dame, qu'aiez de moy merci ; 
Car vraiement, je morray d'amer ci, 
SetTe vo cuer, qui a le mien nerci, 

5o8 N'ay aligence. » 

Et quant einsi li os dit ma grevance, 
Un pou muer vi sa douce samblance, 
Ce me fu vis; dont je fui en doubtance 

5 1 2 D'estre escondis ; 

Mais ses regars m'assetiroit toudis. 
Et sa douceur, et son gracleus ris, 
Si que par euls encor fui enhardis 

5 16 Dédire : a Helas! 

Gentil dame, pour Dieu, n'ociëz pas 
Vostre loial ami, qui en vos las 



492 F Mon — 493 KJP vueil — 494 D La ; £ vert — 495 D 
Et pour ce que li — 497 A requérir — 499 K cresmeuz ; J tres- 
meuz — 5oi KJ art mon cuer; P entame — 5o2 E Si que seruir 
vous vueil sanz p. bl. ; DKJP tous — 5o5 KJ Gentilz dame aiez 
— 5o6 E damour — Soy de manque dans D; KJ nourri — 5ii 
AFM je fu; E je sui; vis manque dans KJ — 5 14 CKv\s — 5i5 
AFDKJ ÎM\ £: sui — 517 BD nobliez. 



LB JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 77 

Est si laciez qu'il en pert tout solas 
520 Et toute joie. » 

Lors se treî vers moy la simple et coie, 

Pour qui Amours me destreînt et maistroie, 

Et dist : « Amis, certes, riens ne vorroie 
524 Faire a nelui, 

Dont il eûst grevance ne anui; 

Ne l'en ne doit faire chose a autrui 

Qu'on ne vosist que Ten feïst a lui. ' 

528 Et, biaus amis, 

Il n'est nuls biens qui ne soit remeris, 

N'il n'est aussi maus qui ne soit jaunis. 

Si que, s' Amours vous a d'amer espris, 
532 Son guerredon 

Vous en rendra en temps et en saison. 

Se vous l'amez sans penser traîson. 

Et s'elle vous trouvoit autre que bon, 
536 Ne doubtez mie 

Qu'elle ne fusi vo mortel anémie, 

Ne que jamais garison ne aie 

Vous fust par li donnée, n'ottroïe 
540 De vos dolours. 

Si qqe, biau sire, alez devers Amours, 

Si li faites vos plains et vos clamours; 

Car en li gist vos mors et vos secours, 
544 Nom pas en moy. 



big D Est enlacies; AÎEKJP tous -^ 52i C Et lors se traîst; 
KJP traist (J treist); M traihi — 622 P Par; EKJ amour — 525 
J ny — 526 KJE Ne on; C doit riens faire a a. — 527 E Que 
on voudroit; EP que on — 53o KJ aussi nul mal ne soit p. — 
53i D que damours — 532 MCKJP Bon — 533 E rendre — 534 
P Se le seruez; KJ lamer — 535 J Et elle; C trueue; D 
trouuast — 538 £ garnison — 539 CDE donne — 540 BD amours ; 
C dolour — 541 CP Pour ce — 542 E Et si li f.; ^ Et li f.; P 
plaintes et cl. — 543 A vos mort; P vo mort; KJ vo maux; 
FMC ou vos sec; J ou v. dolours. 



78 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Et pas ne suî cause de vostre anoy, 
Ce m'est avis, si que souffrir m'en doy. 
Plus ne vous say que dire, en bonne foy : 
548 Adieu vous di. » 

Adont de moy la belle se parti 

Qui de si grant doleur me reparti 

Que par un po que mes cuers ne parti 
532 De son départ. 

Mais la douceur de son plaisant regart 

Par son dous art fist que j'en os regart ; 

Qu'au départir de moy, se Dieus me gart, 
556 Si doucement 

Me regarda qu'il m'iert vis proprement 

Que ses regars me disoit vraiement : 

« Amis, je t'aim très amoureusement. » 
56o Si que je fu 

Tous confortez par la noble vertu 

De ce regart qui puis m'a tant valu 

Qu'il m*a toudis norri et soustenu 
564 En bon espoir. 

Et s'il ne fust, certeinnement j'espoir 

Que je fusse cheus en desespoir, 

Mais riens qui soit ne me feïst doloir, 
568 Quant ses regars 

Esioit seur moy en sousriant espars, 

545 C Ne; £ Qui; F suis — 546 E pour ce souffrir — 547 CP 
Rien ne v. say plus dire — bbo E Qui si très grant; D men parti ; 
CP départi — 55i £ po le mien cuer; KJ po li cuers {J le cuer) 
ne me parti — 554 ^^ fis ; C fist que vostre regart — 555 E Au 
partir; C Que au partir; KJ Quant départi — 556 E Car si 
d. — 557 J met vis — 558 D proprement — 56o D jen — 562 
C qui tant ma puis valu ; EP qui puiz ma tant valu ; KJ 
trop valu — 563 E Que toudis ma n.; P tous jours — 567 KJPC 
qui fiist; P fist tant d. — 568 ses manque dans D ; CP espars — 
56q KJ Estoient; P Quant sur moy ert ; KJ moy et souuent et 
esp. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 79 

Si que, ma dame, einsi de toutes pars 
Me confortoit et aidoit ses regars 
572 De ma dolour. 

La demouray tous seuls en grant f'rëour, 
Si qu'en pensant commensay son atour, 
Sa grant douçour, sa colour, sa valour 

576 A remirer, 

Son biau maintieng, son venir, son aler, 
Son gentil corps, son gracieus parler. 
Son noble port, son plaisant regarder, 

58o Et son viaire 

Qui tant estoit dous, humble et débonnaire 
Que de toute biauté fu l'exemplaire. 
Et quant j'eus tout remiré son affaire, 

584 Certes, j'avoie 

Moult grant déduit et moult parfaite joie. 

Et pour très boneûreus me tenoie. 

Pour ce, sans plus, que loiaument Tamoie. 

588 Si que depuis 

A li servir sui si tournez et duis, 

Qu'en li servir s'est mis tous mes déduis, 

N'autre labour ailleurs faire ne puis. 

592 Si la servi, 

Amay, celay, doubtay et obeî 

Moult longuement, que riens ne me meri. 

Mais en la fin tant Tamay et chieri 



570 et 571 intervertis dans KJ — 570 K aussi ; M toute — 571 
D et ait ses r. ; K ardoit — bjS J errour — 574 E en penser — 
575 KJ gr. valour sa douceur sa colour — 58 1 dous manque 
dam E; D humble douz; et manque dans J — 582 E Et; KJ 
bonté; P fust; 1 manque dans KJ — 583 E retraitie — 585 D 
Mon — 586 KJ a tresbien eureuz; D tresbien — 587 D ce que 
sans plus loy. — 589 KJ Â lui amer ; K îu; JP fui — 590 KJ 
fu mis ; E ay mis ; P seruir estoit tous — 592 P le — 593 CP 
doubtay celay — 594 KJ men. 



8o LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

596 Qu'elle vît bien 

Que je tendoie a s'onneur et son bien, 
Et que mes cuers l'amoit seur toute rien ; 
Si que tant fis qu'elle me tint pour sien 

600 En tel manière 

Que de bon cuer riant, a lie chiere, 
Me dist : « Amis, vesci t'amie chiere 
Qui plus ne vuet envers toy estre fiere ; 

604 Qu'Amours le vuet, 

Qui de bon cuer acj ce faire m'esmuet. 
Et vraiement, estre autrement ne puet; 
Car moult grant chose a en faire Testuet. 

608 Pour ce m'amour 

Avec mon cuer vous doin, sans nul retour; 
Si vous depri que vous gardez m'onnour. 
Car je vous aim dessus tous et honnour. » 

612 Et quant je vi 

Que ma dame m'appelloit son ami 
Si doucement, et que le dous ottri 
M'avoit donné de s'amour, sans nul si, 

616 Se je fui liez, 

Douce dame, ne vous en mervilliez. 
Car j'estoie devant desconsilliez, 
Povres, perdus, despris, et essilliez, 

620 Sans nul ressort, 

Quant je failloie a son très dous confort. 
Mais recouvrez, ressuscitez de mort. 
Riche au dessus, pleins de grant reconfort, 

597 CEKJ son. a son bien — 601 C Que de moi riant; ^ du 
bon ç,'y P cuer loyal a lie ch.; JE a bonne chiere — 6o5 KJ me 
sueust — 606 E Et pour ce questre — 607 E Et quainsi faire le 
mesteut; KJ a ce faire — 608 E Du tout mamour — 610 et 611 
intervertis dans D — 610 /) pri — 611 D sus — 6i5 de manque 
dans D ; D fi — 616 AFMBDC Si ; C Si fu moult liez ; iî Je fu 1. 
^ 618 J Car cstoie — 621 /) son dous^- 623 /) confort ; MJ des- 
confort. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 8l 

624 Et sans anoy 

Fui, quant me dist : « Amis, a ti m'ottroy 
De très bon cuer. » Et ce très dous ottroy 
Cent mille fois me fist plus grant qu'un roy ; 

628 Si que la joie 

Ne porroit nuls raconter que j'avoie. 
Car tant fui liez que je ne l'en pooie 
Remercier ne parler ne savoie. 

632 Mais en la fin, 

Com fins loiaus amoureus, de cuer fin 
Espris d'amer, sans penser mal engin, 
Moult humblement li dis, le chief enclin, 

636 Et sans effroy : 

« Dame que j'aim plus qu'autre, ne que moy. 
En qui sens, temps, cuer, vie, amour employ. 
Tant com je puis, nom pas tant com je doy, 

640 Vous remerci 

Dou noble don de vo douce merci. 
Car tant m'avez puisamment enrichi, 
Tant resjoi; si gari, tant meri, 

644 Que vraiement, 

Se quanqu'il a dessous le firmament 
Et quanqu'il fu et sera, quittement 
Me fust donnez pour faire mon talent, 
648 Je ne l'amasse 

Tant de cent pars, que je fais vostre grâce. 
Si pri a Dieu que jamais ne mefface 

625 DEP toy ; C a ce — 626 DEK et de ; KJ tresbon arroy — 
627 KJ fist greigneur quains roy ; £> que roy — 63o P sauoie — 
63 1 P pooie — 633 KJ Com fu loial — 634 et 635 intervertis dans 
£ — 635 P doucement — 636 J esroy — 637 M autrui — 638 E 
c. bien a.; P vie et amour; cuer manque dans KJ] KJ vie a mort 
employ — 640 D Tant; KJ}q vous mercy — 641 3/ noble merci 
— 642 E richement ; J noblement — 643 KJ si ame si gari — 

645 a manque dans D; P il est — 646 KJ quanque fu — 647 
E Mestoit donne -- 649 P cent tans ; MBEK com je fais — 65o 
CM prie; C que je jamais ne face; Pique jamez rien ne face. 

Tome I. 6 



82 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Chose envers vous qui nostre amour efface, 

652 Et que vo vueil 

Puisse acomplir, einsi corn je le vueil 
Faire, humblement, sans hautesse, n'orgueil. 
Car, se je puis, assez mieus que ne sueil, 

656 Vous serviray 

Très loiaument de cuer et ameray, 

Et vostre honneur en tous cas garderay. 

N'en dit, n'en fait, n'en penser ne feray 

66o Chose envers vous, 

N'envers autrui dont vous aiez courrons ; 
Einsois serez ma dame et mes cuers dous, 
Mes dieus terriens, aourez dessus tous; 

664 Et sans doubtance. 

Se je fais riens contre vostre plaisance. 

Ne dont vos cuers ait courrons ne grevance. 

Sachiez de voir que c'iert par négligence. 

668 Ma dame, einsi 

La merciay com vous avez oï, 
Dou noble don de sa douce merci. 
Et elle aussi me jura et plevi 

672 Moult durement 

Qu'a tous jours mais m'ameroit loiaument. 
Sans moy guerpir et sans département. 
Einsi regnay en joie longuement, 

676 Que je n'avoie 

Nulle chose qui fust contraire a joie, 



65 1 manque dans J; E que; CDEK vostre ; K mefface — 652 
£ Si — 653 C aussi com je sueil — 654 P dorgueil — 657 E et 
de cuer a. — 659 E diz nen fais — 661 D autre; KJ aucun — 
663 K Mais; KJ dieux en terre; C dieus humains; E honnoures; 
KJ orez par dessus tous — 665 KJ Se je mefifais encontre vo pi. 

— 666 P Dont; E ait douiour; D ait ne doulour; P ne courrous 

— 667 DE vray; KJ cest; KJ ignorance — 669 E Len; P Le; 
D comme — 671 Z) ainssi ; P a pleui — 672 MC doucement; 
KJ humblement — 675 A resnay — 677 C Quelle. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGN» 83 

Mais envoisîez et reveleus estoie, 
Jolis et gais, trop plus que ne soloie ; 

680 Et c'estoit droîs 

Qu'a mon pooir fusse gens et adrois, 
Car par cuidier estoie en tous endrois 
Li mieus amez des amans et li rois. 

684 Mais quant Fortune, 

La desloial, qui n'est pas a tous une, 
M'ot si haut mis, com mauvaise et enfrune, 
Moy ne mes biens ne prisa une prune; 

688 Eins fist la moe, 

Moy renoia et me tourna la joe, 
Quant elle m'ot assis dessus sa roe, 
Puis la tourna, si cheï en la boe. 

692 Mais ce fist elle, 

La traître, toudis preste et isnelle 

De ceaus traïr qu'elle met dessous s'elle, 

Pour ce que Dieus et Nature la belle, 

696 Quant il formèrent 

Celle que j'aim, si fort se délitèrent 

En la très grant biauté qu'il li donnèrent 

Que loyauté a mettre y oublièrent. 

700 Et bien y pert ; 

Que je say bien et voy tout en apert 

Que ma dame, qui tant a corps apert. 

Que mes cuers crient, aimme, obeîst et sert, 

704 A fait ami 
Nouvellement, sans cause, autre que mi . 

ôjS EKJP renuoisiez; CP et resueilliez; KJ et amoureux; D 
et enuoieus — 680 M Et sest. — 681 KJ fusse {K feisse) jeux 
esbanois ; E et drois — 685 E que — 686 E comme mauuaise 
enfrune; D enfronne — 689 Z) roe — 691 K Plus ; E et chei — 

693 E Le traître conduis prest et ynele ; F traite ; P tous jours 
— 694 K met dessoulz sesselle ; J met souz sesselle ; B' dessus 
elle— 697 E si bien; KJ si del. — 699 E Car — 701 CK Car — 

705 E de my. 



84 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Si que, dame, se je pleure et gémi 
Parfondement et di souvent : « Aimy! », 

708 N'est pas merveille, 

Quant sa fine biauté qui n'a pareille 
Et sa colour vive, fresche et vermeille. 
Et son très dous regart qui me traveiile, 

712 M'ont eslongié, 

Et qu'elle m'a dou tout donné congié 
Et de tous biens privé et estrangié. 
Helas ! comment aroie je cuer lié? 

716 Et a grant tort 

M'a retollu ma joie et mon confort, 
Et si m'a mis en si grant desconfort 
Que je say bien que j'en aray la mort ; 

720 Ne riens defifendre 

Ne m'en porroit, nés un seul confort rendre. 
Mais ce qui fait mon cuer partir et fendre, 
C'est ce que je ne me say a qui prendre 

724 De mon anui. 

Car il m'est vis, se par Fortune sui 
Jus dou degré ou jadis montez fui 
Par li en qui je ne me fi, n'apui^ 

728 A dire voir, 

Que nul mal gré ne li en doy savoir, 
Car elle fist dou faire son devoir, 
N'eile ne doit autre mestier avoir 

732 Fors de traïr 

Ceaus qu'elle voit monter et enrichir. 



706 E ma dame — 707 E et souuent dy — 709 M Que — 715 
KJ Las et com.; CDKJP a. le cuer; M je le cuer -- 716 C Car 
— 717 C Ma tolu; KJMa joie ma tolu; E déport — 718 et 719 
.intervertis dans KJ — 721 BD ne; P non; KJ ne nul bon con- 
seil rendre — 722 £ que ; D quil; KJ palir et frandre {J frein- 
dre); C rendre — 723 KJ plaindre — 725 P que par f. — 726 
K du dangier; D sui ^ 'j2j KJ je me ûe et apui — 728 ^ Au — 
732 KJ Que — 733 CDKJP fait monter. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 85 

Et de faire le bas en haut venir, 

N'elle ne puet personne tant chierir 
736 Que seûrté 

V Li face avoir de sa bonneûrté, 

Soit de joie, soit de maleûrté, 

Que sus ou jus ne Tait moult tost hurté. 
740 C'est sa nature : 

Si bien ne sont fors que droite aventure; 

Ce n'est qu'uns vens, une fausse estature; 

Une joie est qui po vaut et po dure ; 
744 C'est fols s'i fie ! 

Chascun déçoit et nelui ne deffie. 

Et se je di que la mort qui m'aigrîe 

Puis demander a ma dame jolie, 
748 Par quel raison 

Le feray je, ne par quel occoison ? 

Elle s'est mise en la subjection 

D'Amours a qui elle a fait de li don 
752 Entièrement, 

Et vuet qu'elle ait très souvereinnement, 

Com ses souvreins, seur li commandement 

Si qu'el ne puet contrester nullement 
756 A son plaisir, 

Eins li convient en tous cas obéir. 

Dont, se ma dame a plaisance et désir 

De moylaissier pour un autre enchierir, 



734 CKJ en haut les bas; E les bas — 786 E securte — 789 
^•7 sus an (J au) niant; M laist; K heurte — 742 E Si; DE 
que; KJ qun veux; P quune; KJ estadure — 743 est manque 
dans EKJ -^ 746 E Et si di je; D Et si dit; KJ Et se di; 
BDEKJ magrie — 747 KJ Vueil d. a dame — 748 E Pour — 
749 P et par ; B'DKJP achoison — 760 KJ Quelle soit; E sub- 
mission — 753 KJquil — 754 KJ Com ses seruans; P Com 
souuerainne; A souuereins — 755 CDE quelle — 757 KJ Qui — 
757 et 758 intervertis dans KJ ^ y5g KJP chierir (J chérir); 
DE enrichir. 



86 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 

760 Ce fait Amour, 

Nom pas ma dame, en qui tout a valour; 
Car elle fait son devoir et s'onnour 
D'obeîr a son souverein signour. 

764 Si qu'il m'est vis, 

Quant par Amour d'amer estoie espris, 
Qu'en ce faisant Amours a plus mespris ^ 
Par devers moy que ma dame de pris, 

768 C'est a entendre, 

S'Amours pooit par devers moy mesprendre. 
Mais nullement je ne puis ce comprendre; 
Car longuement, com douce mère et tendre, 

772 M'a repeû 

De ses dous biens au mieus qu'elle a peu, 
Ne je n'ay pas encor aperceti. 
Pour nul meschief que j'aie receti, 

776 Que tout adès 

Elle ne m'ait com amie esté près 

Et qu'el ne m'ait servi de tous mes mes. 

De plours devant et de souspirs après. 

780 C'est ma viande ; 

Mes appetis plus ne vuet ne demande, • 
Ne, par m'ame, riens n'est a quoy je tende 
Fors seulement a ce que mes cuers fende. 

784 Einsi Amour 

Croist en mon cuer au fuer de ma dolour, 
Ne ne s'en part, ne de nuit, ne de jour, 



760 J amours — 761 CDEP tant; KJ toute v. — 762 KJ Maint 
quelle ; E son desir — 763 FM souurein — 764 £ auis — 766 M 
dame jestoie; E estoit — 766 E Quay — 769 KJ entendre — 
770 C puis recomprendre — yji E mère tendre — 773 M ces 
— ■ 775 KJ Par; FM meschies; D jai; E apperceu — 778 BDCE 
elle ; KJ met — 779 D auant — 781 EKJP vueil — 782 C Ne ma 
vie rien nest; E a qui jentende; D a quoy entende — 783 KJ 
tende — 785 en manque dans E ; D a fuer de d.; KJ cuer moult 
crueuse d. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE .87 

Eins me compaingne en mon dolereus plour 
788 Par sa bonté ; 

Si que je di que c'est grant amisté 

Qui m'a esté mère en prospérité, 

Et encor est en mon adversité. 
792 Si ne me puis 

Plaindre de li, se trop mauvais ne suis, 

Car sans partir de moy toudis la truis. 

Ne je ne suis mie par li destruis; 
796 Qu'elle ne puet 

Muer les cuers, puis que Dieus ne le vuet. 

Car quant Dieus fist ma dame qui me suet 

Clamer ami, dont li cuers trop me duet, 
800 S'il et Nature, 

Quant il firent sa biauté fine et pure, 

Plaisant a tous seur toute créature, 

Eussent lors en sa douce figure 
804 Loyauté mis. 

Je fusse encor appeliez ses amis, 

Et ses cuers qui tant bien m'avoît promis 

N'eust jamais esté mes anemis. 
808 Pour ce di qu'en ce 

Nature et Dieus feïrent ignorance, 

Sauve Tonneur d'eaus et leur révérence, 

Quant il firent si très belle samblance 
812 Sans loyauté. 



787 KJP macompaingne ; D me comprent en moy d. — 790 
KJP Quel — 791 JE est encore — jg2M }e ne men p. — 793 KJ 
81 tresmauuais — 794 KJ Quamie et près de moy -- 797 C le 
cucr ; KJ depuis que dieux (J dieu) le veult — 798 KJ mcstuct 
— 800 KJ Qui!; D est — 801 KJ f. samblance — 802 E PI. sur 
toutes a toute cr. — 806 E tant des biens; CKJP qui maint {K 
moût; J mont) bien mauoit pr. — 808 KJ Si di ; £ quausse — 
809 C si firent ; EKJP firent grant ign. {KJ oubliance) ; D furent 
en ign. — 810 Z) et de leur —811 P il fourmercnt si très douce 
s,; E tresnoble. 



88 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car s'elle eûst cent fois mcins de biauté, 
Et elle fust loial, la grant bonté 
De loiauté l'etist plus honnouré 

8i6 Que s'elle fust 

Cent mille fois plus belle et mieus pletist; 
Et en tous cas trop mieus plaire detist, 
Pour ce qu'en li riens a dire n'eûst. 

820 Si que je croy 

Qu'a bonne Amour, a Fortune, n'a soy 
Riens demander de mes dolours ne doy. 
Et en puis je riens demander a moy? 

824 Certes oïl ! 

Car je me mis de richesse en essil, 

De seûrté en un mortel péril, 

De joie en dueil, par son regart soutil, 

828 Et de franchise 

En servitute ou on n'aimme, ne prise 

Moy, ne m'onnour, m'amour, ne mon servise, 

Ne ma vie vaillant une cerise. 

832 Et nompourquant, 

Il m'est avis que pas ne mespris, quant 
Je l'enamay, qu'en ce monde vivant 
N'avoit dame qui fust si excellent, 

836 Ce disoit on. 

Si devins siens en bonne entention, 
Ne jamais n'i cuidasse, se bien non. 
Pour la grandeur de son très bon renon 

840 Qui m'a destruit. 



8i5 JSa; P amontc — 817 JE Mil cent foiz; M mil — 818 KJ 
En tretous ; D Car ; J et mieus ; E faire — 819 Z) que — KJ ajou- 
tent après le v.Sig les vers 848-855 — 821 J? Car; DEP na f. — 
823 KJ Et puis — 825 C a essil — 827 C par un reg.; KJ son 
engin -^ 828 KJ servise — 829 KJ en; C en aimme — 83o A ne 
mes biens ; C ne mon cuer — 833 CE tant — 834 KJ ce siècle 
— 835 ME fu; E plus ezc; KJ si suffisant — 836 D Et — 839 
KJ tresgrant. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 89 

Mais ce n'est pas tout d'or quanque reluit, 
N'on ne doit pas tant amer son déduit 
Qu'on ne s'en puist retraire, quant il cuit. 

844 Et se je fusse 

Tous li mieudres dou mont, je n'esletlsse 
Autre que li, ne mîeus jç ne pelisse, 
Se loyauté en li trouvé eusse. 

848 Si ne m'en say 

Que demander et a qui m'en penray 

Des griés doleurs et des meschiés que j'ay. 

S'on m'en demande, a tous responderay 

852 Que c'a fait Dieus 

Et Nature ; dont c'est meschiés et dieus, 
Quant il firent son corps en trestous lieus 
Si bel, si gent, si dous, qu'on ne puet mieus, 

856 S'il fust loiaus. 

Si me penray a eaus deus de mes maus? 
Je non feray, car il me sont trop haus, 
Eins soufferray, c'est mes milleurs consaus, 

860 D'ore en avant. 

Or vous ay dit la manière comment 
Amours me fist estre loial amant, 
L'estat, la guise et tout le convenant, 
864 Ce qui m'avint, 

Comment pris fui, comment on me retint, 

841 CKJP tout ot;AFMC quanqui; Jluist— 842 C On;E tout 

— 843 manque dans F (parchemin déchiré); C se; C on cuit; KJ 
est cuit ; E ains quil cuit— 844-847 manquent dans KJ — 845 E 
Com le meilleur du ; C ou mont ; D monde ; E ne eusse — 848 
KJ Ainsi nen say — 849 D ne a qui ; KJ ne a qui men plaindray 

— 85o KJ grans ; E du meschief — 85 1 D me ; B'DEP je respon- 
dray; C en respondray; KJ a trestous respondray — 852 J la; 
P ce f . — 854 D en tous lieu — 855 BDE si dous si gent; P Si 

. bel si bon si gent— 857 M men ; E a tous; D a cez — 858 D nen 
859 K Mes — 860 manque dans J; D Doresenauant — 865 D 
Comme prins sui ; CEKJ fa. 



90 LE JUGEMENT DOU ROV DE BEHAINGNE 

Comment de moy ma dame ne souvint, 
Les biens, les maus qu'endurer me convint 

868 Jusqu'au jour d'ui, 

Comment je n'ay aïe de nelui, 
Comment vengier ne puis mon grief anui, 
Dont a par mi me mourdri et destrui ; 

872 Si que je di, 

Se bien m'avez entendu et oy, 

Que la doleur dont en morant langui, 

Qui mon viaire a desteint et pâli 

876 Par sa rigour, 

Est de vos maus cent mille fois gringnour; 
Car fine joie et parfaite douçour 
Sont vostre mal encontre la dolour 

880 Qui me martire ». 

— « Certes, sire, pas ne vous vueil desdire 
Que vous n'aiez moult de dolour et d'ire, 
S'einsi perdez ce que vos cuers désire. 

884 Mais toute voie, 

Il m'est avis, et dire Toseroie, 
Considéré vo dolour et la moie. 
Qu'il a en vous meins dolour et plus joie 

888 Qu'il n'ait en moy. 

Si vous en vueil dire raison pourquoy : 
Vous m'avez dit que vous amez en foy 
Ceste dame qui tant vous fait d'anoy, 

892 Et amerez 



866 BD ma dame de moy ; B' ajoute rien entre moy et ne -- 
868 il a — 869 MDKJP aide — Dans C Vordre des vers est le 
suivant : 871, 870, 869, 872; dans P 869, 871, le vers 870 man- 
que; après le vers 871 on lit : Et si ny voy ne secours ne refui 
— 870 E grant —871-4 mourdris ; me manque dans D — 8yS J 
destraint; C destruit — 876 KJ vigour — 881 C biau sire; M 
pas ]ene; E veul dire — 883 J Ainssi — 887 D maint doulour — 
888 DEKJP na — 889 D veul rendre — 890 vous manque dans 
M'y D vous amee; en foy manque dans B. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE QI 

De loial cuer, tant comme vis serez. 
Et puisqu'il e§ft einsi que vous Tamez, 
Certes, je croy que s'amour désirez. 
896 Car avenir 

Voy po souvent qu'amours soit sans désir, 
Ne que désirs d'amours se puist souffrir 
D'espérance ; et s'avez souvenir 

900 Aucune fois. 

Dont, quant vos cuers est par désir destrois, 
Il vous souvient de la belle aus crins Mois, 
Dont vous avez des pensers plus de trois. 

904 Si ne puet estre 

Que vous n'aiez aucun penser qui nestre 
Aucune joie face en vous, qui remestre 
Fait la dolour qui si vous tient a mestre, 

908 Si qu'a la fie 

Par souvenir avez pensée lie 

Qui vo dolour espart et entroublie. 

Mais la mienne jour et nuit monteplie 

912 Sans nul séjour, 

Et toudis croist li ruissiaus de mon plour, 
N'avoir ne puis pensée par nul tour, 
N'esperance de recouvrer m'amour. 

916 Mais par servir. 

Par honnourer, par celer, par cremir, 

893 KJ comme vous viurez — 896 manque dans F (parchemin 
déchiré) — 897 KJ Voit on s. que mort; P quamans; D sont — 

901 M désirs — 902 la manque dans J\ FM as ; E clins ; F blons 
— 903 P auez pensées — 904 E peust — 905 A que — 906 KJ 
Aucune fois en vous faut qua remetre {K que remerte) ; C en 
vous fait ; BD fait ; qui manque dans E — 906 et 907 intervertis 
dans KJ — 907 Fait manque dans E\ E c\\ si manque dans D\ 
B' qui vous tient comme mestre ; KJ tient et metre — 911 KJP 
la moie; MEKJP nuit et jour — 912 P Et sanz s. — 913 JE lui 
ruisseaux— 914 K par ma tour — 917 manque dans P; KJ 
Par bien amer et du cuer obéir ; D honnour ; DE par seruir 
par cr. 



92 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Par endurer liement et souffrir, 
Par bien amer de cuer et obeïr 

920 Très humblement 

Pouez encore avoir aligement, 
Joie et Pamour de celle ou vos cuers tent. 
Si que je di que j'ay plus de tourment. 

924 Et moult visible 

Est la raison, ce m'est vis, et sensible : 
Car de ravoir vo dame, c'est possible ; 
Mais mon ami ravoir, c'est impossible 

928 Selonc nature ». 

— « Dame, d'onneur, de sens et de mesure 
A plus en vous qu'en «utre créature ; 
Car par vo sens mis a desconfiture 

932 Moult tost seroie. 

S'a vos raisons respondre ne pooie. 
Car vraiement,' faire ne le saroie • 
Si sagement, com mestier en aroie. 

936 Mais repeter 

Vueil vos raisons, se j'y puis assener. 
Vous arguez que j'aimme sans fausser 
Et ameray, tant com porray durer, 

940 Sans repentir; 

Et puis que j'aim, il faut qu'aie désir 
Qui ne se puet déporter ne souffrir 
D'espérance ; et si ay souvenir 



918 C et par s. — 919 KJ Et par franchise cuer et corps H {K 
lui) offrir; A oubeir — Après le vers 919 P ajoute : Et de vo 
dame faire tout le plaisir. — 921 D auoir encore — 922 E et 
amour -- 928 D Si di je que ; E jay moult — 924 D Tretout v. 
— 925 E est ; M visible — 926 E vostre dame est — 927 c man- 
que dans KJ^ gSo P nulle créature — 933 MCBDKJ sauoîe — 
934 DK Et; ie manque dans J\ C pourroie — 935 C comme — 
937 D se puis y ass.; E se je puis; KJP jy scay ass. — 939 C 
puisse — 940 KJ repartir — 941 P Et puis quil faut que je aie 
désir ; EKJ que je désir ;D que jaie. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE qS 

944 Qui esmouvoir 

Me fait souvent a maint penser avoir. 
Certes, dame, ce vous ottroi pour voir, 
Fors seulement que je n'ay point d'espoir. 

948 Mais sachiez bien, 

))ame, comment qu'il n'ait partout que bieti, 
Qu'en ce vostre entendement et le mien 
Ne se joingnent, ne acordent en rien, 

952 Eins sont contraire, 

Einsi com je le vous pense a retraire. 
Quant poins sera. Mais ce ne vueil pas taire 
Que vous dites qu'encor puis je tant faire 

956 Par hoiînourer, 

Par bien servir, par souffrir, par doubter, 
Par obeîr, par loiaument amer. 
Qu'en joie puis ma dame recouvrer. 

960 Mais ce seroit 

Moult grant maistrie au garder qui Taroit. 
Car en un lieu son cuer n'arresteroit 
Nés que feroit un estuef seur un toit. 

964 Et vostre amour. 

Qui tant avoit de pris et de valour, 
Ne pouez mais recouvrer par nul tour. 
Dont vous avez veinne et pale colour. 

968 Si qu'einsi dites 

Que mes dolours sont assez plus petites 
Que les vostres, dont je ne sui pas quites, 



945 KJP et maint — 946 P je vous— 950 D Que se ; E Quen 
vostre — 95 1 DP de rien — 953 P les ; vous manque dans E 
a manque dans C— 964 EP Quant temps ; C mais pas ce ne v. t., 
P mais ne me v. pas t.; E pas atraire — 967 D A; E par celler 

— 958 E Pour o. et 1. -- 959 P Quencores ; D de mamour rec. 

— gôi KJ gr. chose ; P maistrise ; DEKJ a g. — 962 D en bon 
lieu ; KJ ne sesteroit — 963 DK Ne ; P estuet ; C doit — 969 E 
doulcours. 



94 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 

Ne que pas n'ay acquis par mes mérites. 
972 Si respondray 

A ces raisons au mieus que je porray, 

Et sus chascune un po m'arresteray ; 

Si en diray ce que j'en sens et say 
976 Desentement. 

Dame, il est voirs que j'aim très loiaument 
Ce qui me het, c'est ma dame au corps gent, 
Qui est ma mort et mon destruisement, 

980 Quant je li voy 

Autrui amer, et n*a cure de moy 
Qu'elle deust amer en bonne foy, 
Si qu'a peinne que tout ne me marvoy 

984 De ceste amour. 

Car, s'elle amast ma vie, ne m'onnour, 

En la doleur ou je vif et demour 

Ne me laissast languir Teure d'un jour 

988 Pour tout le monde ; 

Mais en vertu font monteplier Tonde 
De la doleur qui en mon cuer habonde 
Amours premiers et ma dame seconde. 

992 Pour ç'ay désir. 

Mais quels est il? Il est de tost morir. 
Car il n'est riens qui me peust venir 
Dont je peûsse espérer le garir. 

996 Et se j'avoie 

971 D pas nen ay ; K apris ; par manque dans E ; mes manque 
dans C — 973 KJ ses; K saray — 975 K Et; KP je sens — 977 
^ vray ; KJ jaime loyaument — 979 KJ est mamour ; C deffine- 
ment — 980-983 Ces vers ne se trouvent que dans CEKJPR — 
983 E painez ; me manque dans E ; R que tout mort ne me voy 
— 985 P et ma vie; CP et mo.; D mon honnour — 989 P en 
dolour, à la marge en vertu ; RJ vertus ; E fait — 990 manque 
dans KJ — Après le vers 991 KJ ajoutent : Corps joint joli jeune 
deue faconde — 992 Z> cy — 993 E Et; EKJ fenir — 994 KJ r. 
dont il me puist v. — 995 J puisse. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 'QS 

L'amour de lî mîeus que je ne soloie, 

Ne say Je pas, se je m'i fieroie. 

Certes, nennil ! Pourquoy ? Je n'oseroie. 
looo Car nourreture, 

Si corn on dît, veint et passe nature. 

Et toudis va, s'il ne se desnature, 

Li leus au bois; c'est la vérité pure. 
1004 Et par ce point 

En mon désir d'espérance n'a point. 

Mais en li gist desespoir si apoint 

Que je seray matez en l'angle point 
1008 Dou souvenir 

Que vous dites, qui fait en moy venir 

La pensée qui me fait resjoîr. 

Certes, de lui ne puis jamais joîr, 
1012 Ne n'en joî. 

Ne ne le vi, ne senti, ne 01, 

Puis que ma dame ot fait nouvel ami ; 

Car adonques se parti il de mi. 
1016 Si vueil prouver 

Que c'est la riens qui plus me puet grever 

Et qui plus fait mon cuer désespérer 

Que souvenir. Vous savez, et est cler, 
1020 Chascunis le voit. 

Que, se jamais il ne me souvenoit 



997 EKJ de lui {K li) ainsi com je soloie — 999 D C. je nen- 
nil; F nanil; KJ je ne pourroie — Les vers 1000- 1047 "« *^ trou- 
vent que dans CEKJPR — looi Ce. len ; on manque dans J — 
1003 C tousjours — ioo3 KJ ou; P de sa propre nature, à la 
marge cest la vérité pure ; la manque dans C — i oo5 E Eus — 
1006 PR a li {R lui) joint d.; C a lui tout d.— 1007 KP jen ; R 
matou aueugle a p. — 1008 KJ Dont — 1009 R quil — loio C 
ma— 10 II C ne puisse mais; P ne puiz je mes joir — 1012 P 
3e\KJ Ne ne — ioi3 C Ne uere (sic); KJ ne oy ne senti — ioi5 
KJ adont; KJ p. el demi — 10 19 £ s. cest tout cler ; KJ que 
cest cler ; R vous le veez au cler. 



gÔ LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

De ma dame qui me tient si destroit, 
Que ma doleur oubliée seroit. 
1024 Et s'elie estoit 

Oubliée, Poubliance feroit 

Qu'elle dou tout morroit ou cesseroit; 

Et ce garir de tous majus me porroit. 
1028 Mais qu'avient il? 

Cils souvenirs, par son engin soubtil, 

Me ramentoit le viaire gentil 

Et le gent corps pour qui mon cuer essil, 
io32 Mes engendrez, 

Nez et fenis est et continuez 

Tous en doleur. Pour quoy? Pour ce qu'amez 

Cuiday estre, quant amis fui clamez 
io36 Très doucement. 

Helas! dolens ! or est bien autrement, 

Quant ma dame aimme autre nouvellement. 

Et puet on pis, dame, s'on ne se pent? 
1040 Certes, nennil! 

Car c'est pour mettre un amant a essil ; 

N'eschaper hors de si mortel péril 

N'en devroit pas un d'entre cinq cent mil. 
1044 Dontilavient 

Par maintes fois, quant de ce me souvient, 

1022 E qui moult me t. destr.; KJP t. moult destroit; R 
moult estroit — io23 PMa grant dolour; E ma dame — io25 C 
loyauté feroit; KJR seroit — 1026 KJ moctroit ou seleroit — 
1027 R Ainsi; P ne p. ; CPR pouoit — 1029 /^ Se — io3o R la 
manière — io3i Et manque dans R; P le corps gent ; KP par 
qui; P mon corps; KJ au cuer; R p. quoi le mien en exil — 
io32 E Met; KJ Maist; R Mest— io33 R Naist — io34 ^ <*<>- 
lours; pourquoi manque dans E — io35 C Cuidoie; KJ bien 
estre —• io36 EKJ humblement — 1037 CP d. et ore est a. — 
io38 KJP Que— loSg manque dans KJ\ R qui ne se p. — Les 
vers 1041-1043 dans KJ sont remplacés par les vers i8o5-7 — 
1041 P en exil — 1042 P dun tel mortel — 1043 E Ne; EPR 
entre; cinq manque dans R — 1044 ^«^ Et. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 97 

Que mes las Cuers dedens mon corps devient 

Si dolereus que pasmer me couvient. 
1048 Et se pensée 

Par souvenir est en moy engendrée, 

Quelle est elle? Elle est desconfortée, 

Triste, mourne, lasse et désespérée. 
io52 Et, par ma foy, 

Je n'ay penser qui ne soit contre moy ; 

Et si le pren au pis. Savez pour quoy ? 

Pour ce qu'aler ma dame en change voy. 
io56 Et se la joie 

Que j'avoie, quant en sa grâce estoie, 

Ne fust plus grant que dire ne saroie, 

N'ymaginer ne penser ne porroie, 
1060 La grief dolour 

Qui me destreint en fust assez menour. 

Mais de tant plus que j'eus joie grignour, 

De tant est plus crueuse ma langour. 
1064 Et que ravoir 

Puisse ma dame, ou je n'ay nul espoir, 

Ymaginer ne le puis, ne vëoir. 

Se vous diraytre qui m'i fait doloir : 

1 068 Dame, il me samble 
Qu'une chose qui se part et assamble 
En pluseurs lieus, et avec c'elle tramble 
Et n'arreste ne que fueille de tramble, 

1072 Et n'est estable, 

1046 /CJ ses teint — 1049 M par moy — io5i CP T. lasse 
mourne (C morie) — io53 E pensée — 1064 A se; BD se je le 
— io55 FMCJ au change — 1060 £ Ma — 1061 C destruit ; E 
destaint; EKJ et fait assez — 1062 D tant pris ; E com jay ; KJ 
com la joie iert — io63 C cruelle; E dolour — io65 P dame je ny 
ai nul e. — 1066 BDEK la — 1067 ^^^ "^®* ^^ mouuoir — 

1069 D Se une — 1070 et manque dansD; c manque dans P; C cl; 
E ce il me semble; KJ ce se change — 1071 MBEKPNg; P 
sarr. ; M nés; C neiz; E qui tramble — 1072 J Ne. 

Tome I. 7 



gS LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Eins est toudis changant et variable, 
Puis ci, puis la, or au feu, a la table, 
Et puis ailleurs, c'est chose moult doubtable, 

1076 Car nullement 

On ne la puet avoir seûrement : 

C'est droitement li gieus d'enchantement, 

Que ce qu'on*cuide avoir certeinnement, 

1080 On ne l'a mie. 

Einsi est il, dame, quoy que nuls die, 
De ma dame qui se change et varie, 
Donne et retolt, or het, or est amie, 

1084 N'en une part 

N'est tous ses cuers, et s'aucuns y repart, 
Certes, je croy qu'il en a povre part, 
Et que de li celle part tost se part. 

1088 N'a droit jugier. 

Amans ne puet avoir homme si chier 

Qu'il le vosist avoir a parsonnier 

En ses amours, sans plus, nés par cuidier. 

Î092 Et pour c'a plein 

Ne puis avoir son cuer, dont je me plain ; 
Car cuers qui va einsi de main en main, 
S'on l'a ennuit, on ne l'a pas demain ; 

1096 Et toute voie 

Est vrais amans li drois oisiaus de proie. 
Car il ne vuet avoir pour toute joie 

1073 P E. est ch. muant et v. — 1074 CKJ csl ; or manque dans 
C; EKJ ore a {E au) table; P et a la t. — 1078 ADEKJP 
le gieu — 107g EJ Car; ^AT^ seûrement — 1082 EKJ 1>\itïq 
dame — io83 E Puis rit puis pleure puis het — 1086 M ait 
— 1087 E de celi; C dautre part; KJ de lui tantost celle se [K 
ce) part; P tost départ — 1089 CP Au mains ; P puet elle home 
auoir si ch. — 1090 P Quel ne vausist auoir .1. p. — 1091 AV 
Aincois am. et vers li parconnier; E am. et neys par cuidier — 
1092 EKJ Pour ce; C pou a pi. — 1093 C Puet on a. — logS 
FEKJ a nuit — 1097 KJ drois [K droit) am. ; P drois amez ; 
KJ li uns oys. ; P li dous ; E li vrais — 1098 F puet ; J proie. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE QQ 

Fors tout le cuer de celle ou il s'otroîe. 

iioo Si que je di 

Que vous rariez aussi tost vostre ami, 
Comme on aroit mué le cuer de lî 
Ad ce qu'il fust entièrement en mi 

1 104 Mis sans retraire ; 

Car on ne puet le leu de sa piau traire, 

Sans Tescorchier, n'on ne puet d'un buef faire 

Un esprivier, ne aussi le contraire. 

1 108 Et, douce dame, 

La coustume est partout, d'omme et de famé. 
Que, quant dou corps s'est départie Famé 
Et li corps est en terre sous la lame, 

1 1 1 2 Qu'en petit d'eure 

Est oubliez, ja soit ce qu'on en pleure. 
Car nul n*en voy ne nulle qui demeure 
Tant en son pleur qu'a joie ne requeure, 

II 16 Eins que li ans 

Soit acomplis, tant soit loiaus amans, 
Ne excepter n'en vueil petis ne grans. 
Et vraiement, je croy que ce soit sens. 

1 1 20 Si en ferez 

La coustume ; pas ne la briserez, 
Car ja de nul reprise n'en serez, 
Et de bon cuer pour l'ame prierez. 

1 124 Mais en oubli 

Ne puis mettre celle que pas n'oubli. 



1099 ^ c^^*^ ^ ^^* — • iioi P raurez — 1102 JCom ;CQue on 
nauroit — 1 io3 DE ami — 1 104 Z> Et — i io5 K Mais — 1 106 
l manque dans EKJ ; C nen; P ne con puet; C de buef; E du 
buef — 1107 C Bon; KJP et aussi — 1109 C est domme hu- 
main et de f. — 1 1 10 CDEKJP c. est — 1 1 1 1 P gist ; E enter- 
rez — - 1114, AFMBKJ nuls — iii5 EKJ que joie; E que je 
ne recueure — iiiHD ne vuel ; DK petit — 1 1 22 ef 1 123 inter- 
vertis dans EKJ — 1122 KJ de moy; M nulz — ii23 C cuer 
dieu pour lui pr. 



100 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car Souvenir la tient moult près de mi 
Sans départir jour, heure, ne demi, 

1 1 28 Et si la vay 

As^ez souvent, dont tous vis me desvoy, 
Quant longuement de mes yeus la convoy 
Et je n'en ay joie, ne bien, n'avoy, 

1 1 32 Eins voy autrui 

Qui joie en a. C*est ce dont me destrui ; 
Caf s'elle amer ne vosist moy ne lui, 
Les maus que j'ay ne pleingnisse a nelui, 

1 136 Eins les portasse 

Dedens mon cuer humblement et celasse, 

El en espoir de joie demourasse, 

Si que meschief ne doleur ne doublasse. 

1 140 Ne départir 

N'en vueil mon cuer, pour double dou partir, 
Qui trop demeure en vie, et, sans mentir, 
Je ne saroie amer a repentir. 

1 144 Et si seroie 

Faus amoureus, se je m'en departoie ; 
Car sans nul si li donnay Tamour moie. 
Si Tameray, que qu'avenir m'en doie ; 

1 148 Et, par ma foy. 

Si loiaument l'aim que j'ay plus d'anoy 
Cent fois pour li que je n'aie pour moy. 
Quant s'onneur voy amenrîr ; car au doy 



II 26 moult manque dans D; B' trop près — 11 27 DP repen- 
tir ; DK heure jour — 1 1 29 EKJ desroy — 1 1 3 1 EKJ ay bien 
ne joie nen {E ny) voy; B nen nay; C bien nen ay; FD nanoy 

— 1182 P Et — II 34 M moy nautrui — 11 35 C nen — 
ii38 C Si — 1139 P dolour ne meschi«f — 1141 C Ne; KJ 
den — 1142 et manque dans J; KJ partir— 1143 iftT Ne; Jf Ja; 
E pour rep. — 1145 P me; EKJP repentoie — 1146 D sans 
si nul — 1147 ^ ^^'i ^ ^"^1 qua. ; MKP quoy qua. — ii5o 
MCBDEKJ Dis; E que nay une pour moy ; D nay ; KJ de moy 

— ii5i C voysonnour; E Quar souuent voy auenir et au doy. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 10 1 

II 52 La mousierront 

Ceuls et celles qui ceste ouevre saront, , ^ 
Et meins assez eh tous cas la croiront, 
Qu'a tous jours mais pour fausse la tenront. 

1 156 Car de meffaît 

C'est un vice si villein et si lait, 
Car qui le fait, ja de pooir qu'il ait, 
N'iert de tous poins cffacié ne deffait. 

I i6o Pour ce conclus. 

Dame, que j'ay de doleur assez plus, 
Et que plus tost a garison venus 
Seroit vos maus que cils dont sui tenus . 

1164 Et jugement 

En oseroie attendre vraiement. 
Se nousaviens juge qui loiaument 
Vosist jugier, et véritablement. » 

1 168 — « Par m'ame, sire, 

Et de ma part je vueil et ose dire 
Que de mon cuer le jugement désire. 
Or regardons qui nous volons eslire 

1 172 Qui sans déport 

Sache jugier li quels de nous a tort; 

Car avis m'est que li maus que je port 

Est si crueus qu'on ne puet plus sans mort. » 

1 1 76 — « Dame, je vueil 

Que li juges soit fais tout a vo vueil. » 
— « Mais au vosire, biau sire, et si conseil 
Qu'il ne soit fais fors par vostre conseil, 



II 55 manque dans F (parchemin déchiré); EK Et — ii56 £ de 
mes fait — 1 158 E Que quil ; KJ ja pour pouoir — 1 159 E Nest 
— 1161 P Qui jay dame — 1 165 -E entendre— 1 166 C vous auez; 
E auons; K veons; J voions — 1 169 EKJ Et de mon cuer — 
1170 D Qui de bon cuer; EKJ Que brief mon c. — 1 171 EKJP 
regardez ; E que; EKJ vous voudrez — 1 174 jE Or mest il vis — 
1175 D Et — 1 176-9 manquent dans KJ — 1177 E le juge- 
mens; fait tout manquent dans D— 1179 MBEPC fais que par. 



102 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

1 i8o Car vous Tavez 

Premiers requis; pour ce dire devez ». 
— « Certes, dame, or ne vous en lavez, 
Mais, vous, dites, pour ce que plus savez 

1 1 84 Que je ne fais. » 

Et quant je vi qu'il voloient que fais 
Fust jugemens de leurs dolereus fais, 
Mes cuers en fu de joie tous refais. 

1 1 88 Si ne savoie 

De deus choses la quelle je feroie, 
D'aler vers eaus, ou se je m'en tenroie. 
Car volentiers mis les eusse en voie 

1192 De juge prendre 

Tel qu'a jugier leurs fais peùst entendre. 
Si soufHssant qu'il n'i eUst qu'aprendre. 
Et qu'après lui n'i eiist que reprendre. 

1 1 96 Si m'avisay 

Moult longuement, et pris mon avis ay 
Que j'iroie a eaus. Lors sans delay 
Je me levay et devers eaus alay 

1 200 Tout le couvert 

Parmi l'erbe qui estoit drue et vert ; 

Et quant je vins si près d'eaus qu'en apert 

Les pos vëoir et tout a descouvert, 

1 204 Le petit chien 

Prist a glatir qui ne me congnut rien, 
Dont la dame qui moult savoit de bien 



1180 AV Et— 1181 CDEKJP Premier; C si que dire — 
1 182 C dame mais vous lottroy auez — 1 183 dites manque dans 
D; E direz; CP le dittes — ii85-E vouloie — 1186 KJ de si 
dol. — 1187 D c. si fu — 1189 ^ lesquelle — iigS £ que; J 
qui; CD^J leur; B' peut — 1194 C Et; DEKJ qua {KJ que) 
reprendre — Ï195 manque dansD; KJ Et après — 1 197 E Lon- 
guettement; D long prins après auis; CKP et puis — 1198 BD 
lors a eulz — 1201 J dure et v. — 1202 KJ Et que — i2o3 M 
po; C pou; KJP poy — i2o5 C conneust. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE Io3 

En tressailli — je m*en aperçu bien; — 
1 208 Si l'appella. 

Mais moult petit prisié son appel a, 

Qu'en abaiant li chiennes m'aprocha, 

Tant que ses dens a ma robe acrocha. 
121 2 Si le hapay, 

Dont il laissa de paour son abay. 

Mais en mon cuer forment m'en deporiay, 

Pour ce qu'a sa dame le reportay, 
12 16 Pour avoir voie 

Et occoison d'aler ou je voloîe ; 

Si que toudis son poil aplanioie. 

Mais quant je vins ou estre desiroie, 
1220 Je ne fui mie 

Mus, n'esbahis; einsois a chiere lie 

Ay salué toute la compaingnie, 

Si com faire le sos de ma partie. 
1224 Li chevaliers 

Qui sages fu, courtois, et biaus parliers, 

Grans, Ions, et drois, biaus, et gens, etlegiers, 

Et d'onneur faire apris et coustumiers, 
1228 Sans plus atendre, 

Courtoisement me vint mon salut rendre. 

Et la dame ou Nature volt entendre. 

Si qu'on ne puet sa grant biauté comprendre, 
1232 Vers moy se trait 

Moult humblement, doucement, et a trait. 



1209 EKJ prisa son appella [K apel a) •— 1210 C Quant; J 
chenet — 12 11 D qua ses dcns ma; C en ma robe — I2i4 
EKJP me — I2i5 E De; DEKJ raportay ; C portay — 1218 
C Et; CEKJP son poil toudis — 1220 D fus mis — 1222 KJ 
Jay — 1223 KJ say — i225 DKJ Qui fu sage; D parleur — 1226 
C G. bons; K G. hnms et dr. ; R 1. et bel droit; D beaus et lonc ; 
Ph. gentilz et I.; J^ Beaux Ions et droiz grans et gros et 1. — 
i23i EP pot; D la gr. b. — 1232 A traist— i233 MCBDEKJP 
M. bellement; Mss. attrait. 



I04 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car elle avoit moult gracieus attrait 
Et le maintien humble, dous et parfait, 

1 236 Et cheveus blons, 

Les yeus rians, plus vairs que nuls faucons ; 
Et ses corps fu gens, joins, gentils, et Ions, 
Et plus apers que nuls esmerillons. 

1240 Et s'ot Tentrueil 

Grandet a point, manière et dous acueil, 
Mais son attrait et son gent appareil 
Qui simples fu n'avoit point de pareil; 

1 244 Et si fu blanche 

Plus que la noif, quant elle est sus la branche. 
Sage, loial, courtoise, et de cuer franche. 
Et si parfaite en toute contenance 

1248 Qu'en loiauté 

Estoit assez plus belle que biauté ; 
N'en li n'avoit orgueil, ne cruauté, 
Ne riens qui fust contraire a amisté. 

1 252 Mais esplourée 

Fu moult forment sa face coulourée ; 
Et nompourquant de coulour esmerée 
Et de fine douçour estoit parée. 

1256 Si m'appella 

La dame, et puis m'enquist et aparla 
Moult sagement dont je venoie la. 
Et je qui fui desirans d'oïr la, 

1 260 La vérité 

De chief en chief lî ay dit et conté, 



1235 CD doulz et humble — laSy CDEKJ vers — i238 KJ 
Son c. ; Z) gentil et joint et I. ; KJ joint droit g. ; gentils manque 
dans E — 1239 CKJ espers — 1242 EKJPR atour ; C doulz a. — 
1246 et manque dans C — 1247 D congnoissance — 1249 flanque 
dan^ F ; EKJ que clskvtc — i25i A amite — i252-i255 manquent 
dans KJ — i253 J? Estoit f . ; C souuenç — i255 Et manque dans 
E -^ i%bi is\ m^nq¥e dans KJ\ C einparla; fATJP deinanda 
-- T259 I® manque dans E; D qui je fu* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE Io5 

Comment la vins et ou j'avoie esté, 
En tant qu'il ont leur meschief raconté. 

1264 Lors dist en bas 

Li chevaliers par manière de gas : 
« Je croy qu'il ait oy tous nos debas. » 
Et je li dis : « Sire, n'en doubtez pas, 

1 268 Que voirement 

Les ay j'oîs moult ententivement 

Et volentiers ; mais n'aiez pensement 

Que j'y pense fors bien ; car vraiement 

1272 Venus estoie 

Sus un ruissel, par une herbue voie, 

En ce vergier ou je me delitoie 

Es oisillons que chanter escoutoie. 

1 276 Et quant einsi 

Y fui venus,- sire, je vous choisi, 
Et d'autre part ma dame venir vi. 
Si vousdiray, comment je me chevi : 

1280 Je regarday 

Le plus fueillu dou brueil; si m'i boutay, 
Car de vous faire anui moult me doubtay ; 
Et la vos biens et vos maus escoutay 

1 284 De chief en chief. 

Or m'est avis que de vostre meschief, 
Et ma dame qui tient enclin son chief 
Dou sien, sariez volentiers le plus grief 

1288 Par jugement. 



1162 E C. je vins; C ou auoie — ia63 J El; C out — 1267 
DKJE ne — 1268 CCar; C^J vraiement — 1269 i wanque dans 
FM; £ aie; Z> bien ent.; F ententieuement — 1270 B na.pas p. 
— 127 1 y manque dans J; EKJ que; KJ et vr. — 1275 BD Aus — 
1277 ^ *^^ — '279 BD men — 1280 ^J Et — 1281 M feilli du 
bois; £ me — 1282 moult manque dans KJ — i285 EKJ 
Si — 128Ô CZ>de ma d.; EKJ du ma d. — 1287 Dou sien 
manque dans C; D Vous en scaures; £^JDes deus sariez {E 
saunez). 



I06 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

;^ 

Si ne volez penre premièrement 
Vostre juge, ne ma dame ensement. 
Pour ce venus sui aviséement, 

1292 Pour vous nommer 

Un chevalier qui moult fait a amer ; 
Car de ça mer n'a pas, ne de la mer, 
Plus gentil cuer, plus franc, n'a meins d'amer; 

1296 Car de largesse 

Passe Alixandre et Hector de prouesse. 
C'est 11 estos de toute gentillesse, 
N'il ne vit pas com sers a sa richesse, 

1 3oo Eins ne vuet rien 

Fors que Tonneur de tout le bien terrien, 

Et s'est plus liés, quant il puet dire : « Tien » 

Qu'uns couvoiteus n'est de penre dou sien. 

i3o4 Dieu et l'église v 

Et loyauté aimme, et si bien justise 
Qu'on le claimme l'Espée de justise. 
Humbles et dous est et pleins de franchise 

i3o8 A ses amis. 

Fiers et crueus contre ses anemis. 

Et, a briés mos, de sens, d'onneur, de pris 

En porte adès au dit des bons le pris, 

i3i2 Quel part qu'il veingne. 

Et s'il avient que son anemi teingne 
A son dessous, Nature li enseingne 
Et ses bons cuers que pité li en prengne. 

1289 K vostes; J voustes — 1291 J venus si a. ; £" a aduisc- 
ment — 1293 EKJ a loer — 1295 CE ne m.; C amer; KJ et 
sanz amer — 1297 D hestor — 1298 C Cest 1 estoc ; D cstour; 
KJ escoz — 1299 pas manque dans M\ CE en sa r. -— i3oi 
manque dans F; le manque dans CBDP; R de tous biens ter- 
riens — i3o2 CDEKJPR Et est — i3o5 E ayme quoy que non 
dise ; si manque dans C — 1 3o6 manque dans P, remplacé après 
lev. i3oj par : N I ne vaurroit mesprcndre en nulle guise — 
1:^07 B^ ajoute grcni devant franchise — i3o8 P Vers — i3o9 C 
Fel — i3i2 Dqui - i3i5 JB:En;Jlie. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 1 07 

i3i6 C'est noble sorte, 

Car Prouesse partout s'espée porte, 
Hardiesse le conduit et enorte, 
Et Largesse si li ouevre la porte 

i32o De tous les cuers. 

A ceaus qui sont bon (je n'en met nuls fuers), 
Avec euls est com sont frères et suers, 
Grans et petis, moiens, et a tous fuers. 

1324 Sire, et d'Amours 

Congnoist il tous les assaus, les estours, 
Les biens, les maus, les plaintes et les plours 
Mieus qu'Ovides qui en sot tous les tours. 

i328 Et se son nom 

Qui tant est bons et de noble renom 
Volez savoir, dites le moy, ou non. » 
— « Certes, amis, dou savoir vous prion, 

1 332 Car onques mais, 

Si com je croy, ne fu, ne n'iert jamais 
Homme qui fust en tous cas si parfais, 
Comme cils est, et par dis et par fais. » — 

1 336 — « Sire, s'enseingne 

Crie Lembourc, et est roys de Behaingne, 
Fils de Henry, le bon roy d'Alemaingne, 
Qui par force d'armes, qui que s'en plaingne, 

1340 Comme emperere 

Fu couronnez a Romme avec sa merc. 

Dont s'il est bons, c'est bien drois qu'il appere : 

i3i8 KJla — i32i D X tous les bons je nen ment nul fuers; 
EKJ huers — i322 Z> Auant; CEKJ Auec lui (C li) sont — i323 
D Gr. petis; Af moien; EKJ G. et moyens loyaux (KJ et) a 
tous f. — 1324 D est — i325 D C. aussi tous; CF il les as- 
saus; D et tours; CEKJP et les tours — 1327 FM scet — 
1329 EKJ beaux {K biaux) — i334 FM Hommes; CP soit — 
i335 KJ en dis et enf. — i337 D Et crie lembrut; C brehen- 
gne — i338 F roy de behaingne — i33(^ M que qui; P qui 
qui — 1340 DKJ emperiere — 1341 KJ auant sa m. — 1342 
s manque dans J ; Kci\; CEKJP cest raison ; EKJ quW y père. 



Io8 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car il le doit et de mère et de per'e. 

i344 Si que, biau sire, 

Uns tels juges seroit bons a eslirè 

Qui vous saroit bien moustrer et descrire 

Li quels de vous sueffre plus de martire ; 

1348 Si le prenez. » 

Li chevaliers respondi com senez : 

« Je croy que Dieus nous ait ci amenez. » 

Et dist : « Dame, s'a juge le tenez, 

i352 Je m'i oitroy. » 

Et la dame respondi sans desroy : 
« Sire, tant oy dire de bien dou roy, 
Tant est sages, preus et de bon arroy, 

i356 Que je Tacort. » 

— « Grant merci, dame ; or sommes en acort. 

Si pri a Dieu que le bon roy confort 

Et qu'il nous maint temprement a bon port, 

i36o Si que parler 

Puissiens a lui, ou il nous faut aler. » 
Je respondi : « Bien vous say assener 
La ou il est et, s'il vous plaist, mener. 

1364 Certeins en sui, 

Car vraiement, je mengay yer et bui 
Avec ses gens en chastiau de Durbui. 
Et il y est, ne n'en partira hui ; 

i368 Ne ce n'est mie 

Loing, qu'il n'i a ne lieue ne demie. 



1343 A doit de; FCDEKJ père et de mère — iS^b KJ Tel 
juge vous s. — 1346 KJ Qui bien s. vous m.; D mouster — 
1348 A Et— i35o CEKJ vous a ci ; P a ci — i354 D tant ay oy 
— i355 D Et tant; preus manque dans D; P de bel arroy; ÈKJ 
sages et plains {KJ plain) de b. a. — i357 A mercis; CEP a 
acort; KJ dun a. — i339 D qui n. maine bien briefment — 
i36i BDEKJPR Puissons ; C Puisson — i362 K resp. je vous; 
KJ vueil a. — i363 C est s. v. p. et mener — i365 EKJhi&v o 
lui ; C et hui — i36ô E sa gent ; BDEKJou — 1367 D ^^ ^^Q* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE IO9 

Nom pas de ci le quart d'une huchie. » 
Li chevaliers d'aler la dame en prie 

1 372 Sans plus attendre. 

La dame dîst : « Je ne m'en quier deffendre, 
Mais je ne say quel part la voie prendre. » 
Je dis : « Dame, bien le vous vueil aprendre. 

1376 Venez adès. 

J'iray devant et vous venrez après. » 
Si qu'au chemin me mis, d'aler engrès. 
Et quant il ont veti Durbui de près, 

i38o Si s'arrestoient , 

Et dou vëoir forment se mervilloient, 
Car onques mais en leur vie n'avoient 
Veii si bel, ne si gent, ce disoient. 

1384 Et, sans doubtance, 

Il est moult fors et de très grant plaisance, 

Biaus et jolis et de po de deffence. 

Car se li rois d'Alemaingne et de France 

1 388 Devant estoient, 

Cil de dedens ja pour ce ne lairoient 
Qu'il n'alassent hors et ens, s'il voloient. 
Toutes les fois qu'a besoingnier aroient 

1392 En la contrée. 

C'est une roche en mi une valée 



iSjo KJ archie; E haschie — i3yi E la dame daler; en 
manque dans CKJP — i3y2 E Et sans a. — iSyS EKJ Et elle 

— iByS CKJ la — iSyj K Siray ; E vous yres — 1 378 -4 en ch. ; 
JC aler en paiz; J aler empres — i3yg EKJP quant durbui 
orent veu de près ; C durbui veu — i38i CE sesmervilloient — 
i382 mais manque dans C ; J naient — i383 M se dis. ; E et dis. 

— i385^Il yert; EP beaus ;KJ bel et de moult grant pi.; 
C puissance — 1 386 manque dans KJ; E Gays ; B' et de forte 
detfense — 1387 DKJ ou de f. — 1389 EKJ Ycil dedans; de 
manque dans CDP; KJ pour riens — 1390 et iBçi inter- 
vertis dans M — 1390 M ou ens — 1391 D que besoing en 
a.; EKJ que mestier en a. — 1393 une manque dans C; E 
au mi. 



MO LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Qui tout entour est d'iaue environnée, 
Grande, bruiant, parfonde, roide etlée; 

1 396 Et li vergier 

Sont tout entour si bel qu'a droit jugier, 
On ne porroit nuls plus biaus souhaidier. 
Mais d'oisillons y a si grant frapier 

1400 Que jour et nuit 

La valée retentist de leur bruit ; 
Et riaue aussi seriement y bruit, 
Si qu'on ne puet en nul milleur déduit. 

1404 Et puis après 

A grans roches tout entour, nom pas près, 
Eins sont si loing dou chastel qu'il n'est fers, 
Engiens, ne ars qui y getast jamès. 

1408 Mais la maison 

Sus la roche est si bien qu'onques mais hom 
Ne vit autre de plus belle façon; 
Car il n'y a nesune meffaçon. 

141 2 Et la fonteinne 

Est en la court, qui n'est mie villeinne, 
Eins est vive, de roche clere et seînne. 
Froide com glace et plus douce que Seinne. 

141 6 Mais le vaissel 

Ou elle chiet est tailliez a cisel 



1894 MP auironnee — iSgS manque dans D; B' et roide; C 
ronde ; EKJ longue et lee — 1897 C Est; si bel manque dans E; 
qu manque dans C — 1898 C Quon ; CDEKJ nul pi. beau {EKJ 
bel) — 1399 B'D y ot — 140 1 E rctantir — 1402 D fièrement ; 
C souefuement ; P serreement; E si br. — 1403 EKJP puet oir 
{E omît) m. d,\ C puet estre en m. d. — 1405 D roches enuiron 
non — 1406 /> Ainssi sont il loing; DK(\\i\\ E quil ne f. — 
1407 C Nengin ; EKJ qui y treist {K traist) -— 1409 E A sur la 
roche et; mais manque dans EKJ — 1410 ME si belle — 141 1 
KJ Et si ; E Et si ne veis une maie façon ; K malfaçon — 
141 3 KJ tour — 1414 manque dans KJ; E est muée — 141 5 D 
douce plus — 141 7 manque dans KJ ; E siet. 



LE JUGEMENT ÛOU ROY DE BEHAINGNE I I I 

D'un marbre fin, blanc et bîs et sî bel 
Que tels ne fu depuis le temps Abel. 

1420 Sus la rivière 

Est la prée large, longue et pleniere, 
Ou on trueve d'erbes mainte manière. 
Mais revenir m'estuet a ma matière : 

1424 Quant la maison 

Orent veii, je les mis a raison 

Et si leur dis : « De l'aler est saison. 

Alons nous en; car ci riens ne faison. » 

1428 Si en alames 

Tout le chemin et le pont trespassames, 
Ne ça ne la nulle part n'arresiames 
Jusques a tant qu'a la porte hurtames. 

1432 Mais li portiers 

La porte ouvri de cuer et volentiers. 
Je qui hurtay et qui fui li premiers 
Et de laiens estre assez coustumiers 

1436 Parlay einsi : 

« Cils chevaliers et ceste dame aussi 
Viennent parler au roy, s'il est yci. » 
Et li portiers tantost me respondi 

1440 Qu'il y estoit. 

Je dis : « Amis, pren garde, s'on porroit 
Parler a li. » Et il dist qu'il iroit. 
Mais tout einsi com de nous se partoit 

1444 Pour aler sus, 



1418 KJ marbre fu ; et (entre blanc et bis) manque dans BDE^ 
ajouté par B' ; C bl. et vif — 1419 KJ Que puis; F albel — 142 1 
CBDEKJ longe large — 1422 E Ion ; CMBDKJP derbe ; E 
darbez; D de mainte m. — 1423 E mestoit — 1425 CP veue — 
1427 A rien; K riens ci — 14? i KJ quan (J que) la porte entras- 
mes — 1432 E Ex — 1433 E de gre; KJ et bien et vol. — 1435 
Et manque dans KJ ; CEKJP iere {E ère) assez c. — 1437 EKJ 
dame cy ~ 1438 KJ VeuUcnt — 1439 KJ Et cil ; ^ t. li resp. — 
1440 AC Qui; C il est. — 1443 C aussi; P que. 



112 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Uns chevaliers, biaus et gens et corsus, 
Jolis et gais, en est a nous venus; 
Honneur ot nom, et s'en sot plus que nuls. 

1448 N'il ne vint mie 

Tous seuls a nous, eins li fist compaingnie 
Une dame belle, gaie et jolie ; 
Si ot a nom la dame Courtoisie. 

1452 Bien y parut; 

Car aussi tost qu'elle nous aperçut, 
Nous salua, et puis biau nous reçut. 
Si fist Honneur, si com faire le dut. 

1456 Adont andoy 

Courtoisement, en riant, sans eflfroy, 
Prirent chascun l'un des deus par le doy. 
Mais Courtoisie, einsi com dire doy, 

1460 Le chevalier 

Acompaingna liement, sans dangier, 

Et Honneur volt la dame acompaingnier ; 

Lors se prirent ensamble a desraisnier. 

1464 Si s'en alerent. 

Tout en parlant, la ou il les menèrent, 
Par les degrez de marbre qu'il montèrent, 
Tant qu'en la chambre au bon roy s'en entrèrent. 

1468 Et li bons rois, 

Qui moult estoit sages en tous endrois, 

Loiaus, vaillans, liberaus et adrois, 

Et envers tous dous, humbles et courtois, 



1445 et {entre biaus et gens) manque dans C — 1446 D sen; 
KJ auant venus — 1447 ^ senz ; J cens — 1449 ^«^ ^ ^^^^^ ^^^^ 
seulz — 1450 DE belle et gaie; C gaie et bêle — 145 1 D Qui ot 
en nom; J3 Si a ; D belle court. — 1453 KJ ainssi; D comme — 
1464 EKJ et moult bel — 1^55 D corne ; EKJ ainsi com faire 
dut — 1^56 MDE au doy; A en doy; C eulz doy — 1458 A 
deaus deus ; D de deus — 1459 C aussi — 1462 C vint; CKJ com- 
paingnier — 1463 K au d. — 1467 D du bon roy ; bon manque 
dans M; C se montèrent — 1471 Cliez h. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 1 3 

1472 En moult grant joie 

Estoit assis sur un tapis de soie, 
Et ot un clerc que nommer ne saroie 
Qui li lisoit la bataille de Troie. 

1476 Mais Hardiesse 

L'acompaingnôit^ et sa fille Prouesse, 
Et doucement tint par la main Largesse, 
Une dame de moult grant gentillesse. 

1480 S'i fu Richesse, 

Amour, Biauté, Loiauté et Leësse, 
Désirs, Pensers, Volenté et Noblesse, 
Franchise, Honneur, Courtoisie, Juenesse. 

1484 Cil seize est oient 

Avec le roy, n'onques ne s'en partoient. 

Dieus et Nature ottroié li avoient. 

Dès qu'il fu nez ; pour ce tout le servoient. 

1488 C'estoit grant grâce. 

Et s'il y a nul ne nulle qui face 
Chose dont nuls puist dire qu'il mefface, 
Raisons y est qui le meffait efface. 

1492 Einsi se sist 

Li gentils rois. Et quant la dame vit, 
Il se leva, et par la main la prist, 
Car Courtoisie a faire li aprist. 

1496 Après pris a 

Le chevalier, et forment l'esprisa 



1472 EKJ A — 1473 EKJ les tapis — 1474 EKJ Si — 1477 
.^Le'comp. — 1478 manque dans BD, remplacé après levers 
147g par : Honnour ot nom qui de tous fu mestresse — > 1478 
C en sa main — 1479 grant manque dans D — 1482 manque dans 
E, rentplacé après le vers 1488 par : Et puis raison qui de tous 
fil maistfesse; A Désir penser — 1483 CDEP et j.; A largesse 
— 1485 C ne point sen p. — 1487 G Des que; CDKJP tous; E 
^uit — 1488-91 manquent dans E — 1489 y a manquent dans D/ 
MP nulz -* 1492 CD fist — 1493 A vist — 1494 KJ Si — 1497 
CBDKJ le prisa. 

Tome I. x 



114 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Dedens son cuer, et puis leur demanda 

Moult sagement dont il venolent la, 
i5oo Et leur enquist 

De leur estre qui moult li abelist. 

Li chevaliers a la dame requist 

Qu'elle li vosist dire ; et elle dlst 
i5o4 Que non feroit, 

Einsois deîst, que mieus li afferoit. 

Il respondi adont qu'il li diroit 

De chief en chief tout einsi qu'il estoit, 
i5o8 Jusqu'à la fin. 

« Sire, » dist il, « ci près a un jardin 

Vert et flouri ou il a grant tintin 

De rossignols ; s'i vins hui a malin, 
1 5 1 2 Pour escouter 

Leur biau service et leur joli chanter, 

Comment que po s'i peUst déporter 

Mon cuer que riens ne porroit conforter. 
1 5 1 6 Mais toute voie 

Einsî venus d'aventure y estoie, 

Pleins et pensis des maus qu'Amours m'envoie. 

Si vi venir par une estroite voie 
i520 Verde et herbue 

Geste dame qu'avec moy est venue. 

Si me sambla de manière esperdue, 

Si que tantost pris parmi Terbe drue 



1498 C li dem. — 1499 C venoit — i5oi E estât; C et moult; 
KJ leur ab. - i5o3 EKJP elle {KJ el) li d. - i5o5 J dist ; P li 
dist; E quar; C dist elle que xniulz li a. — i5o6 D adonques 
quil diroit — i5o8 D Jusques; CKJP en la fin — i5io EKJ et 
foillu ; KJ hutin — 1 5 1 1 FM rossignos ; EKJ si y vins (EJ viens) 
hui m.; MCB'P au — i5i4 CMEKJP se; EJ déliter — i5i5 
KJ pooit — i5i6 £ Et — iSiy y manque dans K — i5i8 KJ des 
biens — i53o EKJ Vert— i52i C quauant; EKJ qui est o moy 
v.^-^ iSaS KJ ^ues; pris manque dans CEKJ; C parmi lerbette 
drue; E tout parmi ; KJ tout par tout* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I I 5 

1 524 Mon adresse ay, 

Et mon chenIVin droit vers li adressay. 

Et quant je fui près, je la saluay, 

Mais mot ne dist, dont je me mervillay, 
1 5 2 8 Ne onques chiere 

Ne fist de moy, ne d'oueil, ne de manière. 

Et je qui fui mervilleus pour quoy c'iere, 

Dis bellement : « Très douce dame chiere, 
1 532 Pour quel raison 

Ne volez vous entendre a ma raison ? » 

Et la tiray par le pan dou giron. 

S'en tressailli, dont sa belle façon 
i536 Coulour mua. 

Si respondt, que plus nM arresta, 

Et durement envers moy s'escusa 

De son penser a quoy elle musa. 
1540 Et li enquis 

Pourquoy son cuer estoit einsi pensis. 

Finablement tant parlay et tant fis 

Qu*elle me dist tout ce que je li quis, 
1 544 Voire par si 

Que par ma foi li juray et plevi, 

Quant elle aroit son parler assevi, 

Que le penser li diroie de mi. 
1 548 Et dist einsi 

Qu'elle soloit avoir loial ami 

1524 EKJ Men adrecay; D La moie adresse; F ader« ay — 
i325 dans KJ vient après 1527 — i525 EKJ chemin enuers li 
{KJ lui) — i526 P le — 1527 £ di; E mcsmcru. — iSag MK 
moy de oeil; CD ne deul; E ne doel — ib'io A fu; CKP mcr- 
ueilliez; C chiere — i53i D Dit; EKJ humblement — ibZ^ KJ 
latray ^ i535 P Dont la dame qui a clere façon; dont manque 
dans KJ; KJ sa tresbelle f. -> i538 DEKJ doucement — iSSg 
EKJ Pour — 1540 CEKJ Si; M requis— 1341 FM si fort p. — 
1543 P que li requis — 1546 manque dans E; M j>arle; C affeni 
— Après j547 E ajoute : Sanz alcr contre et je li ay promis — 
1548 C Si; P Lors. 



Il6 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Qui loiaument Tamoit, et elle li. 
Mais la mort Ta de ce siècle parti. 
i552 Etlavalour, 

Le senS; le pris, la prouesse, Tonnour, 
Qui fu en li, si comme elle dist, flour, 
Le iist des bons estre tout le millour. 
1 556 Pour ce pensoit 

Parfondement^ ne onques ne cessoit, 
Et en pensant le plouroit et plaingnoit, 
Si que son vis en larmes se baingnoit. 
1 56o Pour ce maintient 

Que la dolour est plus griés qui li vient 
Pour son ami que celle qui me tient. 
Sire, et je di, faire le me convient, 
1 564 Tout le contraire. 

J'aim loiaument de cuer et sans retraire 
La plus très belle et le plus dous viaire 
Qu'onques encor Nature peûst faire, 
1 568 Qui me donna 

Jadis son cuer tout et abandonna. 
Son cuer, s'amour, son ami me clama 
Et par son dit seur tous autres m'ama. 
1572 Or est einsi, 

Sire, qu'elle n'a mais cure de mi^ 
Eins m'a guerpi, et fait nouvel ami« 
Et, par m'ame, pas ne.l'ay desservi* 
1 576 Et d'autre part, 

Mon guerredon ailleurs donne et départ, 

i55i manque dans KJ\ P mors; C cest — i353 CEKJP Le 
pris le scens ; EKJ et Ion — i354 K com el dit aor; J si comiiie 
dit or •— i535 AB estre des bons — i558 le manque dans KJ\ KJ 
et se pi. — i56i P plus grieue est — i563 EKJ que faire me c. 

— i565 J Jamay — i566 très manque dans D — 1567 EK encore 

— 1569 tout manque dans E; et manque dans M — iSyo EKJ 
Auec samour; CAuuec son cuer et ami; P Amant — iSyS B moti 
ame — 1577 C Bon; CBDP gu. a H donne; E gUi donne a H 
et d.; KJ gu. lui donne; 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE I 1 7 

Ne je n'en puis avoir ne part ne hart : 
C'est ce, sire, pour quoy li cuers me part. 

i586 Si m'est avis, 

Considéré mes raisons, que j'ay pis 
Que la dame, comment que ses amis 
Soit trespassez, Dieus l'ait en paradis ! 

1584 Sire, et cils clers -" 

Qui me samble gais, jolis et apers, 
Fu atapis ou jardin et couvers 
En plus espès dou brueil qui est tous vers. 

1 588 Si sailli hors, 

Quant il ot bien oy tous nos descors. 
Si nous loa que li drois et li tors 
Fust mis seur vous, et ce fu nos acors. 

1 592 Car longuement 

Avoit duré de nous le parlement, 

Et si aviens fait maint arguement. 

Si comme il est escript plus pleinnement 

1596 Ici dessus. 

Or sommes ci par devers vous venus. 
Par quoy li drois soit jugiez et scetls, 
Et que vos dis soit de nous deus tenus. 

1 600 Si que ce plait 

Pouez tantost terminer, s'il vous plaist; 
Car nous avons de vous no juge fait. 
Sire, or avez oy tout nostre fait 

1604 Entièrement; 

Si en vueilliez faire le jugement, 

1579 CP pourquoy sire; KJ ce dire pour quoy — i58i EKJ 
ce« — i583 P dieus li face mercis — i584 M et si cl. — i585 
KJ samble gens j.; C et jolis; K espars; J espéra — i586 et 
1587 intervertis dans C — i586 EKJP Se fu tapis — 1587 C est 
ouuera — 1589 bien manque dans D — 1590 KJ Et — 1591 P 
sur vous mis — 1694 CD argument — 1595 KJ com ; E comme 
yci il est plus pi.; escript manque dans D — 1599 ^^ ^^^ ^^^ 
soient — 1600 Ccest— 1601 MDK si — 1602 D Et. 



1 1 8 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Car nous Favons désiré longuement, 
Et ceste dame et moy dévotement 

1608 Vous en prions. » 

Quant cils li ot moustrées leurs raisons, 
Qui bien le sot faire com sages homs, 
Li gentils rois qui moult estoit preudons 

161 2 Li respondi : 

ff Se Dieus me gart, vous avez pris en mi 
Juge ignorant et de sens desgarni, 
Ne onques mais je n'oy, ne ne vi 

1616 Tel jugement : 

S'en saroie jugier petitement. 

Mais nompourquant le conseil de ma gent 

En vueil avoir ; car je Tay bel et gent. » 

1620 Lorsappella 

En sousriant Loiauté qui fu la, 
Amour, Juenesse et Raison, qui parla 
Premièrement, et puis leur demanda 

r624 Li gentils roys : 

« Que diriez vous qui savez tous les drois? 
Cils chevaliers qui gens est et adrois 
Et ceste dame aussi a ces crins blois 

1628 Sont venu ci 

Par devers moy, dont je les remerci, 

Et jugement vuelent olr de mi, 

Li quels a plus de mal et de sousci : 

i632 La dame avoit 

Ami loîal qui l'amoit et servoit, 
Et elle lui, tant comme elle pooit. 

1608 D Nous vous pr. — 1609 C moustrc; C les r.; DEKJP 
ses r. — 161 5 EKJ mes en ma vie noy ; D ne vi ne oy — 1617 
EP Si en; AV Si nen; K présentement— i6i8 EKJ Et — 1620 
jB Si — 1622 es Amours— 1625 CDEKJP d\llQ% {K diitz) — 
1626 CE qui est gens; KJ qui est gentilz et drois — 1627 C 
dame icy a ; F ses; EKJ dame qui porte ses crins {EJ clins) bl. 
— i63o EKJ V. auoir— 1634 C tant que plus ne pouoit. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 19 

Or est einsi que Mors qui tout reçoit 

i636 Liatollu. 

S'en a le cuer dolent et irascu, 
Car a son temps ot il si grant vertu 
Que nul milleur, ne nul plus bel ne fu. 

1640 Lé chevalier 

Sans repentir aimme de cuer entier 
La plus belle qui vive, a son cuidier ; 
Et elle foy sans muer, ne changier 

1644 Lia promis, 

Et retenus fu de li comme amis 
Et bien amez ; il en estoit tous fis. 
Or a la dame en autre son cuer mis 

1 648 Et li guerpi 

Dou tout en tout, et n'a cure de li. 
Et a ses yeus voit la belle et celi 
Qui les dous biens' a qu'il a desservi. 

i652 Or vous ay dit 

Pour quoy il sont venu olr mon dit* 
Et sans doubte, cuers qui einsi languit 
Se destruit moult et a grant doleur vit. 

i656 Si m'en devez 

Donner conseil au mieus que vous poez; 
Car chascuns est mes drus et mes privez, 
Et moult me fi en vous, bien le savez. 

1660 Dites,. Raison, 

Premiers oîr vueil vostre entention ; 

Car vous m'avez maint conseil donné bon. » 

Raisons, qui fu belle et de bon renom, 

1 664 Einsi respont : 

i638 B'KJ Car en — 1639 KJ nulz — 1643 BI>C elle soy; 
EKJ tWt lui {E li); P elle aussi sans — 1644 K a ymis (51c); 
/ ay — 1646 KJ tout — 1649 D ^^^ — '^^o CDKJ celui — i654 
J doubler — i655 et manque dans J; KJ en gr. — i656 DP me 
— 1657 M a mieus; EKJ sauez — 1639 KJ men — 1660 KJ Si 
est r. — 1661 C veuil oir. 



120 LE JUGEME^^T DOU ROY DE BEHÂINGNE 

« Sire, je di que cil dui amant sont 
Moult engoisseus, quant ainsi perdu ont 
Ce qu'il aimment, et que li cuçrs leur font, 

1668 Si com la cire 

Devant le feu se degaste et empire. 
Mais qu'il soient tuit pareil de martire 
Et de meschief, ce ne vueil je pas dire. 

1672 Ce qui me muet 

Vous vueil dire, puisque faire Testuet : 
Ceste dame jamais vëoir ne. puet 
Son ami vrày, einsi comme ellesuet. 

1676 Si avenra 

Einsi que, puisque plus ne le verra, 
Je feray tant qu'elle l'oubliera. 
Car li qùers ja tant chose n^amera 

1680 Qu'il ne l'oublie 

Par eslongier. Certes, je ne di mie 
Qu'une pièce n'en ait peinne et hachie ; 
Mais Juenesse qui tant est gaie et lie 

1 684 Ne souflFerroit 

Pour nulle riens qu'entroubliez ne soit. 
Car Juenesse, sire, comment qu'il voit, 
Met en oubli moult tost ce que ne voit. 

1688 Après je di 

Qu'Amours n'a pas tant de pooir en li 
Que soustenir se peiist sans ami 
L'eure d'un jour, ne sans amie aussi. 

i665 AFMBD amans — 1667 ^ amoient; AV et qui; P les 
cuers; leur manque dans E — 1669 ^e manque dans A; FM ce; 
KJ gaste — 1670 tuit manque dans M; KJ dun mart. — 1671 
EKJ Ne — 1672 E Et ce qui men muet; KJ mesmeut — 1673 
D vueil je dire ce que f. ; E dire lest. ; KJ pourquoi dire lest. 

— 1675 vray manque dans D; P com; K sceust — 1676-1715 
manquent dans D •— 1677 K puis plus; P la; KJ reuerra — 

1681 KJ certes ne dire mie; P certes ne di je mie — 1682 KJp. 
on ait; E hastie — i683 E gay — 1686 P soit — 1687 EKJ quil 

— 1689 -E o li — 1691 ACD du jour. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 121 

1692 Et se l'un faut 

Des trois, li dui autres aront deffaut ; 
Qu'Amours, ami et amie estre faut 
Tout ensamble, ou l*amour riens ne vaut. 

1696 Et puisqu'amie 

Et Amours ont perdu la compaingnie 
D'ami, certes, je ne donroie mie 
De leur amour une pomme porrie, 

1700 C'est assavoir, 

Quant a l'amour, qui est môndeinne, avoir. 
Car c'est très bon de faire son devoir, 
Si que l'âme s'en puist apercevoir. 

1 704 Mais il n'est ame, 

N'homme vivant qui aimme si sans blâme, 

S'il psx tiipez de l'amoureuse flame, 

Qu'il n'aimme mieus assez le corps que l'ame. 

1 708 Pour quel raison ? 

Amour vient de charnel affection, 
Et si désir et sa condition 
Sont tuit enclin a délectation . 

1712 Si ne se puet 

Nuls, ne nulle garder qui amer vuet 
Qu'il n'i ait vice ou pechié ; il l'estuet ; 
Et c'est contraire a Tame qui s'en duet. 

1716 . Et d'autre part, 

Tout aussi tost com l'ame se départ 
Dou corps, l'amour s'en eslonge et espart. 



1693 EKJ en âront (E auront; K ont) — 1694 EKJ Car 
tous trois (E tout troy) estre en une amour leur faut — 1693 
EKJ Tous; C ou amours — 1697 CEKJ leur c. — 1698 EKJ 
Dame — 1701 KJ est ma dame auoir — 1702 KJ trop bon — 
1704 KJ famé -> 1705 CEKJ Ne homs viuans ; P Domme — 
1 708-1 1 manquent dans P— 1708 CKJ Par; E quelle — 1709 M 
eilfection — 17 11 C tout; B eslit; E en del. — 171 3 £ qui amour 
— 1714 M pechier; MK il estuet — 1715 £ a la dame; KJ se 
deust — 17 17 KJ ainsi ; C aptressi com — 1718 KJ départ. 



122 LE JUGEMENT DOU ROY DE BËHAINONE 

Eînsi le voy partout, se Dieus me gart. 
1720 SiqueTamour 

De ceste dame ou tant a de valour 

Apetîse toudîs de jour en jour; 

Et aussi fait a ce fuer la dolour. 
1724 Mais cils amis 

Qui folement s'est d'amer entremis 

Sans mon conseil, et se s'i est si mis, 

Li dolereus, qu'il en est tous remis, 
1728 Les maus d'amer 

Sont en son cuer qui li sont trop amer ; • 

Qu'Amours le fait nuit et jour enflamer, 

N'il ne vorroit, ne porroit oublier 
1732 Son anémie. 

Savez pourquoy? Pource que Compaingnie, 

Amour, Biauté et Juenesse la lie, 

Et Loiauté, qu'oublier ne vueil mie, 
1736 En grant folie. 

En rage, en dueil et en forcenerie 

Le font languir, et en grant jalousie, 

Et en péril de Tame et de la vie. 
1 740 ' Car main et tart 

Son dolent cuer de sa dame ne part, 

Eins la compaingne en tous lieus sans départ ; 

Et cils qui est plus près dou feu, plus s'art. 
1744 Et Loiauté 

Si'li deffent a faire fausseté. 

Mais s'il eûst par mon conseil ouvré. 

Quant sa dame ot nuef ami recouvré, 

1720 D que» — 1731 CEKJmovih a — 1722 KJ tous jours -r 
1723 C ccl; D feu ~ 1725 P damer sest; K entrepris — 1726 se 
manque dansD — 1729 KJ font; J damer — 1734 C le — ijSb 
qu manque dans CP — 1736 CP Et — 1740 EJP ne — 1742 
EKJ Mais; AFMEKJ le comp.; F déport — 1743 P plus est 
près; M EKJ pi. art. — 1743 Si manque dans M; KJ d. de f. — 
1747 C Q. ot la dame ; nuef manque danà D, 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE ItsS 

1 748 II n'etist pas 

Continué Tamour ; car, en tel cas, 

Se la dame chante en haut ou en bas, 

On doit aler ou le trot oq le pas. 
1752 Après li dist 

Biauté qu'il fait mieus assez, s*il languist, 

Pour li amer, que se d'autre jolst. 

Si fait Amour. Juenesse le norrist 
1756 Avecfolour 

En ce meschief, en celle foie errour; 

Car il en pert le sens et la vigour. 

Einsi languist li dolens en dolour; 
1760 Car quant il voit 

Que de s'amour, présent li, autres joit, 

Qui son ami appeler le soloit, 

Il a le cuer si jalons, si destroit, 
1764 Que c*est merveille 

Qu'il ne s'occist, ou qu'il ne s'apareille 

D'occirre ce qui einsi le traveille ; 

Et ce li met jalousie en l'oreille. 
1768 Ets'ilavoit 

L'amour de li, einsi comme il soloit. 

Qu'en feroit il? Certes, riens n'en feroit. 

Car jamais jour il ne s'i fieroit. 
1772 Et pour c'espoir 

N'a de jamais autre sblas avoir, 



1749 E C. amour; EKJ quant; D quer — i/So EKJ Car se; 
M ou en haut; C ch. haut ou bas; KJ ch. ou haut ou bas — 
1753 D A. il dit — 1733 DKJ qui; CKJ assez mieus; KJ qui 
languist— 1755 CEKJ faite; C la; KJ jouuencelle nourr. — 
1767 C cest; K que celle; en manque dans D — 1758 E il em- 
porte — 1759 EKJ cilz dolens; EKJ langour — 1763 C et si d. 
— 1767 E Et si li — 1769 K si comme— 1 770-1 dans KJ : Ne 
sai je pas se {K ce) il si fieroit. Certes nennil pourquoy il nose- 
roit — 1770 Z> ne — 1771 P Car jamaiz en li ne se fieroit; C ne 
se firoit — 177a J Pour — 1773 E Ne. 



124 ^^ JUGEAiENT DOU ROY DE BEHAINGNB 

Puisque mettre ne puet en nonchaloir 
Ceste dame qui tant le fait doloir. . 

1 '^'^6 Si que je di 

Qu'ail a plus mal que ceste*dame ci, 

Et que son cuer est en plus grant sousci, 

Par les raisons que vous avez ol. 

1780 Et, a mon gré. 

Cils chevaliers en a moult bien parlé — 
Car en escript Tay ci dessus trouvé — 
Et par raison s^entention prouvé, 

1784 . Ce m'est avis. » 

Quant Raisons ot conté tout son avis, 
Amours parla qui fu biaus a devis. 
Et gracieus de fnaniere et de vis» 

1788 Et dist : <c Raison, 

Moult bien avez moustrée vo raison. 
Si m'i ottroy, fors tant que mesprison 
Feroit d'oster son cuer de la prison 

1792 A la très belle 

Pour qui il sent Tamoureuse estincelle. . 
Si vueil qu'il Paint Qt serve comme celle 
Dont ^a a mainte lie nouvelle. 

1 796 Car s'il pooit 

Vivre mil ans, et toudis la servoit, 

Ja par servir il ne desserviroit 

Les grans douceurs que faire li soloit. 



1774 JCJPuisquil ne puet mètre; E en un chaloir — 1775- D 
Celle; E qui trop — 1778 EKJ en grcignour ». — 1781 C 
CcBt; BD moult haut p. — 178a EK la cy — 1785 il ot moustre 
— 1 786 C b. et a lis; fu manque dans J — 1787 D et vis ; P et de 
diz — 1789 CBDEJ moustre vostre r. — 1790 que manque dans 
Z>— 1791 JSeroit — 1792 B Qua — lygS BD Pour ce quil 
sent; EKJ Pour quil aimt sceust lauoureuse est. (estincelle man- 
que dans J) — 1794 E Maiz; 1 manque dans K; P laime ; E et 
aime; KJ et quil serue {K serre) ycelle — 1795 EKJ a, eu; 
D en a eu; C eue ; D liée — 1797 P le — 1798 DEP pour. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 1 25 

1 800 Et se Plaisance 

Qui faire fait mainte estrange muance 
Li fait estre de sa dame en doubtance, 
Doit il estre pour c'en désespérance? 

1804 Certes! nannil! 

Qu'en mon service en a encor cent mil 
Qui aimment tuit près aussi fort comme il, 
Et si n'en ont la monte d'un fusil. 

1 808 Et s'ay pouoir 

De 11 garir et de li desdoloir. 

Mais il n'a mais fiance, ne espoir, 

En moy ; c'est ce qui plus le fait doloir. » 

1812 — « Comment, Amours ? » 

Ce dist Raisons, « est ce dont de vos tours 
Qu'il amera, sans avoir nul secours, 
Celle qui a donné son cuer aillours ? 

1816 Et qui vous sert, 

Il n'a mie le loier qu'il dessert ? 

Certes, fols est qui a servir s'aert 

Si fait maistre, quant son guerredon port. » 

1820 Après ce fait 

Devers Amours Loiauté se retrait. 
Et dist einsi, que riens n'eust méfiait, 
Se d'autel pain li eiist soupe fait. 

1824 « N'il n'est raisons 

Pour ce, s'il est vrais, loiaus et preudons, 



1801 EKJ fait faire — 1803 D Lui fait faire; MEJ Le; en 
manque dans D •— i8o3 MD pour ce estre — 1806 près manque 
dans KJ; CD daussi; M cil — 1807 E Et sil; £ le — 1809 C 
ou; E doloir; KJ redoloir — 181 3 Ce dist raisons manquent dans 
D; KJ dist amours; P sont ce — 1814 MK nulz; E recours; 
KJ retours — 181 5 C Que elle; donne manque dans D — Les 
vers 181 6- g ne figtirent que dans CEKJP — 1816 C nous -* 
1817 C Quil— 1819 E Si f. mestier; KJ que; C quant gu. y 
pert " 1833 C que de rien — i833 E souppes — ' i8s5 B et 
loyaux; D loyal et vray prodoms^f loyaux vrais. 



I 26 LE. JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂWGNE 

Qu'il soit de ceuls qui bâtent les buissons 
Dont li autre prennent les oisillons. 

1828 Car se la dame 

Que je repren moult durement et blâme, — 
Et c'est bien drois, car elle acuet grant blâme 
De muance faire en la fausse game, — 

i832 Premièrement 

N'etist osté son cuer de cest amant 
Qui tous estoit en son commandement, 
Amours, Amours, je parlasse autrement. 

1 836 Mais sans doubtance, 

Quant il Taimme de toute sa puissance, 
Et sans cause le met en oubliance, 
Il doit dancier einsi comme elle dance, 

1 840 Nom pas qu'il face 

Chose de quoy il puist perdre ma grâce ; 
Car s'il la laist, et ailleurs ^e pourchace, 
Je ne tien pas qu'envers moy se mefface. 

1844 Et si m'acort 

Dou tout en tout de Raison a l'acort, 

(Car elle fait bon et loial raport) 

Que cils a droit, et ceste dame a tort. » 

1 848 Et quant J uenesse 

Qui moult fu gaie et pleinne de lëesse, 
Et qui n'aconte a don, ne a promesse, 
Fors seulement que ses voloirs adresse, 

i852 Otescouté 

Ce que Raisons ot dit et raconté 

1829 M doucement — i83o KJP elle acquiert; E je acquier 
un gr. bl.; grant manque dans D — i83i C De la muance; D 
faire muance; ADEKJC haute game — i834 EP a son — i835 
KJ A mon auis je parlasse (Jje parlaisse) — 1837 1 manque dans 
KJ ^ 1841 E par quoi y puet; CP sa (C ca) grâce — 1842 KJ 
sel le laist; P le laist; D lesse — 1843 EKJ ne di pas — 1845 
D De; C a raison — 1846 ^Jelle a fait — i85o KJ a veu ny a 
pr. — i85t iC qui son vouloir adr» -^ i852 «/ Et. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 27 

Et Loiauté, pou y a aconté, 

Car moult pleinne fu de sa voleaté, 

i856 Et dist en haut : 

« Certes, Raison, vostre science faut, 
Et Loiauté, sachiez, riens ne vous vaut. 
Car cils amis, pour mal, ne pour assaut 

1860 Qu'Amours li face, 

N'iert ja partis de la belle topasse 
Qui de biauté et de douceur tout passe, 
Et de fine colour ; ja Dieu ne place 

1864 Qu'il li aveingne 

Que ja d'amer la belle se refreingne ! 

Car s'a présent ne le vuet, ne n'adaingne, 

Au moins l'aimme il, et son cuer la compaingne. 

1 868 Dont n'est ce assez ? 

Doit il estre de li amer lassez ? 
Certes, nennil ! Car on n'est pas amez, 
Ne conjols toudis, n'amis clamez : 

1872 Non est, sans doute. 

Raison,, fols est amans qui vous escoute, 
Ne qui ensuit vos dis, ne vostre route. 
Et qui le fait, je di qu'il ne voit goûte. 

1876 Et par ma foy, 

Nous ferons tant, Amours, ma dame et moy, 
Que son cuer yert si pris, et en tel ploy. 



1854 M y eLpo— i855 E Car pleine fu moult de sa v. ; P Car 
moult fu plaine et de sa v. — i856 CP Si — i858 et iSSg intet*- 
vertis dans KJ — i858 DEKJ certes riens; vous manque dans C 
— 1859 C cestami — 1861-84 ne se trouvent que dans EKJR — 
186 1 E compassé — 1862 manque dans R — i863 E ne dieu — 
i865 R sestreingne — 1866 XJCar son penser; /{ ne lui vault; 
KJ ne daingne; n manque dans R^ 1871 /CJ Ne conjoinz; R Ne 
comme roy; R mauez cl. — 1872 KJ N. et s.; /{ s. doubtance — 
1873 R Raison raison fols est; amans manque dans ER — 1874 
K vous dis — 1877 tant manque dans R — • 1878 R cuer y est; 
R a tel pK 



128 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 

Que nuit, ne jour ne partira de soy. 

1880 NevosefiFors, 

Ne doubtez pas, ne sera ja si fors 

Que li fins cuers de cest amant soit hors 

De la très belle ou po treuve confors. 

1884 Qu*Amour, ma dame, 

Qui son cuer art, teint, bruit et enflame, 

Et moy qui sui encor a tout ma flame, 

En ceste amour le tenrons ; car, par m'ame, 

1888 II le convient. 

Et se des maus dolereus plus li vient 

Qu^a la dame qui dalez lui se tient. 

Fors est assez; bien les porte et soustient. » 

1892 Lors s'avisa 

Li gentils rois, et bonnement ris a 

De Juenesse qui einsi devisa ; 

Mais onques meins pour ce ne l'en prisa, 

1896 Qu'elle faisoît 

Tout son devoir de ce qu'elle disoit, 
Et de son vueil plus chier denrée avoit. 
Que dis livres de son profit n'amoit. 

1900 Si dist : « Juenesse, 

Belle dame, vous estes grant maistresse 
Qui cest amant tenez en grant destresse, 
En povreté, en misère, en tristesse, 

1904 Vous et Amours. 



1881 j& seroit; si manque dans J — 1882 et i883 intervertis dans 
it — 1882 /( Qui le sien cuer ; R soit fort — i885 KJ mon cuer ; 
K art tant; C et bruit; P cuer taint et bruit et entache — 1886 
et 1887 dans P : Ne guetpira sa dame ne sa fâche Et je di bien 
et vœil que chascun sache — 1887 C cest — 1888 P Quil — 1889 
EP Et de ses maux (P malx) ; JBZ) de maux (D maulz) — 1890 E 
Car; KJ Par— 1891 D Forte; C le — 1892 F sacusa — 1894 
D qui ad.— 189$ DE le — 1897 KJ faisoit — 1898 C amoit 
— 1899 ^«^ Qui -xv. de ; CBDËKJ auoit; P aroit -^ 1900 C Et 
^ 1902 kJ Quant; EKJ en tel d* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHÂINGNE 1 2Ç) 

Vez que li las a perdu tout secours, 
Ne ses cucrs n'a refuge, ne recours, 
Fors a la mort qui a-li vient le cours. 

1908 Car travillier 

Le volez trop, et dou tout essillier. 
Or a trouvé, s'il vous plaist, consillier 
Bon et loial ; laissiez le consillier; 

191 2 Si ferez bien. 

Car il est pris en si estroit lien 

Qu*il n'î scet tour d'eschaper, ne engien. » 

— a Certes, sire, de ce ne faire rien . 

1916 Eins amera 

La très belle pour qui tant d'amer a . 
Et, s'il y muert, chascuns le clamera 
Martîr d'amours, et honneur li sera, 

1920 S'il muert pour li. » 

Quant Juenesse ot son parler assevi, 
Li rois parla a euls et dist einsi : 
« Nous ne sommes pas assemblé ici 

1 924 Pour desputer 

S'il doit amer sa dame ou non amer, 
Mais pour savoir li quels a plus d'amer, 
Et qui plus sent crueus les maus d'amer, 

1928 Si com moy samble. 



1905 D Vees li las; C tous ; P p. son secours; KJ tout le 
cours — 1906 D Que; KJ Nen son cucr; BDE secours — 1907 
C vient a U ; 3f qui li vient tout le cours — 1910 3f si ; /> se — 
191 3 C destroit — 1914 DEKJP Quil ne scet; £ tout; d manque 
dans D; KJnï engien — 191 5 ^J feray ; P ferons — 191 8 /TJ en 
muert — 1919 DKJP fera — 192 1 È son penser; KJ feni — 
1923 a euls manque dans D; D aussi — 1923 DE ci — 1924 D 
discuter — 1925 EKJ sa (KJ la) dame amer; D doit ou nom sa 
dame amer — 1927 D Et li quel sent plus cruelz mal damer; 
C qui sont plus; J qui plus sont cr. — 1928 C Si comme sem- 
ble; D qui me; P me. 

Tome I. Q 



l3o LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Or estes vous en acort tout ensamble 
Que plus de mal en cest amant s'assamble 
Qu'en la dame ; ne pas ne me dessamble 

1932 De cest acort, 

Einsois m'i tieng dou tout et m'i acort, 
Que cils amans est plus loing de confort 
Que la dame ne soit, que Dieus confort. 

1936 Si en feray 

Le jugement einsi com je saray. 
Car tel chose pas acoustumé n'ay, 
Et uns autres, vraiement, bien le say, 

1 940 Mîeus le feroit . 

Je di einsi : Considéré a droit 

L'entention de Raison ci endroit, 

Et les raisons de vous qui volez droit, 

1944 Et Loiauté 

Qui en a dit la pure vérité, 
Ne n'i chasse barat ne fausseté, 
D'Amours aussi qui en a bien parlé, 

1948 Et de Juenesse, 

Que cils amans suefTre plus de tristesse, 
Et que li maus d'amours plus fort le blesse 
Que la dame, ou moult a de noblesse, 

1952 Et que plus loing 

Est de confort, dont il ont bon besoing, 
Et pour ce di mon jugement et doing, 
Qu'il a plus mal qu'elle n*a, plus de soing 



1929 P dun acort tuit cns. ; C a acort j EKJ ac. ce me semble' 

— igSo s manque dansJ^ igSS EKJ du tout mi tieng [E tiens); 
D et du tout — 1934 EKJ cest amant — 1935 manque dans «/; 
D comport — 1987 EKJ au mieus que je s. — 1938 E Qua — 
1939 KJ vous autres — 1941 KJ Si; C et cons. — 1942 C cy a 
droit — • 1945 D Qui a ditte — 1949 EKJ Que cest amant est 
plus près de tr. — igSo CP damer — 195 1 a manque dans M 

— 1953 /î: il a ; CDP bien — 1954 E dit — igSS C plus de mal; 
DP et plus {P de) soing ; C na de besoing ; KJ et grant soing. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE l3l 

1956 Et de grevance. » 

Quant li bons rois ot rendu sa sentence 
Dont par Raison fu faite l'ordenance, 
Li chevaliers iluec, en sa présence, 

1 960 L'en mercia. 

Et en pensant, la dame s'oublia 
Si durement que nul mot dit n'i a. 
Mais nompourquant en la fin ottria 

1964 Qu'elle tenoit 

Le jugement que li rois fait avoit; 
Car si sages et si loiaus estoit 
Qu'envers nelui fors raison ne feroit. 

1968 Adont li rois 

En sousriant les a pris par les dois 

Et les assist seur le tapis norois, 

Loing des autres, si qu'il n'i ot qu'euls trois. 

1972 Sileurenorte 

Et deprie chascun qu'il se conforte ; 
Car se le cuer longuement tel mal porte, 
Il en porroit mors estre, et elle morte, 

1 976 Que ja n'aveingne, 

Mais chascuns d'eaus bon corage reprengne. 

Car li cuers trop se destruit et mehaingne 

Qui en tel pleur et tel doleur se baingne ; < 

1980 Et recorder 

Voit on souvent qu'on doit tout oublier 
Ce qu'on voit bien qu'on ne puet amender, 

1957 C donne — 1959 KJ ch* se lieue . en — i960 KJ Le -* 

1961 KJ loublia — 1963 KJ Et; J loctroia — 1964 C vcnoit — 

1965 C Li jugemens — 1967 E Que pournului; C Que vers 
nulz; KJ foisoit (JJ fesoit) — 1969 a manque dans J — 1970 
E sous; CDEKJP les tapis ; C noirois — 1971 D qui ni ot que 
.III. — 1973 C déporte — 1974 K ce ; KJ leur cuer; E leurs 
cuers; CP tel mal longuement — 1975 P porra estre mors elle 
m. — 1978 C tr. le destraint; D mehaine — 1979 CP et en tel ; 
se manque dansP — > 1981 EKJ Ot ; CP tost — 1982 C quen. 



l32 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Ne recouvrer ï>ar pleindre ne plourer. 
1984 S'eînsi le font, 

Vers Loiauté, ce dîst, pas ne mcffont; 

Maïs s'en ce plour pour amer se meffont, 

Homicides de leur âmes se font 
1988 Et de leur vie. 

Après li rois appella sa maisnie ; 

Si vint Franchise, Honneur et Courtoisie, 

Biauté^ Désir, Leësse Tenvoisie, 
1992 Et Hardiesse, 

Prouesse, Amour, Loiauté et Largesse, 

Voloir, Penser, Richesse avec Juenesse,# 

Et puis Raison qui de tous fu maistresse. 4 

1996 Si leur commande 

Que chascuns d'eaus a honnourer entende 

Ces deus amans, et qu'Amour leur deffende 

Merencolie. Après, que la viande 
2000 Soit aprcstée, 

Car il estoit ja près de la vesprée. 

Et il ont fait son vueil sans demourée, 

Com bonne gent et bien endoctrinée. 
2004 Lors se sont trait 

Vers les amans, sans faire plus de plait; 

Et chascuns d'eaus a son pooir a fait 
Ce quMl pense qui leur agrée et plait, 
2008 Qu'entalenté 

En estoient de bonne volenté. 

1983 Af ne par pi.; C par plaint ne par pi. — 1985 EKJ pas 
ce dist (KJ dit) — 1986 K tel plour ; pour manque dans D; 
KKJ deffont — 1987 D armes; CKJP seront; E feront — 1988 
/)vics— 1991 P Loyauté ei désir; C renuoisie — 1993 BD Pr. 
honneur; P spuuenirs et larg. ; D et leesce — 1994 C et jonesse 
— 1994 et 1995 intervertis dans KJ — 1995 P qui sur tous est 
ni. — 1996 E demande — 1998 C que amer; KJ et [K et que) 
moult leur defF. — 20o3 E bonnes gens — 2007 E quilz pen- 
sent; D pensent — 2008 C atalan^e — 2009 En manque dans 
FKJ. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE l33 

Et li amant ont congié demandé. 

Mais on leur a baudement refusé, 
20 1 2 Car Courtoisie, 

Franchise, Honneur, et Largesse s'amie, 

Li gentils rois qui pas ne s'i oublie, 

Et chascuns d'eaus moult durement les prie 
2016 De demourer. 

Et il estoit près heure de souper. 

Et a ce mot on prist Tiaue a corner 

Par le chastel, et forment a tromper ; 
2020 Si se levèrent, 

Et deus et deus en la sale en alerent ; 

Après leurs mains courtoisement lavèrent; 

Puis s'assirent, si burent et mengierent, 
2024 Selonc raison, 

Car il y ot planté et a foison 

De quanqu^on puet dire n^avoir de bon. 

Après mengier, les prist par le giron 
2028 Li gentils rois, 

; Et si leur dist : « Vous n'en irez des mois, 

Car je vous vueil oster a ceste'fois 

Les pensées qui vous font moult d'anois. » 
2o32 Le chevalier 

Moult humblement l'en prist a mercier. 

Et aussi fist la dame qui targier 

Ne pooit plus, ce dist, de repairier. 
2o36 Et finalment 

2011 A partir de ce vers la fin manque dans K ^ 201 1 C aban- 
donnement —• 2oi5 CEJP doucement; BD Icn; P leur — 2017 
DJ près deure ; P prez de leure — 2018 C ccst; J leau» — 2020 
D lauerent — 2021 ^ 11 a 11.; en manque dans C — 202 3 £J et 
burent ; D bugent — 2025 ilf ot a plante ; E faison ; D Quan- 
ques y fu fu .plante et foison — 2026 P De quanque len porroit 
auoir de bon; E quanqui on ; CJ&Vpot; C dire et auoir —2027 
F le; ^ les çieron; D geron — 2o3i EJP qui moult vous font ; 
J destrois — 2o35 P Ne se pot plus ; J rapairier — 2o36 EJ 
Finablemeni. 



l34 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 

Li rois les tint huit jours moult Hument 
Et au partir leur donna largement 
Chevaus, harnois, joiaus, or et argent. 

2040 Si se partirent 

Au chief d*huit jours et dou roy congié prirent, 
Ou tant orent trouvé d*onneur qu'il dirent 
Qu'ains si bon roy ne si gentil ne virent. 

2044 Mais compaingnic 

Leur fist Honneur; aussi fist Courtoisie, 

Juenesse, Amour, Richesse l'aaisie, 

Et meint autre que nommer ne say mie. 

2048 Car il montèrent 

Sus les chevaus et tant les convolèrent 
Que chascun d'eaus en son hostel menèrent, 
Et puis au roy a Durbui retournèrent. 

2o52 Ci fineray 

Ma matière, ne plus n'en rimeray ; 

Car autre part assez a rimer ay. * ^ 

Mais en la fin de ce livret feray 

2o56 Que qui savoir 

Vorra mon nom et mon seurnom de voir, 
Il le porra clerement percevoir 
En darrein ver dou livret et vëoir, 

2060 Mais qu'il dessamble 

Les premières set sillabes d'ensamble 
Et les lettres d'autre guise rassamble. 



2039 C bernois — 2040 C Et — 2041 E des .viii.; P A .viii. 
jours et au roy — 2042 D damour — 2043 A Queinc ; PD Quonc ! 
J roys ; J gentilz — 2045 C et si fist — 2046 £' et rich. ; C li 
aisiee; EJ lenuoisie; B la lie; F la vie; D et liesce la lie; P 
leece lenuoisie — 2o5o D et en lostel ; J en leur h. ; P en leurs 
chastel — 2o53 MBD et plus; J ne r. — 2064 et 2o55 intervertis 
dans'D — 2054 EP dautre part ; D assez en rimeray — 2o55 C 
cest; BD Hure — 2067 P pour voir — 2059 CBEJ Ou; Z) V; P 
Au derrenier; E derrenier; ver manque dans P; M Hure — 
:^o6i P s'arrête ici; E premiers; E desamble. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE l35 

Si que nulle n'en oublie ne emble. 

2064 « Einsi porra 

Mon nom savoir qui savoir le vorra. 
Mais ja pour ce mieus ne m'en prisera. 
Et nompourquant ja pour ce ne sera 

2068 Que je ne soie 

Loiaus amis, jolis et pleins de joie ; 
Car se riens plus en ce monde n'avoie 
Fors ce que j'aim ma dame simple et coie 

2072 Contre son gré, 

Si ay j'assez, qu'Amours m'a honnouré 
Et richement mon mal guerredonné, 
Quant a ma dame einsi mon cuer donné 

2076 Ay a tous jours . 

Et ce mon cuer conforte en ses dolours 
Que, quant premiers senti les maus d'amours, 
A gentil mal cuide humble secours. 

Explicit le Jugement dou Roy de Behaingne\ 



I . V Explicit manque dans D ; FMBC du bon roy ; B boeme ; 
C Ci fenist le temps pascour; E Explicit. 

2o63 M nen emble — 2067 E Maiz — 2069 ^ amans joieux ; 
E joiaux — 2072 E Outre; J Et de son gre — 2076 a manque 
dans E — 2077 MBDE se ; F ces ; BD amours — 2078 E 
Quant au premier; J le mal ; D le mau — 2079 EJ Ou; EJ 
cuiday. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

CONTRE LE 

JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE ' 



Au départir dou bel esté 

Qui a gais et jolis esté, 

De fleurs, de fueilles faillolez, 
4 Et d^arbrissiaus emmaillolcz, 

Arrousez de douce rouséc, 

Séchiez par chaleur ordenée 

Que le soleil li amenistre, 
8 Et qu'oisillons ont leur chapitre 

Tenu de sons et de hoquès, 

Par plains, par aunois, pat bosquès, 

Pour li servir et honnourer, 

I. MBE Ci commence le }ugement du roy de nauarre; F du 
bon roy de B. ; D tCa pas de titre, ce Dit y étant considéré 
comme la continuation immédiate du Dit précédent. 

I £: Ou — 3 Z) flour ; DE fculles fcullolcs — 7 1) leur — 8 i) 
tiennent ch.; B chapistre — 9 D T. desouz — 10 i? annoys et par 
bocques. 



l38 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE . 

1 2 Que tout ce couvient demourer 
Pour le temps qui, de sa nature, 
Mue sa chaleur en froidure, 
Un po après le temps d'autonne 

i6 Que chascuns vandange et entonne 
Qui a vingnes a vandangier, 
Et qu'on a a petit dangier 
Pesches, moust, poires et roisins, 

20 Dont on présente a ses voisins, 
Que lî blez en la terre germe 
Et que la fueille chiet dou cherme. 
Par nature, ou dou vent qui vente, 

24 L'an mil trois cens nuef et quarante, 
Le novisme jour de novembrél 
M'en aloie par mi ma chambre. 
Et se li airs fust clers et purs, 

28 Je fusse ailleurs ; mais si obscurs 
Estoit, que montaingnes et plains 
Estoient de bruines pleins. 
Pour ce me tenoie a couvert ; 

32 Car ce qu'estre soloit tout vert 
Estoit mué en autre teint, 
Car bise Tavoit tout desteint 
Qui mainte fleur a decopée 

36 Par la froidure de s'espée. 

Si que la merencolioie 
Tous seuls en ma chambre et pensoie 
Comment par conseil de taverne 
40 Li mondes par tout se gouverne ; 



12 1) se — 18 F dongier — 19 E moult; D pesches et raisins 

— 21 1) Que Me; FB bief— 22 B chierme ; D chiesne ; ^ 
chenne — 23 D out — 25 Mss. Le .ix*. j. — 26 E alay — 27 
D fu — 32 D Que ce quaisire — 33 D Estro — 35 D deserpee 

— 38 JS ceulz ; et manque dans /) — 39 /> Comme* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I Sg 

Comment justice et vérité 

Sont mortes par l'iniquité 

D'avarice qui en maint règne 
44 Com dame souvereinne règne, 

Com maistresse, comme royne, — 

Qu'avarice engendre haine, 

Et largesse donne et rent gloire, 
48 Vraiement, c'est parole voire, 

Qu'on le scet et voit clerement 

Par vray et juste experiment, — 

Comment nuls ne fait son devoir, 
52 Comment chascuns quieri décevoir 

Son proîsme ; car je ne voy père, 

Fil, ne fille, ne suer, ne frère, 

Mère, marrastre, ne cousine, 
56 Tante, oncle, voisin, ne voisine, 

Mari, mouillier, amy, n'amie 

Que li uns l'autre ne cunchie ; 

Et s'un en y a qui s'en garde, 
60 Chascuns de travers le regarde, 

Et dit on qu'il est ypocrites. 

Et fust sains Jehans li Ermites ; 

Com li signeur leur subgiez pillent, 
64 Roubent, raembent et essillent 

Et mettent a destruction 

Sans pitié ne compation, 

Si que grans meschiés, ce me samble, 
68 Est de vice et pooir ensamble. 

Et on le voit assez de fait, 

Ne riens tant cuer félon ne fait 

41 D Comme — 43 ^ aduarice ; M main ~ 44 ME Comme; D 
royne — 45 et ^6 intervertis dans BDE — 45 E Comme; D et 
com — 48 FM Voirement — 49 -E Quen li scet — 5o DE vraie — 
5i ef Si D Comme — 53 ^ peire — 64 ne {devant suer) manque 
dans M — 63 E subget — 64 F raembrent ; M raiembrent ; D 
rnongncnt — 67 F se — 68 D de vies. 



140 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Corn grant pooir qui mal en use. 
72 Or voy que chascuns eri abuse, 

Car je ne voy homme puissant 

Qui n'ait puis dis, puis vint, puis cent 

Tours, manières, engiens ou ars 
76 Pour pillier hardis et couars. 

Car convoitise les atrape, 

Si que nuls de leurs mains n*eschape, 

S'il n'est dont tels qu'il n'ait que perdre. 
80 A tels ne s'ont cure d'aërdre : 

Car qui riens n'a, riens ne li chiet ; 

De tels gens riens ne leur eschiet. 

Mais couvoiteus ont tel défaut 
84 Que quant plus ont, plus leur deffaut, 

Et quant plus sont puissamment riche, 

Tant sont il plus aver et chiche ; 

Qu'avarice ardant qui d'euls vist, 
88 Com plus vivent, plus rajonnist. 

Et de ce la vient la tempeste 

Qui destruit le monde et tempeste, 

Les merveilles et les fortunes 
92 Qui au jour d'ui sont si communes 

Qu'on n'oit de nulle part nouvelle 

Qui soit aggreable ne belle ; 

Car il a plus grant différence 
96 Dou temps que je vi en m'enfance 

A cestui qui trop est divers, 

Qu'il n'ait des estez aus y vers. 

Mais la chose qui plus m'est grieve 

75 E maniers — 76 DPoures pillars hardis couars — 79 D Si; 
D qui «^ 84 D et plus leur fault — 85 D quant il sont; A puis- 
sant et r« — 86 D Tant plus sont il — 87 FAf nist;Z) vit — 
88 E plus muet plus remuist — 90 manque dans DE ; dans E 
au bas de la colonne : Qui maint lieux deront et degueste — 93 
D Com voit; MD nouuelles — 94 D et belle — 98 DE nest; B 
na ; FM as — - 99 ^ plus me grieue ; E qui pou mest griefiie. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I4I 

100 A souffrir, et qui plus me grieve, 

C'est rendre a Dieu po révérence, 

Et ce qu'en riens n'a ordenance, 

Et qu'au jour d'ui chascuns se père 
104 De ce qu'on claimme vitupère. 

Pour c'en moy, plus que dire n'ose, 

Estoit .merencolie enclose. 

Car qui le scetist a demi, 
108 Assez meins en tenist de mi. 

Et pour ce que merencolie 

Esteint toute pensée lie, 

Et aussi que je bien vëoie 
1 1 2 Que mettre conseil n'i pooie, 

Et que, s'on sceust mon muser, 

On ne s'en feîst que ruser, 

Laissay le merencolier 
116 Et pris ailleurs a colier, 

En pensant que s'a Dieu plaisoit 

Qui pour le milleur le faisoit. 

Si cheî en autre pensée, 
1 20 Pour ce que folie esprouvée 

Est en tout homme qui se duet 

De chose qu'amender ne puet ; 

Et me pensai que, se li temps 
1 24 Estoit encor pires dis tans, 

Voire cent fois, voire cent mil, 

N'i a il conseil si soutil 

Comme de tout laissier ester, 
1 28 Puis qu'on ne le puet contrester. 

Et de faire sêlonc le sage 

100 A mest gricue — 102 D ordrenance — io3 D Car au 
jour — io5 ME plus dire — 109 que manque dans £ — ii3 
E moy muser — 114 D se -— 124 AB encore; E encores ; D 
pires encores; A .x. temps — 126 il manque dans D ^ 127 E 
du tout. 



142 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qui dit et demoustre en sa page 

Que, quant il a tout conceii, 
i32 Tout ymagîné, tout veti, 

Esprouvé, serchié, viseté 

Le monde, c'est tout vanité, 

Et qu'il n'i a autre salaire 
1 36 Fors d'estre liez et de bien faire. 

Et tout einsi com je cuidoie 

Laissier le penser ou j'estoie, 

Il me sourvint une pensée 
140 Plus diverse, plus effreée, 

Plus enuieuse la moitié, 

Et de plus grant merencolie. 

Ce fu des orribles merveilles, 
144. Seur toutes autres despareilles, 

Dont homme puet avoir mémoire. 

Car je ne truis pas en histoire 

Lisant nulles si mervilleuses, 
148 Si dures, ne si périlleuses 

De quatre pars, non de dis tans. 

Comme elles ont esté de mon temps. 

Car ce fu chose assez commune 
1 52 Qu'on vit le soleil et la lune, 

Les estoiles, le ciel, la terre. 

En signefiance de guerre, 

De doleurs et de pestilences, 
1 56 Faire signes et demoustrances . 

Car chascuns pot vëoir a l'ueil 



i3i Z> Que tant que il a couceu — i33 D et tout — 184 D m. 
est toute V. — 140 A et plus; M effraee — 143 £ Se; Z) Et — 
145 D puist — 146 E ne le tr. ; D listoire — 147 FM Lisans ; 
BD nulle si merueilleuse — 148 MDE dure ; D perileuse — 
149 D ou de ; AF temps — i5o DE elle; 5' elles furent — i5i 
/T se — 1 56 £ F. figures— 157 BD puct. 



LE JUGEMENT DOU ROY b£ NAVARRE I43 

De lune esclipce et de soleil, 

Plus grant et plus obscur assez 
160 Qu'esté n'avoit mains ans passez, 

Et perdre en signe de douleur 

Longuement clarté et couleur. 

Aussi fu Testoile coumée, 
164 En semblance de feu couée, 

Qui de feu et d'occision 

Faisoit prenostication. 

Li ciel qui de leur haut vëoient 
168 Les meschiés qu'a venir estoient 

. Au monde, en pluseurs lieus plourerent 

De pitié sanc et dégoûtèrent, 

Si que de leur mervilleus plour 

172 La terre trembla de paour, 

Ce dient pluseurs qui ce virent, 

Dont villes et citez fondirent 

En Alemaingne, en Quarenteinne, 
176 Assez plus d'une quaranteinne, ' 

Dont je n'en say mie la somme ; 

Mais on le scet moult bien a Romme, 

Car il y a une abele 
1 80 De Saint Pol qui en fu perie. 

Mais li sires qui tout a fait 
Par expérience de fait, 
Com sires souvereins et dignes 
1 84 Seur tous, de ces mervilleus signes 
Nous moustra la signefiance, 
Et nous en mist hors de doubtance 
Si a point et si proprement 

i58 et manque dans D; F dou — iSq /> obscure — 160 B* 
moins — i63 F tournée; BDE journée — 164 i) tournée — 167 
qui effacé dans B' — 168 -4 Li — 169 D.et pi. ; /> ploroient — 

173 E dirent— 175 D quarantomme — 177 Z) ne aces — 184 BD 
ses. 



144 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

188 Que chascuns le vit cîerement. 

Car les batailles et les guerres 

Furent si grans par toutes terres, 

Qu'on ne savoit en tout le monde, 
192 Tant comme il tient a la rëonde, 

Pais, règne, ne région, 

Qu'il n'i eùst discention ; 
Q)ont cinc cent mil hommes et femmes 
196 Perdirent les corps et les ames^ 

Se cils qui a tous biens s'acorde 

Ne les prent a miséricorde ; 

Et maint pais destruit en furent, 
200 Dont encor les traces en durent ; 

Et des prises et des outrages 

Et des occasions sauvages 

De barons et de chevaliers, 
204 De clers, de bourgois, d'escuiers, 

Et de la povre gent menue 

Qui morte y fu et confondue, 

De rois, de duz, de bers, de contes 
208 Seroit Ions a dire li contes. 

Car tant en y ot de perdus 

Qu'on en estoit tous esperdus, 

L'un par feu, l'autre par bataille. 
212 Après ce, vint une merdaille 

Fausse, traître et renoie : 

Ce fu Judée la honnie, 

La mauvaise, la desloyal, 
216 Qui bien het et aimme tout mal, 

Qui tant donna d'or et d'argent 

190 Z> F. plus par — 191 D par tout — 192 BE ronde — 194 F 
Qui — 195 D mille; E milles — 196 M le cors — 197 D tout 
bien — 198 F print; MBDE prist — aoo D les ir. encore durent 
— 207 £ pers — 308 D Seront; A a faire — 309 AM desperdus; 
F ost — 210 E Con on c. tout esp. — 2i3 FMB traite — 214 B* 
fu la honnie judce ; Z) li h. *- 2i5 i? et la — 216 ii het bien. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE IJ^b 

Et promist a crestienne gent, 

Que puîs, rivières et fonteinnes 
•220 Qui estoient cleres et seinnes 

En pluseurs lieus empoisonnèrent, 

Dont pluseurs leurs vies fînerent ; 

Car trestuit cil qui en usoient 
224 Assez soudeinnement moroient. 

Dont, certes, par dis fois cent mille 

En morurent, qu'a champ, qu'a ville, 

Einsois que fust aperceùe 
228 Geste mortel descouvenue. 

Mais cils qui haut siet et loing voit, 

Qui tout gouverne et tout pourvoit. 

Geste traïson plus celer 
232 Ne volt, eins la fist révéler 

Et si generaument savoir 

Qu'il perdirent corps et avoir. 

Gar tuit Juïf furent destruit, 
236 Li uns pendus, li autres cuit, 

L'autre noie, l'autre ot copéc 

La teste de hache ou d'espée. 

Et meini crcsticn ensement 
240 En morurent honteusement. 

En ce temps vint une maisnie 
De par leur dame Ypocrisie 
Qui de courgies se batoient 
244 Et adens se crucefioient, 

En chantant de la lopinelle 

Ne say quelle chanson nouvelle, 

222 M lors : F leur vie; K vie — 22 3 AI trestous cilz; D tres- 
tuit ceulz — 228 FCest; D dcscongneuc — 229 D Maiz cil qui 
loing siet et bas voit; A long — 232 D Ne se voult ains fist r. — 
236 X Liun pendu li autre c; E tuit — 237 ot manque dans D 
— 243 B'DE descourgies — 244 D as dens. 

Tome I. 10 



146 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Et valoient mieus, par leurs dis, 
248 Que sains qui soit en paradis. 

Mais l'Eglise les entendi 

Qui le batre leur deffendi, 

Et si condempna leur chanson 
252 Que chantoient li enfançon, 

Et tous les escommenia 

Dou pooir que Dieus donné li a, 

Pour iiant que leur baterie 
256 Et leurs chans estoit herisîej 

Et quant Nature vit ce fait 
Que son oeuvre einsi se desfait 
Et que li homme se tuoient, 

260 Et les yaues empoisonnoient 

Pour destruire humeinne lignie 
Par convoitise et par envie, 
Moult en desplut la belle et gente, 

264 Moult se coursa, moult fu dolente. 
Lors s'en ala sans atargier 
A Jupiter, et fist forgier 
Foudres, tonnoirres et tempestes 

268 Par jours ouvrables et par festes. 
Car ceste ouevre tant li tardoit 
Que jour, ne feste n*i gardoit. 

Après Nature commanda 
272 Aus quatre vens qu'elle manda 
Que chascuns fust aparilliez 
Pour tost courir, et abilliez, 
Et qu'il issent de leurs cavernes 



247 E leur — 248 DE quil — 204 li manque dans D — 256 E 
champs — 209 M hommes — 263 et manque dans FM — 264 E 
courousa — 265 F sens ala — 267 D Tonnerres foudres — 268 
M ouurales — 269 D Tant ceste lui atardoit* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I47 

276 Et facent leurs mervilleus cernes, 

Si qu'il n'i ait resne tenue, 

En ciel, en terre, en mer, n'en nue, 

Qu'il ne soient a Tair contraire 
280 Et facent pis qu'il porront faire. . 

Car quant ses ouevres voit derompre, 

Elle vuet aussi Tair corrumpre. 

Et quant li vent orent congié, 
284 Et Jupiter ot tout forgié, 

Foudres, tempestes et espa/s, 

Qui lors veïst de toutes pars 

Espartir mervilleusement 
288 Et tonner très horriblement, 

Venter, gresler, et fort plouvoir, 

Les nues, la mer esmouvoir, 

Bois trambler, rivières courir, 
292 Et, pour doubtance de morir, 

Tout ce qui a vie seur terre 

Recept pour li garentir querre, 

C'estoit chose trop mervilleuse, 
296 Trop doubtable et trop périlleuse ! 

Car les pierres dou ciel chëoient 

Pour tuer quanqu'elles ataingnoient, 

Les hommes, les bestes, les famés ; 
3oo Et en pluseurs lieus a grans fiâmes 

Cheï li tempes et la foudre 

Qui mainte ville mîst en poudre ; 

N'au monde n'avoit si hardi 
304 Qui n'eûst cuer acouardi ; 

Car il sambloît que décliner 

Vosist li mondes et finer. 



277 E qui ny ait règne t. — 279 Mss, Qui — 280 F qui — 281 

B vit — 282 D voult — 294 D Reçoit; DE guerre — 3oo M 

c 
grant; D plames — 3oi A Cheirent li temps; DE le icmps — 

3o2 BDE maintes villes — 3o3 F Ne m. — 3o4 E Quil. 



148 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Mais nuls endurer ne peiist, 
3o8 S^auques durer cils temps deust. 

Si que ces tempestes cessèrent, 

Mais tels bruines engendrèrent, 

Tels ordures et tels fumées 
3 1 2 Qui ne furent gaires amées ; 

Car l'air qui estoit nés et purs 

Fu ors et vils, noirs et obscurs, 

Lais et puans, troubles et pus, 
3 16 Si qu'il devint tous corrompus. 

Si que de sa corruption 

Eurent les gens opinion 

Que corrumpu en devenoient 
320 Et que leur couleur en perdoient. 

Car tuit estoient mal traitié, 

Descoulpuré et deshaîtié : 

Boces avoient et grans clos 
324 Dont on moroit, et a briés mos, 

Po osoient a Tair aler, 

Ne de près ensamble parler. 

Car leurs corrumpues alainnes 
328 Corrompoient les autres sainnes* 

Et s'aucuns malades estoit, 

S*uns siens amis le visetoit, 

Il estoit en pareil péril ; 
332 Dont il en morut cinc cent mil; 

Si que li fils failloit au père, 

La fille failloit a la mère, 

La mère au fil et a la fille 
336 Pour doubtance de la morille; 

3o7 E ne le peust — 3o8 D Se longuement dure eust; B deust, 
corrigé en eus par B' — Sog FM ques — 3i2 E âmes — 3i3 E 
nest — 314D ort vil — 3i5 Z) Lait puant; E prus — 3i6 FFu 
il de nuit — 3îj BE Et de sa grant c. ; Z) De sa grande c. — 322 
D dehaitie — 324 M Et; E en m. — 325 D aler a lair — 327 F 
leur — 335 M et la fille. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I49 

N'il n'estoit nuls si vrais amis, 

Qui ne fust adont arrier mis 

Et qui n'etist petit d'aïe, 
340 S*il fust cheiis en maladie. 

Ne fusicien n'estoit, ne mire 

Qui bien sceùst la cause dire 

Dont ce venoit, ne que c'estoit 
344 (Ne nuls remède n*i metoit), 

Fors tant que c'estoit maladie 

Qu'on appelloit epydimie. 

Quant Dieus vit de sa mansion 
348 Dou monde la corruption 

Qui tout partout estoit si grans, 

N'estmerveilles s'il fu engrans 

De penre crueuse vengence 
352 De ceste grant desordenance ; 

Si que tantost, sans plus attendre, 

Pour justice et vengence prendre, 

Fist la mort issir de sa cage, 
356 Pleinne de forsen et de rage. 

Sans frein, sans bride, sans loien. 

Sans foy, sans amour, sans moien. 

Si très fîerê et si orguilleuse, 
36o Si gloute et si familleuse, 

Que ne se pooit saouler 

Pour riens que petist engouler. 

Et par tout le munde couroit, 
364 Tout tuoit et tout acouroit, 

Quanqu'il li venoit a rencontre, 



337 D Quil — 338 DE Quil; M adonque — 339 ^^ q"»lî ^ 
neust donc — 341 Z) Fusicien — 342 D sceuent — 344 F mes- 
toit; Destoit — 347 D voult; E mention — 35o D si fu; M fust 
— 355 BD la cage — 356 M foursen; D forson; E forfeu — 3?7 
D et sans lien — 36i B' Quel 



l6o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

N'on ne pooit résister contre. 

Et briefment tant en acoura, 
368 Tant en occîst et devoura, 

Que tous les jours a grans monciaus 

Trouvoit on dames, jouvenciaus, 

Juenes, viels et de toutes guides, 
372 Gisans mors parmi les églises ; 

Et les gettoit on en grans fosses 

Tous ensamble, et tous mors de boces, 

Car on trouvoit les cimatieres 
376 Si pleinnes de corps et de bières 

Qu'il couvint faire des nouvelles. 

Ci a mervilleuses nouvelles. 

Et si ot mainte bonne ville 
38o Qu'on n'i vëoit, ne fîlz, ne fille, 

Femme, n'homme venir n'aler, 

N'on n'i trouvoit a qui parler, 

Pour ce qu'il estoient luit mort 
384 De celle mervilleuse mort] 

Et ne gîsoîent que trois jours 

Ou meins ; c'estoit petis séjours. 

Et maint en y ot vraiement 
388 Qui mouroient soudeinnement; 

Car ceuls meismes qui les portoient 

Au moustier, pas ne revenoient 

— Souvent le vit on avenir — , 

392 Eins les couvenoit la morir. 
Et qui se vorroit entremettre 
De savoir ou d'en escript mettre 
Le nombre de ceuls qui moururent, 

366 E Nen — 369 E morceaus — 370 £ en — 374 FM cn- 
sambles — 376 E plains — 377 M Qui; des manque dans D — 
378 D Ci tresmerueilleusement lees — 379 -E si y ot; D ont — 
38o AB fil — 38i ne (h.) manque dans BD — 382 BE Quon — 
386-4 secours — 388 DE moururent — 392 B' la a mourir — 

393 D vouloit — 395 D mouroient. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l5l 

396 Tous ceuls qui sunt et ceuls qui furent 

Et tous ceuls qui sont a venir 

Jamais n'i porroient venir, 

Tant s'en sceiissent encombrer; 
400 Car nuls ne les porroit nombrer, 

Ymaginer, penser, ne dire, 

Figurer, moustrer, ne escrire. 

Car pluseurs fois certeinnement 
404 Oy dire et communément 

Que, mil trois cent quarante et nuef. 

De cent n'en demouroit que nuef. 

Dont on vît par deffaut de gent 
408 Que maint bel héritage et gent 

Demouroient a labourer. 

Nuls ne faisoit les chans arer, 

Les blez soier, ne vignes faire, 
412 Qui en donnast triple salaire, 

Non, certes, pour un denier vint, 

Tant estoient mort ; et s'avint 

Que par les champs les bestes mues 
416 Gisoient toutes esperdues, 

Es blez et es vignes paissoient, 

Tout partout ou elles voloient, 

N'avoient signeur, ne pastour, 
420 N'homme qui leur alast entour, 

N'cstoit nuls qui les reclamast. 

Ne qui pour siennes les clamast. 

Héritages y ot pluseurs 
424 Qui demouroient sans signeurs; 

Ne lî vif n'osoient manoir 

Nullement dedens le manoir 

396 D et qui estoient — 400 D ne pouoit — 406 A demorroit ; 
DE demoura — 407 F D. vint; M D. auint — 409 £ Demouroit; 
B' Demouroit sans point 1. — 410 £ erer — 41 1 Z) vigne — 412 
D treble — 419 D ne seigneur — 420 leur manque dans D, 
effacé dans B' — 424 D demourerent — 426 3f vis— 4^6 D leur. 



fE 



I E)2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Ou H mort avoient esté, 
428 Fust en yver, fust en esté ; 

Et s'aucuns fust qui le feist, 

En péril de mort se meîst. 
[Et quant je vi ces aventures 
432 Si diverses et si obscures, 

Je ne fui mie si hardis 

Que moult ne fusse acouardis. 

Car tuit li plus hardi trambloient 
436 De paour de mort qu'il avoient. 

Si que très bien me confessay 

De tous les péchiez que fais ay, 

Et me mis en estât de grâce 
440 Pour recevoir mort en la place, 

S'il pleûst a Nostrc Signeur. • 

Si qu'en doubtance et en cremcur 

Dedens ma maison m'enfermay 
444 Et en ma pensée fermay 

Fermement que n'en partiroie 

Jusques a tant que je saroie 

A quel fin ce porroit venir ; 
448 Si lairoic Dieu couvenir. 

Si que lonc temps, se Dieus me voie, 

Fui einsi que petit savoie 

De ce qu'on faisoit en la ville, 
452 Et s'en morut plus de vint mille, 

Cependant que je ne sceus mie, 

Dont j'eus meins de merencolie ; 

Car riens n'en voloie savoir, 
456 Pour meins de pensées avoir, 

433 Z) fu; E suy — 434 D Que mont ne f. acordis — 435 D 
estoient — 436 M Pour ; D Tremblans de la poour quil auoicnt 
— 437 FM qucs — 442 D Si que d. — 443 M ma chambre ; D 
monte moy — 449 FM ques — 460 D Fu; E Fut — 452 D mou- 
rust — 453 FM scGu — 454 de manque dans D, effacé dans B' — 
455 E ne ^ 456 DE pensée auoir; B' pensée en auoir. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l33 

Comment qu^assez de mes amis 
Fussent mors et en terre mis. 

Si qu'einsi fui lonc temps en mue, 
460 Si comme un esprevier qu'on mue, 

Et tant qu'une fois eniroy 

— Dont moult forment me resjoy — 

Cornemuses, trompes, naquaires, 
464 El d'instrumcns plus'de set paires. 

Lors me mis a une fenestre 

Et enquis que ce pooît estre ; 

Si que tantost me respondi 
468 Uns miens amis qui m'entendi 

Que ceuls qui demouré estoîcnt 

Einsi com tuit se marioient 

Et faisoient festes et noces; 
472 Car la mortalité des boces 

Qu'on appelloit epydemie 

Estoit de tous poins estanchie ; 

Et que les gens plus ne moroient. 
476 Et quant je vi qu'il festioient 

A bonne chiere et liement 

Et tout aussi joliement 

Com s'il n'eussent riens perdu, 
480 Je n'os mie cuer esperdu, 

Eins repris tantost ma manière 

Et ouvri mes yeus et ma chiere 

Devers l'air qui si dous estoit 
484 Et si clers qu'il m'amonnestoit 

Que hors ississe de prison 

Ou j'avoie esté la saison. 

460 un manque dans D — 461 D entray oy — 464 D .vi.; JC 
dune paires— 467 et 46S intervertis dansD —467 D Tantost me 
dit et r. — ^yôDE qui {E quil) festoient — 477 et manque dans 
D— 478 D ainssi — 479 D Comment — 483 F que — 485 A lors ; 
D sausisse. 



164 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Lors fui hors d'esmay et d'effroy, 
488 Se montay seur mon palcfroy 

Grisart qui portoit rambleure 

Moult souëf et de sa nature. 

S'alay aus chans isnellement 
492 Chevauchier par esbatement, 

Pour moy jouer et soulacier 

Et la douceur a moy lacier 

Qui vient de pais et de déduit, 
496 Ou cuers volentiers se déduit 

Qui n'a cure de cusançon 

Qui touche a noise, n'a tenson, 

Mais bien vorroit cusançonner 
5oo Ad ce qui puet honneur donner. 

En celle cusançon estoie 

Pour honneur a quoy je tendoie. 

Cusançon avoie et désir 
504 Que je peusse, a mon loisir, 

Aucuns lièvres a point sousprendre, 

Par quoy je les peusse prendre. 

Or porroit aucuns enquester 
5o8 Se c'est honneur de levreter. 

A ce point ci responderoie 

Que c'est honneur, solas et joie ; 

C'est uns fais que noblesse prise, 
5 1 2 Qui est de gracieuse emprise, 

Et très honneste a commencier, 

Dont il s'en fait bel avancier ; 

S'est en faisant plaisans a faire, 

487 D fu h. dennoy et deffray — 490 M souez — 492 M pour — 
494 E laissier — 495 E et déduit — 496 D Qui ammoneste tout 
délit — 497 £) Et — 498 D et a t. — 499 D verroit ensensonner 
— 5oi D entencion nestoie; M ou jestoie ^- 5o2 D Fors pour 
h.; je manque dans D — 504 E je pesé — 5o5 E liures — 5o6 E 
les pense — 507 D Ou — 5o8 D Se nest ; E leurester — bog 
FE respondroie ; D je respondroie — i55 D Cest; M affaire. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I 55 

5 1 6 Et li honneurs gist ou parfaire. 

Dont en celle perfection 

Avoie si m'entencion 

Qu'a autre chose ne pensoîe. 
520 Etli bon lévrier que j'avoie 

Renforçoient si mon solas 

Que je n'en peusse estre las, 

Quant je les os mis en conroy, 
524 Et je les vi de bel arroy 

De courir a point sus les chans, 

Et puis des oisillons les chans 

Qui estoient melodïeus, 
528 Et li airs dou temps gracîeus 

Qui tout le corps m'adoucissoit. 

On puet bien croire qu'einsi soit 

Que, se pluseurs gens chevauchassent, 
532 A fin que point ne m'araisnassent, 

Et aucuns bien en congneiisse, 

Que ja ne m'en aperceiisse, 

Tant y avoie mis ma cure. 
536 Se m'en avint une aventure 

Qui me fu un petit doubteuse, 

Mais briefment me fu gracieuse, 

Si comme tantost le diray 
540 Ci après; point n'en mentiray. 

Tandis que la m'esbanioie 
Qui en moy oublié avoie 
Toutes autres merencolies, 
544 Tant les dolentes, com les lies, 
Une dame de grant noblesse, 

5 16 li effacé dans B'; fî' a le parf.; D au ; M on — 5i8 A/ cy 

— 521 Aï ci — 523 E pense — 523 D meut — 524 A cliange tel 
en bel — 526 manque dans D — 53o bien manque dans D '^ 532 
ne manque dans F; E narrainassent — 533 M aucun; E biens 

— 539 E t. briefment le d. — 540 DE ne m. — 54a A Que. 



l56 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Bien acesmée de richesse, 

Venoit a belle compaingnie. 
548 Mais je ne les vëoie mie, 

Car dou chemin estoie arrière, 

Et, d'autre part, pour la manière 

De ce que j'esioie entendus 
552 Et tous mes engins estendus 

A ma queste tout seulement. 

Mais la dame premièrement 

Me vit, eins que nuls me veïst, 
556 Ne que nuls semblant en feïst, 

C'est assavoir d'icelle gent 

Qui conduisoient son corps gent. 

Lors un escuier appella 
56o Et H dist : « Vois tu celui la 

Qui bel se déduit et déporte? 

Va a lui, et si me raporte 

Qui il est, et revien en Teure, 
564 Sans la faire point de demeure. » 

Li escuiers n'en failli pas, 

Eins vint a moy plus que le pas 

Et hautement me salua. 
568 Mes propos de riens n'en mua. 

Si li dis : « Bien veingniez, biau sire. » 

Cils s'en retourna, sans plus dire. 

Au plus tost qu'il pot a la dame : 
572 « Dame », dist cils, « foy que doy m'ame, 

C'est la Guillaumes de Machaut. 

Et sachiez bien qu'il ne li chaut 

De rien fors que de ce qu'il chace, 
576 Tant est entendus a sa chace .7 

546 D atournee — 548 Af la — 549 E estoit; D derrière — 552 
E entendus -^ 553 M tant — 555 D vist — 56o li manque dans M 
— 56i M ce — 565 D ne — 567 D humblement — 572 3/ dist il ; 
B fois; D dois; M que je doy — 5j3 D li guill'e de loris — 574 D 
qui — 575 F fors de ce; E qui — 576 B cntendens ; D entendant. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE ibj 

Bien croy qu*il n'entent a nelui 

Fors qu'a ses lévriers et a lui. » 

Quant la dame ces mos oy, 
58o Samblant fist de cuer esjoy, . 

Nom pas samblant tant seulement, 

Mais de fait entérinement, 

De cuer joiant, a chiere lie, 
584 Comme dame gaie et Jolie. 

Nom pour moy, ce ne di je point; 

Eins y avoit un autre point, 

Pour aucune cause certeinne, 
588 Dont sa volenté estoit pleinne. 

Si le me voloit prononcier 

Pour li déduire et soulacier 

Et moy mettre en merencolie. 
592 A ce point ne failli je mie, 

Car je fui de li galïez, 

Ramposnez et contralïez, 

Aussi com se j'eusse fait 
596 Encontre li un grant meffait. 

Quant li escuiers ot compté 

De moy toute sa volenté, 

La dame dist tout hautement : 
600 « Or vëons un petit, comment 

Guillaumes est faitis et cointes. 

Il m'est avis qu'il soit acointes 

De trestoute jolieté 
604 Apartenant a honnesté. 

De nuit, en estudiant, veille. 



578 E leuries — 579 BE ses — 582 D entièrement — 583 D et 
chiere — 584 D d. joiant et lie— 585 B' Mais; AFM Nom 
pourquant ; BDE Nom pourquoy ; D ce ne vi point ; £^ si ne — 
586 D vne — 588 PE volentes — 589 B la — 593 E sui — 595 
MD comme — 6o3 MD joliuete — 6o5 E vueiile. 



l58 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Et puis de jour, son corps traveille 

En travail ou li bons s'atire 
608 Qui a honneur traveille et tire. 

Einsi va son corps déduisant 

Toutes heures en bien faisant. 

Si fais estas donne couleur 
612 De maintenir homme en valeur. 

Mais je li osteray briefment 

Grant part de son esbatement ; 

Car je li donray a ruser, 
616 Pour li bonne pièce muser. 

Lonc temps a que je le désir : 

S'en acompliray mon désir. 

Or t'en rêva a li tantost, 

620 Car je me merveil qui li tost 
A ci venir. Si li diras 
Par plus briés mos que tu porras 
Qu'il veingne ci apertenient. 

624 Et se li di hardiement 

Que ce soit sans quérir essoingnes, 
Non contrestant toutes besoingnes, 
Et que c'est a mon mandement. » 

628 — « Dame, a vostre commandement, » 
Dist li escuiers, « sans nul si, 
Je li vois dire tout einsi 
Com vous dites, ou au plus près 

632 Que je porray; j'en sui tous près. » 



606 manque dans D; A jours — 607 B' Ou; E bons sa cure 
— 609 D le corps — 611 E Sa faiz e. donner c. — 612 D 
Quen li en habonde honnour — 61 3 £) lui ottrie — 614 D G. 
paine sans esb. — 6iô D auiser — 617 D lui — 619 D ten va a 
celui t. — 620 je manque dans D; D merueille; E je ne m. 
que li t. — 622 M brief— 623 et 624 intervertis dans D — 625 D 
enseignes; E esloignes — 626 manque dans D — 628 a manque 
dans F — 629 J/ cy — 63o E voy — 632 D tout au pr p's p*s (sic). 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE ibc) 

Lors lî escuiers chevaucha 

Devers moy, tant qu'il m'aprocha. 

Et quant il me vint aprochant, 
636 II m'appella en chevauchant, 

En galopant d'uns pas menus, 

Tant qu'il fu près de moy venus. 

Et si tost corn j'oy sa vois, 
640 Erraument devers lui m'en vois, 

Car de lonc temps le congnoissoie. 

Et il, en signe de grant joie, 

Me salua de Dieu Je père 
644 Et de sa douce chiere mère; 

Et je li respondi briefment 

En saluant courtoisement. 

Puis li demanday quels nouvelles 
648 Pour moy seront bonnes et belles. 

Se ma dame est preus et haitie, 

En pais, sans estre courrecie. 

« Guillaume, de riens n*en doubtez ; 
652 Car ma dame est de tous costez 

En pais, preus, et haitie, et seinne ; 

Et que ce soit chose certeinne, 

Assez tost savoir le porrez, 
656 Selonc ce que dire m'orrez : 

Il est bien voirs qu'elle vous mande. 

Nom pas qu'elle le vous commande, 

Mais d'un mandement par tel guise 
660 Qu'il vaut auques près commandise ; 

Non prier et non commander, 

Einsi li plaist il a mander, 

ù'i.\ M qui — 635 D vit -— 638 D fust — G40 men effacé dans 
B' — 642 E enseigne — 647 D quel; E quelles — 648 BD 
Pourquoy; B' soient — 649 F et pr. ; D est saine et; et manque 
dans E — 65o E courcie — 65 1 D ne — 653 DE pr. hailie {D 
hatie) — 65j M que vous — 658 le manque dans E — 660 ABDE 
Qui — 662 M pi. elle amander. 



l6o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Entre le vert et le meûr. 
664 Mais tenez ce point pour seiir, 

Que c'est bien de s'entencion 

Que, sans point d'excusation, 

Venrez a li moult liement ; 
668 Elle le croit fiablement. 

Dont, s'il vous plaist, vous y venrez, 

Ou vo plaisir responderez. » 

Après ces mos li respondi : 
672 « Très chiers amis, itant vous di 

Qu'a ma dame, ne quars, ne tiers 

Ne sui, mais mes pooirs entiers 

Est tous siens, sans riens retenir. 
6j6 Se ne me porroie tenir 

D'aler a li, ne ne vorroie, 

Pour tant que de vray sentiroie 

Que ma dame le penseroit ; 
680 Dont, quant elle me manderoit, 

Ce seroit bien folie a croire 

Que point en vosisse recroire. 

Mais un po vous vueil demander, 
684 Afin qu'il n'i ait qu'amender, 

Combien ma dame est loin de ci? » 

— « Guillaume, je respon einsi, 

Qu'il n'i a pas bien trois journées. 

688 Bel soient elles ajournées ! » 
Dis je : « Or alons sans séjour. 
Si chevauchons et nuit et jour 
Pour les bons ma dame acomplîr. 

664 X t. ceci pour — 667 A Verrez ; D Vencs a lui — 668 ME 
croist — 670 D vous respondres — 672 E amis et tant — 674 
F Ne fu; E mes trestous entiers — 673 EF Et — 678 que man- 
que dans D — 682 D retraire — 684 D que mander — 686 F 
respont — 688 manque dans D; B' Selles estoient adiournccs — 

689 FAI or en alons — 690 B'D Et. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l6l 

692 Je ne me puis mieus raemplir 

De joie qu'en son plaisir faire; 

Se n'useray point dou contraire. » 

— « Guillaume, j'ay bien entendu 
696 Ce que vous avez respondu. 

Je vous vueil un po apaisier 

D'autre chose que de baisier. 

Resgardez en celle grant pleînne 
700 Un po delà celle verseinne : 

C'est ma dame a grant chevauchie 

Qui pour vous s' est la adressie. 

La vous atent, soiez certeins. 
704 Or ne soit point vostres cuers teins 

De paour pour trop loing aler; 

Car la porrez a li parler. » 

A ces mos ma chîere dressay, 
708 Et puis mon regart adressay 

D'icelle part ou cils disoit. 

Et quant je vi qu'einsi gisoit, 

Que mes chemins yert acourciez^ 
712 Je n'en fui mie courreciez, 

Eîns en fui liez ; s'en pris a rire, 

Et puis a celui pris a dire : 

« Biaus amis, par merencolie 
716 M'avez tenté de moquerie 

De bourde^ et de parole voire, 

Quant vous me donnastes a croire 

Madame loing par bel mentir. 
720 II me plut moult bien a sentir 

692 E men ; E ranplir — 693 A que — 694 D Si ni meltrey 
p. de c. — 696 BE Que vous mauez ce {E si) r. — 701 D com- 
paignie — 702 FBE cest; D est — 706 D De pour pour — 707 
D Icuay — 709 DE De celle— 711 D ch. y acourcies; E atour- 
nés — 713 Dl, et prins ; B sans prins — 714 /> pui — 717 FMD 
bourdes; FME paroles; E voires — jiS E croires — 719 D 
tel- 720i4FY. 

Tome 1 II 



102 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Le vray de ce que vous mentistes, 

En ce qu'après le voir déistes, 

Que ma dame estoit assez près. 
724 Je m'en vois ; or venez après, 

Ou vous demourrez, s'il vous plaist. » 

— « Guillaume, bien heure de plait 

Est encor ; ne vous hastez point. 
728 Vous y venrez assez a point, 

Se ma dame y puet adrecier. 

Se vous saviez un po tencier, ' 

Bon seroit et pour certein cas 
732 Ou vous devenez avocas ; 

Car on vous porra bien sousprendre. 

Se vous ne vous savez deffendre, » 

De si fais mos nous debatiens, 
736 Par gieu si nous en esbatiens; 

Dont tant en parlant chevauchâmes 

Que la gent la dame aprochames. 

Lors m'avansay, et quant je vi 
740 Son gentil corps amanevi 

D*onneur, de grâce et de science. 

En signe de grant révérence 

Vos jus de mon cheval descendre ; 
744 Mais tantost le me va deffendre, 

En disant debonnairement : 

« Hola, Guillaume, nullement, 

Pour certein, n'i descenderez. 
748 A cheval a moy parlerez. » 

Quant je l'oy, je m'en souffri, 

725 3/ si — 726 M bien li heure — 727 M Nest; DE encore 

— 728 DE venes — 780 E Da vous parler et raisonner ^ 732 A 
aduocas— 735 D debation; £: debations — 736 D debation; E 
esbations — 737 AFD tout — 738 M ma dame — 740 FM amc- 
neui; BD ame ne vi (B neuy); E a nicnneny — 744 E le raala d* 

— 747 D ne; £ descendres — 748 F pallcrez — 749 I> Et quant 
loy. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE J^S 

Et si bel salu li offri, 

Comme je pooie et savoie, 
752 Et comme faire le dévoie, 

Einsi comme j'avoie apris 

A honnourer gens de tel pris. 

Et elle aussi, sans contrefaire, 
756 Sceut moult bien le seurplus parfaire, 

En respondant par amisté, 

Gardant honneur et honnesté. 

Puis me dist moult rassisement : 
La Dame. 
760 « Guillaume, tnervilleusement 

Estes estranges devenus. 

Vous ne fussiez pas ça venus. 

Se ce ne fust par mes messages. 
764 Je croy que vous estes trop sages 

Devenus, ou trop alentis, 

Mausoingneus et mautalentis, 

De vos déduis apetisiez, 
768 Ou trop po les dames prisiez. 

Quant je fui la dessus montée 

En celle plus haute montée, 

Mon chemin tenoie sus destre, 
772 Et je regarday vers senestre. 

Tout de plain vous vi chevauchier. 

Vos lévriers siffler et huchier. 

Tels ouevres faire vous ôoie, 
776 Tout aussi bien com je vëoie 

Vous etvostre conienement. 
/Dont je croy bien certeinnement, 

Guillaume, que vous nous velstes. 

756 D Sceust; FMBDE faire— 758 D sonneur et soneste — 
762 il sa; J/ ci — 763 D mon message — 7661) moult tal. — 768 
D âmes — 772 M resgardoie ; E regarde — 774 E Les; FB 
tifflier — 775 D oyaye — 776 E comme — 779 D vous me v. 



164 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

780 Et pour quoy dont, quant vous oistes 

Nos chevaus passer et hennir, 

Et si ne deingnastes venir, 

Jusqu^a tant que je vous manday 
784 Einsî com je le commanday? 

Dont je vous merci tellement 

Com je doy, et non autrement. » 
Guillaume. 

Lors li dis je : « Pour Dieu merci, 
788 Ma dame, ne dites ceci. 

Je respon, sauve vostre honneur, 

Car foy que doy Nostre Signeur, 

Je ne vi riens, ne riens n'oy, 
792 Tant avoie cuer esjoy 

De ma chace a quoy je pcnsoie, 

Pour la fin a quoy je tendoie j} 

S'estoie einsi comme ravis. « 

796 Ma dame, je feroie envis 

Riens encontre vostre voloir. 

Et que me porroient valoir 

A faire tels menuz despis ? 
800 Bien say que j'en vaurroic pis. 

Si m'en devez bien escuser. » 
La Dame. 

« Guillaume, plus n'en vueil ruser. 

Puis qu'einsi va, mes cuers vous croit. 

804 Mais d'une autre partie croit 
Moult durement une autre chose 
Encontre vous qui porte glose. 
Se vous donray assez a faire, 

808 Et se vous feray maint contraire, 

780 FJ5J5 nous ; A corrige nous en vous — 782 A daingnics — 
788 BE ce si — 796 E Dame — 797 DE contre ; D volunte — 800 
D vendroie ~ 802 D ne ~ 8o3 E voit — 804 manque dans D — 

805 D Mais. 



LE JUGEMENT DOV ROY DE NAVARRE l63 

Se pour confus ne vous rendez. 

Guillaume, oëz et entendez : 

Vers les dames estes forfais^ 
8 1 2 S*en avez enchargié tel fais 

Que soustenir ne le porrez, 

Ne mettre jus, quant vous verrez. » ^ 

Avec ces paroles diverses, 
8 1 6 En leurs diversetez perverses, 

Me moustra elle une manière 

Aspre, crueuse, maie et fiere. 

En signe de grant mautalent, 
820 Pour moy faire le cuer dolent 

Et mettre ma pensée toute 

En efTroy, en soing et en doubte. 

De ce se mettoit en grant peinne, 
824 Qu'elle se tenoit pour certeinne. 

Que de tant bien la priseroie 

Que son courrons moult doubteroie. 

Et si fis je; je le doubtay, 
828 Quant ces paroles escoutay, 

Nom pas pour cause de meffait 

Qu'endroit de moy eusse fait, 

Mais je doubtay pour mesdisans 
832 Qui sont aucunes fois nuisans 

Par fausseté et par envie 

Aus bons qui mainnent bonne vie. 

Si doubtay si faite aventure ; 
836 Mais seûrs fui qu'enforfaiture 

N'avoie fait en ma vie onques 

Envers nulles dames quelsquonques. 

Se li respondi par avis. 

812 D aures; M telz — 814 D Ne meittre jusqua tant voul- 
dres — 818 ^ Apres — 834 D ne tenoit ; B ce tenoit — 835 de 
manque dans F -■- 83o M eusse meffait — 833 BDE aucune^ 
835 E si fause a. — 836 MBE sui; D sunre; B* que forf. — 
838 FMBDR quelconques — 839 D deuisai. 



l66 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Guillaume. 
840 € Dame, fait avez un devis 

Ou ma grant deshonneur moustrez, 

Mais li procès n'est pas outrez, 

Ne mis en fourme justement. 
844 Pour faire certein jugement, 

Vous me deûssiez dire en quoy 

J'ay forfait, et tout le pourquoy 

Amener a conclusion! 
848 Or est en vostre ententîon 

Secrètement mis et enclos. 

S'il ne m'est autrement desclos, 

Je n'en saveroie respondre. 
852 Or vueilliez, s'il vous plaist, espondrc 

Le fait de quoy vous vous dolez ; 

Et s'einsi faire le volez 

Vous ensieurez la juste voie 
856 De droit, où je ne saveroie 

Le fait congnoistre ne nier. 

Se non, vous devez ottriër 

Que je m'en voise frans et quittes 
860 De ce forfait que vous me dites ; 

J'en atenderoie bien droit. » 

La Dame. 
« Guillaume, sachiez, orendroit 
N'en arez plus de ma partie. 
864 Car la chose est einsi partie : 
Se je le say, vous le savez. 
Car le fait devers vous avez 



85 1 E saroie; D scaroie que r.; que ajouté aussi dans B* — 
852 D Or vous plest a ie moy e. ; E respondre — 834 s manque 
dans D -^ 855 D ensuiues ; E suiures; A la droite voie — 856 
DE saroie — 858 D Si ; AF Ce — 860 D déistes — 861 DiS atten- 
droie ; BD le droit; U ^acé dans B* ^ Après ce vers on Ht dans 
E lacteur au Heu de la;daiBe — 863 f aues — 865 D Se ne le. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 167 

En l'un de vos livres escript, 
868 Bien devisié et bien descript : 

Si resgardez dedens vos livres. 

Bien say que vous n'estes pas ivres, 

Quant vos fais amoureus ditez. 
872 Dont bien savez de vos ditez, 

Quant vous les faites et parfaites, 

Se vous faites bien ou forfaites, 

Dès qu'il sont fait de sanc assis 
876 Autant a un mot comme a sis. 

S'il vous plaist, vous y garderez. 

Qu'autre chose n'emporterez 

De moy, quant a l'eure présente. 
880 Soiez certeins que c'est m'entente. » 

Guillaume. 

tt Dame, qu'est ce que dit avez? 

Selonc le bien que vous savez, 

Trop mieus savez que vous ne dites : 
884 J'ay bien de besoingnes escriptes 

Devers moy, de pluseurs manières, 

De moult de diverses matières. 

Dont l'une l'autre ne ressamble. 
888 Considéré toutes ensamble, 

Et chascune bien mise a point, 

D'ordre en ordre et de point en point. 

Dès le premier commencement 
892 Jusques au darrein finement. 

Se tout voloie regarder 

— Dont je me vorray bien garder — 

Trop longuement y metteroie ; 

868 D escript — 869 B' Si y r. ; BDE a vos 1. — 872 manque 
dans D — 874 £: et f. ; -4 parfaites — 877 D Si — 884 D des — 
886 E materes — 888 FED Considérer— 889 D Est — 890 et 
manque dans D — 892 M darnier ; BDE derreiiier — 894 man- 
que dans D\ B verray, corrigé en yauray dans B* — 895 FD 
mettroie . 



l68 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

896 Et d'autre part, je ne porroie 

Trouver ce que vous demandez, 
S'a vos paroles n'amendez. 
Pour tel chose ne quier ja lire, 

900 Dame, nom pas pour vous desdîre. 
Mais ce n'est pas chose sensible 
Que vostre pensée invisible 
Puist venir a ma congnoissance, 

904 Fors que par la clef d'ordenance 
Dont vostres cuers soit deffermez, 
Et que si en soie enfourmez 
Que vostre bouche le me die. 

908 Lorsqu'à respondre contredie, 
Quant de bouche le m'arez dit, 
J'en vueil moult bien, a vostre dit, 
Estre blasmez et corrigiez. 

912 Dame, s'il vous plaist, or jugiez 
Selonc la vostre opinion, 
Se j'ay tort a m'entencion.» 

La Dame. 

« Guillaume, puis qu'il est einsi, 
916 Je m'acort bien a ce point ci. 

Orendroit me ren je vaincue; 

Mais de vostre descouvenue, 

Qui est contre dames si grande, 
920 Afferroit bien crueuse amende, 

S'il estoit qui la vosist prendre. 

Or vueilUez dès or mais entendre 

Ad ce que je diray de bouche ; 
924 Car moult forment au cuer me touche. 

Et quant dit le vous averay, 



902 FMB nuisible; B' inuysible — goS Mss. Peust; B' Puet 

— 913 FE si; plaist manque dans 3df — giS la manque dans D 

— 918 D descongneue; E esconuenue — 919 MD dame — 926 
MBDE dit ce v. 



LE JUGEMENT DOU kOY DE NAVARRE 169 

En tel lieu le reprocheray 
Que vous en serez moult blasmez 
928 Et vers les dames diffamez. 

Une question fu jadis 

Mise en termes par moult biaus dis, • 

Belle et courtoisement baillie, 
932 Mais après fu trop mal taillie : 

Premièrement fu supposé, 

Et en supposant proposé, 

Qu'une dame de grant vaillance 
936 Par très amiable fiance 

Ameroit un loial amant, 

Si que toudis, en bien amant, 

Seroit de cuer loial amie; 
940 Et il, en gardant courtoisie, 

Toudis de bon cuer Tameroit 

Et son pooir estenderoit 

En li chierir et honnourer ; 
944 Et pour li mieus énamourer 

Il maintenroit toute noblesse, 

Honneur, courtoisie et largesse. 

Biaus homs seroit, a grant devis, 
948 De membres, de corps et de vis 

Renommez, de grâce parfais. 

Et si bien esprouvez par fais 

D'armes, comme nuls homs puet estre 

952 Qui a mis sa vie et son estre 
En sieuir joustes et tournois 
Et tous amoureus esbanois. 

927 D Que moût v. en s. bl. — 929 E Que — qSo E Cause; 
FDE terme — 93 1 F Bel — 937 E .1. loy amant — 939 A Fcroit 
— 940 A Se — 941 D que bon — 942 D Tout en son pouoir 
estendroit — 945 D maintenoit — 947 D Biau seroit homme — 
950 manque dans /> — 961 ME com; homs manque dans E — 

953 D \, 



lyO LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Cependant qu'einsi s'ameront 
956 Et toudis bien se garderont 

Les courtois poins de loiauté 

En raison et en vérité, 

Leur avenroit tele aventure, 
960 Par violence ou par nature. 

Que li amans devieroit ; 

Et celle, quant le saveroit, 

Demorroit lasse et esgarée, 
964 Loial amie non amée. 

Car ses cuers demorroit espris, 

Et li cuers de Tamant de pris 

Seroit selonc nature esteins, 
968 Dont li siens cuers seroit plus teins 

Pour cause de la départie. 

Plus n'en di de ceste partie, 

Eins vorray d'une autre conter 
972 Pour a ceste ci adjouster, 

En faisant ma comparison. 

Guillaume, or entendez raison : 

Uns autres amans débonnaires, 
976 Aussi vaillans en ses affaires 

Comme cils de qui j'ay conté. 

Tant en grâce comme en bonté, 

Et de toutes autres parties 
980 En honneur a point départies, 

Amera aussi une dame 

Sans mal penser et sans diffame ; 

Et se li fera a savoir. 

955 D sameroit — 956 D garderoit; E Et que t. b. garderont 
•^ 958 D et en loyauté — 962 D quant ^lle le scaroit — 963 A 
Demouroit — 965 F foà cuers ; BE folz c. ; D faulz c. ; E àe 
mouuoir espris — 966 -E a.' espris — 971 FME dun — 976 
FMBDE a ses a. ; B» rétablit en ses ia. — 977 DE Coin — 983 
BDE ce. 



LE JUGEMENT D(XJ ROY DE NAVARRE I7I 

984 Et quant elle en sara le voir, 

Volentiers le recevera 

Et s'amour li ottriera 

Liement; saps faire dangier. 
988 Pas ne vueil ce ci prolongier; 

Car cils l'amera loiaument 

Et se la croira fermement 

Sans erreur et sans nulle doubte, 
992 Car il cuidera s'amour toute 

Avoir acquis toute sa vie, 

Sans jamais faire départie. 

Mais il ira bien autrement ; 
996 Quant il sera plus liement 

Conjoins a li et affermez 

En la fiance d'estre amez, 

Elle li jouera d'un tour 
1000 Outréement, sans nul retour, 

Ou il trouvera fausseté 

Contre lui, et desloiauté, 

Et se ne le porra nier. 
1004 Si doit bien celui anuiër, 

Ce n'est mie moult grant merveille. 

Mais ce n'est pas chose pareille 

Au fait d'amours qui me remort, 
1 008 Qui se défenist par la mort. 

Guillaume, s'entendu m'avez, 

Assez legieremçnt devez 

Vostre meffaçon recongnoistre 
1012 Pour vostre deshonneur descroistre. 

Vous avez dit et devisié 

Et jugié de fait avisié 

985 D Tresuolentiers le receura — 987 FB dongier — 988 E 
ce sy — 989 D Car cil le scaura ~ 990 D Et cela; E Et cil la 

— 996 Dbiea liement — ioo3 BDE Et ce; £ amer — 1004 E Ce 

— ioo3 moult manque dam D — 1007 FMDE Âus fais — 1008 
E pour — ICI 3 E diuisie — m 14 manque dans D» 



IJ2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Par diffinitif jugement, 
1016 Que cils a trop plus malement 

Grieté, tourment, mal et souffraite 

Qui trueve sa dame for faite 

Contre lui en fausse manière, 
1020 Que la très douce dame chiere 

Qui avéra son dous amy 

Conjoint a son cuer, sans demy. 

Par amours, sans autre moien, 
1024 Puis le savera en loien 

De la mort ou il demourra. 

Si que jamais ne le verra. 

Et comment Tosastes vous dire, 
1028 Ne dedens vos livres escrire ? 

Il est voirs qu^einsi Tavez fait, 

Dont vous avez griefment meffait. 

Si vous lo que vous tant faciez 
io32 Que ce jugement effaciez, 

Et que briefment le rapellez. 

Guillaume, se vous tant valez, 

Vous le pouez bien einsi faire 
10 36 Par soustenir tout le contraire. 

Car li contraires, c'est li drois 

En tous bons amoureus endrois. 1» 

— « Dame, foy que doy sainte Eglise 
1040 En qui ma foy est toute assise, 

Pour nulle rien ne le feroie ; 

Eins iray tout outre la voie 

Dou fait, puisque j'y suis entrez. 
1044 Dès que mes jugemens outrez 

10173/ Grietez; D Tristece; mal manque dans D — 1023 BE 
C. en; B sans annuy ; E sans ami ; D c. son ami — io33 D autre 
lai — 1024 D scaura de bon cuer yrai — 102 5 D Que la mort 
le deuourera — 1028 FHurez — io3i D los — io33 D les appel- 
les — io38 E bons amours en drois — 1040 F cui; ME toute 
mise — 1044 F ques. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 173 

Est de moy, je le soustenray, 

Tant com soustenîr le porray. 

Mais qui vorroit avant venir 
1048 Pour le contraire soustenir, 

Moult volentiers oubeîroie 
^ A quanqu'oubeïr deveroie. 

Car je ne suis mie si fors, 
io52 Ne si grans n'est pas mes cffors, 

lie de science mes escus, 

Que je ne puisse estre veincus. 

Mais se je puis, je veinqueray ; 
io56 Se je ne puis, je soufferray. 

Or voit einsi, com puet aler; 

Je n'en quier autrement parler. 

Et nompourquant, ma dame douce, 
1060 Que vostres cuers ne se courrouce 

A moy, nous ferons une chose 

Ouvertement, nom pa;s enclose, 

Ou vostre pais soit contenue, 
1064 Et m'onneur y soit soustenue. 

Car ce seroit a ma grant honte, 

Selonc vostre meîsme conte, 

S'endroit de moy contredisoie 
1068 Le fait que jugié averoie, 

De mon bon droit, tel et si fait 

Que tout par moy aroie fait. 

Nous penrons un juge puissant, 
1072 De renommée souffissant, 

Qui soit sages homs et discrez. 

Se li soit comptez li secrez 

Entièrement de la besoingne 

1045 JS Et; /> en moy; le ajouté par B' — 1046 A T. que — 
1047 -'*' pourroit — loSy A quon — 1060 se manque dans D — 
1062 E Couuertement — 1064 D mon honneur... tenue — 1068 
A qua iugie; D que tout iugie auroie — 1069 ^ ^®* "" *®70 ^ 
pour — 1071 D pourrons — 1074 M Sil soit; E les secres. 



174 I-E JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

1076 Quia vous et a moy besoingne. 

Or soit einsi fait par acort ; 

Mais vous en ferez le recort 

Dou prendre tel que vous vorrez. 
1080 Contredire ne le m'orrez, 

Eins y sui acordans dès ci 

A vostre plaisir, sans nul si. 

Mes cuers y est ja tous entiers, 
1084 Car ce sera uns biaus mestiers 

D'oïr les raisons repeter 

Et les parties desputer 

Soutilment, par biaus argumens, 
1088 Qui vaurront auques jugemens. » 
La Dame. 

A ces moz prist la dame a rire - 

Et en riant tantost a dire : 

« Guillaume, bien suis acordans 
1092 Ad ce qu'estes ci recordans; 

S'en parleray, comment qu'il aille. 

Et nompourquant, vaille que vaille. 

Je nomme et pren celui qui rois 
1096 Est appeliez des Navarrois. 

C'est uns princes qui aimme honnour 

Et qui het toute deshonnour, 

Sages, loiaus et véritables, 
1 100 Et en tous ses fais raisonnables. 

Il scet tant et vaut, qu'a droit dire, 

Nul milleur ne porroie eslire. 

Li fais li sera savoureus, 
1104 Pour ce qu'il est moult amoureus, 

Sages, courtois et bien apris. 

Il aimme Ponneur et le pris 

1076 Af et moy — 1079 M tel com — 1082 i? cy ^- 1086 F 
despitter — 1089 ^ Asses prinst — 1092 D A ces mos que aies 
comptant — 1 102 B pourroit; D esluire* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l^D 

Des armes, d'amours et des dames. 
I io8 C'est li rois par cui uns diffames 

Ne seroit jamais soustenus ; 

De toute villenie est nus 

Et garnis de toute noblesse 
1 1 1 2 Qui apartient a gentillesse. 

Trop de biens dire n'en porroie, 

S'ui mais tout adès en parloie. » 

Einsi fumes nous acordé, 
1 1 16 Comme devant est recordé. 

Dont puis d'amours assez parlâmes, 

Et en parlant tant chevauchâmes 

Que nous entrâmes es drois las 
1 1 20 De pai^ de joie et de solas, 

C'est assavoir en un dous estre 

Ou il faisoit si très bel estre 

Qu'on ne porroit mieus, a mon gré : 
1 1 24 C'estoit en souverein degré, 

A mon avis, de bon propos. 

De déduit et de bon repos, 

Ou uns cuers se puet reposer 
; 1 28 Qui a point se vuet disposer. 

La avoit il un bel manoir 

Ou elle voloit remanoir. 

Assez fu qui la descendi 
« 1 132 Et qui entour li entendi ; 
Et, sans atendre, fu menée 
Dedens une chambre aournée 
Si bien, si bel, si cointement 



iiii /) Garnis est — iii3 BDE bien; JK ne — 1114 D Sun 
mois; E Se vmais; M Sumais — 11 16 3/ Corn ci d. — 1117 /> 
puis après damours parlamz — 11 24 BDE ou s. — i 129 il man- 
que dans />— I i3o £ Quelle vouloit la r. 



176 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

1 1 36 Et de tout si très richement, 

Qu'onques mais, dont j'eus grant merveille, 

N'avoie veii la pareille. 

Et briefment tuit, grant et meneur, 
1 140 Li faisoient feste et honneur. 

Mais bien sambloit estre maîstresse, 

Car elle fu par grant noblesse 

Entre coussins de soie assise. 
1 144 Mais moult estoit sage et rassise, 

Et fu d'aage si selir 

Qu'entre le vert et le meur 

Estoit sa très douce jouvente, 
1 148 Plus qu'autre simple, aperte et gente. 

Moult bien estoit acompaingnie 

De belle et bonne compaingnie. 

NM fu Margot ne Agnesot, 
1 1 52 Mais douze damoiselles ot 

Qui jour et nuit la norrissoient, 

Servoient et endoctrinoient. 

La première estoit Congnoissance 
1 1 56 Qui li moustroit la différence 

D'entre les vertus et les vices 

Et des biens fais aus maléfices. 

Par Avis qui la conduisoit 
1 160 Jusqu'à un miroir qui luisoit, 

Si qu'onques plus cler mirëoir 

Ne pot on tenir ne vëoir. 

Raisons le tenoit en sa destre, 
1 164 Une balance en sa senestre, 

ii36 D de trestout si rich. — • 1 138 DE vcue -^ i iSq tuit man- 
que dans F — 1 143 B^DE coissins — 1 147 manque dans D— iibi 
B annesot; 2?amelot— ii58 -3/ au— 11 59 JS lui — 1160 A mi- 
roir; FMB mireoir;£' mircour; D mirouer; id. 1161 et 1180 — 
1162 FM post on (3/ vn) — 11 63 Mss, la. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I77 

Si que la dame s'i miroit 

Plus souvent qu'on ne vous diroit. 

La vëoit elle clerement 
1 1 68 Sans obscurté n'empeschement, 

Quanque Dieus et Nature donne 

A bonne eûreuse personne. 

C'est le mal laissier et bien faire, 
1 172 Et non voloir autrui contraire ; 

Car fols est qui autrui pourchace 

Chose qu'il ne vuet qu'on li face. 

Et s'il eùst en son atour, 
1 1 76 En son gentil corps, fait a tour, 

Et en son cuer tache ne vice 

Ou pensée d'aucun malice, 

Ja ne fust si fort reponnue 
1 180 Qu'en mirëoir ne fust veiie. 

Et la vëoit elle, sans doubte, 

La guise et la manière toute, 

Comment Raison justement règle 
1 1 84 Par belle et bonne et loial règle ; 

Si que la prenoit exemplaire 

De tout ce qu'elle devoit faire. 

Et aussi la juste balance 
1 188 Li demoustroit signefiance 

Qu'elle devoit en tous cas vivre 

Aussi justement com la livre 

Ou on ne puet, par nulle voie, 

1 192 Mettre n'oster, qu'on ne le voie. 

La tierce avoit nom Attemprance 

1164 DE Si sa — II 65 FM ques — 1168 A empeechement — 
1171 M et le b. — iiyS DE qui a autrui — 1174 D quon ne v.: 
MB Ch. qui — 11 76 manque dans D — 1 177 MDE Ou — 1 17.S 
D daucune — 1180 B'D Quou; E Quen au — 1 181 £ veist — 
II 83 F rieugle — 1184 />P. bonne et belle; F rieugle — 1 188 
ABDE deraoustrent — 1189 /> deuroit — 1191 BE Ou en ^ 

1193 FM Mestre; E la. 

Tome I. 1 2 



178 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qui un chapelet de souffrance 

Avoit sus son chief par cointise ; 
1 196 Et avec ce, dont mieus la prise, 

Estoit de manière setire 

Et, en parlant, sage et meure, 

N'en fait, n'en port, n'en contenence 
1200 N'ot vice, ne desordenance. 

La quarte, se bien m'en recorde, 

Estoit Pais qui tenoit Concorde 

Par le doy, amiablement, 
1 204 Et li disoit moult doucement, 

De cuer riant, a chiere lie : 

(( Ma douce suer, ma chiere amie, 

Se nous volons vivre en leësse, 
1208 En pais, en repos, en richesse, 

De tout ce qu'on puet faire et dire, 

N'en mettons a nos cuers point d'ire, 

Et ne nous chaille dou dangier 
121 2 Qu'on appelle contrevangier. 

Car tels cuide vangier sa honte 

Qui l'acroist et qui plus s'ahonte. 

Tenons les bons en amitié, 
X2i6 Et des mauvais aions pitié. 

Car onques homs ne fu parfais 

Qui volt vangier tous ses tors fais. » 

I La cinquisme fu appellée 
1 220 Foy, qui richement endestrée 
Estoit de Constance la ferme 
Qui si l'afîermoit et afferme 

1 199 E ne poir — 1201 DE si — i2o5 M de ch.; FBD et ch. 
— 1210 DE Ne; BD en nos — 1211 jE vous — 121 2 JET contredan- 
ger — 12 14 AE lahonte — I2i5 £ a amistie — 1218 ^4 vost — 
1219 A cincisme — 1220 E au destree — 1221 D forme — 1222 
D enfourme. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I79 

Que riens ne la branle n'esloche, 
1224 Eins estoit com chastiaus sus roche, 
Fort et ferme et setirement, 
Sans variable mouvement. 

La setisme fu Charité 
1 228 Qui avoit si très grant pité 

Des besoingneus qu'elle savoit 

Que leur donnoit quanqu'elle avoit. 

Mais ja tant donner ne scetist 
1 232 Qu'assez plus a donner n'elisr. 

Après, Honnestez doucement 
Se sëoit moult honnestement, 
Qui parée par grant noblesse 
1236 Estoit d'un mantel de simplesse. 

Mais nette estoit, sans nul reprouche, 
De cuer, de corps, de main, de bouche. 

La novisme estoit Prudence ; 
1240 En son cuer portoit Sapience, 

Et si fermement la gardoit 

Qu'après li d'amours toute ardoit. 

Bien savoit la cause des choses 
1 244 Qui sont ou firmament encloses, 

Pourquoy li solaus en ardure 

Se tient, et la lune en froidure, 

Des estoiles et des planettes 
1248 Et des douze signes les mettes, 

Pourquoy Dieus par nature assamble 



1223 A bransle; DE ne loche — 1227 Mss. sisieme (.vi.); M 
fu chante — 1228 D si grant; E poeste — 1229 A besongnes — 
i23o B'D Quel ; />ce quelle — i236 FM Cestoit; D du — 1237 
BE nés; D net; M ncste; FM nulz — 1239 /> si fu •» 1243 E 
tout -* 1344 Jl/ en — 1249 E ensemble. 



l8o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Humeur, $cc, froit et chaut ensamble, 

Et pourquoy li quatre élément 
1252 Furent ordené tellement 

Qu'adès se tient çn bas la terre. 

Et riaue près de li se serre, 

Li feus se trait haut a toute heure, 
1256 Et li airs en moien demeure. 

Brîef des ouevres celestiennes 

Et aussi des choses terriennes 

Savoit tant qu'elle estoit experte, 
1260 D'engin si vive et si aperte, 

Que nuls ne le porroit despondre ; 

Car a chascun savoit respondre 

De quanqu'on voloit demander, 
1264 Si qu'on n'i sceùst qu'amender. 

Après Prudence se sëoit 

Largesse qui riens ne vëoit, 

Einsois donnoit a toutes mains, 
1 268 A l'un plus et a l'autre meins, 

Or, argent, destriers, oisiaus, icrre. 

Et quanqu'elle pooit acquerrc, 

Contez, duchiez et baronnies, 
1 272 A héritages et a vies. 

De tout ce riens ne retenoit,. 

Fors l'onneur. Ad ce se tenoît : 

Noblesse li avoit apris. 
1 276 Et avec ce, dont mieus la pris, 

Elle reprenoit Advarice 

12D0 E Honnour et fr. ; sec manque dans BDE, ajouté par B' 
et manque dans B — i253 E tiennent., en terre — i255 E tout 
— 1256 BD ou — 1258 D Aussi — 1259 E Sauoir -— 1261 D 
espondre — i263 D on lui v. — 1264 qu manque dans A -— 1266 
A FED que — 1267 E donne — 1269 D destries — 1270 F-quan- 
ques elle — 1272 héritage — 1273 D rcceuoit — 1276 E Auec- 
ques ce* . „ 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l8l 

Comme de tout le pieur vice. 

L'autre, dont pas ne me vueil taire, 
>i28o Estoit Doubtance de meffaire, 

Qui tant se doubtoit de mesprendre 

Qu'a peinne pooit elle entendre 

A riens, fors estre sus sa garde. 
1 284 En tous ses fais estoit couarde ; 

Car Honte et Pâour la gardoient, 

Qui en tous lieus Tacompaingnoient. 

La dousisme estoit Souffissance 
1288 Qui de très humble pacience 

Estoit richement âournée 

Et abondanment saoulée 

Et pleinne de tous biens terriens. 
1 292 Elle n*avoit besoing de riens, 

Ne li failloit chose nesune ; 

Hors estoit des mains de Fortune 

Et de son perilleus dangier. 
1 296 De po se paissoit au mengier, 

Car plus refaite estoit d'un ouef 

Que ne fust un autre d'un buef. 

Tant par estoit bonne efireuse 
1 3oo Et parfaitement vertueuse ; 

Encor est et toudis sera, 

Tant com li siècles durera ; 

Que c'est, a droit considérer, 
1 304 Li biens qu'on doit plus désirer. 

Mais aussi com pluseurs rivières 
Arrousent, et pluseurs lumières 

H78 M Com; D tous; D pire — 1286 MDE t. bien» — 1287 
A douzième — 1291 D Plaine •— 1295 M dongier — 1296 
FMBDE passoit ; D a m. — i3oi J? Encores est toudis er s. •— 
i3o2 A li mondes — i3o3 BD Cest; B' Qui est — i3o4 D bien. 



l82 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Radient et leur clarté rendent 
i3o8 En tous lieus ou elles s'estendent, 

Ces douse nobles damoiselles 

Qui de tous biens furent ancelles, 

Chascune selonc sa nature, 
1 3 1 2 En meurs, en maintieng, en figure, 

Embelissoient ceste dame 

De cuer, de corps, d'onneur et d'ame. 

Car tant estoit d'elles parée, 
1 3 1 6 Arrousée et enluminée, 

Que chascune Tembelissoit 

De quanque de li bel issoit. 

Et chascune la repartoit 
i32o De la vertu qu'elle portoit. 

Et encor des biens de nature 

A voit la noble créature 

Gente manière, loiauté, 
r324 Faitis port, debonnaireté, 

Grâce, douceur et courtoisie, 

Dont elle estoit moult embelie. 

Mais sa souvereinne bonté 
i328 De trop loing passoit sa biauté. 

Quant je la ti si hautement 

Assise, et si très noblement 

De grans richesses acesmée, 
i332 Et si servie et honnourée 

Chieremeni de tous et de toutes, 

Dedens mon cuer venirent doubtes 

Qui y entrèrent par folie 
i336 Et par droite merencolie. 

Car j'estoie trop esbahis 

i3oy A leurs — iSig D repparoit — i323 E G. maintenant — 
i325 E G. donneur — i326 M est — i328 sa manque dans BE, 
ajouté par B' — i33i B/> asseuree — 1*334 E me vinrent d. — 
i33y D tous esb. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l83 

Et aussi corn tous estahis 

Et d'erreur telement temptez, 
1 340 Que je cuiday estre enchantez. 

Mais en si fait amusement 

Ne demouray pas longuement; 

Car j'usay dou conseil d'Avis 
1 344 Qui fist retourner mon avis 

Justement par devers Raison, 

Qui est tout adès en saison 

Des loiaus cuers remettre a point 
1348 Qui sont issu hors de leur point. 

Adont Raison me resgarda, 

Si que depuis en sa garde a 

Mon cuer, mon sens et mon penser, 
i352 Pour résister et pour tenser 

Aus fausses cogitations. 

Et oster les temptations 

Qui cuidoient avoir victoire 
1 356 A moy faire faussement croire. 

Or fui hors de celle pensée.. 
Mais la dame bien apensée 
Moult sagement m'araisonna, 
i36o Et en parlant sens me donna 
De respondre après son parler; 
Se sceus mieus et plus bîau parler. 

La Dame. 
Se me dist : <c Guillaume, biau sire, 
1 364 Or prime fust il temps de dire 



i338 M comme — ' iSSq F temprez — 1341 -E en cy f. ; F an- 
nuisement — 1344 B* Qui me f.; 3/ recouurer; B mon vis — 
1348 manque dans D — i352 D penser — i333 M cuident — 
i357 E Sy sui; D f u — i36oZ) temps me d. — i362 F Scn ; BE 
En; D sceut; E Si sens — i363 FMBDE dit— 1364 ^ Au 
primes. 



184 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Ce que sus les champs avons dit. 
S'en rafreschissons nostre dit, 
Présent ces douse damoiselles 
1 368 Qui sont sages, bonnes et belles, 
Et pluseurs gens qui y seront : 
Volentiers nous escouteront. » 

Guillaume. 

Je ne fis pas longue demeure, 
1372 Einsois m'agenoillay en Teure, 

Et humblement li respondi : 

« Ma chiere dame, tant vous di : 

Pleûst a Dieu de paradis 
1376 Que cils qui doit oïr nos dis 

Fust ci endroit présentement, 

Li bons rois qui si sagement 

Saveroit oïr et entendre, 
1 38o Faire a point, et puis raison rendre, 

Quant il averoit escouté 

Ce qu'on li averoit compté ; 

Bien saveroit examiner 
1384 Et encor mieus déterminer. 

Et si croy bien qu'il jugeroit 

Selonc les parlers qu'il orroit. 

Et non pour quant, puisqu'il vous plait, 
i388 Bien en poez dire hors plait, 

En supposant sans préjudice. 

Et je qui point n'î pens malice, 

Volentiers vous escouteray, 
1 392 Et, se bon m'est, j'en parleray. » 



i365 E Et que., a yoas dit — i366 B rafresci^irons ; î) ftifp- 
xhtFons— 1367 M ses; È doxiees ^ i368 D sage$ $0i)^; 4 beUe 

— 1371 D demoure — ^372 AB agelon^ai -- i^ygffE S^urpit ; 
Z>et oir ent. — i38a B qu«n — i385 ^ qui — i386 Z) le parler 

— 1387 D non pourtant — i388 E pourras dire vo pUist. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l85 

Là Dame. 

a Guillaume, moult bel respondez. 

Mais un bien petit m'entendez. 

Levez vous, car il plaist a nous 
1 396 Que plus ne parlez a genous. 

Et se plus ci après parlez, 

Parlez einsi, com vous volez, 

Ou en sëant, ou en estant, 
1400 Car il nous soufHst bien a tant. » 

Guillaume. 

Lors me levay hastivement 

Pour faire son commandement, 

Quant elle ot sa parole dite ; 
1404 Et puis tout droit a Topposite 

De li m'en alay asseoir, 

Pour li en la face vëoîr. 

Car qui voit personne en la face 
1408 Qui de parler doit avoir grâce, 

Le parler trop mieus en entent 

A quel fin sa parole tant. 

Lors prist la dame une manière 
141 2 Able, diligent et manière 

De parler par si bel devis 

Qu'il estoit a chascun avis 

Qu'elle veïst tout en escript 
141 6 Ce qu'elle disoit et descript. 

Dont mieus diter nuls ne porroit. 

Nés que ses parlers atiroit. 

Elle ordena son parlement 

i3g3. JS rcsponncs — iSgS A L. vos ycus il pi. — iSgS DE 
▼ouldres — 1403 FM eust — 1405 E Deles lui men a. — 1408 
(^ace. manque dam D ^ 1409 BE De ; B on — - 1410 .^ ia — 1412 
manqué dans D;E u legiere ; FMB meniere *- 1413 par manftie 
dans B^ 1416 AFD Et — 1417 M saroit — 1418 B'DE Ne ; FM 
ques; BE ces; E paroles — 1419 D ordrena. 



l86 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

1420 Dès le premier commancement, 

Qu'elle m'avoit envoie querre, 

Et puis secondement requerre, 

Et comment j'alay devers li, 
1424 Et comment elle m'assailli 

De parole cusansonneuse, 

Et comment elle fu crueuse 

De moy rudement ramposner, 
1428 Pour moy seulement agoner 

Et en merencolie mettre, 

Dont bel se savoit entremettre. 

Que vous iroie je comptant ? 
1432 Elle y mist de biaus parlers tant 

Qu'elle mena l'entention 

Dou fait a déclaration, 

De point en point, de tire a tire, 
1436 Si bien qu'il n'i ot que redire. 

Par quoy les damoiselles toutes 

Furent tantost, sans nulles doubtes, 

Dou fait sages et avisées 
1440 Et entièrement enfourmées 

De quanqu'on avoit recordé 

Dessus les chans et acordé. 

Après ces paroles moustrées, 

1444 Bien dites et bien ordenées, 
Eus tantost le cuer esjoy, 
Car tant escoutay que j'oy 
Chevaus venir et gens debatre; 

1448 Dont en l'eure se vint embatre 

Devers nous cils bons rois de pris 

1426 FM ftist — 1427 E durement — 1418 D anguer — hSo 
M sen — 1431 D ir. plus c. — 1433 D beau — i/^Z^manque 
dansD ^ 1435 M en tire — X436 D qui ot — 1437 D Pour — 
1441 D quanque a. ; £ quanque len a. — 1443 E le champ — 

1445 FBE Eux — 1447 ^ esbatre — 1448 M sen. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 187 

Que nous aviens a juge pris. 

Et la dame qui resgardoit 
1452 Devers l'uis et ne s'en gardoit, 

Le vit et congnut a l'entrée ; 

Se s'est tantost en piez levée ; 

S'ala a rencontre de lui, 
1456 Et se n'i atendi nelui. 

Quant il la vit, il s'avansa 

Et un bien petit Tembrassa, 

Et elle lui moult humblement, 
1460 En saluant courtoisement, 

Liement et a bonne chiere. 

Et il li dist : « Ma dame chiere, 

Moult me poise, quant sa venistes. 
1464 Pour quel cause ne vous tenistes 

En vostre siège toute coie? » 

— « Très chiers sires, se Dieus me voie. 

Jamais ne Teûsse einsi fait, 
1468 Car trop pensasse avoir meffait. 

Car on dit — et c'est chose voire 

QuMl est assez legier a croire — 

Qu'entre les grans et les meneurs 
1472 A tous seigneurs toutes honneurs. 

Mais laissons ces parlers ester, 

Petit y devons arrester, 

S'alons en cest siège seoir. 
1476 La me vorray je pourvëoir 

De vous compter une merveille, 

D'autres merveilles nom pareille, 

Alez devant; j'iray après. 
1480 De vous me tenray assez près. » 



1450 F Cui ; DE auions — 1453 D lui — 1455 D Si ala enc; 
B en lenc— 1463 D que ca v. — 1473 E cest parler; D ce par 
ester ^ 1475 D Alons; M ses sièges — 1476 D Puis me vouldrai 
— 1478 D nom pareilles. 



l88 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

— « Par Dieu, ma dame, non feray. 

Aussi tost com j'y monteray, 

Tout d*encoste moy monterez. 
1484 Ja a ce point ne me menrez 

Qu'embedeus n*eh alons ensemble. 

Encor fais je trop, ce me samble. » 

De ce point si bien s'acorderent, 
1488 Si qu'ensamble tous deus montèrent. 

Et quant il furent haut monté, 

Encor, par grant humilité. 

D'asseoir moult se debatirent. 
1492 Toutes voies il se seïrent. 

Et quant il furent la assis, 

La dame dist de sens rassis : 

« Sire, entendez un bien petit-, 
1496 Et se prenez vostre apetit 

A diligenment escouter 

Ce que je vous vorray compter. 

Vez la Guillaume de Machaut. 
1 5oo C'est uns homs a cui il ne chaut 

A tort ou a droit soustenir; 

Tout aussi chier s'a il tenir 

Vers le tort comme vers le droit, 
i5o4 Si com vous orrez orendroit. 

En un débat sommes entré 

Dont nous devons de fait outré, 

Sire, devant vous plaidîer, 

1 508 Mais qu'il ne vous doie anuier. 
Moy bien méfie et il métis, 

148 1 D Pour — 1482 D je monterai; E je monsterray — I4i83 
FBDE decoste ; BDE monstercs — 1484 D merrez — 1485 D 
Que nous deus; J/ aillons — i486 E feray ; je manque dans E 
— 1487 D Ad — 1488 F dculi ; E roonsterent — 1491 D Au 
seoir — 1493 D sasseirçnt ^ 1493 A rassis — 1499 BEVtei ; P 
Vêla — i5o2 s manque dans D -^ i5o3 F tors — i5o8 F qui — 

1 509 £ bien meus; /) cil. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 189 

Pour juges estes esleùs ; 

Dont c'est pour nous belle avenue, 
1 5 1 2 Biau sire, de vostre venue. 

Et vous en estes eûreus, 

Se de riens estes amoureus. 

Car de cause avons nostre plait 
i5i6 Fourme qui aus amoureus plaist : 

C'est d'amours, d'amant et d'amie, 

Et de leur noble signourie. 

Guillaumes dit, tient et afferme 
1 520 Pour vray et que c'est chose ferme,^ 

Quant homs qui a tout son cuer mis 

En dame, tant qu'il est amis 

Et celle s'amour li ottrie, 
1 524 Si qu'il la tient pour vraie amie, 

Puis est de lui si esprouvée 

Qu'il la trueve fausse prouvée. 

Qu'il a de ce plus de grieté 
1 528 Qu'une dame qui loiauté 

En son vray ami trouvera ; 

Et elle aussi tant l'amera 

Comme dame puet homme amer, 
i532 Entièrement, sans point d'amer. 

Or avenra il que la mort 

Qui soutilment sus la gent mort, 

Torra a son ami la vie. 
1 536 Et quant elle scet qu'il dévie, 

Ou qu'il est dou tout deviez, 

Il est a la mort mariez, 

Lors est finée leur querelle, 
1 540 Aroit cils aussi grief com celle? 

1 5 10 F juge — 1 5 1 1 BD venue — 1 3 1 3 en manque dans D ; E 
este — iSib A plest — i5i6 D amours — iSso et manque dans 
Z>— i523 E ottroye — 1624 M qui; D que; E p. amie vraie — 
i525 ^ li — 1527 E Qui ; de (gr.) manque dansBE^ ajouté par B' 
*— io3o Scelle— i536 E qui — i54o3/grie8. 



igo LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Nennil ! Il ne puet avenir ; 

Cils poins ne se puet soustenir. 

Dont j'ay fait, et fais, et vueil faire 
1 544 Protestation dou contraire. 

C'est auques nostres plaidiez. 

Pour ce volons que vous soiez 

Juges; si en ordonnerez 
1 548 Selonc le plaît que vous orrez. » 

Le Juge^ 

« Je vous respons, ma chiere dame, 

Par la foy que doy Dieu et m'ame, 

Selonc la mienne entention, 
1 5 5 2 Que d'estre en la perfection 

De juge est moult noble chose, 

Voire qui entrepenre Tose 

Si hautement comme en Amours. 
1 556 Mais pour les très douces clamours 

Qui y sont, j'entrepren l'office, 

Sans mal penser et sans malice. 

Se j'ay petit sens, j'apenray 
i56o Parmi les parlers que j'orray; 

Et s'estre puis bien consîlliez. 

Je ne seroie pas si liez 

D'avoir acquis cinq cens mars d'or. 
1564 Et pour tant vous di je desor, 

Chiere dame, que j'esliray 

Tel conseil, comme je vorray, 

De vostre belle compaingnîe 
1 568 Qui a vous est acompaingnie. 

Car a un bon juge apariient 

1541 FBy — 1 541-2 manquent dans M — i545 F vostre; D 
tout nostre plaidie — i55o E marme — i553 D ccst — i555 M 
com — 1559 D p. temps je prendrai -- i56o E parolles; BD Par 
les paroles — i565 D jesluirai — i566 F com — i568 E et a.; D 
fait; BD compaingnie. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE IQI 

Qui jugemens en sa part tient 

Qu'il ait conseil en tous endrois. 
1 572 Prenons, qu'il soit ou non soit drois. 

Se vous requier je qu'on le face, 

Soit par courtoisie ou par grâce. 

Et d'autre part, quoy que nuls die, 
1576 Bons drois a bon mestier d'aïe, 

Par quoy grâce ait adès son cours, 

Pour aidier droit en toutes cours. » 

La Dame. 
a Biau sire, de vostre recort, 
i58o Que ce soit drois, bien m'i acort. 
Or prenez cui que vous volez, 
Par quoy de riens ne vous dolez. » 

Le Juge. 

« Ma dame, je pren Congnoissance 
1584 Qui est de bon conseil sustâhce; 

Avecques li sera Avis 

Li quels n'i sera pas envis, 

Pour ce que c'est sa bonne amie ; 
i588 Volentiers li tient compaingnie. 

Et se me plaist, qu'aussi y soit 

Raison qui nelui ne déçoit, 

Eins est adès en sa partie 
1 592 De bon conseil apareilHe. 

Si entendra les parlemens 

Pour raporter aus jugemens. 

La me sara bien consillier ; 
1 596 Pas ne m'en faurra resveillier. 



1570 B'D jugement; FM par — 1572 FMD qui — ibjS A Je 
vous requier je; FB nous — ibyg D Cher; FM nostre — i58i 
D vouldres — i582 Après ce vers D met Le roy — i586 manque 
dans F -^ iSgS F Sen tendra; J3' Sentendera; D Si entendes — 
1594 BD reporter — iSqS M moy — iSgô D scaura. 



19^ LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Avecques li sera M esure ; 

Car qui jugemens ne mesure, 

Il ne puelent venir a point, 
1600 Afin qu 'il soient en bon point 

Pour les parties délivrer 

Et chascune son droit livrer. » 

La dame bien s'i acorda 
1604 Et hautement li recorda : 

« Biau sire, bien avez ouvré 

D'avoir bon conseil recouvré. » 
Le Juge. 

« Cest bon pour moy, ma dame gente; 
1 608 Dont a mon cuer bien entalente 

Que j'en soie einsi bien garnis : 

Qui n'est garnis, il est honnis. 

Juges sui par commun acort 
161 2 Especiaument d'un descort 

Qui est ci entre deus parties. 

Pour atendre droit de parties. 

Or est la court garnie et pleinne; 
161 6 Se puet on bien par voie pleinne. 

Ce m'est avis, aler avant. 

Dame, vous parlerez devant, 

Se fourmerez vostre demande, 
1620 Nom pas pour ce que je demande 

Que li fais me soit reifourmez, 

Car j'en suis assez enfourmez ; 

Mais d'aucuns membres dou procès 
1624 Me moustreroient les excès 

1697 Mss, Auec, B* donne seul Aueques lui — iSgS D juste- 
ment mes.; E jug. par mes. -- 1600 AF qui; BDE que; E soye 

— i6o3-4 manquent dans D — 1604 E accorda — i6o5 D Chier 

— 1606 Après ce versD met Le roy — 1609 D aussi — 1610 £ 
Quil — 1612 D du — i6i3 F deulz — 1614 E entendre; B'D 
des — 161 5 F cours — 1617 FBDE Se— 1619 Fnostre— 1624 
E monsterront* 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l^j:> 

Qui VOUS en font doloir et pleindre, 
Et aussi pour Guillaume ateindre 
En son tort, se tort doit avoir ; 
1628 Autrement ne le puis savoir. » 
La Dame. 

« Sire, ceste raison me plait. 

Dès qu'entamé en avons plait, 

Mon fait moustreray par figure 
i632 Selonc les ouevres de Nature, 

Tout pour Guillaume qui se tort 

De vérité dont il a tort. 

Vous savez que la turterelle, 
i636 Qui est faitice, gente et belle, 

Cointe, gaie, douce et jolie. 

Tant com ses maies est en vie, 

Et s'il avient qu'elle le pert 
1 640 Par mort, on scet tout en appert 

Que jamais joie n'avéra. 

Et par signes le moustrera. 

Tant est li siens cuers pleins d*ardeur, 
1644 Jamais ne serra sus verdeur; 

Eins quiert tout adès obscurtez, 

Div*ers licus et pleins de durtez, 

Aubres ses, verseinnes et trieges; 
1648 En telslieus est souvent ses sièges, 

Quant elle se vuet reposer. 

Autrement ne vuet disposer 

Son cuer qu'en vie dolereuse, 
i652 Tant est de son maie grieteuse. 

1626 D attendre — 1628 manque dans D — i63o F entérine; 
E entermes — i63i E mousteray-— i635 manque dans F— lôSy 
D douce gaie — i638 B ces — 1640 FMBDE ou soit; B' corrige 
en scet — 1^42 F moustera; E monsterra — 1644 B sera; M 
saserra — 1645 tout manque dans D — 1647 B verseingnes; D 
versenges; E nesainnes; DE tierges — 1648 DE tel lieu — iG52 
D mal ; F regrietcuse ; BDE rcgretcuse. 

Tome L i3 



194 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Tout autel d'une dame di ge 

Qui est rendue a Amours lige : 

Quant elle a son amy perdu 
i656 Par mort, le cuer si esperdu 

A, que jamais n'avéra joie, 

Eins quiert lieu, temps, et gens, et voie, 

Ou il ait tout adès tristesse, 
1660 Humble habit en lieu de richesse. 

Ténèbres en lieu de clarté. 

Et en lieu de joliveté 

Pour porter chapelès de flours 
1664 Ist de son chief larmes et plours; 

Et scelle quiert aucun repos. 

Il est pris en humble propos. 

Einsi la dame se maintient 
1668 Qui le dueil de son amy tient, 

En cas qu'elle soit vraie amie. 

Or diray de l'autre partie. 

« Quant la segoingne se fourfait, 
1672 Et ses maies en scet le fait, 

Je croy bien que moult s'en aïre 

Et qu'il en a au cuer grant ire ; 

Mais trouver en puet alîgence 
1676 En ce qu'il en atent vengence. 

Car il s'en va tantost en serche ; 

Par les nis des oisiaus reverche 

A ceuls qui sont de sa samblance, 
1680 Tant qu'il en a grant habondance; 

Puis entour son nif les assamble, 

i656 JD a le cuer si perdu — lôSy A Na;iï namera; D Que 
jamais elle naura j. — i658 et (gens) manque dans E — lôSg 
tout manque dans E — 1660 D au — i665 se trouve après le 
vers 1666 dans E; FM E celle — 1669 D Ou; £ Quou; E seroit 
— 1671 B' sygne; E signe ; D singesse; D mefFait — 1674 A ait ; 
M en hai — 1676 ^veingance — 1681 DE ni. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE igS 

Et quant il sont la tuit ensamble, 

Il y tiennent un grant concire, 
1684 Puis metent celui a martire 

De mort qui l'a, ce dit, forfaite ; 

La est devourée et defFaite. 

Or a cils ses maus alegiés 
1688 Qui en ce point en est vengiés. 

Tout autel di je que li homs 

Doit estre fiers com uns lions 

Contre aucun tort, s'il li est fais. 
1692 Et cils puet trouver moult de fais 

Aus quels il se puet encliner 

Pour son mal faire terminer, 

Par pluseurs manières de tours. 
1696 Mais la dame n'a nuls recours 

Es quels elle se puist garir, 

Qui son amy verra morir. 

Dont elle sent pour un mal cent 
1700 Que cils autres amans ne sent. 

Guillaume, après moy respondez ; 

Se tort avez, si l'amendez. » 

Guillaume. 

Après ces raisons me dressay 
1 704 Et mes paroles adressay 

Au juge qui bien entendi 

Ce qu'elle ot dit et que je di. 

Et je li dis : <c Sire, sans faille 
1708 Ma dame a bien, comment qu'il aille, 

Son fait moustré, et sagement, 



i683 y manque dans FBE ; J3' Hz tiennent la vn; E II treuuc 
vn gr. contire ; D concilie — 1684 D mettront — i685 D qui a; 
FE se — 1686 DE demouree — 1690 FE comme — 1691 FM 
sil y est; D si lui — 1692 D Et si — 1696 D nul secours — 
1697 FM peust — 1706 B Et — 1708 D a dit — 1709 D et 
moustre s. 



196 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Et de soutil entendement 

Bien baillié par vives raisons, 
1 7 1 2 Pour fourmer ses comparisons 

Bien faites et bien devisées 

Et si justement exposées, 

Que qui amender y vorroit, 
17 16 Je croy moult bien qu'on ne porroit. 

Et ce qu'elle en a devisé, 

Vous Tavez très bien avisé, 

Oy, senti et entendu. 
1720 Car de sa bouche est descendu 

En vostre cuer par escouter ; 

Si ne le faut pas repeter. 

Et si croy bien certeinnemeht 
1724 Que c'est de droit vray sentement 

Ce qu'elle en a yci compté, 

Gardant sa grâce et sa bonté, 

Sans point de vainne entcniion. 
1728 Et j'ay une autre oppinion 

Qu'elle n'a; s'en diray m'entenie. 

S'il li plaist et il vous talente, 

Nom pas pour le sien fait punir, 
1732 Mais pour ma cause soustenir. 

On puet bien sa cause prisier. 

Sans autrui fait apetisier. » 
Le Juge. 

« Guillaume, ne vueil contredire. 
1 736 Dites ce qu'il vous plaist a dire, 

Hastivement ou a loisir; 

Ouvrez en a vostre plaisir. 

1712 jB fermer— iyi3 A diuisees— 171 5 £ Car qui amende 
y voiroit — 1717 E Et de ce — 1718 A auisie — 171g D seniu 

— 1722 E fait — 1725 en manque dans D — 1727 D de maie e. 

— 1728 je: joy; D vn — 1729 B sans — 1730 MDE Si — 1734 
Après ce vers D met Guillaume Le roy — 1737 manque dans D — 
1738 a manque dans Eé 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I97 

Je vueil bien oïr et entendre, 
1740 Et s'ay assez loisir d'atendre. » 

Guillaume. 

« Grant merci, sire ! Je diray, 

Et croy que point ne mentiray. 

Je vous di que la forfaiture 
1744 De dame est si aspre et. si dure 

En cuer d'amant, et si perverse, 

Que, quant elle y est bien aherse, 

Jamais jour ne s'en partira. 
'1748 Or ne scet cils quel part ira 

Pour quérir son aligement ;, 

Se prendre en voloit vengement 

Par mort, et bien le petist faire, 
1752 II trouveroit tout son contraire 

En la fourme de grant folour. 

En l'attrait de toute dolour. 

Un feu pour toute ardeur ateindre, 
1756 Une yaue pour douceur esteindre, 

Norrissemens de tqus meschiez; 

Car dou faire seroit péchiez. 

Et péchiez qui en cuer remort 
1760 Est uns commencemens de mort^ 

De mort qu'on claimme mortel vie. 

Car qui languist, il ne vit mie. 

En mon fait que ci vous présent 
1 764 Maintenant, en vostre présent, 

A plus de griés et plus d'ardure 

Qu'en l'autre fait, et trop plus dure. 



1741 BE je vous diray — 1742 AME nen — 1744 E De ma 
dame — 1745 E est si p. — 1752 AFMEY — 1755 ^atendre . 
D estaindre— 1756 D .1. autre eaue; E Une cause; E estandre 
— 1757 D et tous — 1759 D qui cncor r. — 1760 D Cest — 1765 
FD grief. 



igS LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Dont je vous requier orendroit 
1768 Sus ce point ci que j'aie droit.» 

Attemprance . 

Adont se leva Attemprance 

Qui tenoit par la main Souffrance. 

Si parla attempréement 
1772 En disant : « Guillaume, comment 

Droit pour vous demander osastes ? 

Je me merveil que vous pensastes, 

Quant vous en fustes si hastis. 
1776 Ou vostres scens est trop petîs, 

Ou outrecuidiers vous demeinne. 

Ne savez vous pas bien qui meinne 

Le droit, quant parties y tendent 
1780 Qui le désirent et attendent? . 

Je vueil moult bien que vous sachiez 

Que Raisons en est li drois chiez 

Et avec li sa compaingnie ; 
1784 Chascune y a bonne partie 

D'entre nous damoiselles toutes. 

De ce ne faites nulles doubtes, 

Que drois ne se puet délivrer, 
1788 Se toutes ne sont au livrer, 

Afin que fait soit bonnement, 

Se cils qui fîst les drois ne ment^ 

Je meïsmes y ay office 
1792 Pour résister a tout malice, 

Qui maintes fois le droit destourne ; 

Et je d'office le retourne. 

Quant uns bons procès vient en fourme, 

1770 B* tint; la manque dans D; BDE souffissance — 1778 
FBDE vous oser (D aisier) demandastes — 1777 D Oultrecui- 
dance;£ autrecuidiers — 1778 bien manque dans D; Mss. quil 
— 1779 -D les parties — 1780 E \\ — 1782 D Que ma dame est 
sages asses — 1784 /)£^ Chascun — 1785 FBE noz. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I99 

1796 Et je perçoy qu'on l'en defifourme, 

J'y puis bien tellement ouvrer 

Qu'il puet sa fourme recouvrer. 

Se trop y a, j'en puis oster. 
1800 (Or vueilliez bien ce point noter!) 

Et se po y a, j'y puis mettre, 

Quant je m'en vueil bien entremettre. 

Et se la chose est en bon point> 
1 804 Je la puis garder en ce point. 

C'est d'Attemprance li mestiers, 

Toutes fois qu'il en est mestiers. 

Or vueil je dire d'autre chose 
1 808 Qui contre vostre fait s'oppose. 

ft Vous ayez un point soustenu 

Dont po d'onneur vous est venu, 

En ce que. ma dame de pris 
181 2 Avoit seur la segoingne pris, 

Comment elle est a la mort traite, 

Quant envers son maie est forfaite. 

Cuidiez vous qu'elle vosist dire 
181 6 Qu'on meïst la dame a martyre 

De la mort, qui se mefferoit 

Envers celui qui l'ameroit? 

Nennil ! voir ! ce seroit folie. 
1820 Ne ma dame ne maintient mie 

Qu'il la face tuer ne tue ; 

Mais elle tient qu'il s'esvertue 

Encontre les temptations 
1 824 Des fausses cogitations 

Qui porroient en lui venir. 

1796 FE le— 1797 D Je puis — 1798 FM Qui — 1802 DE 
me — i8o3 la manque dans E — 1806 est ajouté par B au bas du 
feuillet — 1808 DE nosire — 1809 ^ Tous — 1812 D besoigne 

— 181 3 la manque dans FBE -- 182 1 FB Qui; AFMB facent 

— 1824 BDf: De. 



200 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Encor s'el pooit avenir, 

Qu'elle fust de bonne mort morte, 
1828 Se vaurroit il mieus, drois la porte, 

Qu'elle demourast toute vive. 

Car tant corn la personne vive 

Qui se mefferoit par folour, 
i832 On n'en a peinne, ne dolour, 

Grieté, souffrance, ne meschief, 

Dont on ne veingne bien a chief. 

Quant il sent aucune grieté, 
i836 II doit penser par vérité, 

Dès qu'il a loiaument servi. 

Qu'il ne l'a mie desservi. 

C'est une pensée valable, 
1840 Pour lui conforter profitable. 

Que vous îroie je comptant ? 

De remèdes y a autant 

En amours, com de griés pointures, 
1844 Soient aspres, poingnans ou dures. 

Chascune son remède enseingne ; 

Or en fait bon quérir l'enseingne. 

Mais une dame qui verra 
1848 Que ses très dous amis morra 

En cui en nul jour de sa vie 

N'ara trouvé que courtoisie, 

Estre porra si fort férue, 
i852 Si griefment, et si abatue. 

Que jamais n'en porra garir, 

Einsois la couvendra morir. 

En l'escripture est contenu 

1828 B dieux; D dieu; FME le — i832 DE ne sl p.; D na 
doulour— i833 M soufFraite ; D soufFrete; E souffisance — i836 
I^BDE pour — i838 D Qui — 1839 2> vaillable — 1841 vous 
manque dans E— 1842 E remède ; /) en y a tant — 1843 D grief 
— 1844 BD après; F et dure — 1846 A querre — 1847 B' M. 
joyne ~ i855 1 manque dans D, 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 201 

i856 Que pluseurs fois est avenu. 

S'en compteray un petit compte 

Qui vous fera avoir grant honte, 

Et a ma dame grant honnour, 
1 860 Et grant clarté a mon signour, 

Dont il verra plus clerement 

Comment vous errez folement. 

« Il n'a pas lonc temps qu'il avint 
1864 Qu'une grant dame a Paris vint, 

S'amena une sienne fille 

Qui, sans penser barat ne guille, 

Amoit un chevalier gentil, 
1868 Sage, courtois, gay et soutil, 

Preus aus armes, fort et puissant, 

De toutes grâces souffissant. 

De lui nouvelles li venirent 
1872 Qui forment au cuerla poingnirent 

Qu'il estoit a un tournoy mors. 

« Lasse ! » dist elle, « quel remors 

Puis avoir de ceste nouvelle ! » 
1876 A cest mot chey la pucelle 

A la terre, toute estendue. 

Adont sa mère y est venue 

Acourant moult dolentement ; 
1880 S'en prist a plourer tenrement 

El la fist porter en un lit. 

La prist elle povre délit ; 

Car au cuer estoit fort aieinte 
1 884 Et ou viaire pale et teinte 

Et si de son corps amatie 

Et de ses membres amortie, 



i856 F fais — 1862 D Comme — 1864 grant manque dans E 
— 1869 A Preu — 1872 B W, DE lui — 1874 M queiz — 1876 
DE ce -^ 1880 £: Se — 1882 manque dans D — t883 BE esteinte 



202 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qu'eînc puîs ne s'en pot soustenir, 
1888 Ne des mains nulle riens tenir; 

Et n'ot einc puis tant de victoire 

Qu'elle peûst mengier ne boire. 

Fusicien furent mandé, 
1892 Et la leur fu il demandé 

S'elle averoit de la mort garde. 

Et que chascuns y prenist garde, 

S'on li porroit donner santé, 
1 896 Et qu'il demandassent planté 

Hardiement de leur avoir, 
' Tant comme il en vorront avoir. 

Et il en peinne s'en meïrent 
1900 Et moult volentiers le feïrent 

Pour trouver son aligement. 

S'il petissent, diligenment. 

Premiers, s'orine resgarderent, 
1904 Et puis après si la tasterent ; 

Li uns après l'autre tastoient 

Partout ou taster la dévoient, 

Les piez, le pous, et puis les temples; 
1908 Et puis si moustroient exemples 

Des cures qu'il avoient faites 

En pluseurs lieus et bien parfaites. 

Et que plus d'exemples moustroient, 
191 2 De tant plus esbahi estoient. 

L'orine la jugoit haitie, 

Et li tasters ne jugoit mie 
Cause froide, ne de chalour, 
19 16 En quoy il prenissent coulour 

1887 D Que puis; FMBE Queins; FDE se — 1889 FMBE 
cins; D depuis — 1891 FB Fisicien — 1898 FM com ; E il Icn; 
FMBE vorroient — 1899 MBDE se — 1900 D Et moût tresuo- 
lentiers le firent — 1903 DE Premier — 1907 E les pous; D 
poins — 1908 AB li; D monstrerent — 191 3 ^ jugent; D la 
monstroit haitiee — 191 6 /) poyssent. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2o3 

D'où ne de quoy cils maus venoit, 

Ne quel remède y couvenoit, 

Pour 11 un po assouagier 
1 920 Ou dou tout ses maus aligier, 

Fors tant que 11 uns s'avisa 

Et sagement le devisa : 

a Sîgneurs, j'ay veu en s'orine 
1924 Einssi comme un po de racine 

Qu'elle est en Tesperii troublée. 

Or nous est la science emblée 

De ce point, s'on ne s'en avise. 
1928 Et nous savons une devise 

Que li bons philosophes dist ; 

Il afferme, et je croy son dit. 

Que les maladies quelconques — 
1932 Et qu'autrement il n'avint onques — 

Sont curées par leur contraire. 

Or ne pôons a ce point traire 

De ceste maladie ci 
1936 Tant seulement que par un si. 

Car si hastives maladies 

Puelent venir de deus parties : 

C'est assavoir, se Dieus me voie, 
1940 De grant dueil ou de trop grant joie. 

Et cause de joie désire 

Qu'on la courresse et qu'on l'aïre. 

Et celle de dueil autrement : 
1944 Faire couvenra liement, 

Présent li, ce qu'elle vorra 

Et quanqu'elle commandera, 

1917 D Donc — 1918 -4 il — 1921 E que lui vn — 1924 AE 
Aussi — 1926 BD Aï y ert; E (à la marge) le dont quelle soit 
sanc mellee — 1930 M lafiFerme; F la ferme; A dist — 1931 A 
quelsconques — 1932 BDE il naient — 1933 D le c. — 1938 
BDE trois p. — 1942 FBD courrouce; F con la ire; E la com- 
mence non layre — 1943 D De. 



204 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

< 

Et qu'on li ait admenistrez, 

1948 Pour faire feste, menestrés. 
Or couvenra il qu'elle die 
Dou quel li vient sa maladie. 
Pour li donner certein conseil. 

1952 Je le lo einsi et conseil. 

Se voit li uns tout simplement 
Parler a li secrètement. » 
Seur ce point furent acordans; 

1956 Dont li uns li fu demandans 
Ce que devant avez oy. 
Point n'en ot le cuer esjoy, 
Eins en respondi moult envis, 

i960 Et toute voie vis a vis 
Pure vérité l'en conta, 
Si bien que point n'i arresta. 
Lors li fist cils une requeste 

1964 Au mieus qu'il pot par voie honneste : 
a Fille, respondez moy d'un point 
Que je vous diray bien a point : 
Vorriez vous de ci en avant 

1968 Que vous le veîssiez vivant, 

Mais que ce fust par tel manière 
Que jamais ne vous moustrast chiere, 
Parole, ne samblant d'ami? » 

1972 Et elle respondi : « Aymi! 

Sire, se Dieus me doint santé, 
Que c'est bien de ma volenté 
Que volentiers le reverroie 

1 976 Vivant, et fust par tele voie 

Qu'il etist fait une autre amie, 



1948 E festes; D menestries ; E menestriers — 1949 E Et; il 
manque dans BE; J3' quelle nous die ~ 1960 D vint; il la — 
1953 A voist — 1955 D finer accordant — 1958 FE ne — 1961 
E Pour; F leur; B' lui enconta — 1974 Car— 1976 E celle. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2o5 

La quele fust de moy servie, 

Mon vivant, jusqu'au deschaucier. 
1980 Ne m'en vueilliez plus enchaucier; 

Car tous li cuers de dueil me font 

Si aigrement et si parfont, 

Toutes fois que j'en oy parole. 
1984 Si ne vueil plus qu'on m'en parole. » 

Après ce mot, cils s'en départ 

Et s'en ala de celle part 

Ou cil estient qui Tatendoient, 
1988 Qui desiroient et tendoient 

Savoir quel fin celle feroit. 

Et il leur dist qu'elle morroit : 

« Je n'y puis vëoir nul retour. 
1992 Ses cuers est fermez en la tour \m<v:jc 

D'Amours, sous la clef de Tristesse, ^ 

Ou elle sueffre grant destresse. 

Si que morir la couvenra 
1996 Briefment; ja n'en eschapera. 

Pour quoy nous nous départirons 

De ci; plus n'i arresterons. » 

En l'eure de la se partirent, 
2000 Et puis a la mère deïrent : 

tf Ma dame, on n'y puei conseil mettre. 

Mais vueilliez vous bien entremettre 

De li garder et tenir près. » 
2004 Euls départis, tantost après 

Elle cria a haute vois : 



1979 FAf jusques au — 1980 E cnchantier — 1981 £' tuit — 
1983 FM Toute; ^ os; Af paroles; D parler — 1984 F Se; D 
Si nen vueil plus oir parler — 1985 FD si sen ; B ci sen — 1986 
F Se ; D Si; F Cil — 1987 DE estoient — 1988 E et attcndoicnt 
1993 A Damour-^ 1997 FD Par; nous manque dans D une fois 
— 2000 D le deirent — 2001 E Dame — 2oo3 D Tresbien g. ; E 
la — 2004-5 D Euls d. a haulte vois {le texte entre ces deux 
moitiés de vers est omis)» 



2o6 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

« Hé! douce mere, je m'en vois. 

A Dieu vous commant, douce dame ! » 
2008 Et droit a ce point rendi Tame. 

Elle fut de la gent criée, 

Et sa mere en fu tourmentée. 

De ce ne tieng je pas mon compte, 
2012 Car a mon propos riens n'en inonte. 

« Guillaume, ou porrez vous trouver 

Comment vous peussiez prouver 

Qu'uns homs seroit a mort menez 
2016 De ce point que vous soustenez, 

Dou forfait de sa bien amée, 

Et que ce fust chose prouvée 

Qu'elle eiist fait la villenie, 
2020 Et qu'adès demourast en vie? 

De la pucelle est chose voire. 

Mais ce seroit trop fort a croire 

Que plus grans fust li siens meschiez 
2024 Que de celle. Bien le sachiez ! s> 

Guillaume. 

(( Attemprance, moult bel parlez 

Toutes les fois que vous volez. 

Ci endroit especiaument 
2028 Avez parlé moult sagement. 

Et quanqu'avez ci dit, je croy, 

Ne dou croire point ne recroy. 

Car c'est pour moy en aucun point 
2o32 Qui vient a mon propos a point, 

Quant celle damoiselle gente 

Ot mis ou chevalier s'entente, 

2006 D Cria ma mere -— 2008 E larme — 2009 BE Celle — 
201 1 E tiengne pas — 2012 ME en mon p. ; D ne m.; E conte 
— 201 3 E pouez — 2014 ^ trouuer — 2017 /> Donc; BD et de 
bien a. — 2018 D Que ce — 2o3o F recroire — 2034 A en. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 207 

Et il estoit ses vrais amis, 
2o36 Et puis se fu a la mort mis, 

Dont Amours si fort Tatrapa 

Que la mort tantost la hapa. 

Amours en fist pour li assez; 
2040 Car cils cops fu tantost passez. 

Aussi a morir avoit elle : 

Nuls contre ce point ne rebelle, 

Gui la mort ne veingne haper ; 
2044 Nuls ne li porroit eschaper. 

Quant uns homs est grieteusement 

Tauxez a mort par jugement 

D'un bon juge sans mesprison, 

2048 Et il le met en grief prison 
D'enfermeté en lieus divers, 
Ou estre puet rungiez de vers 
Et de planté d'autre vermine, 

2052 Et il y est un lonc termine, 
Chargié col et les bras de fers 
Et les jambes, c'est bien enfers. 
La est il de foy en destour, 

2o56 Pour renoier son creatour ; 

Volentiers le renieroit 

Qui de la le delivreroit. 

Mais en celle heure qu'il est pris, 
2060 Jugiez a mort par juste pris. 

Trop mieus li vaut qu'on Ten délivre 

Par la mort, qu'en tel dolour vivre. 

Einsi est il d'un vray amant 

2o35 B ces — 2o36 X si fu; D fast — 2o38 D latrappa — 2040 
FE corps; D fust— 2048 D Que — 2045 D est trop griefment; E 
griefensement — 2046 BD Traitties ; E Traittes — 2048 Fgries — 

2049 ^^ Denfermetez; D lieu — 2o5o A mengiez; D mengie 
— 2o5i D Et dautre plautre de vermine — 2o52 E est par 1. — 

2053 BDE fer — 2o54 BE enfer; D cest vn enfer — 2o55 E au 
destour— 2067 F rcnienroit — 2o58 FM dcliueroit; D dcliuroit. 



208 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

2064 Qui est trahis en dame amant, 

A tel fin com devant est dit. 

J'afferme et se di en mon dit 

Que nuls meschiez ne s'apartient 
2068 Aus grietez que ses cuers soustient, 

Tant comme il dure et elle dure. 

Et si say moult bien que Nature 

A de son bon droit establi 
2072 Qu'on mette celui en oubli 

Qui est mors et n'en puet ravoir 

Pour grant peinne, ne pour avoir. 

Seur ce point droit atenderoie; 
2076 Mieus estre jugiez ne vorroie. » 

Pais. 

Après ces mos s'est Pais levée 

Et dist, comme bien avisée : 

« Guillaume, assez souffissanment, 
2080 Selonc le vostre entendement, 

Avez vostre propos baillié ; 

Mais vous l'avez trop court taillié 

Pour avoir droit pour vous si tost; 
2084 Car uns autres poins le vous tost. 

Vous avez de Nature trait, 

Pour prouver, un assez biau trait, 

Lequel on a bien entendu. 
2088 Mais j'ay un autre las tendu 

Contre celui, de plus grant pris, 

Par lequel vous serez soupris, 

D'un exemple ancien de fait 
2092 Qui bien a ramentevoir fait. 

2o65 F comme; E ay dit; D ditte — 2066 si manque dans 
B'E — 2068 E griestcs — 2069 E nelle — 2070 E Et je say 
moult manque dans D — 2071 A manque dans D — 2072 E 
Quen ; D Quem — 2073 E et non ne p. — 2076 D verroie — 
2080 jPnostre; E S. nostre ent. — 2090 A sourpris — 2091 
Mss, aucun, corr, en ancien par B' — 2092 M ramentoiure. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 209 

Et pour ceci le vous propos, 
Car il sert bien a mon propos. 

« Dydo, roïne de Cartage, 
2096 Ot si grant dueil et si grant rage 

Pour l'amour qu'elle ot a Enée 

Qui li avoit sa foy donnée 

Qu'a mouillier l'aroit et a femme ; 
2100 Et li faus Tappelloit sa dame, 

Son cuer, s'amour, et sa déesse, 

Et sa souvereinne maistresse. 

Puis s'en ala par mer nagent 
2104 ^" larrecin, lui et sa gcnt, 

Qu'onques puis Dydo ne le vit. 

Oiez, comme elle se chevit : 

Quant failli li ot dou couvent 
2108 Qu'eu li avoit en couvent, 

Einsi com pluseurs amans font 

Qui l'amant loial contrefont, 

La désespérée, la foie, 
2 1 1 2 Qu'amours honnist, qu'amours afole, 

L'espée d'Eneas trouva 

Et en son corps si l'esprouva 

Qu'onques ne se pot espargnier 
21 16 Qu'en soy ne la feïst baingnier. 

Dont elle morut a dolour 

Pour amer, et par sa folour. 

Mais elle ne morut pas seule, 
2 1 20 Einsois a deus copa la gueule. 

Car d'Eneas estoit enceinte, 

2097 a manque dans E; D onnee — 2098 E a. samour d. — 
2099 ^ lamoit; E et sa f. — 2100 D Et lui faulz — 2101 M 
dieucsse — 2io5 M Quonque; E pis — 2106 AME comment ; 
3/ el — 2107 D le conuent — 2108 D Qui en lui a. ; E Que on 
lui a. — 2109 E que pi. — 21 17 E mourust — 2118Z) Par; E 
et pour — 21 19 ME mourust. 

Tome I 14 



210 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Dont moult fu regretée et plainte. 

Mains einsois qu'elle s'oceîst, 
2 1 24 Elle commanda qu'on feïst 

Un ardant feu en sa présence. 

Et quant en sa désespérance 

S'ocist, si forment s'envay 
2 1 28 Qu'avec le cop en feu chay, 

Dont tantost fu arse et bruïe. 

Einsi fina Dydo sa vie. 

Bien croy que ce fu chose voire, 
21 32 Car einsi le truis j'en histoire. 

« Si que, Guillaume, vraiement, 

Il me samble tout autrement, 

Veiies et considérées 
2 1 36 Mes raisons devant devisées . 

Car on puet yëoir clerement 

Que grieté, peinne, ne tourment 

Ne se porroient comparer 
2140 Ad ce que celle comparer 

Volt pour le grief de son amy. 

Et fust uns homs trestout enmy 

Grant planté de ses annemis, 
2144 Qui tuit li eussent promis 

La mort, et tuer le porroient 

A leur plaisir, quant il vorroient, 

Lui vivant en celle pâour, 
2148 Non obstant grieté ne frëour. 

Se trouveroit il reconfort. 

Encor y a un point plus fort : 

2123 MB que soceist — 2126 D desperance — 2127 E si fort ; 
FBDE senhay — 2128 BDE ou — 21 32 j manque dans A; A 
listoire — 2 1 36 £ diuisees — 2 1 38 E grieste ; D et tourmeât — 
2140 D a comparer; E ce quelle ot a comp. — 2 141 E veult le 
grief — 2142 E Ce feust; E onny — 2144 M tant — 2145 E 
poierent. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 1 I 

Qui le menroit aus fourches pendre 
21 52 En celle heure, sans plus attendre, 

Si seroit il reconfortez 

Et soustenus et déportez 

En esperence d'eschaper JJ 
21 56 Lors ne le porroient taper 

Maie errour, ne desesperence, 

Tant comme il aroit esperence ; 

Qu'esperence le conduiroit 
2 1 6o Jusqu'à tant qu'il trespasseroit. 

« Aussi avez vous dit d'un point 

Encontre Amour trop mal a point : 

C'est que Nature a commandise 
2164 Seur la gent d'Amours a sa guise, 

Et se Nature le commande, 

Nuls n'obeïst a sa commande. 

Elle commande qu'on oublie 
2168 Et mort d'amant et mort d'amie, 

Pour ce qu'on n'i puet recouvrer 

Par grant avoir, ne par ouvrer. 

Commande; assez nous le volons. 
2172 De ce point pas ne nous dolons. 

Qu'a ami riens n'en apartient ; 

Car Bonne Amour en sa part tient 

Un cuer d'amant tant seulement 
2176 Sans naturel commandement. 

Qui ne vuet, nuls n'i est contrains; 

Mais on est d'Amours si estrains, 

Qu'obeïr y convient par force ; 
2180 S'est fols qui contre li s'efforce. 

2i5i D merroit; FM as; D a — 2i53 E A — 2157 E Mal 

neueur — 2 161 vous manque dans E — 2164 damours manque 

'dans E — 2167 D et on — 2172 D doublons — 2173 AM Que a 

moy; BDE amis; nen manque dans E -^ 2174 D Que — 2178 JE 

M. en; D damis — 2180 D Folx est. 



212 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Guillaume, se vous loeroie 

A laissîer ceste povre voie 

De dire que Nature ait grâce 
2 1 84 Que propre commandement face 

En amours, qui soit de valeur. 

Nature donne bien couleur 

A ami d'un plaisant cuidier 
2188 Qui li fait folement cuidier 

Acomplir ce qu^Amours desprise. 

Et par si faite foie emprise 

Sont fait maint inconvénient 
2192 Qui valent trop meins que nient. 

Plus desclairier ne m'en convient 

Pour ce que point d'onneur n'en vient. 

Pais sui qui volentiers feroie 
2196 Adès bien, et si delBferoie 

Le mal ; aussi feroit Concorde ; 

Car quanque je vueil, elle acorde, 

Toutes heures, et soir et main. 
2200 Pour ce la tien je par la main, 

Et pour faire ce qu'il li plait. 

Alez avant en vostre plait, 

Guillaume, par voie deiie, 
2204 ^^^^ naturel descouvenue. 

S'ensieuez d'avis les usages, 

Par mon los, si ferez que sages. » 
Guillaume. 

« Pais, damoiselle, pour vous croire 
2208 Viennent tous biens, c'est chose voire. 

21 83 £ est gracc — 2187 BD En amis ; E A aucuns.— Après 
levers 2188 D intercale les vers 2205-2208 — 2189 FMBDE 
quamis — 2 19 1-2 manquent dans D — 2igi E maint mal inno- 
renment -— 2192 E Quil ne vaillent auques nient — 2196 A Pas 
— 2196 D Tousiours — 2201 MBD qui ; E que — 2202 AF a 
vostre; M A. quant a V. — 2204 D S. nature descongneue -^ 
92o5 E Soustenez; D damis — 2208 E Vraiement. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2l3 

Si me garderay de mesprendre. 
Mais je vueil ma cause deffendre 
Tant avant, comme je porray. 
2212 Dont un exemple compteray 

Qui s'ensieut, a mon fait prouver 
Et a vostre tort reprouver. 

« A Orliens ot un clerc jadis 
2216 Qui estoit renommez et dis 

Nobles clers, vaillans homs et riches, 

Et si n'estoit avers ne chiches, 

Sires de lois, et de decrez 
2220 Maistres, et uns homs bien discrez 

De bien moustrer ce qu'il savoit 

Et la vaillance qu'il avoit. 

S'avoit esté nez en Prouvence, 
2224 Et bien enlignagiez en France 

Estoit de princes et de contes, 

Que véritables soit mes contes. 

De gentils gens estoit servis, 
2228 Preus et apers a grant devis, 

Et avoit en sa compaingnie 

De moult noble chevalerie, 

A qui riches robes donnoit. 
2232 Cils poins moult bien li avenoit, 

Car pour sa grâce desservir 

Se penoieni de lui servir. 

Or estoit moult d'amer espris 
22 36 D'une damoiselle de pris 

Qui demouroit vers Montpeslier, 

Fille d'un vaillant chevalier. 

Attrait de moult noble lignie. 



22i3 ^ fait premier — 2214 E tout — 3318 D siches — 2236 
BDE Une — 2237 F mon paillier ; J3' monpeillier — 2239 FME 
Attrais; D Extrait. 



214 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

2240 S'estoit la besoingne lignie 

D'entr'eus deus si entièrement 

Qu'on ne peûst mieus autrement. 

Il s'estoient entrepromis, 
2244 II comme ses loiaus amis, 

Et elle comme vraie amie : 

A tousjours maiSj toute leuF vie, 

Maintenroient en vérité 
2248 Les courtois poins de loiauté. ^ 

Mais si loin devint leur loiens 

Qu'il s'en vint manoir a Orliens, 

Et elle en Prouvence manoit. 
22 52 Mais si bien, comme il couvenoit, 

Les secrez d'amours maintenoient 

De lettres qu'il s'entr'envoioient 

Par leurs especiaus messages, 
22 56 Honnestes gens, secrez et sages. 

Einsi le feïrent grant pièce. 

Mais Fortune qui tost depiece 

Maint honneur aval le païs 
2260 Fist tant que cils fu esbahis. 

Plus qu'a perdre .v .c. mars d'or, ' 

Si comme je diray dès or. 

a II avint a une journée, 
2264 Maie pour, celui adjournée, 

Qu'a lui s'en vint uns messagiers 
De Prouvence, preus et legiers, 

2242 D pouoit; E peut — 2243 E l\z e, en ce promis — 2244 
E comment— 2245 E comment vrais amie — 2247 DE Main- 
tenoient — 2249 F si Ions; BD leurs; DE Utns; A loien — 
225o sen manque dans E; F vient — 225i -B Et celle ©u primiers 
m. — 2254 AMD Des; E qui sentrenuoient — 2255 D messa- 
giers — 2256 D H. sages et sacres ; E H. et secres et s. — 2257 D 
firent il — 2i258 DE tout; BDE despiece — 2259 BE Mainte; D 
autel le p. — 2 265 A li. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 21 5 

Qui li aportoit lettres closes, 
2268 En un petit coffret encloses. 

Il les prist, si les resgarda 

Et de haut lire se garda; 

Car pluseurs secrez devisoient. 
2272 Et ou darrein point contenoient 

Que s'amie estoit mariée 

Au plus vaillant de la contrée, 

Et estoit ja grosse d'enfant. 
2276 « Haro ! » dist il, « li cuers me fent. 

« Hé! Mors, que ne me viens tu prendre ? 

« A po que je ne me vois pendre! » 

Lors prist ses cheveus a tirer, 
2280 Et puis sa robe a dessirer. 

Quant sa gent einsi le veïrent, 

Isnelement avant saillirent, 

Dont chascuns forment Tagrapa ; 
2284 Mais par force leur eschapa. 

Aval la ville s'en fui; 

Il devint sours et amuî; 

Car dès lors qu'il parti de la, 
2288 Aine puis de bouche ne parla 

Parole qu'entendre petlst 

Homs vivans, tant le congneûst; 

Ne dès lors que ce li avint, 
2292 Onques puis a li ne revint. 

Et ne dormoit que sus fumiers. 

Et de ce estoit coustumiers. 

Et quant si ami le prenoient 
2296 Qui en aucun lieu le lioient, 



2271 E contenoient — 2272 FAÎD en — 2277 FBD mort — 
2278 E prendre — 2279 F ces — 2283 MB lacrappa; FD 
latrappa; E letrappa — 2285 E Au my la v.; ^ se — 2287 D 
Des lors qui se p. — 2288 FM SE Eins; D One — 2291 £ de 
lors ^ 2293 E furmiers — 2296 E a aucun. 



2l6 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Jamais n'i beust ne menjast, 
Eins est certeîn qu'il enrajast, 
Si qu^il le laissoient de plain 

23oo A son voloir aler a plain. 
Mais il ne faisoit a nelui 
Nul mal, fors seulement a lui. 
En ce point fu vint ans tous plains ; 

23o4 S'estoit moult regretez et plains 
De la gent qui le congnoissoient 
Dont li pluseur forment plouroient. 
Si fu bien mis de haut au bas. 

23o8 Se n'afferroit pas grans debas 
A jugier vérité certeinne, 
Qu'il ot de grieté et de peinne 
Plus que cent dames n'averoient 

23 1 2 Qui leurs amans mourir verroient . 
Quant il vous plaist, si resgardez, 
Et de mesjugier vous gardez ! » 

FOY, 

Adont s'est Foy en piez drecie 
23 1 6 Comme sage et bien adrecie 

De droit, de coustume et d'usage ; 

S'a dit : « Guillaume, le musage 

Avez bien paie ci endroit, 
2320 Par dehors la voie de droit, 

Au mains en aucune partie. 

S'en vorray faire départie, 

C'est assavoir, devision 



2297 E ne me m. — 2298 M certains — 2299 D Si que; E 
laissierent — 23oo D valoir — 23o3 D tout — 2304 J/ regrette 
— 23o6 FE pluseurs; D plusieurs — 2807 5 Ce ; DE du haut — 
23o8 BDE gens debas — 2309 D De — 23 10 Z) Qui; M giette — 
23 12 £ QxLiXyME leur; MDE amis -. 23i3 £ Quant vous 
plaira — 2314 2) de menseigner; E du mesagier — 23i6 2>-B 
^uisee — 232 1 D Amours — 2322 D verray — 2323 DE diuision. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 217 

2324 Par voie de distinction 

Des choses qui ne font a croire 

Et d'aucunes qui la victoire 

Puelent avoir d'estre creties 
2328 Ou pour possibles soustenues, 

Dont les unes essausseray 

Et les autres confonderay, 

Au los de m'amie Constance 
2332 Qui a tous mes contraires tense 

Et me soustient et fortefie 

Vers chascun qui en moy se fie. 

Que cils clers fust de grant vaillance, 
2336 Gentils homs, et de grant puissance, 

Renommez de haute noblesse, 

Et de temporelle richesse 

Très habondanment assasez; 
2340 Espris d'amours et embrasez, 

Amis de cuer, amez d'amie, 

Et en Testât de courtoisie 

Eussent fait leur aliance 
2344 f*^r ^^^^ amiable fiance, 

Si que les secrez garderoient 

D'amours, tant comme il viveroient. 

Qu'a Orliens fust amainnagiez, 
2348 En France bien enlignagiez 

De gens si honnourablement 

Qu'on ne petist plus hautement, 

Ce sont toutes choses possibles. 
2352 Et dou mal qui fu si horribles. 

Qui si soudeinnement li vint, 

2324 F distraction ;\E discrétion — 2325 E De; £ sont — 
2328 AM possible; D paisibles — 2332 E mes cointains — 2334 
M chascuns — 23352)fu;-B puissance — 2336 E vaillance — 
2338 M temporelez — 2339 D Habondanment; E Tresabandon- 
nement — 2341 i) amis damie — 2346 tant manque dans E — 
2347 ^ ®" mesnagez — 235i D Et — 2302 E fust. 



2l8 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qu'en lisant lettres li avint, 

Et si grandement li dura, 
•356 Que vint ans entiers Tendura, 

Encor di je qu'il pot bien estre. 

Car Dieus en ce siècle terrestre 

A mains jugemens si enclos 
236o Qu'estre ne porroient esclos 

D'omme mortel par sa science. 

Aussi de vostre conscience 

Avez vous présentement dit 
2364 De ces lettres par vostre dit, 

Que pluseurs secrez contenoient. 

Or ne scet on dont il venoient. 

Dont j'ay en droit un point trouvé 
2368 Que vous n'avez mie prouvé, 
• Que de s'amie li venist. 

Geste raison ci defenist 

Qu'on n'en puet faire nullement 
2372 A vostre proufit jugement. 

Et se say bien des autres choses 

Qui seront, se je puis, escloses, 

Pour vous dou tout suppediter, 
2376 S'il est qui le sache diter. » 

Guillaume . 

« Damoiselle, vueilliez laissier, 
S'il vous plaist, vostre menassier ; 
Gar ce ne vous puet riens valoir, 
238o Et il me fait le cuer doloir . » 



2355 si manque dans BE; B' Et moult gr. — 2358 Z> cest — 
2359 B* moins — 236o E desclos — 236 1 D De mortel homme 
par science — 2368 D esprouue — 2370 D deffine — ^3yi E 
peust f. jugement — 2372 E A nostre pourfit nullement — 
2378 ESi —Ordre des vers dans D: 2378. 238i. 238o. 2379. 
2382. -» 2379 D Ne ne vous puet de riens v. — 238o D Car il 
nest fait de cuer d. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2ig 

Charité. ' 

Charitez adont s'avança, 

Si a dit : « Foy, entendez sa ! 

Je vous vueil dire une merveille. » 
2384 Lors li conseilla en l'oreille 

Ce qu'elle volt, secrètement. 

De quoy Foy debonnairement 

Prist un bien petit a sousrire, 
2388 Et en sousriant prist a dire : 

u Charité, damoisellc chiere, 

Liement^ de bonne manière, 

Ceste besoingne conterez. 
2392 Trop mieus conter la saverez, 

Pour certein, que je ne feroie. 

Vous en estes ja en la voie ; 

Car en vous en sentez le fait, 
^396 Se vous pri qu'il soit einsi fait. » 

— « Foy, ma tr^s douce chiere amie, 

De ce ne vous faWay je mie, 

Eins en diray ce ^u'il m'en samble. 
2400 Car de deus personnes ensamble 

Les oppinions en sont bonnes. 

Quant loiaus sont les deus personnes. 

Si qu'a Guillaume en parleray 
2404 Et tel chose li moustreray 

Qu'il sj tenra pour recrëans, 

S'il n'est trop fols ou mescrëans. 

« Guillaume, or entendez, amis : 
2408 La puissance qui m'a commis 



238i ABD Charité; A sauisa — 2384 D se cons. — 3387 ^ ^^ 
print vn petit — 2388 D En souriant si print — 2392 D le 
scares — 2395 DE Car vous; E saues — 2396 D prie quainssi 
soit fait — 2399 F qui — 2400 M personne — 2404 E De; E 
monsterray -— 240.5 D sentendra — 2408 E que. 



220 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

•A estre Charité nommée 

Fait que par ouevre sui prouvée, 

Dont on en voit les appiarans 
2412 En tous mes plus prochains parans. 

Ce sont li gentil cuer loial 

Qui entrent en la court roial 

De Bonne Amour qui n'a nul per. 
2416 Or entendez en quoy j'aper : 

J*aper en souffissans promesses 

Et en raisonnables largesses, 

Especiaument par donner 
2420 Et d'aucuns mefifais pardonner ; 

Dont etireus sont cil qui donnent, 

Et aussi sont cil qui pardonnent. 

Or regardons qu'Amours demande 
2424 Qu'on li doint, et plus ne commande : 

Elle demande expressément 

Les cuers des bons entièrement ; 

Ce demande elle qu'on li doint. 
2428 Et se vuet aussi qu'on pardoint 

Aucuns fais, selonc le propos 

Pourquoy ces raisons ci propos. 

Se le moustreray par figure 
2432 Que Bonne Amour en moy figure, 

Assez briefment, sans prolongier. 

« Uns riches homs a un vergier 
Ou il a arbres grant planté. 
2436 Enseurquetout y a planté 

Une moult très gracieuse ente 

2410 D que leuure soit pr. ; M prouue — 241 1 E nen — 
2412 mes manque dans D — 2416 E aquoy; j manque dans D 
— 2417.D Aper — 2423 E esgardons — 2424^ demande— 2426 
-Bde — 2427 AE Se — 2480 Fr. a propos — 2481 F monste- 
ray ; E monsterray — 2434 F ot — 2435 a manque dans D; D 
abres — 2436 D En fin que tout; E En fur que tout. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 22 1 

Qui au riche homme mieus talente 

Et li est trop plus avenans 
2440 Que ne soit tous li remenans ; 

Et est einsi de lui amée, 

Tant comme elle est ente clamée. 

Or avient que li temps trespasse 
2444 Tant que li petis jouvens passe ; 

Se montent ses branches au vent 

Pour entrer en secont jouvent 

Qui est moiens temps appeliez. 
2448 S'estent ses branches de tous lez, 

En eslargissant sa biauté 

Et en acroissant sa bonté, 

Pour traire a la conclusion 

2452 Qui est dite perfection, 
Pour li déduire et déporter, 
Fleurs, fueilles et bon fruit porter. 
Or dij'einsi qu'il avenra 

2456 Que li sires demandera 

Comment celle ente se maintient 

Et quel qualité elle tient. 

Li jardiniers puet dira : « Sire, 
2460 Pour vérité, vous en puis dire, 

Ce m'est avis, bonne nouvelle. 

Ne demandez plus que fait elle, 

Mais demandez me bien qu'il fait, 
2464 Car vostre ente un aubre parfait, 

Et en tel guise se déporte 

Que flours, fueilles et bon fruit porte. 

Dont perdu a d'ente le nom, 
2468 Et d'aubre a recouvré le nom, 

2441 D aussi — 2444 D li p. jenne — 2446 E ou -^ 2448 A 
Se sent; D Sesteut — 2460 manque dans D — 2453 D dédire — 

2453 E quelle— 2461 E bonnes — 2463 D moi; M que f. — 
2464 ME arbre; D abre — 2466 E fueille — 2468 manque 
dans D'y E darbre; F renon* 



222 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Sous qui on se puet ombroier 

Plaisanment et esbanoîer. » 

Or vueil je chanter et respondre, 
2472 Pour mieus m'entencion espondre : 

Dont je vueil faire une demande, 

Se de la chose qui amende 

On doit avoir cuer esperdu, 
2476 S'elle a un petit nom perdu 

Pour un plus grant nom recouvrer, 

Par nature ou par bien ouvrer ? 

Je respon qu'einsi n'est il mie ; 
2480 Car ce seroit grant derverie. 

Mais ce qu'on aimme chierement 

Ou a acheté chierement, 

Qui le verroit dou tout périr, 
2484 Si que ja ne peiist garir, 

Venir en porroit tel meschief 

Qu'on y metteroit bien le chief 

Et tout le corps entièrement. 
2488 Je le say bien certeinnement, 

Que pluseurs einsi l'i ont mis, 

Tant amie com vrais amis. 

Or vueil dou propre fait parler 
2492 Pour quoy j'ay meu mon parler : 

Celle damoiselle jolie 
' Qui estoit a ce clerc amie, 

C'estoit li ente faitissete 
2496 Comme une douce pucelette, 

Ou grant vergier d'Amours plantée. 

La pot estre si eslevée 

Et de branches si estendue 

2470 AF esbanier — 2472 D Pou — 2476 Mss, Celle — 2477 
D Pour faire p.; nom manque dans D — 2479 FMBDE respon s 
— 2480 D reuerie — 2482 D On acheté; E On lâcheté moult 
grandement — 2483 D pourir — 2489 E einsi lui ont — 2491 
BD dun — 2497 AMB En — 2499 ^ branche. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 223 

25oo Et de fueilles si bien vestue, 
De fleurs si cointement parée, 
Comme estre aus milleurs comparée. 
Si me vueil un po aviser 
2504 Pour les parties deviser : 

Branches de bonne renommée, 
Fueilles d'est re bel emparlée. 
Fleurs d'avoir la condition 
25o8 D'onneste conversation, 

Tant d'abit comme de maintien. 
En cest estât dist : « Amis, tien ; 
Je te doing, pour toy déporter, 
25 1 2 Grâce dou fruit d'onneur porter. » 
Lors pluseurs pensées li viennent 
Qui de neccessité couviennent, 
Pour li entrer en mariage 
25 16 Par le conseil de son lignage. 
S'elle le fait, ce n'est pas fais 
Dont cils doie enchargier tel fais 
Comme de lui désespérer ; 
2520 Eins doit penser et espérer 
Qu'elle y a profit et honneur, 
Quant en la grâce d'un signeur 
Seroit de droit nommée dame. 
2524 Ceste raison bon cuer enflame 
D'am«r mieus assez que devant. 
Pourquoy je di d'ore en avant 
Que cils ne Tamoit pas pour bien. 
2528 Vraiement, il y parut bien, 

Quant bonne amour li volt souffrir 

25oi D fleur— 25o2 F as nullis c. ; £ a nuUys c; D aus lis 
c; jB' a uns lins (B illisible) — 25o6 E bien — 2607 D Fleur — 
23 10 D dis — 23 12 D G. de fruit damour p. — 2314 manque 
dans Z> — 25i8£ au chargier — 2322 3/ a la gr. ; E en grâce ; 
A dou 8. — 2326 FM dor; E dores — 2529 D Que ; Af le ; £ lui 
font s. 



224 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Son corps a tel martir offrir. 
Plus n'en dî, Guillaume, biau sire. 
2532 Dites ce qu'il vous plaist a dire. » 

Guillaume. 

« Charité, se Dieus me doint joie, 
Bien avez par soutille voie 
Pluseurs propos par biaus mos dis. 

2536 Mais je ne voy pas en vos dis 
Que vous m'aiez de riens puni. 
J'ay mon procès aussi uni 
Comme devant et aussi ferme 

2540 En son estât; par quoy j'afferme 
Que ja ne sera abatus, 
Se d'autres mos ne suis batus. 
Un point y a qui gist en prueve, 

2544 Par quoy il convenra qu'on prueve 
Le contraire de mes paroles, 
Ou je ne tenray qu'a frivoles 
Ce que devant avez compté, 

2548 Nonobstant vostre grant bonté, 

Et que pour grant bien Pavez fait, 
Pour auctorisier vostre fait 
Et pour le mien suppediter. 

2552 Se vueil un petit reciter 

De ce clerc qui fu vrais amis 
Et puis en tel grieté sousmis, 
Comme j'ay dit, vint ans entiers. 

2556 Or prouvez seulement le tiers 

Qu'onques nulle dame souffrist, 



253o FM msLTtirc — 253 1 is ne — 2532 F qui — 2536 F vois 
— 2538 2) propos... fourni — 2539 E est — 2541 D serai — 2542 
M Se dautre mos nes*t si b. — 2543 E preuure — 2044 D Pour ; 
E preuure — - 2548 grant manque dans E — 2549 que manque 
dans E — 2552 M Sen; E résister — 2554 M cel — 2556 D On- 
ques nulle ame ne seufTri ; ME nulles dames. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 225 

Tant son cuer a la mort ofifrist ; 
Prouvez ce point tant seulement. 
256o Mais vous ne porriez nullement. » 

L'Acteur. 

Gharitez vout après parler, 

Et pour apointier son parler, 

Elle avoit ja la bouche ouverte. 
2564 Mais Honnesté fu si aperte 

Que tantost fu aparillie 

Et dist : « Charité, douce amie, 

Que je die, mais qu'il vous plaise ; 
2568 Que je ne seray jamais aise, 

Se n'aie dit je mon talent 

Pour lui faire le cuer dolent. » 

Gharitez bien s'i acorda, 
2572 Et puis Honnesté recorda 

S'entention par voie honnesté, 

Dont toute la court fist grant feste. 

Honnesté. 

S'a dit : « Guillaume, or entendez : 
2576 Pour la fin a quoy vous tendez, 

Fondez estes petitement ; 

Se vous diray raison comment. 

Voirs est que grans griés li avint 
2 5 80 Et en petit d'eure lî vint. 

Mais tantost, celle heure passée. 

Sa grant grieté fu trespassée. 

Car combien que lonc temps dura, ^ 

2584 Onques puis grieté n'endura 

Qui point feîst a son cuer touche. 

2558 DoflFri — 256o M porrcz — 256o Après ce v. D met guil- 
laume ; M met lamant — 2562 D apporter — 2564 ^^ cy — 2568 
A aaise — 2569 E Sen aray; D aie tout dit — 2572 D répéta — 
2575 £ Ha — 2579 D Vrais; ADE grant grief— 2582 E ftist. 

Tome I. i5 



220 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Et s'aucuns griés au cuer li touche, 
Il n'i a point de sentement, 

2588 Dès qu'il n'i a consentement ; 

C'est chose assez legiere a croire. 
Il avoît perdu sa mémoire, 
Sens, maniéré' et entendement; 

2592 Dont on puet vëoir clerement 
Qu'il n'avoit point de volenté, 
Fors que le cuer entalenté 
Des grans soties qu'il faisoit. 

2596 Quant en un fumier se gisoit, 
C'estoît sa pais; c'estoit ses lis; 
C'estoit de tous poins ses delis, 
Ou il dormoit a grant repos. 

2600 Encor y a autre propos 

Que vous meïsmes dit avez. 
C'est certein, et bien le savez, 
Que, quant si ami le prenoient 

2604 ^^ ^^ aucuns lieus l'enfermoient, 
Jamais n'i beiist ne mengast, 
Einsois trestous vis enragast, 
Qui le retenist malgré lui ; 

2608 II n'en felst rien pour nelui 

Et vivoit a plain comme beste. 
C'estoit vie trop deshonneste, 
Honteuse, s'il en tenist conte ; 

2612 Mais point ne congnoissoit de honte. 
Dont j'ay assez mon fait prouvé 
Et vostre tort bien reprouvé 
Par un seul point qui me remort. 



2586 E couche — 2591 D m. dentendement — 2594 E auta- 
Icnte — 2595 E soitiez — :^96 D femier — 2598 E C. sa. joie 
et ces delis — 2600 D repos — 2604 MD aucun lieu — 26o5 E 
neb.; A ne ne m. — 2606 D arragast — 2607 E Quil le; D 
maugre — 261 1 Z> H. il nen t. — 2614 £ esprouue. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 227 

2616 De dame qui savera mort 

Son ami, sera plus cent tans 

En un jour, que cils en cent ans, 

De grieté par un si fait trait, 
2620 Com ci devant avez retrait, 

Guillaume, se vous soufferrez, 

Ou d'un autre point parlerez ; 

Car de cesiui estes vaincus, 
2624 Ne vous y puet valoir escus. » 

Guillaume. 

« Honnesté, pour voir, non feray. 

Encor un po en parleray, 

Car je m'ay bien de quoy defifendre, 
2628 Mais que vous le vueilliez entendre. 

Quant tout le sens de lui perdi 

Pour le mal qu'a lui s'aërdi, 

Qui dou tout le deshonnoura, 
2632 Plus perdi, meins li demoura. 

Vous dites que mal ne sentoit, 

Pour ce que desvoiez estoit 

De manière et d'entendement; 
2636 Mais il est bien tout autrement : 

Car avant que homs son sens perde, 

Ne que forsens a lui s'aërde, 

Le prent et seurprent maladie 
2640 Qui le trait a forcenerie. 

Si vueil faire un po d'argument 

Qui vous moustrera vivement 

Comment m'entente prouveray 
2644 Dou droit que pour moy trouveray. 

Quant deus causes sont assamblées 

2616 £ qui aura mort — 261 y E temps — 2621 D souffreres 
— 2628 A me V. — 2629 D tous les sens — 263o E sahardi — 
2632 D parti — 2639 M et le s,; D souprent — 2641 A vn argue- 
ment; 3/ dargucment. 



228 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qui se sont a un corps fermées, 
Celle qui vient premièrement, 

2648 Elle attrait le commencement 

Dès ce point par la premerainne, 
Pour ce que c'est la souvereinne ; 
Et qui la première osteroit, 

2652 La seconde s'en partiroit. 
Or puelent dire tel y a : 
« Guillaume, verbi gracia^ 
A entendre si comme quoy? » 

2656 Vesci en Teure le pourquoy : 

Nous vëons un chien qui enrage, 
De quel cause li vient la rage ? 
D'un ver qui la langue li perse. 

2660 Or est la cause si desperse 

Qu'il pert le boire et le mengier, 
Et puis le couvient enragier. 
Or est dont li commencemens 

2664 De quoy vient li enragemens. 
Et quant il en pert l'abaier, 
Adont se puet on esmaier 
Dès ce point, que; la gent ne morde. 

2668 Et que de ce mieus nous remorde, 
Je vous en diray qu'il avint 
D'un chien qui enragiez devint, 
Amez en l'ostel d'un riche homme. 

2672 Or entendez, s'orrez la somme . 
Li riches homs ot oy dire 
Dont venoient si fait martire ; 
S'en vout vëoir l'expérience 



2646 E cop -— 2647 ^ 9^^ muet — 2649 ^ ^^ î P^** ^nafiqué 
dans E — 2653 E pouent ; D pueut — 2655 E Antendre — 2660 
B' disperse — 2662 D li — 2666 D en — 2667 E De — 2668 
que manque dans D; D remordre — 2670 Fenrachiez — 2674 D 
venoit ; Mss, {sauf E) matire — 26y5 M sauoir. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 229 

2676 Pour mieus avoir en congnoissance. 

Se fist son chien par force prendre, 

Loier, bcrsillier et estendre 

Et sa langue sachier a plain, 
2680 Tant qu'on vit le ver tout a plain. 

Lors fu li vers fors esrachiez ; 

Et quant il fu a plain sachiez, 

Les mains celui prist a lechier 
2684 Cui il ot senti esrachier ; 

Et fu la garis de tous poins. 

Aussi di je que cils clers poins 

Fu d'une maladie obscure; 
2688 Dont je vous di que la pointure 

Dou grant mal que ses corps sentoit 

Le tenoit en point qu'il estoit. 

Dont mes drois est assez prouvez 
2692 Et vostres grans tors reprouvez. » 
L'Acteur. 

Après s'est Franchise levée 

Qui ne fu pas trop effraée ; 

Et s'ot bon vueil et bonne chiere 
2696 Et très gracieuse manière. 

Si encommensa a parler 

Et dist einsi en son parler. 

Franchise. 
« On a veQ generaument 
2700 Toudis en amer loiaument 

Que les dames se sont portées 

2676 D en auoir c. — 2678 B bresillier ; E bressillier ; D bes* 
silier— 2680 M de pi. — 2681 DE hors — 2683 M lichier — 
2684 FM il lot; F arrachier; A atouchier — 2686 E si clers — 
2690 BDE ou e. ; D ou il — 2692 Après ce v. D met guillaume — 
2695 F bon oueil; MB bon vent; E bon veult; AD bon Voult 
{corr. en A de vent) — 2696 manque dans D — 2697 D a com- 
mence ; E a commansa. 



23o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Mieus et plus loiaument gardées 
Que les hommes en tous endrois. 
2704 Je le vueil prouver — et c'est drois — 
Par exemples qiie Je vueil dire, 
Pour ce qu'il font a ma matire. 

« Quant cil d'Athennes eurent mort 
2708 Androgeûs, si grant remort 

En ot Minos, li rois de Crète, 

Que par voie sage et discrète, 

Par force d'armes et de guerre 
27 12 Fist essillier toute leur terre ; 

Et les mist tous pour cest outrage 

Minos en si mortel servage, 

Que tous les ans li envoioient 
2716 Un homme ; mais il sortissoient, 

Et cils seur qui li sors chëoit, 

Trop mortelment li meschëoit; 

Car li rois Minos devourer 
2720 Le faisoit la, sans demourer, 

Par un moustre trop mervilleus. 

Trop félon et trop perilleus. 

Mais nuls ne se doit mervillier, 
2724 Se Minos vout ad ce veillier, 

Ne s'il en fu fort esmeUs, 

Car pères fu Androgeiis. 

Or avint que li sors cheï 
2728 Seur Theseùs, qui esbahi 

Pluseurs; car il fu fils le roy, 

Preuz, vaillans, et de bel arroy. 

Mais pour la mort Androgeûs 

2705 E example —• 2707 E furent — 2708 D andiogens ; M 
grans — 2709 D .1. roy de grece ; BE crece — 2710 D Qui •— 
2715 £ enuoient — 2720 la manque dans D — 2721 fîD tous 
meru. — 2722 D orgueilleus — 2726 D fust — 2726 D endiogeus 
— 2731 D andiogeus. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 23 1 

2732 Ala en Crète Theseiis, 

Pour lui faire estrangler au moustre^ 

Se sa prouesse ne li moustre, 

Si qu'envers lui se puist deffendre ; 
2736 Autrement puet la mort attendre. 

Et se Dieus li donne victoire, 

Il acquerra honneur et gloire; 

Car ceuls d'Athennes franchira 
2740 Et le servage acquitera. 

Mais riens n*i vausist fer ne fust, 

Se belle Adriane ne fust, 

Qui oublia Minos, son père, 
2744 Et Androgeiis, son chier frère, 

Sa terre et ses charnels amis, 

Pour Theseûs, ou elle a mis 

Son cuer, si qu'elle li moustra 
2748 Comment occis le fier moustre a, 

Pour lui délivrer dou servage ; 

Et li donna son pucelage 

Par si qu*a femme la penroit 
2752 Et qu'en son païs l'en menroit 

Avec Phedra, sa chiere suer, 

Qu'elle ne lairoit a nul fuer. 

Thesetis qui se parjura 
2756 Ses dieus et sa loy li jura 

Que jamais ne li fausseroit 

Et qu'envers li loiaus seroit. 

Il se menti^ li renoiez. 
2760 Pour quoy ne fu en mer noiez? 

Quant sa besongne ot assevie, 

Il les charga en sa navie. 



2732 D grece; ^ crece — 2748 D C. le moustre occira — 2749 
3/ de — 2751 F cy — 2762 D la merroit; E la mauroit — 2753 
D sedra — 2756 E Et ses d.; li manque dans E — 2760 ne fu 
manquent dans D — 2762 M le. 



232 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Mais vers lî mesprist si forment 
2764 Qu'Adriane laissa dormant 

Seulette en estrange contrée, 

Lasse, dolente et esgarée, 

Et en mena la juene touse, 
2768 Phedra sa suer, s'en fist s'espouse. 

Ci a trop mortel traïson. 

Aussi diray je de Jason 

Qui conquist par l'art de Medée 
2772 En Colcos la toison dofée, 

Et sormonta, li bourderiaus, 

L'ardant soufflement des toriaus, 

S'endormi le serpent veillable, 
2776 Seur toute bSste espouentable. 

Et desconfist les chevaliers 

Armez, a cens et a milliers. 

Mais nuls ce faire ne pelîst, 
2780 Se Medea fait ne Teùst. 

Son pais laissa et son père, 

Et fist decoper son chier frère. 

Pelie occist a grant desroy, 
2784 Et tout, pour Jason faire roy. 

Quanqu'elle ot, 11 abandonna; 

S'amour et s'onneur li donna. 

Mais Jason Medea laissa 
2788 Pour Creusa, dont moult s'abaissa. 

Et mervilleusement mesprist, 

Quant la laissa et autre prist. 

Et quant elle sot la nouvelle, 



2763 li manque dans D — • 2767 E amena; M enuoya — 2768 
BD Phedais; E f. espouse — 2769 FMDE Si ; D raison — 2770 
Djasson— 2772 D calos — 2773 £ les; A bourdereaus — 2774 
D de; X toreaus ■— 2776 D toutes bestes — 2779 FM. uns — 
2780 D medee — 2783 D derroi — 2786 manque dans D\ 
ajouté dans M au bas du feuillet — 2787 D medeas. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 233 

2792 Qui ne li fu plaisant ne belle, 

Elle fu si désespérée, 

Si hors dou sens, si forcenée, 

Que deus enfans qui sien estoient, 
2796 Pour ce que Jason ressambloient, 

Occist en despit de Jason, 

Puis mist le feu en sa maison. 

Après s'en ala la chetive 
2800 O ses dragons par Pair fuitive. 

Mais puis en estranges contrées 

Furent roïnes couronnées. 

Car rois d'Âthennes Egetis 
2804 Fu de Medée deceUs ; 

Bacus Adriane honnoura 

Fort, car en li grant amour a. 

Cil dui les dames espouserent 
2808 En leur païs et coronnerent. 

Si que, Guillaume, c'est la somme, 

On ne porroit trouver en homme 

Si grant loyauté comme en femme, 

2812 Ne jamais d'amoureuse âame 
Ne seroient si fort espris, 
Comme seroit dame de pris. 
Car quant il y a meins d'amour, 

2816 II y a tant meins de dolour, 

Puis que ce vient a mal sentir. 

Ne je ne me puis assentir 

Qu'en endurant les maus d'amer 
2820 Qu'homs ait tant com dame d'amer ; 

Et si a de remèdes cent 

2792 fu manque dans D — 2795 D Pour; FMDE siens — 
2796 D qua — 2799 F chestiue — 2800 FM fuistiue — 2801 
D puis que — 2806 D Fors; MDE a (li; D lui) — 2807 FB Ci — 

2813 D seroit — 2816 E tuit — 2817 D souffrir — 2818 E ab- 
sentir — 2820 E Que homs est t. — - 282 1 AD remède ; E si 
a des r. 



234 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Li homs tels que famé ne sent. » 
Guillaume. 

« Damoîselle, la traïson 
2824 De Thesetis ne de Jason 

Ne fait riens a nostre matière, 

Ne ce n'est mie la première 

Ne la darreinne fausseté 
2828 Qui es amoureus a esté, 

Autant es famés comme es hommes. 

Ne je ne donroie deus pommes 

De vostre entention prouver 
2832 Par si fais exemples trouver. 

Car se mon fait prouver voloie 

Par exemples, j'en trouveroie 

Plus de dis, voire plus de vint. 
2836 Chascuns scet bien ce qu'il avint 

De l'ami a la Chasteleinne 

De Vergi : d'amours si certeinne 

L'ama qu'il s'ocist sans demour, 
2840 Quant morte la vit pour s'amour. 

« Li bons Lancelos et Tristans 

Eurent plus de peinne dis tans 

Que femme qe porroit soyffrir, 
2844 Tant se peûst a peinne offrir, 

Et cent fois furent plus loiaus 

Que Jason ne fu desloiaus, 

Ne Thesetis qui trop mesprist 
2848 D'Adriane, quant Phedra prist. 

2822 tels manque dans M — 2824 F Ne de th. -— 2828-9 
manquent dans D — 283 1 F nostre — 2836 D mauint — 2838 
BDE De uergi (effacés par B') — 2839 M qui — 2841 M tritans 
— 2842 D poine — 2845 D plus furent — 2846 E feust — 2847 D 
moult mesprint — • 2848 B Dadrienne; E Dadreanne ; D cedra 
print. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 235 

Encor vueil d'un autre compter, 
Se vous me volez escouter. 

« Une dame sans villenie 
2852 D'un chevalier estoit amie,. 

Si li donna un anejet - '^ 

Trop gent (ne fu vilîein ne let), 

Par si qu'adès le porteroit . 
2856 Et que jamais ne Tosteroit 

De son doy, §!fille.4ieXûstûit. 

Et li chevaliers, qui estoit 

Tous siens, bonnement li promist, 
2860 Et la dame en son doy le mist. 

Or avint qu'elle avoit mari 

Qui ot le cuer triste et mari ; 

Car l'anel a recongnëu 
2864 Pour ce qu'autre fois Pot vëu. 

Si Tala tantost demander 

A la dame et li comander 

Qu'elle li baille en la place 
2868 Seur peinne de perdre sa grâce. 

La dame dist qu'elle l'avoit, 

Mais ou, pas bien ne le savoit. 

Si fist samblant de Taler querre 
2872 Et, en deffermant une serre, 

Comme dame avisée et sage, 

Dist a un sien privé message : 

a Va sans arrest a mon ami 
2876 Et si li di que mal pour mi, 

Se mon anel ne me renvoie. 

Et ne demeure pas seur voie, 



2864 M Tresgent; FE gens; F villains — 2855 F Pour; E 
Pour ce ; D si si — 2857-8 manquent dans D — 2860 manque 
dans D;E U — 2870 D Mis et ou pas ne sauoit ; le manque dans 
BDE — 2873 M auise — 2876 D pour lui. 



236 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Car mon signeur le vuet avoir, 
2880 Sans nul essoinne recevoir. 

Di li bien qu'il n'en faille mie ; 

Car s'il en faut, je sut honnie 

Et en péril de perdre honneur 
2884 Et la grâce de mon signeur. » 

Li messages n'atendi pas, 

Eins s'en ala plus que le pas 

Au chevalier et tout li conte 
2888 Ce que devant ay dit en conte. 

Quant li chevaliers l'entendi, 

A po li cuers ne li fendi. 

Car il ot pâour que sa dame 
2892 Honte pour li n'eûst ou blasme. 

Si dist : « Amis, foy que li doy, 

Avuec Tanel ara mon doy, 

Car Ja par moy n'en partira. » 
2896 Si que lors un coutel tira, 

Son doy copa et li tramist 

Aveques Panel qu'elle y mist. 

Puet on faire plus loiaument 
2900 Riens, ne plus amoureusement? 

Certes, nennil ! Ce m'est avis. 

Car trop fu loiaus ses amis. 

Si que bien oseroie attendre 
2904 Vray jugement, sans plus contendre. 

Qu'on les doit plus auctorisier 

Et en tous estas plus prisier 

Que les dames, de qui parole 
2908 Tenez que je tien a frivole, 

Qu'on dit — et vous le savez bien — 



2887 M tost — 2891 D Quer •— 2898 M que ie doy — 2894 
A A. sanel; E aras — 2896 A coustel— 2898 lanel manque dans 
M— 2899 D Peust — 2904 il/D attendre — 2905 E\\\ A aucto- 
riier; D attoriser. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 287 

Que par tout doit veincre le bien. 

Et cil furent bon et loial 
2912 Tenu en toute court roial, 

Comment que les dames feïssent 1 

Moult pour leurs amis et souffrissent. 

Mais on dit — et c'est veritez — 
2916 Qu'adès les deus extermitez, 

C'est trop et po. Einsi Tenten ge : 

Ne doivent recevoir loange ; 

Mais qui en Tamoureus loien 
2920 Est loiez, s'il tient le moien, 

Il ouevre bien et sagement. 

Et li sages dist qui ne ment 

Qu'adès li bonneiîreus tiennent 
2924 Le moien partout ou il viennent. » 

L'Acteur. 

A ce Prudence respondi, 

Qui riens n'enclôt ne repondî 

A la matière appartenant, 
2928 Et dist : « Guillaume, maintenant 

Voy je bien vostre ententîon ; 

Mais j'ay contraire opinion 

Qui de la vostre est trop lonteinne. 
2932 On scet bien que la Chastelainne 

Fu morte pour un bacheler, 

Pour ce qu'il ne la sot celer. 

Car il dist toute leur besoingne 
2936 A la duchesse de Bourgoingne ; 

Et la duchesse moult mesprist, 



2914 FM leur — 2916 D extrémités — 2917 D C. pièce et 
pou; A lentens — 2919 D lyen — 2920 D Ces voies cy tien — 
2922 D quil ne vient — 2924 £ Li — 2924 Après ce v. D met pru- 
dence; Lacieur mq. dans A — 2926 D Que; FMB r. enclos; is 
E r. au clos ; AE respondi ; D r. nauoit espondi — 2927 M appcr- 
tement — 2980 jay manque dans E — 2931 FE lointelnne. 



238 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qu'a une feste li reprist 

Qu'elle savoit bien le mestier 
2940 Dou petit chiennet afaitier. 

S'en morut en disant : aymi ! 

Par le deffaut de son ami . 

Et quant li amis vit s'amie 
2944 Par sa gengle morte et perie, 

S'il s'ocist, il fist son devoir, 

Qu'autre mort deûst recevoir, 

N*il ne fist fors meins que justice, 
2948 S'il s'ocist pour punir son vice ; 

Qu'avoir le deùssent detrait 

Chevaus enragiez pour ce trait. 

Si m'est vis que la Chastelainne 
2952 Ot plus de meschief et de peinne, 

Quant sans cause reçut la mort, 

Que n'ot cils qui se fu la mort 

Qui avoit desservi le pendre ; 
2956 Et pour c'en fu sa dolour mendre. 

« Et se Tristans ou Lancelos 

Furent vaillans, bien dire l'os 

Que leur vaillance et leur prouesse 
2960 Leur fu gloire, honneur et richesse ; 

N'il n'est homs qui peiist acquerre ^ 

Tels biens, sans avoir peinne en terre. 

Si que, Guillaume, j'ose dire 
2964 Que plus de peinne et de martire 

Cent fois les dames soustenoient 

2938 B^D la— 2940 M Dun p. chienne — 2941 M morust; 
E ami — 2948 D Et li amis quant vi s.; A vi — 2944 E sa 
gueulle — 2947 Z) Il ; Z) fors miex; M de just. — 2950 D arra- 
gies; D fait — 2951 ME Ce; D auis — 2962 M meschies; D 
poine — 2956 en manque dans D ; BD la d. — 2957 FM tritans; 
BD et 1. — 2960 E fust — 2961 E quil — 2962 et 2964 D 
poine. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 239 

Que leurs amis qu'elles faisoient, 
Qu'elles avoient les griés pensées 
2968 Et les pâours desordenées, 
Les paroles de mesdisans. 
Et s'il demourassent dis ans, 
Ja n'eussent parfaite joie; 

2972 Car qui atent, trop li anoie, 

N'a cuer humain riens tant ne gricve 
Com mesdis et pensée grieve. 
Ne autre bienfait n'en portoient 
2976 Qu'un po de joie qu'elles avoient. 
Einsi est il de pluseurs dames 
Qui mettent les corps et les âmes 
Et quanqu'elles ont en leurs amis, 

2980 Et quant tant chascune y a mis 
Qu'il sont en vaillance parfait, 
Apparent par ouevre et par fait, 
Elles n*en ont autre salaire 

2984 Fors un petit de gloire au faire. 

Il ont le grain ; elles ont la paille ; 

Car l'onneur ont, comment qu'il aille. 

Et s'aucune fois leur meschiet, 
2988 Tout premiers seur les dames chiet. 

Certes, c'est mauvais guerredon, 

Quant pour bien ont de guerre don. 

(( De l'autre qui son doy copa, 

3966 D quelle — 2967 M Quelle; B* Quelz; les manque dans A 
— 2968 D Puis paours — 2969 FDE des — 2972 D ennuie — 

2973 riens manque dans D — 2974 manque dans D — 2975 MDE 
Nautre; E nen emp. — 2976 de manque dans D ; A quelle ; D 
quil; B' quelz — 2978 A les cuers; E armes — 2979 B' quan- 
quelz; D quanquil; M quanque elle — 2980 D chascun — 

2981 DE Qui — 2982 A Appert, corrigé en Appert; D Ou 
apparent ou deuure en fait; M ou par oeuurc; MB ou par f. — 
2984 au faire manquent dans F — 2985 B^ elz ; FMD elle — 
2988 BD premier. 



240 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

2992 Vraiement fait un let cop a. 

Car Guillaume, quoy que nuls die, 

Je le tien a grant cornardie, 

Si m'en pense po a debatre. 
2996 Car il y avoit trois ou quatre 

Voies qui deiissent souffire, 

Et il prist de toutes la pire. 

Et d'autre part, je ne croy mie 
3ooo Que celle qui estoit s'amie, 

S'elle Tamoit d'amour seiire, 

N'etist trop plus chier Taventure 

De son mari et son courrons, 
3004 Et deiist estre entr' eaus deus rous 

Li festus jusqu'à une pièce, 

Qu'oster de son ami tel pièce, 

Qu'a tous jours fu desfigurez, 
3oo8 Meins prisiez et plus empirez. » 
Guillaume. 

« Certes, Franchise, vous avez 

Bien dit, que bien dire savez. 

Mais je say sans nulle doubtance 
3oi2 Que c'est contre vo conscience, 

Et que dit avez le contraire 

De ce qui en vo cuer repaire. 

Mais je vous requier, s'il vous plaist, 
3oi6 Que nous abregons nostre plaît. 

Car trop esloingnons la matière 

Qui meiie a esté première. 

Il est certain — et je l'afferme — 

2993 D Guillaume car quoi — 2994 DE couardie — 2998 E 
toute — 2999 P*^^ manque dans M — 3ooi E Elle — 3oo4 F Et 
deulz; deus manque dans BDE — 3oo5 E jusqucs a — 3oo6 E 
Quauoir receu de lui tel p. •— 3007 D Car a ; F j. si d. ; fu 
manque dans BDE — 3oo8 D et bien empires — 3oi5 BE si — 
3017 -4 alongons; BD eslongons — 3oi8 F Qui mené a ; D Qui 
maine a ceste pr. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 24 1 

3o2o Qu'en cuer de femme n'a riens ferme, 

Rien seiir, rien d'estableté, 

Fors toute variableté. 

Et puis qu'elle est si variable 
3024 Qu'elle en rien n'est ferme n'esiable 

Et que de petit se varie, 

Il faut que de po pleure et rie. 

Dont grant joie et grant tourment 
3028 N'i puelent estre longuement, 

Car sa nature li enseingne 

Que tost rie et de po se pleingne ; 

Tost ottroie, tost escondit; 
3o32 Elle a son dît et son desdit, 

Et s'oublie certainement 

Ce que ne voit, legierement. 

Et puis qu'elle ne puet ravoir 
3o36 Jamais son ami pour avoir, 

Pour pleindre, ne crier, ne braire, 

Ne pour chose qu'elle puist faire. 

Et aussi que de sa nature 
3040 Oublie toute créature 

Legierement, quant ne la voit. 

On puet bien penser, s'elle avoit 

De ses amis damage ou perte, 
3044 Que briefment seroit si aperte 

Que d'un perdu deus retrouvez 

Li seroit encor reprouvez. 

Mais cuers d'omme est fermes, seùrs, 
3048 Sages, esprouvez et meurs, 

3o2i D R. sur — 3o23 manque dans D — 3o26 M de 
petit — 3027 M ne gr. — 3o28 FNe ; D pueut — 3o3i E escon- 
duit; F escondie — 3o33 D Et semble; A entérinement — 
3o34 E voy ; D veult — 3o35 D auoir — 3o37 ne (crier) man- 
que dans M — 3041 D quant que la v. ; is le — 3042 M Ou 
pour b, — 3045 FBDE recouurez — 3046 D seroienl; E en- 
core ; D recouures — 3047 ^ ferme et s. 

Tome I. 16 



242 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Vertueus et fors pour durer, 

Et humbles pour mal endurer. 

Et quant de l'amoureuse ardure 
3o52 Est espris, tellement l'endure 

Qu'einsois morroit dessous l'escu 

Qu'on le veïst mat ne veincu. 

Ce que je dï n'est pas contrueve, 
3o56 Car chascuns le dit et apprueve ; 

-Et pour ce que chascuns le dit, 

L'ay je recordé en mon dit. 
' Si di en ma conclusion , 

3o6o Que, vëu la condicion 

D'omme et de femme, nullement 

Femme ne puet avoir tourment, 

Tant braie ne se desconforte, 
3064 Comme uns homs en son cuer le porte, 

Qu'estre ne puet en sa nature. 

Raison s'i acorde et droiture. 

Et aussi li maus qui termine 
3o68 Est mendres que cils qui ne fine, 

Einsois dure jusqu'à la mort. 

Tant qu'il a son malade mort. » 

Largesse. 

Largesse qui après sëoit 
3072 Parla, car moult bien li sëoit, 

Et dist : « Guillaume, vraiement. 

Je sui mervilleuse, comment 

Vous osez des dames mesdire ; 
3076 Car ce ne deûssiez pas dire. 

Et de ce qu'avez dit, li blâmes 

Est plus seur vous que seur les dames. 

3o5o FMBDE humble — 3o54 E Quen; D mate; M mast et v. 
— 3064 ^^ Comme (JB* Com) tel homme; D Tel comme homme 
en son cuer porte — 3o68 D Cest — 3069 D jusques a — 307a 
D P. et moult — 3074 J3' merueillee — 3078 M Et ; Z> Cest. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 248 

Vous avez dit en vostre dit — 
3o8o Dont, certes, vous avez mal dit — 

Que chascuns tient pour véritable 

Que toute dame est variable, 

Et que ce n'est de leur couvent 
3084 Nés que d'un cochelet au vent. . 

Mais toute ceste compaingnié 

Tient le contraire et le vous nie. 

Et pour ce bien jdire pouez 
3o88 Que vous n'estes pas avouez ; 

Si devez paier la lamproie. 

De ce plus dire ne saroie, 

Qu'on ne puet bon arguement 
3092 Faire seur mauvais fondement. » 

DOUBTANCE. 

c< Et je ne m'en porroie taire, » 

Ce dist Doubtance de mefifaire, 

a Eins en diray ce qu'il m'en samble; 
3096 Car tous li cuers me frit et tramble, 

Quant einsi sans cause blâmer 

Oy les dames et diffamer. 

Or entendez a ma demande : 
3 100 Biau Guillaume, je vous demande, 

Se celle change ne varie 

Qui est tous les jours de sa vie 

Loial amie, sans fausser, 
3104 N'en fait, n'en désir, n'en penser? » 

Guillaume. 

« Certes, damoiselle, nennil ! 
Mais je croy qu'entre cinq cent mil 



3o8o D mesdit — 3087 D Quer pour voir dire poes — 3089 /) 
Que paier deues — 3095 FBE qui — 3096 E fist — 3097 ù 
blâmes — 3098 D Toutes daines et diffames -^ 3ioi F na ▼* 



244 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

N'en seroit pas une trouvée ; -* 

3io8 Car tel greinne est trop cler semée. » 

DOUBTANCE. 

« Mon biau sire, se Dieus me gart, 

Moult avez estrange regart, 

Et s'avez diverse parole ; 
3 1 1 2 Et s'avez esté a Pescole, 

Si com je croy, d'aler en change ; 

Et pour ce que li cuers vous change, 

Vous cuidiez que chascuns le face 
3ii6 Si com vous; mais ja Dieu ne place; 

Car je prouveray le contraire 

De fait, cui qu'il doie desplaire. » 

Guillaume. 

(( Damoiselle, ne vous desplaise, 
3 1 20 Se je vous resgarde a mon aise. 

Car pas ne vous hé si forment 

Com je vous regart laidement; 

Et se ma parole est diverse, 
3 124 Bons cherretons est qui ne verse. 

Mais je cuide vérité dire. 

Comment que m'en vueilliez desdire; 

Si me sui ci mal embatus, 
3 128 Se pour voir dire sui batus. » 

SOUFFISSANCE. 

Adont se leva Souffissance 
Et dist : « Guillaume, sans doubtance, 
Vous estes or mal empariez. 
3 1 3 2 Resgardez comment vous parlez ; 
Car nuls homs qui vueille voir dire 

3ii2 F Vous auez - 3ii3 MBDE an ch. — 3ii5 iili — 3ii8 
D qui quen d. ; E ce qui d. — 3 120 A aaise — 3 12^ FM char- 
retons; D Bon charretier; E quil — 3127 FBE si — 3i3i F 
este. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 245 

Ne porroit des dames mesdire, 

Qu'en elles est, ce scet on bien, 
3 1 36 Tant quanqu'on puet dire de bien. 

Si que Je vous lo et conseil 

Que plus ne parlez sans conseil; 

Car vous estes trop juenes homs 
3140 Pour dire si faites raisons. » 

Guillaume . 

Lors entroy une murmure, 

Que chascune d'elles murmure 

De ce que si fort soustenoie 
3 144 Ce que des dames dit avoie ; 

Et vi que chascune faisoit 

Samblant, qu'il li en desplaisoit. 

Et quant j'aperçu la manière 
3148 De leur parler et de leur chiere, 

Et que mettes furent toutes, 

Pour bouter le feu es estoupes, 

Au juge fis une requeste 
3 1 52 Qui me sambloit assez honneste, 

Et humblement li depriay 

Et requis en mon depri ay 

Qu'elles parlassent tout a fait, 
3 1 56 Si averoient plus tost fait. 

Si firent elles, ce me samble ; 

Qu'elles parloient tout ensamble, 

Dont li juges prist a sousrire 
3 1 60 Qui vit que chascune s'aîre . 

Et certes, j'en eus moult grant joie, 

Quant en tel estât les vëoie. 

Mais li Juges qui sagement 

3i35 MBDE Car en — 3i36 FBE Tout - SiS; M loe - 
3i38 M nen — 3 141 DE L. entrai en vne m. — 3 145 D voy ; E 
vis — 3146 MD qui — 3147 FBE ja perceu — 3i53 F h. il d. 
— 3 1 54 Z> r. et moult depriai — 3 1 57 manque dans D — 3 1 62 Z) le. 



246 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

3 1 64 Voloit faire son jugement 

Tantost leur imposa silence', 
Fors seulement a Souffissance 
Et a Doubtance de meffaire. 

3 168 Et lors prist Doubtance a retraire 
Un conte propre a sa matière, 
Et commensa par tel manière. 

Doubtance. 

« Que fist Tisbé pour Piramus? 
3172 Quant elle vit que mors et nus 

Estoit pour li, sans nul retour, 

A doloir s'en prist par tel tour. 

Que d'une espée s'acoura 
3176 Seur le corps et la demoura ; 

Car après li ne volt pas vivre, 

Eins fina s'amour et son vivre 

En pleins, en plours et en clamours. 
3 180 Certes, ce fu parfaite amours; 

Car il n'est dolour ne remort 

Qu'on puist comparer a la mort. 

Ne riens ne me feroit entendre 
3 184 Que nuls homs vosist son cuer fendre 

Si crueusement, n'entamer, 

Comme Tisbé fist pour amer. 

Et qui diroît uns homs est fors 
3 188 Pour souffrir d'amours les effors. 

Et s'a cuer plus dur qu'aymant 

Ou que ne soit un diamant, 

Je ne donroie de sa force 



3169 matière dans D pour nature — 3171 F libe; M tysbes; 
J3' tisbee — 3174 D A douleur — 3178 D Ainsîi; et manque dans 
' D — 3179 F En pleurs en plours; D A plains a pi. et a cl.; 
FBE clameur — 3i8o FBD amour — 3i8i F doleurs — 3i82 
FMBDE peust; J3' peut; BDE a mort — 3i83 ^ Ne nuls — 
3 186 M Corn — 3189 B pi. doulz — 3190 D ou que ce s. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 247 

3192 Le quart d'une pourrie escorce, 

Ne je ne pris riens sa durté, 

Sa vertu, ne sa mëurté, 

Ne chose qu'il endure aussi. 
3 1 96 Mais quant une dame a soussi 

Qu'en son cuer secrètement cuevre, 

Par tel guise le met a ouevre 

Qu'elle y met le corps et la vie. 
3200 Mais, Guillaume, je ne croy mie 

Que on veïst onques morir 

Homme par deffaut de merir 

Et qui tost ne fu confortez, 
3204 Tant fust ses cuers desconfortez ; 

N'il n'est doleur qui se compère 

A mort, com grieve qu'elle appere, 

Ne que li feus, fais en peinture, 
3208 Encontre le feu de Nature. 

Car Nature ne puet pas faire, 

Tant soit a corps humain contraire, 

Ne cuers ne puet riens endurer 
3212 Qu'on peûst a mort comparer. » 

SOUFFISSANCE . 

« Doubtance, laissiez le plaidier, 
Car un petit vous vueil aidier, 
Pour mettre vostre entencion 
3216 A plus vraie conclusion, 

Comment qu'aiez si bien conclus », 

Selonc raison, qu'on ne puet plus. » 



3192 £ dune petite esc. — 3193 et 3194 intervertis dansBDE^ 
rétablis par B' — 3200 E croiz — 320i E Quon; 5' Que len; D 
Quil V. — 32o3 E feust — 3204 E fu — 32o5 M qui si c. ; D 
compare — 32o6 D appare — 3207 M pointure — 32 10 A a. 
cuer ; M humains — 32 1 2 Après ce vers on lit dans AS souffrance ; 
[B en marge ajoute souffisance — Les vers 32i3-20 manquent 
dans D; 32i5 Î4 — nostre. 



248 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Adont commensa Souffissance 
3220 Et dîst ainsi en audiance : 

(( Leandus, li biaus et li cointes, 
D'une pucelle estoit acointes 
Qui belle Hero fu nommée ; 

3224 N'avoit en toute la contrée 
Nulle si cointe damoiselle, 
De trop si gente, ne si belle ; 
N'en Abidois n*avoit, n'en Crète 

3228 Nulle amour qui fust si secrète, 
Car nuls ne savoit leur couvine, 
Fors seulement une meschine 
Qui belle Hero norrie avoit; 

3232 Celle seulement le savoit. 

De moult parfaite amour s'amoient ; 
Mais a grant peinne se vëoient, 
Qu'entre Hero et Leandus 

3236 Fu uns bras de mer espandus 
Qui estoit larges et parfons, 
Si qu'on n'i preïst jamais fons ; 
Et ce leur faisoit trop d'anuis. 

3240 Mais Leandus, toutes les nuis, 
Passoit le bras de mer au large, 
Tous nus, seuls, sans nef et sans barge. 
Belle Hero au gent atour 

3244 Ot en sa maison une tour 

Ou toutes les nuis l'atendoit, 
Et un sierge ardant la tendoit, 
Auquel Leandus se ravoie 



3221 B' Leander; et manque dans M — 3227 E crece — 3a28 
AM {u— 323ï EhsiTo;BEnorTi — 3232£' Elle — 3234 ^poine 
— 3235 Z) est leaueduz — 3242 D Nu tout seul; seuls manque 
dans E; D ne sans b. — 3246 E Et la vn s. a. tenoit; D y auoit ; 
B y ardoit. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 249 

3248 Souvent, quant la mer le desvoie. 

Or avint que la mer s'enfla 

Pour le fort vent qui y souffla, 

Si qu'elle en devint toute trouble 
3252 Pour le vent qui Tesmuet et trouble. 

Leandus se tient a la rive, 

Qui fort contre son cuer estrive : 

Qu'Amours li enjoint et commande 
3256 Et ses cuers, qu'a passer entende, 

Et la plus belle de ce mont 

Voit d'autre part qui l'en semont ; 

Si que li las ne sot que faire, 
3260 N'il ne voit goutc en son affaire. 

Car il voit la mer si orrible 

Que de passer est impossible ; 

Et de sa tempeste et son bruit 
3264 Toute la région en bruit. 

Mais finalment tant l'assailli 

Amours, que en la mer sailli, 

Dont briefment le couvint noicr; 
3268 Car a li ne pot forsoîer. 

Et certes, ce fu grans damages, 

Car moult estoit vaillans et sages. 

« Belle Hero ne scet que dire ; 
3272 Tant a de meschief, tant a d'ire, 
Qu'en nulle riens ne se conforte. 
Elle vorroit bien estre morte, 
Quant son dous amis tant demeure. 

3249 A tourbla •— 325o y manque dans /)— 325i AM tourble 

— 3255 B' a. le semont — 3256 D Que son cuer a p. —3257 
de manque dans M — 3258 D Est ; £: de lautre part; Z> le — 3250 
M sceit; DE scet — 3260 E veoit — 3263 MBE en son bruit 

— 3264 £: religion — 3265 D Finablement — 3268 D Car il ne 
puet — 3269 E dommages — 3271 E Celle; />que faire — 3272 
D meschief et de haire. 



200 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

3276 Dou cuer souspire, des yeus pleure; 

La nuit ot plus de mil pensées, 

Par cinq cent mille fois doublées. 

Elle ne fait que reclamer 
3280 Nepturnus, le dieu de la mer, 

Et ii promet veaus et genices, 

Oblations et sacrefices, 

Mais que la mer face cesser, 
3284 Par quoy Leandus puist passer. 

Einsi toute nuit se maintint 

Et Tardant sierge en sa main tint, 

Jusqu'à tant qu'il fu adjourné. 
3288 Mais mar vit pour li ce jour né. 

Qu'entre les flos vit Leandon 

Qui floteloit a abandon. 

Et quant de près le pot vëoir, 
3292 Seur le corps se laissa chëoir 

Au pié de sa tour droitement ; 

Si i'embrassoit estroitement, 

Forcenée et criant : « Haro ! » 
3296 Einsi fina belle Hero, 

Qui de dueil fu noïe en mer 

Avec son ami, pour amer. 

Si qu'il n'est doleurs ne meschiez 
33oo Dont cuers d'amans soit entechiez, 

Qui soit de si triste marrien 

Com celle qui n'espargna rien 

Que Hero ne meïst a mort 

3278 E mil — 3284 E puisse — 3286 E serge — 3287 E Jusques 
a ; D qui — 3288 DE mal — 3289 AB leandont; D leandus — 
3290 D fl. la mer dessus — 3291 D Quant elle pot de près veoir; 
Ce vers et le suivant sont intervertis dans D — 3293 A piet; D 
doucement — 3294 M lembrassa; D lembracha — 3296 Hero 
manque dans D — 8297 D se noya — 33oo manque dans D\ FM 
damant; M entechief — 33oi BDE merrien — 33o2 manque 
dans D ; B nespargne; E nespairgne. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 25 1 

33o4 Pour son ami qu'elle vit mort, 

Ne nuls n'en porroit par raison 

Faire juste comparison, 

Ne que de fiel encontre baume. 
33ô8 Et pour ce je vous lo, Guillaume, 

Que cils debas soit en déport ; 

Car vraiement, vous avez tort. » 

Guillaume. 

« Damoiselle, se tort avoie, 
33 1 2 Bien say que condempnez seroie 

Nom pas par vous ; car Tordenance 

Ne doit pas de ceste sentence 

Estre couchie en vostre bouche, 
33 16 Pour ce que la chose vous touche; 

Eins la doit pronuncier le juge 

Qui a point et loyaument juge. 

Mais j'ay le cuer moult esjoy 
3320 De ce que j'ay de vous oy ; 

Car c*est tout pour moy, vraiement. » 

SOUFFISSANCE. 

« Pour VOUS, biau Guillaume? Et comment? » 

Guillaume. 

« Damoiselle, or vueilliez entendre, 
3324 Et je le diray, sans attendre : 
Quant Amours si fort enlassoit 
Leandus, que la mer passoit 
A no, sans batel n'aviron, 



33o5 Z> ne— SSoy D Ne quel fiel ; BDE basme — 33o8 D v. pri 
— 33i3 D lordrenance — 33i5 FAfD-E touchie — 33i6 -F nous — 
3317 D E. le — 33 18 et manque dans D — 332o E que je de 
vous oy — 3321 manque dans D — 3322 Et manque dans D — 
3325 E en laissoit ; D lenlachoit — 3326 3/ Leandon ; MDE 
qui. 



252 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

3328 A la minuit ou environ, 

Li fols qui tant y trespassa 
Que d'amer en mer trespassa, 
Il fist trop plus et plus souffri 

3332 Que Hero qui a mort s'ofFri, 
Considérés les grans péris, 
Ou il fu en la fin péris, 
Que ne fist Hero pours'amour, 

3336 Non contrestant mort ne clamour. 
Car cils qui fait premièrement 
Honneur, on dit communément 
Qu'il a la grâce dou bien fait, 

3340 Nom pas cils a qui on le fait]] 
Et plus va a amour tirant 
Cils qui preste que cils qui rant. 
Einsi est il de tous services 

3344 Et aussi de tous maléfices : 

Car qui d'autrui grever se peinne, 
Certes, il doit porter la peinne. 
Si que, ma chiere damoiselle, 

3348 Qui moult amez honneur la belle, 
Vous devez bien, a dire voir, 
De ce cop ci honneur avoir. 
Car bien et bel et sagement 

3352 L'avez dit; et certeinnement, 

Dieus pour moy dire le vous fit, 
Car j'en averay le profit. 

« Si que, gentils dahie de pris, 
3356 Je croy que bien avez compris 
L'entention des deus parties. 



3328 A mienuit — 3332 E souffri — 3338 D On di honneur c. ; 
A dist — 3339 D Qui la grâce — 334i M plus na — 334» D 
ou cil — 3345 D poine ; id, 3346 — 335o ce manque dans F; BDE 
De ce coste h. — 3354 FM pourfit— 3357 E de. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 253 

Et se celles qui ci parties 

Sont contre moy vuelent plus dire, 
336o Ce ne vueil je pas contredire. 

Mais j'en ay dit ce qu'il m'en samble, 

Présent elles toutes ensamble, 

Et tant, que je ne doubte mie 
3364 Que n'aie droit de ma partie. » 

La Dami:. 

Adont la dame souvereinne, 

Des douze droite cheveteinne 

Qui avoient parlé pour ii, 
3368 Dont au juge moult abelli, 

Prist a dire tout en oiant : 

« De riens ne me va anoiant 

Ce qui est fait de nostre plait, 
3372 Mais moult souffissanment me plait, 

Et bien m'en vueil passer atant. 

Sires juges, jugiez atant 

Que sentence sera rendue. 
3376 Je suis de moult bonne attendue 

Pour attendre vostre jugier, 

Quant il vous en plaira jugier. 

Bon conseil avez et seur, 
338o Bien attempré et.bien meur. 

S'alez, s'il vous plaist, a conseil, 

Je le lo einsi et conseil, 

Et vous consilliez tout a trait. 
3384 Faire ne pouez plus biau trait 

Que de traitablement attraire 



3359 M veillent — 336o D^'\\ BE Se — 336i FMBDE (\\x\ 

— 3363 M ne me doute— 3366 F douzes — 3370 D men^ 
M vat — 3371 M vostre — 3372 E souffissant — 3374 MBDE 
S. juges jusques atant — 3377 FD nostre; E vo jugement 

— 3378 E Que faire deuez bonnement — 338 1 D pi. con- 
seiller. 



254 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Bon conseil, et puis de retraire 

Les articles dou jugement, 
3388 Selonc le vostre entendement, 

En gardant tondis vostre honneur. 

Faire le devez, mon signeur. 

Et vous estes bien si vaillans 
3392 Que point n'en serez defaillans. » 

L'Acteur. 

Li juges qui bien Tescouta 

Ses paroles si bien nota 

Qu'a entendre pas ne failli. 
3396 Tantost son conseil acueilli, 

Et puis de la se départirent. 

Or ne sceus je pas qu'il deïrent 

En leur secret, quant a présent, 
3400 Mais assez tost m'en fist présent 

Uns amis qui tant bien m'ama 

Que de tous poins m'en enfourma, 

Nom pas par favourableté, 
3404 Mais de sa debonnaireté, 

Afin que point ne variasse 

Et que de riens ne m'esmaiasse, 

Par quoy je preïsse manière 
3408 Uniement toudis entière ; 

Qu'autel samblant dévoie faire 

Dou droit pour moy com dou contraire. 

Or me fonday seur ce propos ; 
3412 S'en fu mes cuers plus a repos. 

3386 BDE Son ; FMBDE le r. ; A le contraire — 3388 i4 nostre 
— 3389 AB nostre -r- 3391 D si bien -- 3392 Après ce vers on 
lit dans AFMBE le juge, D Guillaume — 3394 E Les — 3395 M 
Quen; DE point— 3396 E a accueilli — 3398 FB sceu; E ne ses 
je pas ; D que il dirent — 3399 BD en pr. — 3401 M auis; ABD 
amans — 3402 D Qui — 3404 E debonneurete — 3407 M pre- 
nisse — 3408 DE Viuement et t.; B toudis et ent. — 3412 Après 
ce vers on lit dans D Le juge. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 255 

Quant a conseil se furent mis, 

Li juges dist : « Je suis commis 

A estre bons juges fiables, 
341)5 Aus deus parties amiables 

Justement a point, sans cliner. 

Si doy moult bien examiner 

Trestout le fait par ordenence 
3420 Qui appert en vostre audience, 

Afin que loiaument en juge. 

Einsi doivent faire bon juge. 

Et vous vous devez travillier 
3424 De moy loiaument consillier. 

S'en die chascuns son plaisir, 

Tandis com nous avons loisir. » 

Dont Avis dist tantost après, 
3428 Qui fu de Congnoissance près : 

a Avis sui qui doy bien viser 

Comment je vous puisse aviser. 

Car on puet faire trop envis 
3432 Bon jugement sans bon avis. 

« Je vous avis que bien faciez 

Et que le contraire effaciez. 

S'il vient par devant vostre face, 
3436 Afin que point ne se parface, 

En avisant seur quatre choses 

Qui ne sont raie si encloses 

Qu'on ne les puist assez vëoir, 
3440 Qui un po s'en vuet pourvëoîr : 

3415 E vos juges feables; D vo juges; F finables — 3417 D 
Jugement; D s. cheir — 3418 -S Si vous doy — 3420 A nostre — 
3423 Vun des deux vous manque dans D; F vous nous; E nous 
nous — 3426 AB Toudis com non; D que nous; Après ce vers on 
m dans D Auis — 3427 Dont manque dans D; D en après — 343 1 
/>bien enuis — 3432 DE Son — 3434 que manque dans D\ E 
affacies — 3435 A Si bien; F Si vien — 3438 FD ci. 



2Db LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Se jugement avez a rendre, 

Premièrement devez entendre 

De savoir quels est li meffais 
3444 Et a qui il a esté fais. 

Et si devez aussi savoir 

Et enquérir, par grant savoir, 

Quant vous saverez le forfait 
3448 Et a cui cils Tavera fait, 

Que vous sachiez dou tout l'affaire, 

Quel cause Tesmuet ad ce faire. 

Or avez de quatre les trois. 
3452 Et li quars est li plus estrois 

Auquel on doit bien regarder, 

Comment on le puist bien garder : 

C'est que vous metez vostre cure 
3456 En sieuir les poins de droiture 

Ou coustume attraite de droit ; 

Si jugerez en bon endroit. 

Plus n'en di. Qui vuet, si en die. 
3460 J'en ay assez dit ma partie. » 

CONGNOISSANCE. 

Congnoissance qui avisa 
Les poins qu'Avis bien devisa 
Dist en haut : « Avis, mes amis, 
3464 A orendroit en termes mis 
Aucuns poins qu'il a devisé, 
Les quels j'ay moult bien avisé, 
Pour quoy dont je sui Congnoissance 

3443 ADE Ce — 3445 D aussauoir voir — 3446 M Ou; D 
Enquérir et par — 3447 ^ Et quant v. scaures — 3448 Z) Et a qui 
il aura este fait — 3460 E Que cause les muet — 3453 MBDE 
miex reg. — 3464 J3D£ les ; D pueut — 3455 D cuer — 3456 A 
A; FD suir; J/Densuir; J3En ensuir ; E En ensuiuir; A nature 
— 3457 BDE atlroitte — 345g D di si veult — 3463 D auis mest 
auis— 3464 D Orendroit a; jÈ Orendroit en t. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2b J 

3468 Qui donne a bon avis substance 

Pour deviser ce qu'il devise, 

De quoy la bonne gent avise. 

Je fais le sens d'Avis congnoistre, 
3472 Et il fait Congnoissance croistre 

Par le courtois avis qu'il donne 

De son droit a mainte personne. 

Juges, se vous apointerez 
3476 Comment setirement tenrez 

D'avis les poins et les usages. 

Faites le, si ferez que sages. 

Et de moy qui sui sa compaingne 
3480 Entendez que je vous enseingne : 

On a ci ce plait démené. 

Tant qu'on l'a par poins amené 

Jusques au jugement olr. 
3484 Resgardez qui en doit joir. 

Jugiez selonc le plaidîé 

Qu'on a devant vous plaidîé. 

Par ce point ne poez mesprendre ; 
3488 Car s'on vous en voloit reprendre, 

Li plaidîers aprenderoit 

Le scens qui vous deffenderoit. 

Jugiez einsi hardiement 
3492 Et le faites congnoissanment 

Au condempné bien amender; 

Vous le pouez bien commander. 

Je, Congnoissance, m'i acort ; 
3496 Et s'en preng aussi le recort 

De Mesure qui la se siet 

3468 a bon manque dans E — 3471 E foiz — 3473 D Et si fai 
— 3475 XF Jugiez — 3477 ^ Auis — 3478 D les — 3481 D le 
plait — 3485 FM }. en 8. — 3486 E Nom pas selon le demene 
(en marge) — 3488 vous manque dans D — 3489 D Le plaidie 
les apprendroît — 3490 D qui vous en deffendroit; E defiau* 
droit. 

Tome I. 17 



258 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Lez Raison, et moult bien li siet. 
Et Raison aussi en dira 
35oo Ce qui bon li en semblera. » 

Mesure. 

Adont s'est Mesure levée, 

En disant : « Ma tresbien amée 

Congnoissance, dire ne vueil 
35o4 Riens qui soit contre vostre vueil, 

Eins sui moult très bienacordans 

Ad ce qu'estes ci recordans. 

S'en parleray a vostre honneur 
35o8 Au juge, ce noble signeur. 

Qui est courtois et amiables, 

Sages, vaillans et honnourables. » 

Lors tourna devers li sa chiere 
3 5 1 2 De si amoureuse manière, 

Qu'il ne s'en pot tenir de rire. 

Et Mesura li prist a dire : 

« Biau sire, bien eûreus fustes 
35 1 6 Dou conseil que vous esleûstes. 

Vous avez tout premièrement 

A Avis bel commencement^ 

Qu'on faurroit bien en court roial 
3520 D'avoir conseil aussi loial. 

Je ne di pas qu'aucune gent 

Ne moustrassent bien aussi gent 

Conseil et aussi bien baillié 
3524 Et d'aussi bel parler taillié. 

Mais vëons la condition 

D'Avis selonc s'entention : 

Il donne conseil franc et quitte 

3498 BDE i siet — 35oo MD que — 35o6 E si — 35o8 F de 
noble — 35 II BDE lui — 35 12 Z) matière — 35 18 A Auis; 
Af Dauis; Mss. si bèl(-Bci bel) — 35i9 E sauroit — 3522 M 
monstrasse. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE ^Sq 

3528 Et n'en attent autre mérite, 

Fors ce que li juges tant face 

Qu'il en ait pais, honneur et grâce. 

Et Congnoissance, sa compaingne, 
3532 A tel salaire s'acompaingne, 

. Sans demander nulle autre chose. 

Dont loiaus juges se repose 

Qui de tels gens est consilliez. 
3536 Sire, s'en devez estre liez. 

Comment qu'il aient dit a point, « 

Se passeray j'outre d'un point 

Qu'Avis avoit bien avisé — 
3540 Et se ne l'a pas devisé — 

Et Congnoissance congnëu. 

Mais il s'en sont en cas dëu 

Pour moy porter honneur, souffert; 
3544 Dont de moy vous sera offert. 

Pour ce que j'ay bien entendu 

Qu'il s'en sont a moy attendu. 

Mais einsois averay ditté 
3548 D'un petit de ma qualité. 

« Je sui Mesure mesurée, t 

En tous bons fais amesurée, 

Et aussi sui je mesurans, 
3552 Ferme, setire, et bien durans 

A ceuls qui vuelent sans ruser 

Justement de mesure user ; 

Et qui non, aveingne qu'aveingne, 
3556 De son damage li souyeingne. 

Dont uns maistres de grant science 



352g D Fors tant que — 3537 -f^ui ; £ ait — 3544 M moy vcu 
sera — 3546 E en moy — 3547 D e. maura d. ; E auoie — 
3552 E seurs — 3553 Mss, Et — 3554 D ouurcr — 3555 E 
quamenne. 



26o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Et de très bonne conscience 
A un sien decîple enseîngne 

356o Et lî monstre de moy Tenseingne, 
Disant : « Amis, je te chastoy : 
Se tu ne mes Mesure en toy, 
Elles'i mettra maugré tien. 

3 564 Geste parole bien retien . 
S'elle s'i met, tu es péris ; 
Se tu ri mes, tu es garis. » 
Or vueil passer les poins tout outre 

3568 Qu'Avis et Congnoissance monstre. 
Il ont servi courtoisement 
De leur bon conseil largement. 
Si comme on sert a un mengier, 

3572 Sans rien d'especïal jugier; 
Et de ce qu'il ont bien servi, 
Dont il ont grâce desservi, 
J'en vorray Tescot assener, 

3576 Et a chascun son droit donner. 
Guillaumes qui en ses affaires 
Soloit estre si débonnaires, 
Si honnestes et si courtois, 
358o Enclins aus amoureus chastois, 
A attenté contre Franchise, 
Et tout de sa première assise, 
Quant ma dame a point Paprocha 
3584 Dou fait qu'elle lî reprocha, 
Et il s'en senti aprochiez 
A juste cause et reprochiez. 
Il ala avant par rigueur, 
3588 Et se mist toute sa vigueur 



355g MBDE Un sien disciple {D dcciple) lensaignc (BM li 
cns.) — 356i Dchatay — 3563 D m. toy — 3565 FD honnis — 
3568 D a congn. — 3571 E c. len — 3572 M mengier — 3575 
E le sort ass.-^ 358o DE cnam. — 358i DÂtente. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 201 

Pour lui deffendre encontre li. 

Cils poins fort me desabeli, 

Pour ce qu'il se desmesura : 
3592 Par ces raisons de Mesure a 

Les règles et les poins perdus, 

Dont il sera moult esperdus, 

Quant a moy le retourneray; 
3596 Car d'onneur le destourneray, 

Quant Congnoissance li dira 

Le meffait que fait avéra. 

Il deUst avoir mesuré 
36oo L'estat dou gent corps honnouré 

De celle dame souvereinne ; 

Qu'en tout le crestïen demeinne 

N*a homme, s'il la congnoissoit, 
3604 — C'est bon a croire qu'einsi soit — 

Qui hautement ne Tonnourast 

Et qui de lui ne mesurast 

Humble et courtoise petitesse 
36o8 Au resgart de sa grant noblesse. 

Dont Guillaumes est deceiis, 

Quant il ne s'en est percetis. 

Car trop hautement commensa, 
36 1 2 Dont petitement s'avansa, 

Pour bien sa cause soustenir ; 

Eins est assez pour lui punir. 

Or vëons au fait proprement 
36 1 6 Dès le premier commencement, 

Pour bien deviser les parties. 

Comment elles sont départies, 

A savoir la quele se tort : 

3590 A poins ci me d. — 3591 £ desxneursa — 3592 D Par 
raisons desmesurees a; BM ses; B' desmesure — 3596 D lui 
descouurerai — 36o3 MBDE si la — 3604 E quauise — 36o5 M 
lenclinast — 36o6 A de li;Z) mesmat — 3607 E et courtoisie p. 
— 36i2 Jf sauisa — 3614 A \\ — 36i5 D ou — 3619 D a tort. 



202 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

3620 Je di que Guillaumes a tort; 

Car de tous les crueus meschiez 

La mort en est li propres chiez ; 

A dire est que tous meschiez passe, 
3624 Et pour ce que nuls n'en respasse ; 

Car on se puet trop mieus passer 

De ce dont on puet respasser. 

Plus ne vueil de ce fait espondre, 
3628 Car j'ay assez, pour lui confondre, 

D'autres choses trop plus greveînnes, 

Simples, foies, vuides et veinnes. 

« Sires juges, or m'entendez : 
3632 Pour la fin a quoy vous tendez, 

De rendre loial jugement, 

Je vueil un po viser, comment 

On a alligué de ce plait. 
3636 Et vous meîsmes, s'il vous plait, 

Un petit y resgarderez, 

Si que mieus vous en garderez 

De jugier autrement qu'a point. 
3640 Car vous congnoisterez le point 

De quoy justice est a point pointe. 

Quant juges sus bon droit s'apointe. 

Je vueil que vous spiez certeins 
3644 Que Guillaumes doit estre attains 

De son plait en celle partie 

Ou sa cause est mal plaido!e, 

Non obstant ce qu'en tous endrois 
3648 Par tout est contre lui li drois ; 

3621 M\q — 3623 est manque dans MBD-^ 3624 D râpasse 
— 3625-6 manquent dans E — 3625 D on ne p. — 3626 FD 
rapasser — 3627 B ncn — 3629 F greueingnes — 3635 D On 
a la ligne; £ Ou a aligne; FMB allègue — 3636 Af si — 3641 
Jkf et a point — 3642 E sus bon point ; D sur lendroit — 3645 
E ccste — 3646 FM plaidie — 3648 D c. lui roys. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 203 

Dont ma dame a tout sormonté, 

Tant dou plaît com de la bonté 

De sa querelle qui est toute 
3652 Mise en clarté et hors de doute. 

Ma dame^ par ses damoiselles, 

A alligué raisons très bêles 

Et toutes choses véritables, 
3656 Fermes, setires et estables, 

Toutes traites de Fescripture 

Et ramenées a droiture. 

Mais qui tout vorroit deviser, 
366o Trop y averoît a viser. 

Et d'autre part, chose est certeinne, 

Que la court en est assez pleinne 

De tout ce qu'on a volu dire 
3664 De par ma dame, sans mesdire ; 

Si que de ma dame me tais. 

Et de Guillaume, qui entais 

A esté d'alliguer s'entente, 
3668 Parleray — car il me talente —, 

De son plaidlé seulement, 

Et se m'en passeray briefment, 

Foy que devez tous vos amis. 
3672 Vëons qu'il a en terme mis : 

Dou clerc qui hors dou scens devint, 

A il prouvé dont ce li vint, 

Que ce li venist de sa dame? ' 

3676 Sires juges, foy que doy m'ame, 

Il n'en a nulle riens prouvé; 

Se li doit estre reprouvé. 

Et dou chevalier qui par ire, 

3652 D M. au cler — 3654 D A aligne; M alligncr — 366o 
D auroit a auiser — 366a en manque dans D — 3663 E quen — 
3667 -D Este a dalignicr ; E sentence — 3668 D Par le roy — 3671 
E tous les vos amis — 3672 MBD termes — 3677 E nulles — 
3678 M Ct,D Celui d. 



264 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

368o Pour ce qu'il ne se volt desdire, 

Copa son doy a tout Tanel, 

Il fist en s'onneur un crenel 

De honte pleinne de sotie 
3684 Avec très grant forcenerie, 

Quant a sa dame l'envoia. 

Car bien croy qu'il li enuia ; 

Au mains li dut il ennuier 
3688 D'un si fait présent envoler. 

Car quant dame son ami aimme, 

Dou droit d'Amours pour sien le claimme 

Et puet clamer, ce m'est avis. 
3692 Or resgardons sus ce devis, 

Comment li chevaliers me£5st : 

Ce qu'elle amoit, il le deifist, 

Qui estoit sien dou droit d'Amour. 
3696 Dont je fais ci une clamour 

Contre Guillaume de ce fait, 

Que avis m'est qu'il n'a riens fait. 

Car cils poins qu'il a mis en pruevc 
3700 Sa cause punist et reprueve. 

Et aussi de la Chastelainne ^ 

De Vergî, a petite peinne 

Assez reprouver le porray 
3704 Par les raisons que je diray : 

Li fais que Guillaumes soustient, 

Sire, vous savez qu'il contient 

Qu'amans, garnis de loiauté, 

3708 Truist en sa dame fausseté. 
Et sus ceste devision 

3682 BE f. cnsouuenir .1. cruel; D f. souuenir en son treul 

— 3683 MD et de s. — 3686 DE qui lui — 3687 FMBDE dcust 

— 3691 M puest; E peust — 3694 M elle deffit; E la d.; i) 
meffit — 3698 MBDE Car — 3702 D poinc — 3703 M A assez ; 
i4 li — 3704 D Pour — 3707 D Quamours — 3708 E Prinst — 

3709 FBDE diuision. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 265 

Il fait une allégation, 

Pour prouver par un fait contraire : 
3712 La Chasteleinne débonnaire 

N'avoit son ami riens meifait; 

Mais il melsmes fist le fait, 

Pour quoy elle se mist a mort. 
3716 Quant il le sceut, il se remort 

Et se mist en la congnoissance 

Qu'il y apartenoit vengence ; 

Dont il melsmes se juga, 
3720 Punist dou tout et corriga. 

Dont Guillaumes a par son dit 

Pour son profit meins que nient dit. 

Plus n'en di ; mais Raisons dira 
3724 Ci après ce qu'il li plaira. » 

L'Acteur. 

A ces mos s'est Raisons drecie, 
Comme sage et bien adrecie, 

\ Raison. / 

Disant : « Râlons en consistoire. \ 

3728 La porrons par parole voire, ' 

Ce m'est vis, bon jugement rendre. 

S'il est qui bien le sache entendre. » 

Atant de la se départirent. ^ 
3732 Es propres lieus se rasseïrent 

Ou il avoient devant sis. 

Lors dist Raisons par mos rassis : 

<c Sires juges, certeinnement 
3736 Chose n'a sous le firmament 

3710 D Li fist— 371 1 un manque dansD — SjiSMQu. il se il 
sceust; D sot — 3718 FB Qui ly ; E Qui lui ; D Quil lui — 3723 E 
di mains r. — 3734 B qui li ; DE qui lui. Après ce vers on lit dans 
D Raison —Sjab D drecee — 3726 D auisee — 3729 E auis— 3730 
E quil le s. — 3732 D Et es... rassirent — 3735 ABDE Sire. 



266 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Qui ne tende a conclusion : 

Les unes a perfection 

Pour pluseurs cas de leur droit tendent ; 
3740 Et si a autres qui descendent 

De haut ou elles ont esté 

En déclinant d'un temps d'esté 

En river qu'on dit anientir. 
3744 Dont cils plais désire a sentir 

De droit conclusion hastive 

Par sentence diffinitive, 

Pour ce qui est bien pris parfaire 
3748 Et ce qui est mal pris deffaire. 

Et il est temps, vous le savez, 

Que désormais dire en devez, 

Ou ordener qu'on en dira. » 

.. Le Juge. 

3752 « Raison, dame, ne m'avenra 

Quef en die, quant ad présent. 

Mais je reçoy bien le présent 

D'ordener. Et de m'ordenance, 
3756 Mais qu'il soit a vostre plaisance, 

Dites en et tant en faciez 

Que le tort dou tout effaciez, 

Et metez le droit en couleur 
3760 De toute honnourablc honneur, 

Qui savez en tels couleurs teindre 

Ou nuls, fors vous, ne puet ateindre. » 

Guillaume. 
Lors Raisons un po s'arresta 

3742 Jkf d. le temps— 3748 E amentir; D anientis — 3744 
JS: Du — 3745 M droite — 8747 D bien pour foire — 8748 D 
quil — 3749 A bien le s. — 3750 Que effacé par B' ; BF 
desores mais; E De desores maiz — 3753 j manque dans E — 
3754 BD je croy; -B je croîs — 3757 BDE en de tant— 3761 
MBDE tel couleur. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 267 

3764 Et puis SUS destre s'acota, 

En regardant devers senestre, 
Pour mîeus aviser de mon estre. 

Raison. 

Se me dist : « Guillaume, biau sire, 
3768 Vous avez piessa oy dire 

Que c'est folie d'entreprendre 

Plus que pooirs ne puet estendre. 

Et toute voie, s'on emprent 
3772 Aucun fait de quoy on mesprent, 

S'on s'en repent au moien point, 

Encor y vient il bien a point. 

Mais qui son forfait continue 
3776 Et dou parfaire s'esvertue 

Jusqu'à tant qu'il vient au derrién, « 

Et a ce point ne trueve rien 

Fors que son dueil et son damage, 
3780 Se lors recongnoist son outrage, 

Il vient trop tart au repentir. 

Guillaume, sachiez sans mentir, 

Qu'ensement avez vous ouvré. 
3784 S'en avez un dueil recouvré 

Qui vous venra procheinnement, 

Et se vous durra longuement, 

Voire, se ne vous repentez. 
3788 Mais je croy que vous estes telz 

Que vous ne le deingnerîez faire. 

Car trop fustes de rude affaire. 

Quant la dame vous aprocha 
3792 D'un fait qu'elle vous reprocha 

3764 BDE sur coste sacosta {D saconta) ; F saconta — 8767 
AFbiaus — 3774 D Encore ; MD il vient; B't v. on b. — 3776 
D du parfait; A continue — 3777 E Jusques; Af viengne; A dar- 
rain ; DE derrain — 3780 D courage — 3786 F duerra — 3787 
DE se vous vous r. — 3789 ne manque dans D — 379a D Du. 



268 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Que tait aviez ou temps passé. 

Se vous eussiez compassé 

En vous aucune congnoissance 
3796 Qui fust signes de repentence 

De ce que vous aviez mespris 

Contre les dames de haut pris, 

Vous eussiez fait moult que sages. 
3 800 Car d'Amours est tels li usages 

Que s'aucuns des dames mesdit, 

S'il ne s'en refreînt et desdit, 

Amender le doit hautement 
3804 Ou comparer moult chierement. 
. Or de ce meffait premerein 

Vous di de par le souverain 

Amours, qui est maistres et sires, 
38o8 Des plaies amoureuses mires : 

Jugemens en est ordenez 

Dou quel vous estez condempnez, 

Si qu'amender le vous convient; 
38 12 Hastivement li termes vient. 

Encor vous puis je commander 

Si qu'il vous convient amender 

Un autre fait qui me desplait, 
38 16 De ce que vous prenistes plait 

Contre dame de tel vaillance 

Et de si très noble puissance, 

Que je ne say haute personne, 
3820 Tant com li siècles environne, 

Prince ne duc, conte ne roy, 

Qui osast faire tel desroy, 

3794 F eussez; D eussiez bien c. — SygS F nous— 3799 
manque dans B, ajouté par B'; D f. bien que — 38oo D est 
tout li vs. — 38o2 MBE Si — 38o6 D Vous di je par — 3807 
D Amant— 38o8 F amoureus — 38io M Enquel — 38i3 D 
demander — 3814 J/ Ce; SE Se — 38i6 D prenes le pi.; F 
prenitez; E preintes. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 269 

Guillaume, comme vous felstes 
3824 Dou plait qu'a li entrepreîstes, 

Et meistes force et vigueur 

En aler avant par rigueur. 

Eiiisi Tavez continué ; 
3828 S'avez vostre sens desnué 

De courtoisie et d'ordenancc. 

Se ce ne fust la pacience 

Qui est en li, vous perdissiez 
3832 Tant qu'a meschief le portissiez. » •^ 

Guillaume. 

Quant j'oy ce, je fui dolens ; 
Mais je ne fui feintis ne lens 
De li demander humblement 
3836 Qu'elle me devîsast briefment 
De la dame la vérité 
D'un petit de sa poësté. 

Raison. 

Lors dist : « Guillaume, volentiers. 
3840 Mais je n'en diray hui le tiers, 

Non mie, par Dieu, le centisme. 

Car dès le ciel jusques en bisme 

Ses puissances par tout s'espandent, 
3844 Et de ses puissances descendent 

Circoi^stances trop mervilleuses, 

Et sont a dire périlleuses, 

Qui s'apruevent par leur contraire. 
3848 Par ces raisons s'en convient taire 



3825 -BEt me feistcs — 3826 D En alant — 3829 D dordre- 
nancc — 383o E Et se ne feust — 3832 F porrissies — 3838 D 
pooste; BE poète — 3839 E G. moult v. — 3841 FMBDE la c. 
(B' rétablit le) ; A centiesme — 3842 D Que ; B* jusquen abisme ; 
D en abisme — 3843 D sestendent — 3844 B ces — 3846 manque 
dans B^ ajouté par B' — 3847 BD Qui sapprennent— 3848 B£ ses. 



270 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Pour les entendemens divers 

Qui sont aucune fois pervers. 
iLa dame a nom Bonnetirté 
3852 Qui tient en sa main Seiirté 

En la partie de Fortune ; 

Car il n'est personne nesune 

Cui Fortune peust abatre, 
3856 Se la dame le vuet debatreTl 

Et quant elle vuet en Nature 

Ouvrer par especial cure, 

La la voit on sans nul moien, 
386o Voire, li astronomien 

Qui congnoissent les nacions 

Parmi les constellations, 

C'est assavoir es enfans nestre 
3864 De quel couvine il doivent estre. 

Dont, quant la chiere dame règne 

Et uns enfes naist en son règne, 

Se Bonneûrtez Tentreprent, 
3868 Nature point ne l'en reprent, 

Eins l'en laist moult bien convenir, 

Comment qu'il en doie avenir. 

Voirs est que Nature norrit 
3872 Par quoy li enfes vit et rit ; 

Et Bonneûrtez le demeînne 

Tout parmi Tetireus demainne, 

Tant qu'il est temps qu'en lui apperc 
3876 Que de Bonnetirté se père. 

« Or sont celle gent si parent, 
Dont elle est en euls apparent 

385o DE aucunes — 3854 ^ Y nes^ — 3855 jB' Que; E peut 
— 3859 F nuls — 386i D mocions — 3868 £ le — 3869 moult 
manque dans E — 3870 manque dans BD; E Et faire du tout 
son plaisir — 3873 manque dans B, ajouté par B' — 3874 E le 
meus (51c)— 3875 MBE qua; D apparc — 3876 D pare. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 27 1 

Parmi le bien qu'il en reçoivent, 
388o Afin que ne lui n'en déçoivent. 
Or vous vueil je dire en appert 
En quels manières elle appert, 
En aucunes, nom pas en toutes ; 
3884 Et si ne faites nulles doubles 
Des paroles que j'en diray ; 
Car de riens ne vous mentiray. 
Elle appert en prospérité 
3888 Et en issir de povreté; 

Elle appert en acquerre amis 
Et en punir ses anemis 
Par victoire, sans nul tort faire ; 
3892 Elle appert en tout bon affaire ; 
Et quant elle appert en amours, 
C'est quant amans, par reclamours, 
Par servir ou par ses prières 
3896 Et en toutes bonnes manières, 
Puet en pais de dame jolr 
Dou droit especial joïr 
Qu'amours donne de sa franchise. 
3900 La est Bonneûriez assise 
Entre ami et loial amie 
Qui ne vuelent que courtoisie 
Et ont par certeinne affiance 
3904 Li uns a l'autre grant fiance. 

La les tient elle en moult grant point. 
Elle est a tous biens mettre a point; 
S'en est moult plus gaie et plus cointe ; 
3908 Elle est de tous les bons acointe. 
Elle appert en mains esbanois, 

3878 D Quant ; E celle — 388o E deceuoient — 3882 BM 
quel manière; E Comment elle euurc de son art — 3884 
FME Et ce; BD De ce - 3887 et 3889 Mss. Il - 3891 BF 
nulz tort ; A sans accort f. — 3897 DE ou pais ; A dames — 
3904 D Lun a 1. tresgrant f. ^ 3908 A les biens. 



272 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Tant en joustes comme en tournois, 

Pour chevalerie essaucier 
391 2 Et les fais des bons avancier 

A la congnoissance des dames. 

La croist honneurs ; la chiet diffames. 

Car tels a esté diffamez 
3916 Qui puis est chieris et amez 

De ceuls qui ains le diffamoient, 

Pour ce qu*apertement vëoient 

Qu'il met son corps en aventure ; 
3920 Dont tels fois est qu'il aventure 

Dou fait d'armes qu'il a empris, 

Tant qu'il vient au souverein pris. 

Einsi BonneUrtez avance 
3924 Les siens de sa haute puissance. 

« Se BonneUrtez par nature, 

Par fortune ou selonc droiture, 

Appert en la chevalerie, 
3928 Elle appert aussi en clergie : 

La tient elle honneur en ses mains. 

A l'un plus et a Tautre meins 

En fait ses larges départies ; 
3932 S'en donne les plus grans parties 

A ceuls qui tiennent mieus l'adresse 

Ou Bonneiirtez les adresse. 

Aussi appert elle en science, 
3936 Et se s'enclôt en conscience, 

Pour garder ceuls aucune fois 

En cui est pais et bonne fois, 

3909 ajouté par B* dans B —Sgio-^/com — 8914 Acv, hon- 
neur; D la het d — 3916 3/ Qui plus— 3917 £ la — 3918 BDE 
Pour ce (ce manque dans BD) que congnoissaument v. {E voient) 
— 3935 BD Le; E Debonncuretes — 3932 E donnes — 3934 FE 
En — 3935 B Enssi ; E Ainssi — 3937 EB aucunes — 3938 
E bonnes foiz. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 278 

Qui n'ont pas par voie autentique 
3940 Mis leur scens en fourme publique^ 

Eins sont sage secrètement. 

La se tient elle closement ; 

La li tiennent grant compaingnie 
3944 Loîaus secrez et bonne vie. 

La se vuet elle reposer 

Et les cuers a point disposer 

En la vie contemplative. 
3948 Or revient par la voie active 

Pour esmouvoir ceuls de parler 

Qui tiennent volentiérs parler 

Des biens de contemplation ; 
3952 Dont maint, par bonne entention, 

S'cnclinent si a sa doctrine 

Que chascuns par soy se doctrine 

D'estre diligens et hastis 
3956 De devenir contemplatîs. 

Que vous iroie je contant ? 

Bonneûrtez a de bien tant 

Que jamais n'aroie compté 
3960 Le centisme de sa bonté. 

Dont au monde n'a grant signeur 

Ne dame, tant aient d'onneur, 

Qu'il ne leur fust et bel et gent, 
3964 S'est re pooient de sa genf . 

Atant m'en tais; je n'en di plus, 

Mais que venir vueil au seurplus 

3939 BDE antiquité; B' corr. en autentique — 8940 BE 
leurs — 3943 li manque dans E — 3944 B a bonne vie ; E 
cest b. vie — 3945 F voult — 3946 a manque dans D — 3948 
A la vie a. — 3953 B Enclinent; E Enclinoient; 3/ ci — 3968 
Mss. En bon. (B En ben.); AM biens — 3960 D La ; BE 
centicsme — 3962 D dames; B' aie — 3963 AFBD Qui — 
3964-5 sont intervertis dans D — 3965 D di ment — 3966 
D Mais au seurplus venir je tent.| 

Tome I. 18 



274 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Des deus poins dont condempnez estes ; 
3968 Et s'ay mes raisons toutes prestes 
Dou tiers point que je vous diray, 
Dou quel je vous condempneray. 

a II est bien véritable chose 
3972 Que, s'aucuns a un plait s'oppose, 

S'il se trait a production 

Et il vient a probation, 

Se s'ententîon bien ne prueve, 
3976 Vérité de droit li reprueve 

Qu'il en doit estre condempnez. 

Cils drois est de si lonc temps nez, 

Qu'il n'est mémoire dou contraire. 
3980 Or vëons a quoy je vueil traire, 

Et s'entendez bien a mon dit : 

De quanque la dame vous dit 

De son fait, vous vous opposastes 
3984 Et dou prouver vous avansastes. 
'Mais vous avez si mal prouvé 

Qu'il vous doit estre reprouvé 

A vostre condempnation, 
3988 Selonc la mienne ententionl 

Vous n'avez ci dit que paroles 

Qui sont aussi comme frivoles. 

Belles sont a conter en chambre, 
3992 Mais elles ne contiennent membre 

Dont pourfis vous peUst venir 

Pour vostre prueve soustenir. 

Et si avons si bien gardé 
3996 Com nous poons, et regardé. 

Pour quérir loyal jugement. 

3968 D jai — 3973 E producion — SgyS DE Et — 3976 
MBDE le — 3980 M veoions — 3984 A dou premier; D annun- 
castes — 3988 D moic — 3992 Z> nombre — 3993 D p. en peust 
— 3996 D Que. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 275 

S'il VOUS plaist a savoir commeat, 
On vous en dira les parties, 
4000 Comment elles sont départies, 

Et de vostre erreur tous les poîns. 
Et se vous veëz qu'il soit poins 
Qu'on vous die vostre sentence, 

4004 Se nous dites que vos cuers pense; 
Qu'il vous en plaist, on le fera 

Si a point que bien souffira. » 

Guillaume. 

« Dame, bien vous ay entendu» 
4008 Et s'ay bonne pièce attendu 

Que je fusse sentenciez^ 

Se vous pri que vous en soiez 

Diligens de mpy délivrer, 
4012 Quant a ma sentence livrer. 

Dès que mes fais est si estrois 

Que je doy des amendes trois 

Et qu'autrement ne puet aler, 
4016 Je n'en quier plus faire parler, i»! 

Raison. 

« Guillaume, soiez tous certeins 

Que de droit y estes ateins ; 

Se n'en serons point negligens. 
4020 Or soiez aussi diligens, 

Et puis maintenant vous levez 

Pour faire ce que vous devez 

Vers celui qui pour juge siet. 
4024 S'en fera ce que bon l'en siet. 

3998 BE assauoir — 8999 en manque dans E — 4001 D tous le 
point — 4002 D Et se vees tous les poins — 40o3 E Qucn — 

4005 D Qui.* on lessera — 40 11 jPDeligens — 40i5 Af nen — 
4016 D pas f. — 4018 D en estes — 4019 M Scn ncn — 4020 
F deligens — 4024 D bon lui siet. 



276 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Dès or mais â lui appartient. 

Car tout le droit en sa main tient. 1^ 

Guillaume. 

A ce mot au juge en alay 
4028 Et d'un genouil m'agenouillay. 

La li presentay je mon corps 

Par si convenable recors, 

Comme je peus et li sceus dire; 
4o32 Dont il prist un petit a rire. 

Lors pris mes gans, si li tendi; 

Dont il qui bien y entendi 

Les prist; et puis si les laissa ; 
403 6 Après un po se rabaissa, 

Si que secondement les prist, 

Puis les laissa, puis les reprist, 

En signe de moy moustrer voie 
4040 Que trois amendes li dévoie. 

Moult bien le me signefia, 

Et pour vérité m'affia 

Qu'il les me couvenroit paîer. 
4044 Lors me dist il, sans delaier, 

Que je me râlasse seoir, 

Car il se voloit pourvëoir 

Quel pénitence il me donroit, 
4048 Et que brief m'en delivreroit. 

Lors près de la dame se trait, 
Et Raison aussi, tout a trait , 
A leur secret conseil se mist 
4o52 Et de bas parler s'entremist. 

4028 D du — • 4029 D A loi ; E présente — 4o3o FME couuena- 
blcs — 4o3i F Com... et le sceu d. ; D et sceu dire — 4o33 E 
si les tendi — 4o36 E rebaissa — 4043 FMD Qui ; M conuenra ; 
E conuenoit — 4044 E deloier — 4048 Z> que bien men; M 
deliueroit; BE deliuerroit — 4o5o/>t. adroit. 



LE JUGEMENT DOD ROY DE NAVARRE %T] 

Mais â leur parler bassement 

Pris un petit d'alîgement, 

Pour ce que Je bien perccvoie 
4o56 Que leurs consaus estoit de joie* 

Car d'eures en autres rioient. * 

Et a ce droit point qu'il estoient 

Au plus estroit de leur conseil, 
4060 Avis me dîst : « Je vous conseil 

Que ceste dame resgardez 

Et songneusement entendez 

Aus drois poins de sa qualité. 
4064 La verrez vous grant quantité 

De sa grâce et de son effort. 

S'en avérez le cuer plus fort 

Pour endurer et pour souffrir 
4068 Ce que drois vous vorra offrir. » 

Lors li dis je : a Biaus dous amis, 

Mais vous m'en faites le devis 

Qui congnoissez de moult de choses 
4072 Les apparans et les encloses ; 

Souvent en estes a Tessay, 

C'est une chose que bien say . » 

Adont dist Avis : « Ce vaut fait. 
4076 Or entendez bien tout a fait : 

Quant aus parties deviser, 

Se bien vous volez aviser, 

Elle a vestu une chemise 
4080 Qui est appellée Franchise 

Pour secrés amans afranchir 

Et de Sobreté enrichir 

En la partie de Silence 

4057 D deuers lun lautre; E demes en autres — 406a F soi- 
gneusement — 4067-8 50wf intervertis dansE—^oSSD quadroit — 
4073 FM lassay — 4074 D chose bien le say — 4076 E tout le 
fait (sur rature) — 4078 D vous en voules — 4079 a manque dani 
FB, ajouté par B*\ il ot — 4082 D afranchir. 



278 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

4084 Parmi Tacort de Congnoîssance. 

Car pour tant qu'elle if est vetie, 

Sa cause doit estre teûe. 

Et sa pelice, c'est Simplesse 
4088 Si souef que point ne la blesse, 

Car elle est de BenîveîUance, 

Orfroisie de Souffissance, 

A pelles de douce Plaisance 
4092 Qui bons cuers en tous biens avance. 

Et li changes qu'elle a vestu 

Par très honnourable vertu 

Fu fais de loial Acointance 
4096 Et ridez de Continuance 

A pointes de Persévérance 

Egalment, sans desordenance. 

Or est cils changes biaus et lez 
4100 Et est de son droit appeliez 

Pour certeinne condicion 

Honneste Conversation. 

Et la sainture qu'elle a sainte 
4104 N'est pas en amours chose fainte, 

C'est propre loial Convenance, 

Cloée de ferme Fiance. 

Car qui convenances affie, 
4 1 08 Neccessitez est qu'on s'i fie . 

Et lî mordans, pour ce qu'il poîse, 

Sert d'abaissier tençon et noise. 

Si que jusqu'à ses piez li bat. 



4086 BDE tenue — 4087 F ceste; D est — 4088 la manque 
dans M — 4089 A bniueillance (sic) ; F beniuellance ; ME bie- 
nueillancc; BD bienuaillance — 4090 Jf Orfroisiez ; D Orfresie— 
4091 FMBDE Appelles; A Appelle; B* Aperles; D de. souef p. 
— 409a D bon cuer; D bien — 4093 BE chainses; D les chaus- 
ses., vestues — 4096 /> continence — 4099 BDE chainses; £' 
chainse ; M si chainges — 4108 qu manque dans FBE — 41 10 F 
Ser ; Z) Sest ; FM ten sons — 4 1 1 1 M q ucs ; FME jusques a ; FB ces . 



m JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 279 

4112 Et si piet deffont maint débat 

Entre amie et loial ami, 

Quant aucuns amans dit : a Aimy ! 

De ma dame sui refusez; 
41 16 Mais mes drois n'est pas abusez, 

Car je croy bien qu'elle le fît 

A s'onneur et a mon profit. » 

Einsi si piet la gent demainne, 
4120 Cui elle tient en son demainne ; 

Car il sont chaucié d'Aligence^ 

Lacié a laz de Diligence. 

Et s'a mis blans gans en ses mains, 
4124 Li quel sont fait ne plus ne mains 

Entre Charité et Largesse, 

Dont elle départ la richesse 

D'Amours qu'on ne puet espuisier 
4128 Ne par nul jour apetisier. 

Plus en prent on, plus en demeure 

De jour en jour et d'heure en heure. 

Dou mantel vous vueil aviser 
41 32 Comme il est biaus a deviser, 

Et mieudres que biaus qui s'en cuevre 

Par dit, par maintien et par ouevre. 

Lainne de bons Appensemens 
41 36 Avecques courtois Parlemens, 

Scienteuse Introduction 

Et amiable Entention 



4Ï12D deffent — 41 13 D E. ami --4116 D nest mie — 
41 17 le manque dans F — 41 18 /> A souucnir de mon proufit 

— 41 19 Z> cil pie; BE silz piez; FM piez — 41 31 A chaucict 

— 4122 F deligence — 4123 FM sa uns bl., corr. dans M en 
mis — 41 24 DE moins — 41 26 JD sa r. — 41 27 BDE esprisier ; B' 
espuisier— 4129 A prcnt et plus — 4i3i F Son — 4i32 M 
Com; D il bien beauz est d. — 4i33 D mendre... qui en c; is* 
qui son c. — i37 D Scntcnte introductions — 41 38 D enten- 
tions. 



28o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

Furent ensamble compilées, 
4140 De Bonté proprement drapées; 

Et de ces choses asamblant 

Fu fais li dras de bon samblant, 

Tains en une gaie couleur 
4144 De très honnourable valeur 

Qui est appellée Noblesse, 

Et est fourrez de Gentillesse. 

Or est Bonneûrtez couverte 
4148 Dou mantel, et est chose aperte 

Que par dessous tous biens enclôt. 

Mais véritablement esclot 

Quanqu'il a sous la couverture 
41 52 Li apparans de sa figure, 

Si comme, en sa fisonomie, 

Li bien de toute courtoisie 

Très souffissanment y apperent, 
41 56 Dont ses damoiselles se perent. 

Et elle est aussi bien parée 

D'elles, sans estre séparée 

D'elles et de leur bon arroy ; 
4160 Car elles souffissent pour roy 

Et pour souvereinne royne. 

Pour ces raisons vous détermine 

Que Bonneûrtez dou tout passe 
4164 Toutes roynes et trespasse. 

Se Je voloie sa coronne 

Deviser qui est belle et bonne, 

4139 FMBE compellees — 4141 AFMBEses\ D en sam- 
blant — 4142 manque dans D — 4143 DE gente c; B goutee 
c. -^ 4144 BE Et de treshon. ; D Et de hon. — 4148 et 
manque dans D; M m. qui est — 4149 E tous les biens — 
41 5 î D Quanque a dessous; MBDE sa couuerture — 41 53 
BE phinosomie; D en la filosomîe — 4157 /) ainssi — 4i58 
E Delez — 4160 F toy — 4162 A raison — 4164 F royne — • 
4i66FDeui8ier. 



LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 28! 

Trop longuement vous en tenroîe ; 
4168 Car je voy bien la droite voie ^ 

Que leur consaus va a déclin. 
Atant pais de ce vous déclin. » 

Guillaume. 

Quant leur consaus fu affinez, 
4172 Li juges s'est vers moy tournez, 

Le Juge. 

En disant : « Guillaume, par m'ame, 

Itant vous di de par ma dame 

Et de par raison ensement, 
4176. Et je suî en Tacordement, 
' Que de trois amendes devez 

Devisées, et eslevez, 

Lesqueles vous devez sans faille 
4180 Par jugement, comment qu'il aille. 

Il vous couvîent, chose est certeinne, 

Faire un lay pour la premercînne 

Amiablement, sans tenson; 
4 1 84 Pour la seconde une chanson 

De trois vers et a un refrein 

-^ Oëz, comment je le refrein — 

Qui par le refreîn se commense, 
4188 Si comme on doit chanter a danse; 

Et pour la tierce, une balade. 

Or n'en faites pas le malade, 

Eins respondez haitiement 
4192 Après nostre commandement 

4167 i) V. entendroie — 4168 E vois — 4169 ME leurs con- 
saulz — 4171 FBE leurs ; E asinez — 417a s manque dans D; 
ME cest — 4174 iif V. di je; par manque dans D — 4178 /) Et 
de par mamie raison — 4176 D en accordoison — 4181 Bcb. et 
c. —4185 a manque dans D'-' /^iS6 manque dans M — 41871e 
manque dans D — 4188 M DE en dancc — 4190 DE ne — 4191 
M hastiuement. 



282 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 

De tous poins vostre entention ; 
Je fais ci ma conclusion. » 

Guillaume. 

Et pour ce que trop fort mesprîs, 
4196 Quant a dame de siliaut pris 

M'osay nullement aastir 

De plait encontre li bastir, 

Je, Guillaumes dessus nommez, 
4200 Qui de Machau sui seurnommez, 

Pour mieus congnoistre mon mefifait, 

Ay ce livret rimé et fait. 

S'en feray ma dame présent; 
4204 Et mon service li présent, 

Li priant que tout me pardoint. 

Et Dieus pais et honneur li doint 

Et de paradis la grant joie 
4208 Tele que pour moy la voudroie. 

Mais pour ce que je ne vueil mie 

Que m'amende ne soit paîe, 

Pour la paier vueil sans delay 
4212 Commencier un amoureus lay. 

Explicit le Jugement dou Roy de Navarre contre le 
Jugement dou Roy de Behaingne. 



4193 Mnostre — 4197 B Mose; E Nose; F aestîr — 4198 M 
contre — 4200 DE Mâchant — 4202 D Hure; M rimeyt — 4208 
D Sen fais a ma dame pr. — 4208 D T. com — 4210 JDQue 
mame ; F paiee — 42 1 1 F le. 

Explicit : D Ci fcnist; E Cy fine ; A leroy de n. ; ^f encon- 
tre; FBE du (B dou) bon roy de b,\M au bon roy de b. 



•^^^•TH- 



LE LAY DE PLOUR 



I 



Qui bien aimme a tart oublie, 

Et cuers qui oublie a tart 

Ressamble le feu qui art 
4 Qui de legier n'esteint mie. 

Aussi qui a maladie 

Qui plaist, envis se départ. 

En ce point, se Dieus me gart, 
8 Me tient Amours et maistrie. 

Car Plaisence si me lie 

Que jamais Tamoureus dart 

N'iert hors trait, a tiers n'a quart, 
1 2 De mon cuer, quoy que nuls die. 

Car tant m'a fait compaingnie, 

Que c'est niant dou départ, 

Ne que jamais, par nul art, 
i6 Soit sa pointure garie. 

Les vers 1-7 1 manquent dans K avec le feuillet — 2 B cuer ; 
Mss. en oublie — 5 C Ainsi — 6 E sen — 11 MCJ na tiers; 
E na tier — i3 E âe comp. — 14 £^ Que ce nest nient du d.; J 
Qui néant mains du d. — 16 Jla. 



284 LE LA Y DE PLOUR 



II 



Qu'envis puet on déraciner 
Un grant arbre, sans demeurer 
De la racine, 
20 Qu'on voit puis flourir et porter 
Et ses branches croistre et geter, 

En brîef termine. 
Certes, einsi est il d'amer : 
24 Car quant uns cuers se vuet enter 
En amour fine, 
Envîs puet s'amour oublier, 
Einsois adès, par ramembrer, 
28 A li s'encline. 



III 

Car riaue qui chiet desseure 

La racine qui demeure 

Fait renverdîr et florir 
32 Et porter fruit : 

Tout einsi mes cuers qui pleure 

Parfondement a toute heure 

Acroistre mon souvenir. 
36 Fait jour et nuit. / 

Et c'est ce qui me deveure ; 

C'est ce qui mon vis espleure ; 

C'est ce pour quoy je soupir ; 
40 A ce me duît 

Vraie Amour qui me court seure 

20 C Quon port — 23 £ aussi — 27 J sanz remembrer — 3i 
BEJ reuerdîr — 41 J Vo vraie a. ; CEJ qucurt. 



LÉ LAY DE PLOUR 285 



Et Bonté qui Tassaveure : 
Qu'en moy ne puissent venir, 
44 Ce medestruît. 



IV 

Raisons et Droiture, 
Plaisence et Nature 
Font par leur pooir 

48 Toute créature 

De voienté pure 
Tendre a mieus valoir. 
Et je m'assetire. 

52 Que, tant corn je dure, 

Ne porray vëoîr 
Amour si seûre, 
Bonté si mettre 

56 N'a tant de savoir. 



Aussi voit on clerement 
Que li cuer qui loyaument 
Et sans folour 
60 Aimment de très fine amour 

Guident souvent 
Qu'en milleur et en plus gent 
Aient séjour ; 
64 Car plaisence et sa rigour 

Ce leur aprent : 

42 CEJ que (E qui) si saueure ; MB qui sa saueure — 43 
EJ pcuent ; Jlf puellent ; B puit; C pueut; J nourrir; MCE 
mourir -^ 44 Af destrait — 5o £ T amer auoir ; MBJ auoir — 
56 J Ne tant — 58 CE cucrs — 59 -ff Est — 60 J trcsbonnc. 



286 LE LAY DE PLOUR 

Or say je certeînnement 

Que mienne estoît lîgement 
68 La droite flour 

De ceaus qui ont plus d'onnour ; 
Car toute gent 

Disoient communément, 
72 Et li millour, 

Qu'il avoit toute valour 
74 Entièrement. 



VI 

Et quant si bon ne millour ne plus cointe 
' N'est, ne si bel, ne d'onneur si acointe, 
A droit jugier, 
78 Mervillîer 

Ne se doit 
80 Nulz, se ne vueil par Tamoureuse pointe 
Nouvellement d'autre amour estre pointe. 
Pour ce changîer 
Ne me quier, 
84 Et j'ay droit ; 

Qu'en mon cuer est si très ferme et si jointe 
L'amour de li qu'estre n'en puet desjointe ; 
Car cuer entier 
88 Qui trichier 

Ne saroit 
Par souvenir vuçt que dou tout m'apoinie, 
Si qu'autre amour n'entrepreingne, n'acointe ; 
92 Qu'autre acointier 

Empirier 
94 Me feroit. 

67 E moîe; J mien — 70 J toutes — 72 KJ la — 79 KJ sen — 
80 A voet — 83 XJ mcn — 85 KJ Quen moy est — 86 Af ne -« 90 
KJ que doucement macointe« 



LE LA Y DE PLOUR 287 



VII 

Dont le bon recort 
96 Que de li recort 

Fait qu'a ce m'acort 
Que ja ne soîe en acort 

D'avoir autre amy ; 
100 Mais en desconfort. 

Sans nui reconfort 

De tout mon effort 
Vueil pleindre et plourer sa mort, 
104 En disant einsi : 

« Amis, mi confort, 

Mi joieus déport, 

Ma pais, mi ressort, 
108 Et tuit mi amoureus sort 

Estoient en ty. 

O ray un remort 

De toy qui me mort 
112 Et point si très fort 

Qu'o toy sont tuit mi bien mort 
114 Et ensevely. 



VIII 

Dous amis, tant fort me dueil ; 
116 Tant te plaint, 

Tant te complaint 

Le cuer de moy, 
Tant ay grief que, par ma foy, 

96 KJ Qui — loi M nulz — 108 manque dans KJ — 1 13 KJ 
Qua toy; E tout — 1 16 EK ce ; C/ se — 1 17 id. 



288 LE LAY DE PLOUR 

1 20 Tout mal recueil ; 

Dont mi oueil 
Que souvent mueil, 
Et cuer estreint, 
1 24 Viaire pâli et taint, 

Garni d'effroy 

Et d'anoy, 
Sans esbanoy ; 
128 Moustrent mon dueîl. 

Dous amis, seur ton sarcueil 
Sont mi plaint 
Et mi complaint ; 
i32 La m'esbanoy, 

Par pensée la te voy ; 
Plus que ne sueil 
La me vueil ; 
1 36 La sont mi vueil ; 

La mes cuers maint. 
La mort pri que la me maint, 
Car la m'ottroy. 
140 La, ce croy, 

De la mort doy 
142 Passer le sueil. 



IX 



La souspire, 
144 La s*alre 

Mes cuers qui tant a martire 
Et de mortel peinne 
Et tant d'ire, 
148 Qu'a voir dire 

123 KJ estaint — 126 manque dans KJ -- 129 K serqueil; 
E saqueii — .i36 J La me vùcil — 140 KJsc-^ 141 De manque 
dans C. 



LE LA Y DE PLOUR 289 



Son mal ne porroit descrire 
Créature humeinne. 
La s'empîre 
i52 Tire a tire; 

La ne fait que fondre et frire ; 
La son dueil demèinne ; 
La, sans rire, 
i56 Se martire ; 

La se mourdrist ; la désire 
1 58 Qu'il ait mort procheinne. 



Dous amis, tant ay grevance, 
1 60 Tant ay grief souffrance, 

Tant ay dueil, tant ay pesance, 

Quant jamais ne te verray, 

Que doleur me point et lance 
164 De si mortel lance 

Au cuer qu'en désespérance 

Pour toy mes jours fineray. 

En toy estoit m'esperance 
168 Toute et ma fiance, 

Ma joie, ma soustenance. 

Lassette 1 or perdu les ay. 

Bien pert a ma contenance 
172 Et a ma loquence. 

Car manicre ne puissance 
174 N'ay, tant me dueil et esmay. 

i5i KJ soupire — i52 J Tir a tir — 1 53 B Le — 187 KJ 
dessire; E la se désire — - 164 manque dans KJ — 169 /Cet ma 
s. — 170 C Lasse te., perdus; B les ray — 170-1 manquent 
dans KJ^ 173 C el p.; JET en p. 

Tome L 19 



29Ô LE LAY DE PLOUR 



XI 

A cuer pensîs 
1 76 Regret et devis 

Ton haut pris 
Que tant pris. 
Einsi le convient ; 
180 Et vis a vis 

Te voy, ce m'est vis, 
Dons amis, 
Et tondis 
184 De toy me souvient. 

Mes esperis 
Et mes paradis 
Estîent mis 
188 Et assis 

En toy ; s'a{>artîent 

Que soit fenis 
Mes cuers et péris, 
192 Qu'est chetis 

Et remis, 
194 Quant vie le tient. 



XII 

Amis, je fusse moult lie, 
Î96 S'etisses cuer plus couart ; 

Mieus vausista mon esgart 
Que volenté si hardie . 

173 KJ Ha; E cuers — 176 KJ R. a deuîs — 187 CKJ 
Estoient -— 191 MBEKJ partis — 192 KJ Qui est — 193 KJ 
ramis — 194 KJ Quautre — 193 J Mes; KJ lîec — 196 EKJ 
Sceussez {J -lez) — 197 KJ regart. 



LE LAY DE PLOUR 29 1 

Mais honneur, chevalerie 
200 Et tes renons qui s'espart 

Par le monde en mainte part 

Ont fait de nous départie. 

Ta mort tant me contralie 
204 Et tant de maus me repart, 

Amis, que li cuers me part ; 

Mais einsois que je dévie, 

Humblement mes cuers supplie 
208 Au vray Dieu qu'il nous regart 

De si amoureus regart 
2 1 o Qu'en livre soiens de vie. 

Explicit le Lay de Plour. 



2o3 KJ Tamour — 204 KJ départ ~ 208 Mss, qui — 209 
manque dans KJ — 210 BKJ Quou; E Quevliure; CBEK 
soions ; KJ ajoutent : Qui bien aime a tort oublie. 




IHPPl 




TABLE DES MATIERES 



DU PREMIER VOLUME 



Introduction i 

Chapitre premier. — Travaux relatifs à Guillaume 

de Machaut i 

Chapitre second. — Notice biographique xi 

Chapitre troisième. — Les Manuscrits xliv 

Chapitre quatrième. — Les Œuvres : 

Le Prologue lu 

Le Dit dou Vergier lv 

Le Jugement dou Roy de Behaingnc lix 

Le Jugement dou Roy de Navarre lxiv 

Le Lay de Plour lxxxvii 

Prologue i 

Le Dit dou Vergier 1 3 

Le Jugement dou Roy de Behaingne 57 . 

Le Jugement dou Roy de Navarre i37 

Le Lay de Plour 283 

Table des matières du premier volume 293 



— ^ — i- 




Publications de là SocrérÉ des Anciens Textes pRAitçiiis 
(En vente à la librairie Firmin-Didot et C»S 56, rue 
Jacob, à Paris,) 



Bulletin de la Société des Anciens textes Français (années 1^75 k 1968). 
N'est vendu qu'aux membres de la Socîëtë au prix de 3 flr. par année, en 
papier de Hollande, et de 6 tt. en papier Whatman. 

Chansons françaises du xv siècle publiées d'après le manuscrit delà Ôîblio- 
thèque nationale de Paris par Gaston Paris, et accompagnées de la mnsi- 
qnc transcrite en notation moderne par Auguste G£yAERT(i875). Epuise. 

Les plus anciens Monuments de la langue française (as x* ailles) pu- 
bliés par Gaston Paris. Album d^ neuf planches exécutées par la photo- 
gravure (1875) 3o fr. 

Brun de la Montaigne, roman d'aventure publié jpour la première foi», d'a- 
près le manuscrit unique de Paris, par Paul Meyer (1073) 3 fr. 

Miracles de Nostre Dame par personnam publiés d'après le manuscrit de 
la Bibliothèque nationale par Gaston Paris et Ulysse Robert; texte com- 
plet 1. 1 à yil (1876, 1877, 1878, 1879, 1880, iSaTi, i883), lé vol. . 10 fr. 

Le t. VIII, dû à M. François Bonnardot, comprend le vocabulaire, la 
table des noms et celle des citations bibliques (1893) i3 fr. 

Guillaume de Paterne publié d'après le manuscrit de la bibliothèque de l'Ar- 
senal à Paris, par Henri Michelant (1876). Épuise sur papier ordinaire. 
L'ouvrage sur papier Wathman 30 fr. 

Deux Rédactions du Roman des Sept Sages de Rome publiées par Gaston 

Paris (1876) Épuisé sur papier ordinaire. 

L'ouvrage sur papier Wathman 16 fr. 

Aiol, chanson de geste publiée d'après le manuscrit unique de Paris par 

Jacques Noruand et Gaston Ratnaud (1877). Epuisé sur papier ordinaire. 

L'ouvrage sur papier Whatman 34 fr* 

Le Débat des Hérauts de France et d'Angleterre, suivi de The Dehate be- 
tween theHeralds ofEngland and France, ^y John Coke, édition commen- 
cée par L. Pannier et achevée par Paul Meyer (1877) 10 fr. 

Œuvres complètes d'Eustache Deschamps publiées d'après le manuscrit de 
la Bibliothèque nationale jpar le marquis de Queux de Saint-Hilaieb, 
t. I à VI, et par Gaston Raynaud. t. VII à XI (1878, 1880, i88a, 1884, 
1887, 1889, 1891, 1893, 1894, 1901, i9o3), ouvrage terminé, le vol. ta fr. 

Le saint Voyage de Merusalem du seigneur d'Anglure publié par François 
Bonnardot et Auguste Longnon (1878) 10 fr. 

Chronique du Mont-Saint-Michel (134.3-1468) publiée avec notea et pièces 
diverses par Siméon Luce, t. I et II {1879, iÔ83), le vol la fr. 

Ël\e de Saint-Gilie, chanson de geste publiée avec introduction, glossaire 
et index, par Gaston Raynaud, accompagnée de la rédaction norvégienne 
traduite par Eugène Koelbing (1879) 8 fr. 

Daurel et Béton, chanson de geste provençale publiée pour la première fois 
d'après le manuscrit unique appartenant à M. F. Didot par Paul Meter 
(18B0) 8 fr. 

La Vie de saint Gilles, par Guillaume de Berneville, poème du xii* siècle 
publié d'après le manuscrit unique de Florence par Gaston Paku et 
Alphonse Bos (1881) 10 fr. 



L'Amant rendu cordelier à l'observance d'amour, poème attribue i Martial 
d'AuvERGNE, publie d'après les mss. et les anciennes éditions par Â. de 

MONTAIGLON (1881) 10 fr. 

Raoul de Cambrai, chanson de geste publiée par Paul Meter et Auguste 
LoNGNON (1883) i5 fr. 

Le Dit de la Panthère d'Amours, par Nicole de Margival, poème du xiii* siè* 
cle publie par Henry A. Todd (i883) 6 fr. 

Les Œuvres poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, publiées par 

H. SucHiER, t. I et II (1884-Ô5) 25 fr. 

Le premier volume ne se vend pas séparément ; le second volume seul 1 5 fr . 

La Mort Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée par J. Couratb 
DU Parc (1884) 10 fr. 

Trois Versions rimêes de l'Évangile de Nicodème publiées par G. Paris et 
A. Bos (i885) 8 fr. 

Fra^ents d'une Vie de saint Thomas de Cantorbéry publiés pour la première 
fois d'après les feuillets appartenant à la collection Goethals Vercniysse, 
avec fac-similé en héliogravure de l'original, par Paul Meyer (i883). 10 fr. 

Œuvres poétiques de Christine de Pisan publiées par Maurice Roy, 1. 1, II et 
III (18^6, 1891, 1896), le vol 10 fr. 

Merlin, roman en prose du xiii* siècle publié d'après le ms. appartenant à 
M. A. Huth, par G. Paris et J. Ulrich, t. I et II (1886) 30 fr. 

Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée par Louis Dehaison, t. I et 
II {1887) 20 fr. 

Le Mystère de saint Bernard de Menthon publié d'après le ms. unique appar- 
tenant à M. le comte de Menthon par A. Lecot de la Marche ( 1 888). 8 fr. 

Les quatre Ages de l'homme, traité moral de Phiuppe de Navarre, publié 
par Marcel de Fréville {1888) 7 fr. 

Le Couronnement de Louis, chanson de geste^ publiée par E. Langlois, 

(1888). Épuisé sur papier ordinaire. 

L'ouvrage sur papier Whatman 3o fr. 

Les Contes moralises de Nicole Bozon publiés par Miss L. Toulmin Smith 
et M. Paul Meyer (1889) i5 fr. 

Rondeaux et autres Poésies du XV* siècle publiés d'après le manuscrit de la 
Bibliothèque nationale, par Gaston Raynaud {1889} 8 fr. 

Le Roman de Thèbes, édition critique d'après tous les manuscrits connus, 

par Léopold Constans, t. I et II (1890) 3o fr. 

Ces deux volumes ne se vendent pas séparément. 

Le Chansonnier français de Saint- Germain-des-Prés (Bibl. nat. fr. 2oo5o), 
reproduction phototypique avec transcription, par Paul Meyer et Gaston 
Raynaud, t. I (1892) 40 fr. 

Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole publié d'après le manuscrit 
du Vatican par G. Servois (1893) 10 fr. 

L'Escoufle, roman d'aventure, publié pour la première fois d'après le manus- 
crit unique de l'Arsenal, par H. Michelant et P. Meyer (1094). • i3 fr. 

Guillaume de la Barre, roman d'aventures, par Arnaut Vidal de Castel- 
naudari, publié par Paul Meyer (1893) 10 fr. 

Meliador, par Jean Froissart, publié par A. Longnon, t. I, H et III 
(1895-1899), le vol 10 fr. 

La Prise de Cordres et de Sebille, chanson de geste publiée, d'après le 
ms. unique de la Bibliothèque nationale, par Ovide Densusianu 
(1896) 10 fr. 

Œuvres poétiques de Guillaume Alexis, prieur de Bucy, publiées par 
Arthur Puget et Emile Picot, t. I, II et III (1896-1908), le vo- 
lume I o f r. 

L'Art de Chevalerie, traduction du De re militari de Végèce par Jean de 
Meun, publié, avec une étude sur cette traduction et sur Li Abrejance de 
V Ordre de Chevalerie de Jean Priorat, par Ulysse Robert (1897). 10 fr. 



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Li Abrejance de l'Ordre de Chevalerie, mise en vers de la traduction de 
Végècc par Jean de Meun, par Jean Priorat de Besançon, publiée avec 
un glossaire par Ulysse Robert (1897) '. 10 fr. 

La Chirurgie de Maître Henri de Mondeville, traduction contemporaine 
de l'auteur, publiée d'après le ms. unique de la Bibliothèque nationale 
par le Docteur A. Bos, t. I et II (1897, 1898) 20 fr. 

Les Narbonnais, chanson de «este publiée pour la première fois par Her- 
mann Suchier, t. I et II (1B98) 30 fr. 

Orson de Beauvais, chanson de geste du xii» siècle publiée d'après le ma- 
nuscrit unique de Cheltenham par Gaston Paris (1899) 10 fr. 

L'Apocalypse en français au XIII» siècle (Bibl. nat. fr. 4o3), publiée par 

L. Delisle et P. Mever. Reproduction phototypique (1900) 40 fr. 

— Texte et introduction (1901) i5 fr. 

Les Chansons de Gace Brûlé, publiées par G. Huet (1902) 10 fr. 

Le Roman de Tristan, par Thomas, poème du xu« siècle publié par Joseph 
BÉDiER, t. Tet II (1902-1905), le vol la tr. 

Recueil général des Sotties, publié par Ém. Picot, t. I et 11(1902, 1904), 
le vol I o fr . 

Robert le Diable, roman d'aventures publié par E. Lôseth (1903)... 10 fr. 

Le Roman de Tristan, par Béroul et un anonyme, poème du xii» siècle, 
publié par Ernest Muret (i9o3) 10 fr, 

Maistre Pierre Pathelin hystorié, reproduction en fac-similé de l'édition 
imprimée vers i5oo par Marion de Malaunoy, veuve de Pierre Le Caron 
(1904) 6 fr. 

Le Roman de Troie, par Benoit de Sainte-Maure, publié d'après tous les 
manuscrits connus, par L. Constans, 1. 1, II et III (1904, 1906, 1907), 
le volume 1 5 fr. 

Les Vers de la Mort, par Hélinant, moine de Froidmont, publiés d'après tous 
les manuscrits connus, par Fr. Wulff et Em. Walberg (1905) — 6 fr. 

Les Cent Ballades, poème du xiv» siècle, publié avec deux reproductions 
phototypiques, par Gaston Raynaud (i9o3) 10 fr. 

Le Moniage Guillaume, chanson de geste du xii» siècle, publiée par W. 
Cloetta, t. I (1906) i5 fr. 

Florence de Rome, chanson d'aventure du premier quart du xiii» siècle, 
publiée par A. Wallenskôld, t. H (1907) 12 fr. 

Les deux Poèmes de La Folie Tristan, publiés par Joseph Bédier ( 1 907). 5 fr. 

Les œuvres de Guillaume de Machaut, publiées par E. Hœpffner, t. I 
(1908) 12 fr. 

Le Mistère du Viel Testament, publié avec introduction, notes et glossaire, 

f>ar le baron James de Rothschild, t. I-VI(i878-i89i), ouvrage terminé, 
e vol 10 fr. 

(Ouvrage imprimé aux frais du baron James de Rothschild et offert aux 
membres de la Société.) 

Tous ces ouvrages sont in-8», excepté Les plus anciens Monuments 'de la 
langue française et la reproduction de V Apocalypse, qui sont grand in-folio. 

Il a été fait de chaque ouvrage un tirage à petit nombre sur papier What- 
man. Le prix des exemplaires sur ce papier est double de celui des exemplaires 
en papier ordinaire. 

Les membres de la Société ont droit à une remise de 25 p. 100 sar tous 
les prix indiqués ci-dessus. 

La Société des Anciens Textes français a obtenu pour ses pu- 
blications le prix Arclion-Despérouse, a l'Académie française, en 
1882, et le prix La Grange, à V Académie des Inscriptions et 
Belles-Lettres, en i883, j8g5y igoi et igo8. 

Le Pay, imp. R. Marchessoa. — Pcyrillcr, Rouchon et Gamou, successeurs. 



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